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Situation des personnes trans en Argentine: entre droit et réalités à  l'identité de genre

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par Charlène BECQUET
Université de Rouen - Master II Pratique des transversalités juridiques : droit international et européen 2017
  

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IV. PROBLÉMATIQUE ET PLAN

L'objet de ce mémoire est d'apporter une description de l'état de la situation des problématiques structurelles auxquelles se confronte le collectif trans à la lumière du droit argentin qui, depuis 1994, revêt une dimension internationale. Le travail ne sera pas de vouloir déconstruire pour mieux détruire la théorie du genre. Bien que tentant, ceci relève plus de la sociologie que du droit. Le droit, bien qu'élément social essentiel, s'il recouvre cette notion ne s'épuise pas dans celle-ci. Ainsi c'est sous le prisme du cadre juridique encadrant la

56 arts. 116 et 117 : voir Annexe n°3

57 Conseil National des recherches scientifiques et techniques, Ministère de la Science, de la Technologie et de l'Innovation publique, Primera Encuesta sobre Creencias y Actitudes Religiosas en Argentina, 2008, p. 9, disponible sur : http://edant.clarin.com/diario/2008/08/27/um/encuesta1.pdf. Depuis 2008, aucun autre rapport à été élaboré; L'actualité desdites données est donc amoindrie.

58 Voir Annexe n°3

59

60

ibidem ibidem

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vie des personnes trans que nous étudierons la question. En effet, dans la mesure où les théories classiques du genre vont condamner la diversité des identités et que l'identité se traduit par la reconnaissance juridique d'un sujet dans un Etat donné, le droit y trouve toute sa place.

Ce mémoire a fait l'objet de choix, de mises en lumière de certains cas jurisprudentiels pour leur intérêt et/ou caractère novateur, de certaines associations ou OI dont la qualité de rapports a pu enrichir ledit travail. Ainsi, c'est sous une perspective singulière que la situation juridique des personnes trans en Argentine est présentée, nonobstant l'existence évidente d'autres perspectives, opinions et prises de position. L'approche sera aussi intersectionnelle, dans une certaine mesure, mais sans tomber dans l'écueil d'une assimilation entre orientation sexuelle et identité de genre. A l'aune de l'étude de statistiques devra être prise en compte la volubilité des informations qui parfois, en raison du caractère fédéral de la République, va constituer une fragmentation malheureuse de l'information. D'autres carences méthodologiques comme celle tendant à ne pas prendre en compte les individus qui n'ont pas effectué la modification au Registre d'état-civil ou celles qui ne s'auto-perçoivent dans aucune des deux cases (féminin/masculin) proposées par l'actuel droit argentin doivent être relevées : autant d'obstacles à l'élaboration de politiques publiques efficientes auquel l'Etat argentin doit faire face et prendre en compte.

A l'origine de ce mémoire, l'idée préconçue d'un El dorado argentin en matière de droits des personnes trans par l'introduction en mai 2012 d'une loi permettant aux individus de se voir reconnaître leur identité de genre auto-perçue sans jugement extérieur (médical ou judiciaire). Cet acte a des conséquences sur la reconnaissance en tant que sujets de droit des personnes trans. Nous partons du postulat selon lequel un droit consacré doit s'accompagner d'un ensemble de mesures aux fins d'harmonisation d'un système : si l'identité de genre est reconnue, protéger les personnes trans tout au long de leur vie socio-économique est essentiel. Ainsi, nous poserons la question de la virtualité du droit à l'identité de genre comme vecteur d'amélioration réel des conditions d'existence du collectif trans.

Nous verrons dans la Partie I comment s'est construite cette loi à partir d'un ensemble d'antécédents tirés du droit international et de la jurisprudence nationale. Le réalisme nous sera apporté par une étude des conditions d'existence de ce collectif désormais reconnu en tant que tel en Partie II. Florencia GUIMARAES, une des leaders actuelle de la lutte pour les droits des personnes trans dénonce des « travesticides sociaux ». Autrement dit, des discriminations, codifiées par des règles provinciales et dans un contexte d'Etat fédéral vont être présentes dans ce paysage à géométrie variable qu'est l'Argentine d'aujourd'hui. Dans quelle mesure les réalités argentines rentrent-elles en consonance avec la légalité posée par la loi sur l'identité de genre?

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PARTIE I. LA RECONNAISSANCE DE L'IDENTITÉ DE GENRE, UNE
QUESTION DE DROITS HUMAINS

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L'émergence du phénomène législatif qui a consacré l'identité de genre est conditionné par le fait que l'Etat argentin est un Etat de droit. Dans cette perspective, la République assure l'indépendance des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et est à la fois gardienne et sujette de droits fondamentaux. L'identité de genre est considérée comme étant la réponse à l'exigence de reconnaissance d'individus, une question de droits humains in fine.

A l'image des diritti umani italophones, des humans rights anglophones, les derechos humanos seront traduits non pas par l'expression `'droits de l'Homme» mais par celle de `'droits humains», reflet d'un vocable plus égalitaire concernant les sexes et aussi d'une neutralité favorable à l'inclusion des personnes trans.

Dans cette Partie I, l'étude se centre sur le sujet trans comme individu qui a été reconnu par le droit argentin (Chapitre 2) et ce, dans un contexte où des instances internationales orientaient leurs discours sur l'identité de genre vers la reconnaissance des diversités (Chapitre 1).

CHAPITRE 1 : L'AVÈNEMENT DE LA LOI SUR L'IDENTITÉ DE GENRE, RÉPONSE À UN CONTEXTE FAVORABLE

Appréhender la loi sur l'identité de genre nécessite une analyse des années qui ont précédé sa promulgation dans un contexte de droit international intégré au droit national depuis la réforme constitutionnelle de 1994 (Section 1). Déceler les différents ingrédients qui ont nourrit tant les juridictions que le Congrès national nous permettra de mettre en évidence que ce tournant copernicien est issu d'une mécanique commune institutionnelle, impulsée par les différents pouvoirs - gouvernementaux et non-gouvernementaux - (Section 2).

SECTION 1 : UN TERRAIN JURIDIQUE FERTILE POUR DES PRISES DE POSITIONS PUBLIQUES PROTECTRICES DES DROITS DES PERSONNES TRANS

Le droit international comme source du droit argentin s'est avéré être un élément perturbateur du contexte légal dans lequel se meuvent les personnes trans. La matière a en effet créer un climat favorable à l'émergence du droit à l'identité de genre (paragraphe 1). Cet écho international a également eu des répercussions sur une légitimation de ce droit, préalable nécessaire à sa légalisation (paragraphe 2).

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§ 1 INDICATEURS JURIDIQUES NATIONAUX ET SUPRA-NATIONAUX, ÉLÉMENTS PROMOTEURS DE L'IDENTITÉ DE GENRE

La question de l'inscription du droit international dans le droit interne argentin61 est importante pour la consécration des droits et libertés des personnes trans ; les règles du jeu de droit international étant assez protectrices et novatrices en la matière. En 1992, la Cour Suprême de Justice de la Nation (CSJN) dans l'arrêt « Ekmekdjian c/ Sofovich62 » affirme la suprématie des traités internationaux sur les lois internes. La position sera réitérée dans plusieurs arrêts postérieurs63 jusqu'à l'année 1994 où une réforme constitutionnelle entérine cette position jurisprudentielle et octroie statut constitutionnel (art. 75.22 de la CN) aux traités de droits humains64. Depuis lors, incombe à l'Etat argentin des obligations positives concernant les personnes trans.

Ici, nous ne nous concentrerons pas sur les droits consacrés par les instruments internationaux ou lois nationales mais bien sur leur position en tant qu'éléments de contextualisation à l'émergence du droit à l'identité de genre en Argentine, selon leurs niveaux respectifs : internationaux (I), régionaux (II) et nationaux (III).

61 AGUAYO Nadia Solange, « Los tratados internacionales de derechos humanos en el derecho interno : reflexiones a partir de los ordenamientos jur'dicos de Espa-a y Argentina » in Ministère de la Justice et des Droits humains, Derechos humanos, 2014, pp. 51-76

62 CSJN, arrêt 315:1492 du 7 juillet 2012

63 CSJN, «Servini de Cubr'a, M. c/ Arte Radiotelevisivo Arg. SA y Borensztein, Mauricio» arrêt 315:1943 du 8 septembre 1992 ; «Fibraca Constructora S.C.A. c/ Comisión Técnica Mixta de Salto Grande s/ recurso de hecho» arrêt 316:1669 du 7 juillet 1993 ; «Serra, Fernando Horacio y otro c/ Municipalidad de la Ciudad de Buenos Aires s/ recurso de hecho», arrêt 316:2454 du 26 octobre 1993 ; «Hagelin, Rag- nar c/ P.E.N. s/ juicio de conocimiento», arrêt 316:3176 du 22 décembre 1993 ; «Artigue, Sergio Pablo s/ incidente de restitución de detenido», arrêt 317:247 du 25 mars 1994,, etc.

64 Voir Annexe n°3. Désormais il y a une décantation des traités selon leur objet (droits humains, intégration, administration de la justice, intérêts économiques et travaux publics et, caractère politique) et selon les sujets contractants (Etats latino-américains, autres Etats, OI et le Saint-Siège).

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I. Droit international

Les Nations Unies ont été - jusque récemment - réticentes à la consécration des droits humains des personnes LGBT comme droits humains. La feue-Commission des droits de l'Homme de l'Organisation des Nations Unies (ONU) a ainsi refusé de prendre position de façon réitérée en 2003, 2004 et 2005 sur la « résolution brésilienne65 » intitulée Droits humains et orientation sexuelle. Le refus d'inscrire à l'agenda onusien l'orientation sexuelle ainsi que la totale indifférence quant à l'identité de genre constituait un véritable frein à des changements législatifs nationaux.

Le 3 avril 2006, la résolution A/RES/60/25166 de l'Assemblée Générale de l'ONU substitue la Commission au Conseil des droits de l'Homme, désormais chargé de « promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits [humains] et de toutes les libertés fondamentales, pour tous, sans aucune sorte de distinction et de façon juste et équitable 67 » et d'examiner « les violations des droits [humains] notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques [et de faire] des recommandations à leur sujet 68 ». Le Comité devient le chargé du dossier `'droits [humains]`' pour l'ONU. Ce renouveau institutionnel a des conséquences sur la prise en compte de la question trans, favorisé par tout un contexte international.

Tout d'abord, la Déclaration de Montréal : le 29 juillet 2006, elle est adoptée dans le cadre de la Conférence internationale sur les droits humains des personnes LGBT lors des World Outgames69 de la ville de Québec (Canada). Environ 1500 acteurs non-gouvernementaux et activistes y font le rappel du nécessaire respect de certains droits basiques pour les personnes LGBT (protection contre la violence d'État et la violence privée, liberté d'expression, d'assemblée et d'association, liberté d'avoir des relations sexuelles entre personnes consentantes et adultes de même sexe). N'étant qu'une déclaration, la portée du document est limitée néanmoins elle sert d'outil à l'ONG Comité International Day Against Homofobia70 (IDAHO) de lancement d'une pétition internationale adressée aux Nations Unies.

65 Appelée ainsi car impulsée par la délégation brésilienne auprès de la Commission des droits de l'Homme. 66Assemblée Générale de l'ONU, Résolution A/RES/60/251 Conseil des droits de l'Homme du 3 avril 2006

67 ibidem §2

68 ibidem §3

69 Les World Outgames organisent depuis 2006 des réunions internationales sportives et culturelles chapeautées par l'Association internationale sportive des gais et lesbiennes.

70 L'ONG Comité IDAHO créée en 2005 est à l'origine de la journée Ô'IDAHOT» de lutte contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie.

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A ce même titre, les principes de Jogjakarta71 vont être des éléments structurants du nouvel intérêt pour l'identité de genre de la part des Nations Unies. En effet dans ses Recommandations Additionnelles il est enjoint au Haut-Commissionaire des Nations Unies aux Droits de l'Homme (HCDH), au Conseil des droits de l'Homme, au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), à l'OMS et à l'ONUSIDA d'intégrer dans leurs mandats respectifs ces Principes. Le Ministère de la Justice et des droits humains les a entériné en les considérant comme des standards légaux internationaux contraignants pour l'Etat argentin72.

Le 5 décembre 2006, 54 pays demandent que soit inscrite à l'ordre du jour d'une prochaine session du Comité la question des droits des personnes LGBT. Notons qu'ici il est toujours question d'aborder de manière globale la lutte trans, aux cotés de celles liées à l'orientation sexuelle propres aux personnes lesbiennes, gais et bisexuel/les. Néanmoins cet acte a pour effet d'ouvrir la porte à la prise de Résolutions bien concrètes. Dès le 18 décembre 2008 est adoptée au sein de l'Assemblée Générale la première Déclaration sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre73 approuvée par 66 Etats dont l'Argentine. Dans son considérant n°3, il est précisé que le principe de non-discrimination implique l'égalité indépendamment de l'identité de genre. A cette déclaration s'oppose une contre-déclaration signée par 57 Etats : l'unanimité ne remporte pas encore la partie concernant les controversées questions d'identité de genre et d'orientation sexuelle.

La résolution A/HRC/RES/17/19 va entériner l'approbation de ces 66 pays en chargeant74 le HCDH d'établir un rapport avant décembre 2011 rendant compte des lois et pratiques discriminatoires ainsi que les actes de violence commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et identité de genre. Plus qu'une déclaration, cet acte du Conseil des droits l'Homme met en relief la « grave préoccupation » face à ce sujet de l'organe onusien75.

71 Les principes de Jogjakarta (ou Yogjarkarta) sont une série de principes orientant l'application du droit international des droits humains en matière d'orientation sexuelle et d'identité de genre qui ont été élaborés par une coalition d'ONG représentés par 29 experts éminents de 25 pays différents au cours d'une réunion tenue à l'Université Gadjah Mada de Jogjakarta, en Indonésie en novembre 2006. Ils ont été présentés devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies le 26 mars 2007. Mauro Cabral (chercheur à l'Universidad Nacional de Córdoba, intégrant la Commission internationale des droits humains des gais et lesbiennes) y a représenté l'Argentine.

72 INADI. Ministère de la Justice et des droits humains, Hacia una Ley de Identidad de Género, 2012, p. 27

73 Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution A/63/635 du 22 décembre 2008, Lettre datée du 18 décembre 2008, adressée au Président de l'Assemblée générale par les Représentants permanents de l'Argentine, du Brésil, de la Croatie, de la France, du Gabon, du Japon, de la Norvège et des Pays-Bas auprès de l'ONU.

74 Conseil des droits de l'Homme, Résolution 1/HRC/RES/17/19 Human rights, sexual orientation and tender identity, 14 juillet 2011

75 Conseil des droits de l'Homme, Résolution 1/HRC/RES/17/19, op. cit., préambule : « le Conseil des droits de l'Homme (É) gravement préoccupé par les actes de violence et de discrimination, dans toutes les régions du monde, commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre (É) »

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Le rapport76, édité en novembre 2011, dénonce le manque d'intérêt que les gouvernements et des OI ont eu concernant ce sujet et réaffirme sa mission de promoteur de « la défense de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales, pour tous77 ».

En 2014, le Conseil renforce cette position prise en émettant une nouvelle résolution78 qui fait état de quelques avancées mais demeure - selon ses termes - saisi de la question. Depuis lors, dans le cadre des procédures spéciales79 un expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre a été nommé80. Le premier pays visité par l'expert Vitit MUNTARBHORN fût l'Argentine en mars 2017. Le premier rapport annuel mondial sera rendu courant juin 2018 mais déjà, la déclaration de fin de mission en terre argentine a été divulguée81. La mise en place de cet expert est la réponse aux principes de Jogjakarta qui avaient indiqué aux Nations Unies de faire usage de cette procédure pour lutter contre les violations des droits humains fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre 82.

Notons que, encore aujourd'hui, l'identité de genre n'est pas comprise dans les listes de motifs de discrimination mais peut, avec le pouvoir interprétatif des textes, être entendue dans les clauses ouvertes. Dans la Déclaration de Montréal, le HCDH avait plaidé pour la

76 HCDH, Lois et pratiques discriminatoires et actes de violence dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, A/HRC/19/41, 11 novembre 2011

77Assemblée Générale de l'ONU, Résolution A/RES/60/251, op. cit., §2

78 Conseil des droits de l'Homme, Résolution A/HRC/RES/27/32 Droits de l'Homme, orientation sexuelle et identité de genre, 2 octobre 2012

79 Les procédures spéciales sont des « mécanismes mis en place par le Conseil des droits de l'homme, qui s'occupent de la situation spécifique d'un pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Il existe actuellement [au 9 septembre 2017] 42 mandats thématiques et 14 mandats par pays » in http:// www.un.org/fr/rights/overview/rsgt.shtml

80 Conseil des droits de l'Homme, Résolution A/HRC/RES/32/2 Protection contre la violence et la discrimination en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre, 30 juin 2016

81 HCDH, End of Mission Statement by the United Nations Independent Expert on protection against violence and discrimination based on sexual orientation and gender identity, Mr. Vitit Muntarbhorn, of his visit to Argentina, 10 mars 2017

82 « Les procédures spéciales en matière des droits humains des Nations Unies accordent l'attention qu'il faut aux violations des droits humains fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre et intègrent ces Principes dans l'exécution de leurs mandats respectif » in point C des Recommandations additionnelles des Principes de Jogjakarta.

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reconnaissance explicite de l'identité de genre comme motif de discrimination. L'ECOSOC, quant à lui, a fait cette reconnaissance dans l'Observation générale n°20 en 200983.

II. Droit régional

Les organisations régionales engagées envers les droits humains, les organes des droits humains régionaux ainsi que les cours régionales des droits humains sont mandatées par les Principes de Jogjakarta pour exécuter ces derniers84.

Dans le cadre de ce mémoire, nous étudierons les éléments développés par le système interaméricain des droits de l'Homme (A). L'Argentine s'intègre dans le tissu interaméricain des droits de l'Homme depuis le dépôt de son instrument de ratification le 5 septembre 1984 auprès du Secrétariat général de l'Organisation des Etats Américains (OEA) : elle y reconnaît ainsi la compétence de la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (ci-après la Commission) et celle de la Cour interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH). Les tendances du système régional européen de protection des droits de l'Homme, qui rentre souvent en consonance avec celui outre-atlantique, seront étudiées (B).

A) DROIT INTERAMÉRICAIN DES DROITS HUMAINS

Depuis 2008, l'Assemblée Générale de l'OEA a adopté plusieurs résolutions85 intitulées « droits humains, orientation sexuelle et identité de genre » : les violations des droits humains en raison de l'orientation ou de l'identité de genre deviennent une préoccupation permanente de l'organe suprême de l'OEA qui ordonne au Comité des questions juridiques et politiques d'inclure dans son agenda ce thème. En juin 2010, l'Assemblée Générale exhorte la Commission d'établir des rapports sur la situation juridique des droits des personnes LGBTI. En 2011, la Commission décide de mettre au coeur de son agenda la thématique des personnes LGBTI. Dès février 2012, une Unité pour les droits des personnes LGBTI est mise en place.

83 L'identité de genre est « reconnue parmi les motifs de discrimination interdits ; par exemple, les personnes transgenres, transsexuelles ou intersexes sont souvent exposés à de graves atteintes à leurs droits fondamentaux, notamment à du harcèlement dans les établissement d'enseignement ou sur le lieu de travail » in ECOSOC, Observation générale n°20 sur la non-discrimination, §32, 2 juillet 2009

84« Les organisations intergouvernementales, régionales et subrégionales engagées envers les droits humains, ainsi que les organes des droits humains régionaux, garantissent que la promotion de ces Principes fasse partie intégrante de l'exécution des mandats de leurs divers mécanismes, procédures et autres dispositions et initiatives en matière de droits humains; I. Les cours régionales des droits humains intègrent de façon soutenue les Principes précédemment énoncés qui sont pertinents par rapport aux traités des droits humains qu'elles interprètent, dans le droit jurisprudentiel qu'elles développent concernant l'orientation sexuelle et l'identité de genre (É) » in point H des Recommandations additionnelles des Principes de Jogjakarta.

85 Ces résolutions portent les numéros : 2435, 2504, 2600, 2653

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La loi sur l'identité de genre argentine est promulguée en 2012, dans ce contexte interaméricain intense concernant la question.

B) DROIT EUROPÉEN DES DROITS HUMAINS ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE

Dès 1989, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adopte une recommandation relative à la condition des personnes transsexuelles86 ; le Parlement européen quant à lui regroupe ses préoccupations dans des résolutions plus générales en 2006, 2007 et 2011.

Actuellement dans le cadre du système européen de protection des droits humains, la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme prépare un rapport qui portera notamment sur la discrimination fondée sur l'identité de genre. Le Comité des Ministres (ci-après le Comité) quant à lui a rappelé dans plusieurs réponses à des questions de membres de l'Assemblée parlementaire que, l'égalité était un principe intangible en matière de droits humains et qu'aucun motif comme l'identité de genre ne devait entrer en ligne de compte. De plus, le 2 juillet 2008 le Comité a décidé d'intensifier la lutte contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Dans cette perspective, un groupe d'experts intergouvernementaux avait été mis sur pied et était chargé d'élaborer une recommandation pour les 47 Etats membres du Conseil de l'Europe. En octobre 2009, le Commissaire aux droits de l'Homme a émit un document thématique sur l'identité de genre87.

III. Droit national

La Constitution argentine - née en 1853 et modifiée depuis lors sept fois - est la norme directrice du pays. Son caractère supra-législatif et les droits fondamentaux qu'elle précise vont fonder les bases sur lesquelles s'édifie le droit argentin et donc, le droit à l'identité de genre (A). D'autres dispositions législatives du début de la décennie convergent vers une autonomie croissante de la volonté des individus, propice à la consécration du droit à être soi-même (B).

A) DES DROITS FONDAMENTAUX TIRÉS D'UN MANDAT CONSTITUTIONNEL

La Constitution argentine, profondément révisée en 1994, demeure l'instrument fondamental dans l'ordre juridique interne. Pacte démocratique et charte constitutionnelle, elle est irriguée de valeurs qui fondent la République. Il y a une reconnaissance explicite de

86 Conseil de l'Europe, Recommandation n°1117 du 29 septembre 1989

87 Voir : https://rm.coe.int/16806da5d0

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droits fondamentaux qui est formulée, la validité de la Constitution se subordonnant alors à l'exigence de leur respect dans le cadre de l'Etat de droit. Concernant notre étude, certains principes constitutionnels sont des guides privilégiés.

Etre trans est l'affirmation de son droit constitutionnel à l'identité (art. 18 de la Convention interaméricaine des droits de l'Homme). Au début des années 2010, dans un contexte favorable à l'émergence de la reconnaissance légale du droit à l'identité de genre, certaines ONG (FALGBT et ATTTA) ont été l'origine de la campagne « derecho a ser 88 », droit à tous les droits89. Si ce droit essentiel n'est pas contenu dans le corps de la Constitution - excepté pour les peuples indigènes (art. 75 §§17 et 19 de la CN90) - il découle de ce dernier un nécessaire contexte constitutionnel où égalité, liberté et sécurité personnelles et nondiscrimination de chacun et chacune doivent être garantis.

L'égalité devant la loi est consacrée par l'article 16 de la CN91 et le Congrès est chargé de garantir l'égalité réelle entre toutes et tous (art. 75 §23 de la CN). La CIDH, dans une opinion consultative de 198492, a par ailleurs rappelé que la notion d'égalité est inséparable de la dignité inhérente à chaque être humain. La liberté est quant à elle présente dans divers articles de la Constitution93 et dans le Préambule alors que la sécurité personnelle est une réception du droit international via l'article 75§22 de la CN94 tout comme le principe de nondiscrimination (art. 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme95 [DUDH]; art. 2.2

88Notre traduction de : « droit à être ».

89 Cette campagne est disponible suivant ce lien : https://vimeo.com/27725880

90 Dans l'article 75 §17 de la CN est reconnu le respect de l'identité des peuples indigènes argentins tandis qu'au paragraphe 19 point 4, il est fait référence à la protection de l'identité et de la pluralité culturelle. Voir Annexe n °3

91 Voir Annexe n°3

92 CIDH, Opinion Consultative OC-4/84 du 19 janvier 1984

93 Ces articles sont les suivants : art. 15 de la CN relatif à la liberté comme conséquence de l'abolition de l'esclavage; art. 18 de la CN relatif à la liberté d'aller et de venir en l'absence d'ordre judiciaire; art. 19 de la CN interpreté a contrario sensu offre un espace de liberté face aux prohibitions explicites dictées par la loi. Voir Annexe n°3

94 art. 3 de la DUDH; art. 6 et 9 du Pacte international des droits civils et politiques ; art. 4 et 7 de la Convention interaméricaine des droits de l'Homme

95 art. 7 de la DUDH : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. »

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du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels96 [PIDESC] ; art. 16 de la CN97). En effet, dans le cas d'une personne ayant fait valoir son droit à subir une opération chirurgicale concernant ses parties génitales, l'identité sexuelle étant partie de l'identité personnelle doit être respectée au risque de mettre en péril son droit à l'intimité (art. 19 de la CN) et/ou de son droit à une vie privée (consacrés par l'art. 17 du PIDESC98).

Notons néanmoins que même si la non-discrimination dans son expression générale est constitutionnellement consacrée, il demeure que la loi nationale n°23.592 relative aux actes discriminatoires ne liste pas l'identité de genre dans ses motifs de non-discrimination ni ne propose une clause ouverte non exhaustive permettant une interprétation in favorem99. Pourtant, le respect de l'identité implique l'absence de discrimination.

B) LOIS NATIONALES SPÉCIFIQUES

Parce qu'elles sont en rapport avec les droits des personnes se définissant comme étant homosexuelles ou qu'elles proposent une réinterprétation de la notion de santé mentale, certaines lois ont permis de façonner le droit à l'identité de genre.

Occupant l'agenda des ONG LGBTI jusqu'en 2010, la loi dite de « mariage égalitaire100 » du 15 juillet permet aux personnes de même sexe de se marier. L'Argentine est le 10ème pays

96 art. 2.2 du PIDESC : « Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

97 Voir Annexe n°3

98 art. 17 du PIDESC : « 1. Les Etats parties au présent Pacte présentent leurs rapports par étapes, selon un programme qu'établira le Conseil économique et social dans un délai d'un an à compter de la date d'entrée en vigueur du présent Pacte, après avoir consulté les Etats Parties et les institutions spécialisées intéressées.

2. Les rapports peuvent faire connaître les facteurs et les difficultés empêchant ces Etats de s'acquitter pleinement des obligations prévues au présent Pacte.

3. Dans le cas où des renseignements à ce sujet ont déjà été adressés à l'Organisation des Nations Unies ou à une institution spécialisée par un Etat partie au Pacte, il ne sera pas nécessaire de reproduire lesdits renseignements et une référence précise à ces renseignements suffira.

99 La Législature de la CABA au 9 avril 2015 a promulgué la loi n°5261 contre la discrimination qui, en son art. 3 a) précise que : « sont considérés discriminatoires les faits, actes ou omissions qui ont pour objet ou résultat d'empêcher, obstruer, restreindre ou de tout autre mode d'amoindrir, arbitrairement, de façon temporelle ou permanente, l'exercice égalitaire des droits et garanties (É) à des personnes ou groupes de personnes sous le prétexte [du] : (É) genre, identité de genre et/ou son expression (É) ». Un élargissement du cadre légal national concernant la non-discrimination a été effectué.

100Notre traduction littérale de : « matrimonio igualitario ».

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du monde101 à le consacrer et ce, malgré de fortes résistances de l'Eglise catholique .

102

Véritable outil d'inclusion sociale de la communauté lesbienne, gay et bisexuelle, il peut être parfois considéré comme une avancée juridique pour des personnes trans éprouvant une attirance érotico-affective envers des personnes de même sexe qui souhaitent se marier conformément aux règles édictées par le droit commun.

Une autre disposition législative qui a fondamentalement amené les Législateur/ses argentin/es à sanctionner la loi sur l'identité de genre est la loi de Santé Mentale du 2 décembre 2010103 . L'article 3 définit la santé mentale comme un processus déterminé par de nombreuses et diverses composantes (historiques, socio-économiques, culturelles, biologiques et psychologiques). Aucun diagnostic relatif à la santé mentale doit se baser sur l' « absence de conformité ou adéquation avec des valeurs morales, sociales, culturelles, politiques ou croyances religieuses dominantes dans l'environnement de l'individu examiné » ou en raison de son « choix ou identité sexuels ».

Malgré cela, il était encore interdit pour un médecin d'effectuer une opération chirurgicale modificatrice du sexe sans autorisation judiciaire. L'article 14 de la loi sur l'identité de genre déroge cet article, uniformisant la situation pour la situer totalement hors du champ médico-psychologique.

Enfin, le même jour que la loi sur l'identité de genre a été sanctionnée celle dite de « mort digne104 » qui octroie le droit aux patients d'accepter ou de rejeter certaines thérapies ou traitements médicaux ou biologiques sans justification aucune ainsi que le droit de révoquer, à tout moment, cette manifestation de la volonté (art. 1) lorsqu'il/elle présente une maladie incurable, irréversible ou se trouve en phase terminale.

Cet environnement juridique pose les bases d'un certain libéralisme concernant la disposition de son propre corps, de la conscience de celui-ci et de la volonté de s'extirper du schéma cisgenré. Néanmoins, il demeure des éléments d'hostilité face à la pleine autonomie de la volonté. Ainsi par exemple, l'avortement reste considéré comme un délit, punissable de 1 à 4 ans de prison pour la femme qui avorte seule ou se fait aider (art. 88 du Code pénal).

101 Les Pays-Bas, en 2001, a été le premier pays à légaliser l'union entre personnes de même sexe.

102 Avant le débat au sein du Sénat du projet de loi sur le mariage entre personnes de même sexe (au 14 juin 2010), l'archevêque argentin Bergoglio, qui est depuis mars 2013 pape de l'Eglise catholique [François Ier], avait adressé une lettre disqualifiant ce tournant législatif, se référant aux personnes homosexuelles comme étant des êtres diaboliques, traduction de l'expression virulente « partes de una movida del diablo ».

103 Loi n°26.657 du 2 décembre 2010

104 Notre traduction de : « muerte digna ». Loi n°26.742, disponible sur : http://www.ms.gba.gov.ar/sitios/ tocoginecologia/files/2014/01/Ley-26.742-Muerte-Digna.pdf

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§ 2 VISIBILISATION, RECONNAISSANCE ET LÉGITIMISATION DU COLLECTIF TRANS

Légitimer le collectif trans a été l'un des éléments fondamental dans l'émergence de la loi sur l'identité de genre. Les feux des projecteurs ont été orientés vers lui tant par les pouvoirs publics que par les ONG qui traditionnellement se positionnent en tant qu'avant-gardistes dans un système politique parfois réticent à la nouveauté. La reconnaissance est synonyme de réparation, à l'instar du nom du projet de loi « reconocer es reparar » (I) ; la reconnaissance implique également une légitimisation, importante pour rendre pérenne une légalisation (II).

I. « Reconocer es reparar »

Dans cette reconnaissance préalable à la loi de mai 2012, il existe le projet de loi n°2526 qui a pour objet de mettre fin à l'amnésie étatique. Héritage de la dictature, cette période fût génératrice de violences institutionnelles envers - notamment - le collectif trans (A). Le projet est porté par une ONG, le Ministère de la Justice (au travers de l'INADI) et celui de l'Education tout comme quelques universités et une partie de la doctrine qui toutes et tous, convergent vers cette légitimisation générale du collectif trans (B).

A) LE PROJET 2526, L'ESPOIR DE LA RÉPARATION DE VIOLENCES INSTITUTIONNELLES

Le 24 mars 2004, Nestor KIRCHNER - alors Président de la République argentine - érige en mémorial un ancien centre de détention (l'Ecole de mécanique de la marine105). L'Argentine veut solder ses dettes106 issues de la dictature même si les lois de « punto final » et d' « Obedecencia Debida107 » sous le gouvernement ALFONSIN (1986-1987) y avaient mis un frein. En effet, ces dernières exemptaient de poursuites judiciaires les officiers de rang inférieur à celui de lieutenant colonel. Le 15 juin 2005, la CSJN annule ces lois d'amnistie.

Au sortir de la dictature, une soif de liberté rend ivres argentins et argentines, ceux qui avaient été opprimés durant ces années en particulier. En 1996, c'était aux édits policiers d'être supprimés. A ce titre, l'article 2 du Règlement de procédure contraventionnelle de l'édit policier dicté par la Police Fédérale argentine prohibait l'exhibition avec des robes ou le déguisement avec des vêtements du sexe contraire (point f) ; l'incitation ou le fait de s'offrir

105Notre traduction de : « Escuela de Mecánica de la Armada »

106 A l'heure actuelle, 385 génocidaires sont en attente de leur jugement oral dont 141 qui ne font l'objet d'aucune privation de liberté ; 44 ont déjà été condamnés.

107 Traduction littérale de : lois du « point final » et de l'« obéissance due »

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publiquement à un acte charnel, sans distinction de sexe (point h) ; rencontrer quelqu'un, considéré comme perverti, en compagnie d'un mineur de 18 ans (point g).

Si bien ces édits n'existent plus (malgré que demeurent les Codes contraventionnels - voir Partie 2, Chapitre 2, Section 2 §1), ils eurent des conséquences sociales importantes - non restituables in integrum - que certaines ONG et député/es108 estiment qu'il faut réparer au nom d'une justice transitionnelle. De travaux communs naît le projet de loi n°2526 dit Reconocer es reparar109 présenté en 2016 devant la Chambre des députés, souhaitant créer un régime de réparation pour les victimes de violence institutionnelle en raison de leur genre.

Cette initiative s'inscrit dans la continuité du Principe n°28 de Yogjakarta relatif au droit à des recours et à un redressement efficaces. Le point B du Principe n°28 liste de façon non exhaustive les moyens par lesquels les Etats peuvent réparer ces violations de droits humains basées sur leur identité de genre : indemnité, compensation, réhabilitation, dédommagement, garantie de non répétition, etc. En l'occurrence, le projet de loi (voir Annexe n°5) prévoit que les individus ayant été privés de liberté en raison de leur identité de genre par les Forces de Sécurité fédérales, par autorisation judiciaire ou par le Ministère Public de la juridiction nationale ou fédérale seraient indemnisés à hauteur de la rémunération mensuelle assignée à la catégorie D niveau O de l'Agrupamiento General del SINEP, augmenté de 30% en cas de violence sexuelle. L'application de ce dispositif serait contrôlé par le Secrétariat aux droits humains du Ministère de la Justice et des droits humains.

Néanmoins, le projet reste lettre morte ; ce dernier n'a pas été examiné par les Commissions désignées (Sécurité intérieure, Prévision et sécurité sociale, Droits humains et garanties, budget et Trésor Public) afin qu'il soit inscrit à l'ordre du jour. Une tentative de légiférer en la matière avait déjà été formulée avec le projet de loi n°8194 en 2014. La loi permettrait de redonner sens à des situations de violation des droits des personnes trans. A titre d'exemple en Allemagne une loi a été récemment promulguée (mars 2017) pour venir réparer la pénalisation des relations sexuelles entre hommes entre 1949 et 1994 sur la base de l'article 175 du Code pénal allemand. Dans notre étude, ce projet permettrait la revitalisation des demandes en dérogation des fautes et Codes contraventionnels encore présents.

B) PRISE DE CONSCIENCE SUR LA NÉCESSITÉ DE TRANSFORMER LE DROIT

Les avocats Emiliano LITARDO et I-aki REGUEIRO DE GIACOMI énoncent que plaider la cause des droits humains et des droits sexuels appelle à leur incidence critique du

108 Le 6 octobre 2016, Abogados por los derechos sexuales, ALITT, Futuro Transgenérico et Movimiento Antidiscriminatorio de Liberación et 22 député/es ont présenté ce projet intitulé « Régimen reparatorio para v'ctimas de violencia institucional por motivos de identidad de género » devant la chambre des Députés.

109Notre traduction de : « Reconnaître c'est réparer ».

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droit. Le droit n'étant pas immeuble, il est logique qu'il soit conçu comme le reflet des réalités, elles-mêmes changeantes. Daniel BORRILLO110 quant à lui se positionne devant la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme française (CNCDH)111 mettant en évidence l'action nécessaire du droit sur les discriminations envers les personnes transidentitaires. Il aborde la question en dépassant celle de l'identité, se plaçant déjà dans l'hypothèse - depuis mai 2012 réelle en terrain argentin - selon laquelle elle est reconnue et nécessite désormais une protection spécifique.

Si bien la doctrine a influencé par ses interventions et mises en lumière de la thématique, la prise de position de l'INADI dans un document concernant le projet de loi sur l'identité de genre112 a permit de façon inédite la reconnaissance officielle de discriminations systématiques envers la communauté trans. Demander pardon est dressé comme un devoir, une obligation étatique résultant d'actions et omissions antérieures. Par la connaissance de cas de violations des droits humains mis à jour à la lumière des édits policiers, l'Etat argentin va permettre la reconnaissance du collectif trans. Pour autant, nous l'avons vu (voir Partie I, Chapitre 1, Section 2, §2, I, A) l'attente d'une réparation concrète proposée par le projet n°2425 tempère les optimismes.

Certaines universités se présentent aussi comme de fertiles terrains de revendications. Des conseils directifs ont ainsi pris des résolutions reconnaissant les identités trans. Parmi celles-ci les facultés de Philologie et Lettres et de Sciences exactes et Sciences sociales de l'Université de Buenos Aires ; les facultés de Biochimie et de Pharmacie de l'Université de Rosario et la faculté de Sciences Politiques et Sociales de l'Université de Mendoza. Le but de ces dernières est de lutter contre la discrimination universitaire tant au niveau académique qu'administratif, assurant un traitement respectueux des acteurs présents dans ces espaces (personnels enseignant ou non, étudiant/es, etc). Notons néanmoins que le collectif trans demeure très peu présent dans ces espaces en tant qu'étudiant/e : environ 10,1% ont accédé à un cycle tertiaire ou universitaire, 1 sur 4 l'ayant complété113. Récemment, l'Université Nationale de Mar de

110 Daniel BORRILLO est un spécialiste argentin des questions juridiques des personnes homosexuelles. Il est actuellement Professeur de droit à l'Université Paris Ouest - Nanterre.

111

BORRILLO Daniel, « L'identité de genre : entre ordre public et vie privée », Audition devant la Commission

Nationale Consultative des Droits de l'Homme, 19 mars 2013

112 MAGNANI Rocio, « El INADI reconoce la discriminación sistematica a la comunidad trans » in Página/12, 23 janvier 2012

113 BERKINS Lohana (dir.), Cumbia, copeteo y lagrimas : informe nacional sobre la situacion situación de las travestis, transexuales y transgéneros, 2015, ediciones Madres de Plaza de Mayo, 2ème ed., p 164

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Plata a décidé d'imposer un quota de 1% de présence de personnes trans au sein du personnel non enseignant, une première pour l'ensemble des universités latino-américaines114.

Une série de résolutions ministérielles corroborent l'avancée vers un droit à l'identité de genre en Argentine. En 2003 et au niveau de la CABA, une résolution est signée par le Ministre de l'Education 115 enjoignant aux établissements éducatifs et aux instances administratives du Secrétariat de l'Education de la ville de garantir le « respect de l'identité de genre et la dignité et intégration des personnes appartenant à des minorités sexuelles » (art. 1). En amont, se trouve la requête de l'activiste Lohana BERKINS auprès du Défenseur du peuple de la CABA116 contre une structure éducative qui refusait de respecter son identité de genre au moment de l'inscrire en tant que professeure. En 2007, le Ministère de la santé de la CABA a adopté une Résolution pour que, au sein dudit ministère soient respectées les identités de genre de chacun et chacune lors de tout acte de gestion, enregistrement, citation ou assistance. Puis en 2011, le Ministère de la Sécurité117 dénonce le modèle hétéronormé qui est source de discriminations et d'exclusions, de violences et d'agressions et reconnait l'identité de genre des personnes trans. Le personnel intégrant des forces de police, de gendarmerie, navales ou de sécurité aéroportuaires peuvent dès lors faire part de leur souhait d'être traité conformément à leur identité de genre auto-perçue.

II. Une légitimation de la lutte trans

Au travers de la définition de l'Organisation Non Gouvernementale - ONG - (A) et d'un changement de politique jurisprudentielle en la matière concernant l'ALITT (B), la lutte trans se visibilise, vivifiant ainsi l'espace démocratique. D'autres reconnaissances se dressent en tant que symboles de la lutte (C).

A) ONG : DÉFINITION ET RÔLE

Une ONG est une association civile118 qui a obtenu statut juridique auprès des autorités étatiques a contrario des associations `'simples», sans existence légale mais encadrées par

114 Presentes, « Seleccionaron a dos trabajadoras trans para la Universidad de Mar del Plata », 5 juillet 2017

115 Ministère de l'Education de la CABA, résolution n°122/03 relative à l'identité de genre et au prénom choisi 116Demande enregistrée sous le numéro 5.232/03 en août 2002

117 Résolution n1/4 1181/2011 du 25 novembre 2011

118 Autres types d'associations civiles : syndicats, associations professionnelles, mutualiste, associations religieuses, associations de bienfaisance, associations récréatives.

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l'article 46 du Code civil et commercial de la Nation. L'ONG se caractérise par son absence de but lucratif et sa défense du bien commun.

Son rôle est fondamental en tant qu'elle se veut être le reflet et la défense des intérêts de la société civile. La Commission interaméricaine des droits de l'Homme (Com. IDH) a rappelé que leur travail est essentiel pour l'application universelle des droits humains, la pleine démocratie et l'Etat de droit. Ainsi, quand la défense des droits humains leur est empêchée - moyennement assassinats, menaces, criminalisations de ses activités, campagnes de dénigrement de ses activistes, etc. - c'est tout le système démocratique qui est mis en péril, au détriment de la société. L'ONG Red Latinoamericana y el Caribe de Personas Trans (REDLACTRANS) dénonce la situation particulièrement précaire des défenseurs/seuses trans en raison de leur visibilité qui défit ouvertement les normes de genre pré-établies119. Ses intégrant/es doivent jouir d'un régime protecteur de leur intégrité personnelle.

Les années 1990 virent naître nombre d'associations et d'ONG, détractrices du système des édits policiers. Aujourd'hui, le panorama compte des centaines d'associations et ONG comme : 100% diversidad y derechos, Colectivo de Investigación y Acción Jur'dica, Colectivo Lohana Berkins, Cooperativa Amazonas del Oeste, Futuro Transgenérico, la Fulana, Mayores en la diversidad, Movimiento Antidiscriminatorio de Liberación, Vidas Escondidas etc. Concernant cette dernière, notons que ce n'est qu'après une dizaine d'années d'existence de facto que sa reconnaissance de jure a été consacrée (en 2016). Ainsi, même si la Constitution argentine reconnaît le locus standi aux associations luttant contre les discriminations (art. 43 de la CN120), cette possibilité est enserrée dans une autre : celle d'être reconnu légalement par l'Etat. Dans ces conditions, l'ONG est qualifiée en tant que telle et pourra être cet acteur fondamental notamment dans la proposition de projets de lois.

B) DE LA JURISPRUDENCE « CHA » À « ALITT » : LA RECONNAISSANCE DE L'UTILITÉ PUBLIQUE D'UNE ASSOCIATION DE DÉFENSE DES DROITS LGBTI

De la liberté d'expression et d'association, nous tirons des éléments essentiels pour le fonctionnement d'une démocratie. Le pluralisme des idées permet que l'agora publique soit animée. Reconnaître la personnalité juridique d'une association c'est légaliser et légitimer les actions de celle-ci. En l'occurrence, l'appréciation qu'a fait la CSJN de la notion de bien commun depuis le début des années 1990 jusqu'à aujourd'hui a évolué et ce, favorablement pour les ONG défendant les droits des personnes LGBT.

119 REDLACTRANS, La noche es otro pa's : Impunidad y violencia contra mujeres transgénero defensoras de derechos humanos en América Latina, 2012, p. 11

120 Voir Annexe n°3

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En 1991, la Cour Suprême avait eu à connaître de la légalité du refus d'octroi de la personnalité juridique par l'Inspection Générale de Justice (IGJ)121 à l'association Comunidad Homosexual Argentina. Les juges ont alors décidé que cette dernière ne remplissait pas la condition de bien commun122 sinon qu'elle visait à « protéger des personnes homosexuelles face à des discriminations arbitraires et, essentiellement, la défense publique de l'homosexualité123». Le bien commun est alors entendu comme bien de la majorité. Ici les personnes homosexuelles sont considérées comme une minorité, disqualifiant toute action associative comme étant une action tendant au bien commun. Dans ce cas jurisprudentiel, rappel est fait par le vote du juge BELLUSCIO que l'homosexualité n'est pas réprimée pénalement même si nous y observons une répression sociale. L'homosexualité est qualifiée de « déviation de l'instinct sexuel dont les origines ne sont très précises », ce qui se traduit in fine par une condamnation juridique déniant l'existence de la CHA.

En invoquant le fait que l'existence de cette association n'apporte « aucun bénéfice pour la société », les juges assimilent la lutte pour une meilleure qualité de vie, l'élaboration de campagnes en défense du droit à la santé, à l'éducation, au travail, au logement et autres bénéfices sociaux, les espaces de réflexion, les campagnes contre la discrimination et pour promouvoir les droits sexuels des personnes trans comme une lutte ne tendant pas au bien commun. Les juges invoquent le fait que cette décision ne met pas en péril le droit d'association, protégé par l'article 14 de la CN124 - et depuis 1994 par divers traités internationaux125 - car l'article 46 du Code civil permet de laisser fonctionner des associations qui n'ont pas satisfaits au critère de l'article 33, 2ème partie §1 sous la forme d'association simple, sans aucune personnalité juridique.

Un revirement de jurisprudence survient en 2006 lorsque la même CSJN a eu à analyser le bien-fondé d'une décision de l'IGJ qui avait refusé d'attribuer la personnalité juridique à

121 L'IGJ est chargée de statuer sur l'octroi de la personnalité juridique (art. 45 du Code civil).

122 Critère légal de reconnaissance des personnes juridiques de caractère privé que l'on retrouve à l'art. 33 du Code civil disposant que : « Las personas jur'dicas pueden ser de carácter poeblico o privado (É) Tienen carácter privado: 1. Las asociaciones y las fundaciones que tengan por principal objeto el bien comoen, posean patrimonio propio, sean capaces por sus estatutos de adquirir bienes, no subsistan exclusivamente de asignaciones del Estado, y obtengan autorización para funcionar. »

[Notre traduction de : « Les personnes juridiques peuvent avoir une nature publique ou privée (É.) Ont caractère privé les associations et fondations qui ont pour principal but le bien commun, qui ont un patrimoine, qui sont capables d'acquérir des biens, qui ne dépendent pas exclusivement de subventions étatiques et qui ont obtenu une autorisation aux fins de fonctionner ».]

123 CSJN, arrêt AR/JUR/418/1991 du 22 novembre 1991

124 Voir Annexe n°3

125 Le droit d'association dans le droit international : art. 20.1 de la DUDH, art. 22 de la Déclaration Interaméricaine des droits et devoirs de l'Homme, art. 22 du PICDP et art. 16 de la Convention interaméricaine des droits de l'Homme.

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l'Association de lutte pour l'identité travestie et transsexuelle (ALITT) sur le grief qu'elle ne répondait pas positivement au critère de bien commun pour toute association ou fondation de caractère privé. De manière consécutive, les avantages octroyés au statut légal des associations leur ont été refusé. La Cour a ici interprété le bien commun en le distinguant tout d'abord du bien de la majorité considéré comme une « menace sérieuse au système démocratique126 ». En effet, la « société contemporaine est nécessairement plurielle, composée de personnes avec des préférences, visions du monde, intérêts, projets, idées différentes, etc. » Déjà Germ‡n BIDART CAMPOS127 décrivait que l'utilité invoquée à l'article 33 faisait uniquement référence à une finalité sociale licite, et pas préjudiciable, « rien de plus ». Selon ce dernier, les juges n'ont pas à ajouter alors un critère quantitatif comme celui du bien de la majorité, il suffit que la finalité soit légitime.

Une claire inspiration de la jurisprudence de la Cour européenne des droits l'Homme (CEDH) se dénote ici. En effet, en 2004 dans l'arrêt Gorzelik c. Pologne128 la liberté d'association est définie comme une réponse logique, inhérente au cadre démocratique, traduisant le respect de la diversité et de l'interaction des personnes et groupes avec des identités différentes. Tout droit à s'associer est constitutionnellement utile. La CIDH avait précisé dans l'opinion consultative OC-6/86 du 9 mai 1986 que le bien commun ne peut jamais être invoqué pour supprimer des droits garantis par la Convention.

Concernant l'espèce « ALITT c. ISJ », la CSJN avait fondé sa décision sur la violation de la loi anti-discriminatoire n°23.592 où seules les restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé, la moralité publiques ou les droits et les libertés d'autrui sont possibles.

De par sa position, la CSJN élève la non-discrimination des personnes trans, la lutte pour une identité propre et l'amélioration de leurs conditions de vie comme des actions tendant au bien commun de la société argentine. Dans cette affaire, le juge Fayt a extirpé de la notion de dignité humaine, le droit d'association. Ainsi, « face à l'existence d'un groupe de personnes qui souhaitent s'organiser afin de préserver leur dignité devant de possible affectations, la

126 CSJN, arrêt « ALITT c. IGJ » du 21 novembre 2006, AR/JUR/6758/2006, § 20

127 Germ‡n BIDARD CAMPOS (1927-2004) était docteur en droit et en sciences sociales de l'Université de Buenos Aires, auteur de plus d'une cinquantaine de manuels et livres juridiques.

128 CEDH, arrêt « Gorzelik et autres v. Pologne » du 17 février 2004, requête n°44.158/98C §§ 90-93, disponible sur : http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-66194

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protection constitutionnelle de ce droit légitime l'association129». Et à TOCQUEVILLE d'ajouter dans De la Démocratie en Amérique (1840) que les êtres humains ont besoin de l'art de s'associer pour tendre vers une civilisation et l'égalité des conditions, l'égalité in concreto.

C) RECONNAISSANCES SYMBOLIQUES

L'invisibilité frustrant et condamnant, quelques provinces argentines ont consacré en la date du 18 mars, la Journée de Promotion des droits des personnes trans : Cordoba, Neuquén, San Luis et la CABA. Dans la province de Salta, le mois de novembre est reconnu comme étant le « mois de la diversité » depuis le décret n°4803/09 de 2009. En 2016, l'ONG FALGBT a présenté un projet de loi nationale130 pour aller plus loin que ces reconnaissances provinciales éparses.

En 2007, El Teje est reconnu officiellement, faisant de la revue menée par Marlène WAYAR, la première dédiée aux personnes trans en Amérique Latine. En 1982, sous le coupet de l'opération « Condor131 », tous les journaux avaient reçu des menaces homophobes. Le climat social a changé, le droit a exigé et réceptionné une adaptation.

SECTION 2 : PHASE PRÉPARATOIRE AU DROIT À L'IDENTITÉ DE GENRE : CONSTRUCTION PRÉTORIENNE ET PROJETS DE LOI

L'accueil dans l'ordre interne des diverses influences supra-nationales s'est traduit par l'émergence de constructions jurisprudentielles favorables à la reconnaissance des identités non-cisgenrées (paragraphe 1). Finalement, le législateur a combiné tous ces indicateurs positifs pour les consacrer dans un texte : la loi n°26.743 (paragraphe 2).

129 CSJN, arrêt « « ALITT c. IGJ », op. cit., considérant n°8 : « (É) frente a la existencia de un grupo de personas que desea organizarse a efectos de preservar su dignidad ante posibles afectaciones, la protección constitucional de ese derecho legitima la asociación perseguida ».

[Notre traduction de : « (É) face à l'existence d'un groupe de personnes qui souhaitent s'organiser afin de préserver leur dignité devant de possibles affectations, la protection constitutionnelle de ce droit légitime l'association ».]

130 Voir : http://www.falgbt.org/wp-content/uploads/2016/10/Dia-de-promocion-de-los-derechos-de-las-personas-trans.pdf

131 Cette opération fait référence à une alliance panaméricaine d'appui et de soutien réciproques entre des régimes dictatoriaux de la région dans les années 1970-1980. Parmi ceux-ci : l'Argentine, le Brésil, le Chili, le Paraguay, l'Uruguay et de façon non permanente, la Colombie, le Pérou et le Venezuela. Une participation états-unienne en sous-jacent est également objet de dénonciations.

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§ 1 JURISPRUDENCE ANTÉRIEURE AU 23 MAI 2012

PETRACCI et PECHENY132 relèvent deux phases dans le traitement de la question de changement de sexe en Argentine. La première se réalise dans un rejet total133, invoquant des arguments naturalistes d'impossible changement juridique de sexe d'un/e être humain/e. La dimension genre est occultée de l'analyse, la confusion entre sexe et genre est totale. La seconde phase se fait plus réceptive des demandes, les opérateurs/trices de justice adoptant un rôle de protecteur/trice des individus trans qui souhaitent un changement de sexe. Facteurs anatomiques et psychiques rentrent alors en ligne de compte.

Au début des années 1990, bien que sous le prisme de la pathologisation des personnes trans, des juges ont reconnu le changement de prénom et de sexe de certaines personnes. Dès 2001, un nouvel acteur est entré dans le jeu : le/la psychiatre devait désormais diagnostiquer une dysphorie de genre préalable au jugement judiciaire. Les deux freins à la reconnaissance de l'identité de genre sont posés. Ainsi, pouvoir être transsexuel/le en Argentine avant le 9 mai 2012 exigeait de passer par deux filtres : un psycho-médical avec « réassignation » sexuelle et l'autre judiciaire (plus que juridique car implique une présence devant les tribunaux), tous deux complémentaires pour la reconnaissance de l'identité de genre. En effet, la loi n°17.132 relative à l'exercice de la médecine, odontologie et activités de collaboration promulguée en 1967 exige encore une autorisation judiciaire pour changer de sexe134. Or, comme nous l'avons vu en introduction, toute personne qui exprime une identité de genre non cisgenrée n'est pas nécessairement dans la recherche d'un changement de sexe. Consacrer l'identité de genre uniquement sous le coupet du physique - en particulier du sexe - va invalider et invisibiliser un ensemble de personnes qui ne se définissent pas à partir du seul sexe. La stigmatisation progresse au travers d'une négation de la diversité des identités et de nécessaires approbations externes (médecine et justice).

Il y a eut un changement dans l'appréciation des juges concernant la question, interprétant le droit existant en faveur des personnes trans. Il convient de retracer les traits les plus marquants de cette évolution jurisprudentielle. Dès 2006, une sentence permet à une personne trans de faire figurer sur sa carte d'identité une photo conforme à son identité de genre. En

132 PETRACCI Mónica (dir.) et PECHENY Mario, Derechos Humanos y Sexualidad, éd. CEDES, Buenos Aires, 2007.

133 Deux exemples : condamnation à trois ans de prison du docteur DEFAZIO pour avoir `'mutilé» les organes génitaux de cinq personnes et rejet par le juge BUNGO CAMPO le 30 mars 1965 du changement de prénom et de sexe de Maura F. VEGA.

134 Extrait de l'article 19 de la loi : « (É) No llevar a cabo intervenciones quiroergicas que modifiquen el sexo del enfermo, salvo que sean efectuadas con posterioridad a una autorización judicial (É) ».

[Notre traduction de : « Ne pas effectuer des interventions chirurgicales qui modifient le sexe du malade sauf ci celle-ci sont réalisées après autorisation judiciaire. »]

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mars 2007, la Cour Suprême de Buenos Aires permet à une personne qui a subi une opération chirurgicale de changement de sexe à l'étranger (au Chili) d'obtenir une rectification de son état-civil, en adéquation avec son identité de genre. Le risque d'un tourisme médical au travers de la confirmation juridique de la situation en Argentine - en sus d'une hétérogénéité des solutions fédérales - est présent. Les juges de la Province de Buenos Aires, dans un arrêt « L.T. s/acción de amparo » du 10 avril 2008 mettent un frein à cette possibilité en autorisant l'intervention chirurgicale pour la personne requérante, opération ne se dressant pas comme condition sine qua none de la modification officielle du prénom et du genre. La position fût réitérée et amplifiée en 2010 pour le cas de Tania Luna : l'actrice argentine devient la première personne a obtenir une carte d'identité en conformité avec son identité de genre, sans modification corporelle exigée au préalable.

Pour autant, devant l'absence de loi protégeant ces solutions sporadiques, il demeure des juridictions récalcitrantes au moment de consacrer le droit à l'identité de genre. Ainsi en 2011, l'affaire Maiamar Abrodos135 est marquante en raison des propos utilisés par le juge Miguel GUIRALDES. Rejetant la demande de changement de sexe et de modification sur la carte d'identité de la mention du prénom, le juge se trouve dans son bon droit lorsqu'il justifie cette décision par le « frisson qui le parcourt au simple fait de penser à cet aller sans retour d'aliénation de soi-même », contraire aux « lois naturelles ». Y ajoutant que « ce changement sexuel aura pour conséquence, pour la requérante, une taille de seins disproportionnellement petite par rapport à la corpulence masculine ». Cette décision a fait l'objet d'un appel qui a finalement laissé à discrétion de la requérante le choix de son identité de genre.

Si ce n'est pas une autorisation expresse ni une reconnaissance explicite impliquant des obligations positives pour l'Etat qui est formulée, c'est sous la figure du respect du droit à l'intimité et de son corollaire - la non-ingérence dans cette sphère de la part du pouvoir public - que les juges se détachent peu à peu de la figure paternaliste qui leur collait à la peau avec leur pouvoir de délivrance d'autorisation. Ils deviennent des accompagnateurs dans cette procédure de changement de sexe. Notons qu'ici avec cette obligation légale de chirurgie, nous ne pouvons consacrer la reconnaissance de l'identité de genre en tant que telle mais uniquement la reconnaissance de changement de sexe. Pour l'universitaire ABRODOS, cette décision judiciaire « change tout, absolument tout ». Le 18 septembre 2011, le juge Mario Lescano autorise le changement de prénom et de sexe arguant que la décision contraire serait contraire au Droit international des droits humains et à la loi anti-discrimination.

Ces positions jurisprudentielles marquent le pas vers l'autonomie de la volonté dans le process de reconnaissance de l'identité de genre. Devant le caractère discrétionnaire offert par

135 Maiamar ABRODOS est actrice et Professeure universitaire à l'Instituto Universitario Nacional de Arte et à l'Escuela Metropolitana de Arte. Ici, décision judiciaire dans le cadre du Juzgado Nacional de Primera Instancia en lo Civil n°106.

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des solutions casuistiques et au nom de l'égalité devant la loi de toutes et tous, une uniformisation législative devient nécessaire. En effet, si certain/es peuvent patienter durant le temps judiciaire pour une possible autorisation de changement de sexe et se soutenir (financièrement, psychologiquement, etc.), ce n'est pas le cas de la majorité des personnes trans qui se trouvent souvent exclues du jeu socio-économique (voir Partie II, Chapitre 1, Section 2). Ainsi, à deux reprises dans la provinces de Cordoba des juridictions se sont déclarées incompétentes pour statuer sur la question en 2011. Dans l'affaire Fernando du 6 juin 2011 la demande a été déclarée irrecevable in limine litis ainsi que dans une affaire du 28 juin 2011 où le juge BUSTOS FIERRAS a estimé qu'il y a un vide juridique qui devait être comblé. En d'autres termes pour ce dernier il est du ressort du pouvoir législatif de donner une solution humaine à un problème complexe (qui mêle médecine, éthique et droit) que représente la transsexualité. La construction prétorienne pour un droit à l'identité de genre est erratique ; quelques juridictions ont finalement réorienté la question vers un autre pouvoir, celui législatif.

§ 2 PROJETS DE LOI ET PROMULGATION DE LA LOI

Inscrit dans l'agenda politique, le droit à l'identité de genre a été interprété par les juges, ces derniers finissant par se déclarer incompétents en la matière. Ce travail de légitimisation mené par certaines juridictions a fini par être entériné par le biais d'une légalisation d'abord provinciale puis nationale, fruit de cinq projets de lois dont celui n°8126-D-2010 qui sera celui consacré.

Deux provinces, Santa Fe et Salta ont été précurseurs du Congrès national. Si dans les deux cas l'identité de genre n'est plus soumise à examen médical, ces dernières - par le biais de leurs respectifs pouvoirs exécutifs - ont abordé la question de manière distincte : à Santa Fe, il y a eu une conversion en décret d'une sentence judiciaire136 à faveur de l'activiste trans Alejandra Ironici et à Salta il y a une juridiccionalisation de la procédure en référé - via la Résolution n°712/11 du 12 août 2011 - qui a enjoint au Registre civil local d'effectuer les rectifications demandées. Dans les deux cas, le pouvoir exécutif ne se substitue ni à celui législatif ni à celui judiciaire dans la mesure où ses actes demeurent soumis à homologation judiciaire. Néanmoins, ce processus va retarder le plein exercice des droits des personnes trans. La loi sur l'identité de genre sanctionnée le 9 mai pour être promulguée le 23, aura pour objectif de pallier notamment à cette carence.

136De la sentence n°129 du juge Jorge BARRAGUIRRE du 9 juin 2011 en décret n°1245 du 28 juin 2011

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CHAPITRE 2 : INSCRIPTION DANS LE DROIT ARGENTIN DE L'IDENTITÉ DE GENRE

Avec cet acte politique et législatif qu'est la loi sur l'identité de genre, la matière s'extirpe définitivement des définitions médicales pour se baser sur l'autonomie de la volonté de chacun et chacune (Section 1). Cette liberté est également accordée dans une certaine mesure aux personnes mineures. Le choix de l'identité de genre durant la vie est garanti et s'étend au-delà de ce seuil au travers d'un droit pénal qui a incorporé une figure sui generis d'assassinat fondé sur l'identité de genre (Section 2).

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo