B- Le manahen ou le comédien
Le manahen est une autre figure de l'art oratoire
à la cour du Danxomè. C'est un comédien qui participait
aussi à toutes les manifestations publiques qu'organisait le roi. Ce
dernier l'invitait pour l'amuser ainsi que la foule. Seul sur la scène,
il s'appliquait à faire rire le roi et toute l'assemblée. Il
s'amusait à imiter la démarche, la voix et les gestes du roi, car
à ce moment précis, tout lui était permis. Il pouvait
même critiquer le roi, à l'instar du fou du roi connu dans les
sociétés occidentales. Devant tout un peuple, il jouait
momentanément le rôle du roi. Il donnait des ordres qu'il
exécutait lui-même, jouant ainsi plusieurs rôles à la
fois. Tantôt il était soldat, tantôt il était
esclave. Il changeait le ton de sa voix selon le personnage qu'il incarnait. Il
est l'exemple type de ce que les anglo-saxons appellent one man
show.
Présent même lors des funérailles, le
manahen apportait un brin d'humour dans cette ambiance
mortifère qui règne dans un contexte pareil. Il
dédramatisait la mort, amenait les gens à oublier un instant le
malheur. Il était imprévisible ; on s'attendait à tout
avec lui. Il pouvait par exemple rigoler quand il traite d'un sujet triste, et
vice-versa. Ainsi prenait-il ceux qui l'écoutaient au
dépourvu.
L'existence de comédien à la cour du
Danxomè donne une autre image de ce royaume connu pour la dureté
des règles établis. Comme l'écrivait Joseph Adandé
(2012 : 17) : « On peut s'étonner que dans une
société aussi militarisée, dans une cour où
l'étiquette est si rigoureuse, il y ait de la place pour le rire
construit autour de la personne même du souverain,
institutionnalisé au point de faire partie du protocole ».
Au-delà donc de la rigueur voire du rigorisme dont faisaient preuve les
rois fon, ils ont pu rendre professionnel l'humour, car le manahen
vivait de son art. Cette valeur qu'ils ont accordée aux
comédiens fait qu'aujourd'hui parmi les comédiens
béninois, beaucoup sont de culture fon, car fiers de faire rire les
autres.
Seul à pouvoir critiquer le roi et à le faire
sourire en public, le manahen était admiré pour son
élocution et son audace. Il était un bon parleur qu'on aimait
à écouter, même si ses propos manquaient de logique et
frisaient l'hérésie. Comme quoi, l'art a presque tous les droits,
et les monarques du Danxomè le savaient plus que quiconque.
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