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Situation des personnes trans en Argentine: entre droit et réalités à  l'identité de genre

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par Charlène BECQUET
Université de Rouen - Master II Pratique des transversalités juridiques : droit international et européen 2017
  

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SECTION 1 : UNE RÉINTERPRÉTATION DE L'IDENTITÉ IN FAVOREM DE LA PERSONNE

HUMAINE

Au delà du droit positif, les droits humains se caractérisent par leur inaliénabilité, universalité et interdépendance, l'humanité étant le seul critère discriminant. Lorsque l'identité de genre est consacrée comme droit humain (paragraphe 1), la loi hisse au niveau maximal de protection les identités trans. L'Etat argentin en est désormais le garant ; aux particuliers également de le respecter dans le cadre d'obligations horizontales. Transféré sur le plan de la réalité, cette consécration permet une réinterprétation des identités trans (paragraphe 2).

§1 LE DROIT À L'IDENTITÉ, UN DROIT HUMAIN

L'identité de genre peut désormais être changée sur simple demande administrative (I). Pour autant, cette procédure inédite ne va pas s'accompagner par l'octroi de droits spéciaux sinon par un rappel d'une série de droits humains, universels et inhérents à toutes et tous (II). La loi argentine, quant à elle, n'est néanmoins pas universelle : une délimitation territoriale, personnelle et matérielle ainsi que d'autres conséquences juridiques tempèrent son champ d'action (III).

Dans l'analyse de ces droits, nous omettrons intentionnellement d'étudier le cas spécifique des personnes mineures qui feront l'objet d'un développement ultérieur (voir Partie II, Section 2, §1) en raison d'un changement de paradigme plus complet à leur égard et de la consécration des droits qui leur sont concédés.

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I. L'identité de genre placée hors des sentiers médico-judiciaires

La loi promulguée en mai 2012 permet à toute personne la reconnaissance de son identité de genre (art. 1a). Se basant sur la définition offerte par les Principes de Yogjakarta, elle est une expérience interne et individuelle du genre. Aucune catégorisation comme « travesti », « transexuel/le » ou « transgenre » n'est faite des personnes qui souhaitent se prévaloir de cette loi. La reconnaissance étant assurée par une disposition législative, ce ne sera désormais plus du ressort des juges de statuer au gré des cas qui viendraient à surgir devant leurs juridictions sur cette possibilité de changement de sexe et prénom et adéquation de celle-ci à celle voulue.

La procédure se fait directement devant le Registre National d'état-civil de façon gratuite et sans intervention de conseiller/ère juridique. L'accès facilité est de mise. Notons que le changement effectué suivant cette procédure ne va pas supprimer l'acte de naissance originel mais le rectifier en limitant son accès aux personnes explicitement autorisées par la personne principalement concernée et au/ à la juge alléguant un motif écrit et fondé. Le principe de confidentialité va être assuré par l'article 9 de la loi137. Aucune publicité n'est faite de la rectification (sauf autorisation du/de la titulaire), ce qui est favorable à un meilleur respect du droit à la vie privée.

Ce qui marque cette loi du sceau de l'inédit est l'absence de pré-requis d'intervention chirurgicale de réassignation génitale totale ou partielle, de thérapies hormonales ou tout autre traitement psychologique ou médical (art. 4), véritable consécration de l'autonomie de la volonté en la matière. L'identité de genre se place hors des sentiers médico-judiciaires et les traitements relatifs au changement d'identité de genre deviennent des droits invocables dont l'accès est garanti par une gratuité totale. Le droit dé-médicalise l'identité trans.

Néanmoins, des limites demeurent en vue de prévenir tout abus en la matière. L'article 8 précise que la rectification au Registre, une fois effectuée, ne peut être modifiée de nouveau qu'après autorisation judiciaire. Si le système établi en 2012 ne consacre pas pour autant un droit à des allers-retours incessants entre le choix de son sexe et d'un prénom conforme à la perception de chacun et chacune de son identité de genre, il ne l'interdit pas non plus. Une boîte de Pandore est ouverte quant au changement d'identité, dévitalisant quelques peu de caractère sérieux la loi.

Enfin, un autre principe est posé, celui relatif à la majorité de l'individu/e souhaitant suivre cette procédure (art. 4.1) avec l'exception (art. 5) accordée aux mineurs dans certaines circonstances (voir Partie 2, Chapitre 2, Section 2 §1).

137 Voir Annexe n°1

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II. Une réaffirmation du droit de jouir de droits humains

Les instruments internationaux de reconnaissance de droits des personnes trans sont caractérisés par leur absence de caractère inédit. En d'autres termes, ils ne prétendent pas créer ex nihilo de nouveaux droits pour le collectif mais bien réaffirmer la jouissance desdits droits inhérents à tout être humain. Le droit à l'identité de genre devient droit humain (art. 13 de la loi : « le droit humain à l'identité de genre138»), protégé de toute autre règle le violant. Ce droit n'est plus abordé comme un droit d'un collectif particulier parce qu'il est désormais le droit de toutes et tous. Désormais, la liberté d'expression inclut celle relative à l'identité de genre. Comme l'a exprimé Diana SACAYAN, « nous voulons tout ce que tous ont139 » : une revendication pour l'égalité est formulée, nonobstant les caractéristiques propres aux personnes trans.

La loi argentine sur l'identité de genre ne propose pas un catalogue de droits mais bien un encadrement de la nouvelle possibilité de reconnaissance de l'identité de genre de chacun et chacune. L'article 1er précise respectivement dans ses points b) et c) le droit au libre développement de sa personne conformément à son identité de genre et celui à être traité/e conformément à celle-ci (notamment avec les mentions du prénom, de l'image et du sexe). L'article 11 développe ce droit au libre développement personnel (A) tandis que le 12 se réfère au traitement digne (B). La différence majeure entre les deux points - et qui par là même les rend complémentaires - est celle entre l'identité et l'expression de genre c'est-à-dire le rapport du genre par rapport à soi-même d'une part, et au monde extérieur d'autre part.

A) LE DROIT AU LIBRE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL (ART. 11)

Le droit au libre développement personnel s'articule autour de la notion de santé intégrale. Cette dernière ne se concentre pas que sur l'aspect physique de la personne trans en lui ouvrant le droit à avoir accès à des interventions chirurgicales partielles ou totales mais aussi traite la question des traitements hormonaux. Dans les deux situations, leur accès est garanti par leur inclusion dans le Plan Medical Obligatorio (système de sécurité sociale basique assurant un minima de prestations sociales) et par l'unique critère du consentement informé de la personne souhaitant réaliser ces opérations.

138 Voir Annexe n°1. Notre traduction de : « (É) el derecho humano a la identidad de género (É) »

139 Notre traduction de : « queremos todo lo que tienen todos » in « Apoyo a la cooperativa Silvia Rivera », consulté sur : https://vimeo.com/31633841

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L'autonomie de la volonté est une matrice de la loi et certains pans de la doctrine140 l'ont estimé dangereuse : la possibilité ouverte de recourir à des chirurgies esthétiques totalement remboursées par l'Etat argentin combinée à celle d'une déclaration simplement administrative de son identité de genre rend alors facile la tâche aux requérant/es à des opérations de chirurgies esthétiques sans intérêt de changement à long terme de l'identité de genre. Néanmoins - et sans amoindrir les effets éventuels de ces pratiques - si le système est fondé sur la liberté individuelle, une présomption de bonne foi est également posée.

B) LE DROIT À UN TRAITEMENT DIGNE (ART. 12)

La dignité étant l'essence de l'être humain, le rappel fait par la loi d'un droit à un traitement digne met en lumière la gravité de la situation auquel étaient/sont alors confrontées les personnes trans. En l'espèce, l'article 12 se réfère au respect de l'identité adoptée par les individus. Au-delà de la nouvelle procédure administrative instaurée par la loi, le traitement digne va aussi inclure la possibilité, sur « simple demande » de se faire dénommer par son prénom choisi dans les sphères publiques et privées. Néanmoins, lorsque la nature de la gestion rend nécessaire l'enregistrement des données du document national d'identité, il y a une combinaison des initiales des prénoms qui est effectuée, le prénom choisi étant toujours celui utilisé. La citoyenneté trans est assurée par le caractère privé du changement de prénom.

III. Une extension limitée de la loi

La loi sur l'identité de genre est une loi argentine s'appliquant dans un territoire donné, sur certaines personnes données c'est-à-dire respectant des compétences rationae loci et rationae personae. Malgré tout, lorsque nous sommes en présence de droits humains, les frontières sautent et l'application se fait universelle. Si le droit à l'identité de genre a été conçu pour « toute personne » et que nous pouvons parler de droit humain, appliquée, la loi se restreint à la modification du Registre civil argentin et aux individus (argentin/es et étranger/ ères) qui résident légalement en Argentine ainsi qu'aux argentins vivant à l'étranger. Les personnes trans étrangères et résidant sur le territoire argentin de manière illégale sont alors invisibilisées et ne peuvent se prévaloir des droits contemplés par la loi sur l'identité de genre.

Concernant celles et ceux qui y résident de façon régulière, deux situations sont à distinguer selon l'existence ou non d'une modification de l'état-civil dans le pays duquel la personne requérante est ressortissante. Dans le premier cas, il y a une procédure de validation

140 PiensoLuegoPiensoLuegoExisto, « Análisis de la Ley de Identidad de Género en Argentina », 10 juillet 2012

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de l'acte pris par l'autorité étrangère. Combinant les articles 75 de la loi n°26.413141 et 9 du décret n°1007/2012142, la modification s'effectue sur présentation d'une pièce d'identité, acte de naissance, passeport, sentence judiciaire ou tout autre document rectificatif du sexe et/ou changement de prénom du pays tiers sur le document national pour les étrangers émis par l'Etat argentin. Dans le deuxième cas, c'est-à-dire en l'absence de reconnaissance de l'identité de genre du/de la requérant/e dans son pays d'origine du fait d'une impossibilité ou d'une omission, le décret sus-cité distingue les individus selon leur situation d'apatridie143 ou de réfugié144. Une procédure spécifique est mise en place :

? Pour les cas d'apatridie, l'examen de l'octroi au préalable de la nationalité argentine ou de la résidence légale en Argentine est nécessaire. De là, les règles générales d'application pour les nationaux ou pour les étrangers résidents s'appliquent145.

? Pour les personnes réfugiées, une note consulaire expliquant les causes de l'impossible rectification du sexe dans le pays d'origine est nécessaire.

? Pour les personnes ni apatrides ni réfugiées, en plus d'être résident/e légal/e permanent/e en Argentine et d'avoir le document nacional d'identité pour les étrangers, le Registre National des personnes requière d'expliciter les raisons pour lesquelles la rectification du sexe n'est pas possible dans le pays d'origine.

In fine, la Direction Nationale des Migrations statue sur la demande et communique au Registre national afin que ce dernier procède ou non à la modification du Document National d'identité.

141 art. 75 de la Loi relative au Registre d'état-civil et à la capacité des personnes : « Las inscripciones asentadas en los libros de extraña jurisdicción, no podrán ser modificadas sin que previamente lo sean en su jurisdicción de origen ». [Notre traduction de : « Les données venant de juridictions étrangères ne pourront être modifiées que si elles le sont dans la juridiction d'origine. »]

142 Décret d'application de la loi sur l'identité de genre du 3 juillet 2012, voir Annexe n°2

143 La personne apatride est celle « [É] qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation » (art. 1 de la Convention de New York du 28 septembre 1954).

144 D'après l'article 4 de la loi n°26.165 relative à la reconnaissance et protection du réfugié, la personne réfugiée est celle qui :

a) due à une crainte d'être persécuté/e du fait de sa race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social déterminé ou opinions politiques, se trouve en dehors de son pays d'origine et ne peut ou ne veut être protégé par ce pays ou, apatride et se trouvant, en raison de ces évènements, hors de son pays de résidence habituel et ne peut ou ne veut y retourner;

b) a fuit son pays d'origine ou celui de sa résidence habituelle dont il n'a pas la nationalité parce que sa vie, sécurité ou liberté personnelles ont été menacées par une violence généralisée, une agression étrangère, des guerres civiles, une violation massive des droits humains ou d'autres circonstances qui ont gravement perturbé l'ordre public.

145 Direction Nationale du Registre National des personnes et Direction Nationale des Migrations, art. 8 des Résolutions communes n°1/2012 et 2/2012 du 1 février 2013

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A cette limitation territoriale et personnelle s'ajoute celle temporelle. En effet, la rectification de l'état-civil n'est pas applicable rétroactivement, condamnant à l'immutabilité les relations juridiques antérieurement formées, comme celles de nature civile (art. 7 de la loi, voir Annexe n°1). Néanmoins, combinant la loi de Matrimonio Igualitario à celle modifiant l'article 599 du nouveau Code civil et commercial146, tant le mariage que l'adoption des couples de même sexe sont autorisés. Ces nouvelles possibilités législatives offrent alors indirectement aux personnes ayant réalisé un changement d'identité de genre plus de droits. En effet, si l'orientation sexuelle se distingue de l'identité de genre, il se peut que le changement au registre d'état-civil affecte la situation familiale du/de la requérant/e.

§2 UNE LOI NOUVELLE, UNE RÉINTERPRÉTATION EFFECTIVE DES RÉALITÉS TRANS?

S'étant extirpée de l'analyse scientifique des réalités, comment la loi interprète t-elle alors la dynamique des identités trans (I)? Nous nous demanderons également dans quelle mesure cette loi a bénéficié effectivement à des individus (II).

I. Renouveau de la dynamique des identités et corporalités trans

Selon l'Académie Royale espagnole, l'identité est ce que chacun/chacune est, ce qui le/la différencie des autres personnes. Qui mieux que chacun ou chacune pour savoir qui il/elle est? Cette question rhétorique est néanmoins censée lorsque nous savons qu'avant l'approbation de la loi sur l'identité de genre la définition de l'identité de genre pour les personnes trans était subordonnée à l'avis favorable de médecins, psychologues et juges. Elle demeure néanmoins règle en la matière dans de nombreux pays aujourd'hui.

Cette disposition législative va donner un souffle nouveau à l'expression et à la reconnaissance de l'identité et de la corporalité trans. Le prénom étant un instrument de l'identité personnelle147, dès lors qu'une personne souhaite être nommée par son prénom choisi conformément à son identité de genre (tant dans l'espace public que celui privé) l'article 12 de la loi la/le protège. Le non-respect par autrui de ce droit peut être sanctionné par les juges, la pratique étant illégale, violatrice de la loi. L'identité personnelle, susceptible de violations externes, doit être sous tutelle juridique car cette dernière résulte de l'affirmation

146 art. 599 du Nouveau Code civil et commercial : « Personnes qui peuvent adopter. L'enfant ou adolescent peut être adopté par deux personnees mariées, en concubinage ou par une seule personne (É) »

[Notre traduction de : « Personas que pueden ser adoptantes. El ni-o, ni-a o adolescente puede ser adoptado por un matrimonio, por ambos integrantes de una uni--n convivencial o por una oenica persona (É) »].

147 DE CUPIS, I Diritti della Personalità, op. cit., p.6

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sociale de l'identité propre148. La procédure auprès du Registre d'état-civil n'a pas besoin d'être entamée pour se prévaloir de ce droit qui est ipso facto un droit acquis. Comme la construction de sa subjectivité, la lecture du corps trans - sa corporalité - va être protégée notamment par le biais de l'accès aux soins (voir Partie II, Chapitre 1, Section 1, §1).

Une des conséquences principales tient en la visibilisation du collectif trans par la réalisation de registres concernant leur situation et la possible mise en place de politiques publiques répondant à leurs problématiques, aux violations de droits dont ils et elles sont les victimes privilégiées. Ainsi seulement quelques jours après promulgation de la loi, du 18 au 29 juin, l'INADI et l'INDEC ont évalué la situation des personnes trans dans la ville de La Matanza (province de Buenos Aires)149, confrontés néanmoins aux réticences du public principalement concerné150.

Les subjectivités trans ne sont plus considérées par le droit comme étant des subjectivités malades, dysphoriques. L'avancée argentine réside dans cette mise à distance de la psychiatrie des personnes trans, l'affirmation de l'identité étant soumise à seule information auprès du Registre d'état-civil. De façon progressive, l'insertion du collectif dans le tissu socio-juridique et sa possibilité de jouir des droits et libertés essentiels émerge151. Le droit se dresse comme une matière vivante, capable de transformer le social car est acteur et sujet de ce dernier.

La promulgation de la loi n°26.743 a entraîné la chute d'autres dispositions en vue du respect d'une cohérence du système légal. Ainsi, l'article 14 déroge l'art. 19 §4 de la loi sur l'art de soigner n°17.132152 qui interdisait aux médecins d'effectuer des opérations chirurgicales modificatrices du sexe du « malade » (ici ce n'est pas le terme patient qui est employé) sauf autorisation judiciaire préalable.

148

ibidem, p. 3

149 INADI et INDEC, Primera Encuesta sobre población trans 2012: Travestis, transexuales, transgéneros y hombres trans. Informe técnico de la prueba piloto - Municipio de La Matanza, juin 2012, p.16, disponible sur : h t t p : / / w w w . t rab a j o . g o v . a r / downloads/ divers i d a d sexual/ Argentina_Primera_Encuesta_sobre_Poblacion_Trans_2012.pdf

150 D'après le rapport, « Les personnes trans sont réticentes à être interrogées même celles qui sont en lien avec les organisations sociales. » in ibidem, p. 3

[Notre traduction de : « las personas Trans son reticentes a ser encuestadas, aoen aquellas vinculadas a las organizaciones sociales » ]

151 Amnesty International France. L'Etat décide qui je suis. Les personnes transgenres confrontées à des procédures de changement d'état-civil défaillantes ou inexistantes en Europe, 2014

152 Notre traduction de : la loi « arte de curar ». Cette dernière fût signée en 1967 sous le régime dictatorial de Juan Carlos ONGANIA. Disponible sur : http://servicios.infoleg.gob.ar/infolegInternet/anexos/ 15000-19999/19429/norma.htm

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L'approbation du nouveau Code civil et commercial au 1er octobre 2014153 va quant à elle déroger la loi n°18.248 sur les prénoms154 de 1969 qui posait une limitation quant au choix du prénom, ne pouvant pas - selon l'article 3.1 - être « (É) contraires [aux] coutumes [argentines] ou suscit[ant] des confusions sur le sexe de la personne ». Le prénom était objet de jugement avec des critères flous, ouvrant la brèche à des abus notamment en vertu de l'application de la récente loi sur l'identité de genre. Aussi, si l'article 15 de la loi n°18.248 interdisait le changement de prénom sauf en vertu d'une résolution judiciaire et pour justes motifs depuis, le Code précise que « le changement de prénom en raison de l'identité de genre constitue un juste motif et ne requiert pas intervention judiciaire 155 ». Le législateur a changé le paradigme et rend alors plus cohérent le système législatif après l'approbation de la loi sur l'identité de genre. Néanmoins entre le 23 mai 2012 (date de promulgation de la loi sur l'identité de genre) et le 9 octobre 2014, le régime juridique des prénoms souffrait d'une incohérence profonde : entre le droit à inscrire son prénom conformément à son identité de genre et l'interdiction de choisir un prénom suscitant confusion par rapport à son sexe. L'harmonisation à faveur de ce droit fût effectuée à l'aune du Nouveau code civil et commercial.

II. Depuis la loi, quelles applications?

Tout ne s'épuisant pas dans le vote d'une loi, sa mise en exécution est d'autant plus essentielle qu'elle permet la définition du cadre légal ainsi posé, la jurisprudence façonnant fortement le cadre légal. A cinq ans de son entrée en vigueur, et depuis sa première application au travers du cas de Florencia Trinidad, quant est-il du nombre de personnes qui ont changé leur prénom, leur photo et sexe mentionnés sur leur document d'identité? Combien ont effectué une chirurgie de réassignation sexuelle ou suivent désormais un traitement hormonal?

Officiellement en mai 2017 et d'après le Registre National de l'Etat-civil, 5703 personnes auraient mis en oeuvre de cette manière leur droit à l'identité de genre156 alors qu'en 2014, l'ATTTA et la FALGBT recensaient déjà plus de 6000 personnes (dont 85% de femmes trans). Enfin, en mars 2017 et d'après la Direction de la diversité de la Neuquén, 10.000 personnes

153 Loi n°26.994 promulguée le 9 octobre 2014

154 Notre traduction de : « La loi relative aux prénoms ». Loi n°18.248 du 24 juin 1969, dérogée au 7 octobre 2017 avec la promulgation de la loi n°26.994

155 Notre traduction de : « (É) Se consideran justos motivos, y no requieren intervención judicial, el cambio de prenombre por razón de identidad de género (É) », extrait de l'art. 69 de la loi n°26.994

156 La Nación, COSTA José Maria, « Ley de Identidad de Género: en 5 a-os, 5703 personas cambiaron su DNI : El dato fue informados a La Nación por parte de las autoridades del Registro Nacional de las Personas », 11 mai 2017, disponible sur : http://www.lanacion.com.ar/2022571-ley-de-identidad-de-genero-en-5-anos-5307-personas-cambiaron-su-dni

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ont fait valoir leur droit à l'identité de genre157. Variables, ces chiffres dénotent une absence de cohésion de récolte des données entre les différents niveaux de l'Etat fédéral argentin ainsi qu'entre les entités elles-mêmes.

Concernant la mise en oeuvre des droits relatifs aux soins des personnes trans, parmi les 452 femmes et 46 hommes trans interrogés par l'ATTTA et la Fundación Huesped durant l'année 2013158 33,5% avaient consulté des services de santé pour un traitement hormonal. De manière générale, les recours aux consultations médicales ont augmenté. Concernant les chirurgies de réassignation sexuelle, 3,4% l'avait effectué : cette valeur corrobore l'idée d'un collectif trans diversifié dans l'expression de ses identités. Elle met également en exergue que ces identités ne se réduisent pas à un objectif final d'obtention d'un sexe en concordance avec son identité de genre. Notons qu'avant la loi, environ 6 personnes sur 10 avaient recours à des injections de silicones industrielles ou d'huile de moteur d'avion alors que désormais ces pratiques tendent à devenir résiduelles (4,3%). La reconnaissance de l'identité de genre éloigne les personnes trans de telles pratiques dangereuses.

L'affirmation de son identité de genre, reconnue désormais par l'Etat argentin, est également favorable à l'insertion dans le tissu social de la personne en question. D'après l'ONG Fundación Huesped, durant les deux années qui succédèrent l'adoption de la loi, les maltraitances physiques et sexuelles à l'égard des communautés transgenres auraient diminué de 10%. Elles restent néanmoins très élevées.

SECTION 2 : UNE LOI PROTECTRICE DES DROITS DE L'ENFANT ET CONDAMNANT LE MEURTRE DES PERSONNES TRANS

La sanction de la loi fait de l'identité de genre un droit invocable par toute personne et ce, dès le plus jeune âge. Les personnes mineures jouissent alors de la possibilité d'exprimer son soi ressenti et doivent être traités en conformité avec ce choix par leurs pairs (paragraphe 1). La loi a également une conséquence en matière de droit pénal, condamnant désormais l'assassinat pour raison de genre. D'une stigmatisation des identités trans nous passons à une criminalisation de leurs détracteurs/trices (paragraphe 2).

157 Rio Negro, « Un d'a para promover los derechos de las personas trans », 18 mars 2017, disponible sur : http:// www.rionegro.com.ar/sociedad/un-dia-para-promover-los-derechos-de-las-personas-trans-FB2425241

158 Voir Annexe n°5

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§ 1 LA POSSIBILITÉ DE L'IDENTITÉ DE GENRE DÈS L'ENFANCE

D'après le rapport national Cumbia, copeteo y lágrimas compilé par Lohana BERKINS en 2015, l'expression sociale de l'identité de genre des personnes trans se fait dans plus de 85% des cas avant l'âge de 18 ans159. Il devient alors nécessaire de s'intéresser à la situation des enfants trans dans le cadre de la loi sur l'identité de genre.

L'article 5 de la loi sur l'identité de genre se réfère de façon exclusive aux personnes mineures. Cette loi a été la consécration de tout un contexte jurisprudentiel et légal concernant les personnes mineures en général (I). En raison de l'âge du/de la requérant/e, le législateur a rappelé le nécessaire suivi des principes tirés tant du droit international que de celui national - la Convention Internationale sur les Droits de l'Enfant (CIDE) et la loi n°26.061 de protection intégrale des droits des enfants et adolescent/es (II) - et a ainsi apporté des tempéraments à cette apparente entière autonomie de la volonté (III).

I. L'insertion légale et prétorienne de la personne mineure face à la transidentité

En 2005, la Loi de protection intégrale des droits des enfants et adolescent/es160 est sanctionnée. Elle réceptionne du droit international - plus exactement de la CIDE - la notion d'intérêt supérieur de l'enfant définie comme étant la « satisfaction maximale, intégrale et simultanée des droits et garanties reconnus dans la loi » (art. 1 de la CIDE) comme le droit à la vie, à la dignité, à la vie privée, à l'identité161, à la santé, à l'éducation, etc. Pour le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, l'identité inclut nécessairement l'identité de genre et « le droit de l'enfant de préserver son identité est garanti par la Convention (art. 3.1162) [É], doit être respecté et pris en considération lors de l'évaluation de son intérêt supérieur163 ». En 2014, Amnesty International publie un rapport164 réitérant l'intérêt supérieur et le développement des capacités de l'enfant comme guides principiels dans le changement d'état-civil.

159BERKINS Lohana (dir.), Cumbia, copeteo y lagrimas (É), op. cit., p. 181

160 Loi n°26.061 Protección integral de los derechos de las niñas, niños y adolescentes promulguée au 26 octobre 2005

161 Ce droit à l'identité inclut le droit à avoir un prénom, la précision « conformément à son identité de genre » ne sera reconnue que dans la loi sur l'identité de genre en 2012.

162 art. 3.1 de la CIDE : « Toute décision concernant un enfant doit tenir pleinement compte de l'intérêt supérieur de celui-ci. »

163 Comité des droits de l'enfant, Observation générale n°14: Le droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art. 3 §1), §55, 2003

164Amnesty International. L'Etat décide qui je suis, op. cit., p. 22

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La loi n°26.061 avalise ces positions notamment lorsqu'elle englobe l'âge, le degré de maturité et la capacité de discernement dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 1, point d). Dès 2005, sont posées les matrices essentielles de la loi sur l'identité de genre : les principes d'autonomie progressive et d'intérêt supérieur de l'enfant.

Au même titre que la construction prétorienne qui a été favorable à la consécration du droit à l'identité de genre pour les personnes majeures (voir Partie I, Chapitre 1, Section 2, §1), ce contexte légal s'est vu être accompagné d'un travail jurisprudentiel qui a conduit à une montée en puissance des droits des personnes mineures. Par exemple, concernant l'exercice des droits sexuels indépendamment de l'autorité parentale (Tribunal Supérieur de Justice de la CABA, affaire « Liga de Amas de Casa, Consumidores y Usuarios de la Repoeblica Argentina y otros c/ Gobierno de la Ciudad de Buenos Aires » du 14 octobre 2013) ou de soins palliatifs (Tribunal familial, enfance et adolescence n°2 de Neuquén, affaire « N. N. » du 20 mars 2006 ; Tribunal civil et commercial n°9 de Rosario, affaire « S. M. E. y otros » du 15 août 2008). Le 21 août 2007 marque la première décision165 d'autorisation d'une intervention chirurgicale des organes génitaux sur une personne mineure.

Après promulgation de la loi sur l'identité de genre, Luana devient la première mineure trans du monde : à ses 6 ans, sa carte d'identité est en adéquation avec son identité de genre ressentie et ce, sans jugement judiciaire ou médical préalable. Aucun âge minimum n'est posé par la loi sur le droit à l'identité de genre, la modification en 2015 du Code civil et commercial ayant donné une nouvelle perspective de l'appréciation de la capacité juridique de la personne mineure.

II. Un changement de paradigme au titre de l'intérêt supérieur de l'enfant et de la capacité juridique progressive

En 2009, la loi sur les droits des patients dans leur relation avec les professionnels et institutions de santé166 pose le « droit d'intervention » des personnes mineures sur des thérapies et procédés médicaux ou biologiques qui affectent leur vie ou santé. Le législateur renforce le pouvoir de la personne mineure sur la disposition de son propre corps. La santé -

165 Tribunal de 1ère instance civil, commercial, de conciliation et familial de Villa Dolores, arrêt « C. J. A. y otra s/ solicitan autorización » du 21 août 2007.

166 Loi nationale n°26.529 Derechos del Paciente en su Relación con los Profesionales e Instituciones de la Salud du 19 novembre 2009

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entendue de façon intégrale167 - va être un levier essentiel pour une interprétation à faveur du droit à l'identité de genre des enfants qui se verra être particulièrement protégé168.

A l'heure de rédiger le Nouveau Code civil et commercial en 2015, plusieurs modèles s'offrent au législateur : la fixation de paliers d'âge assurant une harmonie objective des solutions169, d'un critère tiré de la casuistique jugeant de la capacité en fonction de l'individu ou alors, d'une présomption de capacité sauf preuve contraire170. Lors de l'élaboration du projet de code171 il y a une fusion des trois perspectives, créatrice peut-être de confusion. Entre une appréciation objective fondée sur des tranches d'âge et celle subjective de « maturité suffisante », le nouveau curseur est posé, comme le dispose l'article 26 en son point 2 : « Néanmoins, la personne qui a l'âge et la maturité suffisante peut exercer seule les actes qui lui sont permis par l'ordonnancement juridique (...)172 ».

En 2012, la voie à la reconnaissance légale du droit à l'identité de genre est ouverte. Cette dernière est déjà inédite car, comme nous l'avons vu, l'Argentine est l'un des rares pays aujourd'hui à ne plus exiger de diagnostic médical, psychologique ou sentence judiciaire. Au-delà, le législateur a aussi ouvert la possibilité aux personnes mineures de se prévaloir de ce

167 Selon l'OMS, la santé ne se limite pas à l'absence de maladie ou d'infirmité mais se comprend comme un « état de complet bien-être physique, mental et social » in Préambule à la constitution de l'OMS, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, qui s'était tenu à New York du 19 juin au 22 juillet 1946 ; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. Entré en vigueur le 7 avril 1948.

168 Notre traduction de l'art. 12 de la loi sur l'identité de genre : « Traitement digne. L'identité de genre adoptée par les individus, en particulier par les enfants et les adolescents, devra être respectée. »

169 Pour certains auteurs comme Nestor SOLARI ou Silviana FERNANDEZ, 14 ans est la limite d'âge objective à partir de laquelle l'individu mineur peut décider librement de changer son sexe au registre. Selon Vélez Sarsfiled (note sous l'article 128 du Code civil in GORDILLO Agustin, Tratado de derecho administrativo, Tome IV, pp. I-8 à I-11, points 3.7 et 4) étant donné que le changement d'état-civil s'extirpe du droit civil pour tomber dans l'orbite du droit administratif, d'après lequel 14 ans est l'âge de raison et donc justifie qu'il soit un pallier majorant la capacité de la personne mineure.

170 Ici, tout acte pour exercer un droit personnel d'un personne mineure qui a la maturité et l'âge suffisants est réputé réalisé avec discernement, intention et liberté, in HERRERA Marisa et MINVERSKY Nelly, « Autonom'a, capacidad y participación a la luz de la ley 26.061 » in GARCIA Méndez, Emilio (dir.), Protección Integral de Derechos de Niñas, Niños y Adolescentes. Análisis de la ley 26.061, Buenos Aires, Fundación Sur-Editores del Puerto, 2006, pp. 43 et ss.

171 Le projet de Code civil et commercial s'est effectué dans le cadre de la Commission de révision désignée par le décret n°191/2 intégrant Ricardo LORENZETTI, Elena HIGHTON DE NOLASCO et Aida KEMELMAJER DE CARLUCCI . Disponible sur : http://www.nuevocodigocivil.com/wp-content/uploads/2015/texto-proyecto-de-codigo-civil-y-comercial-de-la-nacion.pdf

En 2003 et en 2011 KEMELMAJER DE CARLUCCI avait déjà écrit en faveur de l'usage de la casuistique dans la détermination de la capacité de la personne mineure : KEMELMAJER DE CARLUCCI Aida, « El derecho del menor a su propio cuerpo », in Borda G. (dir.) La persona humana, 2011, p. 256 ; « El derecho del niño a su propio cuerpo » in Bergel, S. et MINVERSKY N. (dir.), Bioética y derecho, 2003, p. 114

172 Notre traduction de l'art. 26, point 2 : « No obstante, la que cuenta con edad y grado de madurez suficiente puede ejercer por s' los actos que le son permitidos por el ordenamiento jur'dico (...) ».

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droit, contrant alors le traditionnel principe d'incapacité absolue de ces dernières. En effet, selon l'article 54 du Code civil dérogé en 2015 : « [avaient] incapacité absolue : (É) les mineurs impubères ». Nous nous demanderons alors si cette refonte des bases des règles civiles a permit de trouver un équilibre entre l'exercice des droits des personnes mineures par le biais de leur/s représentant/e/s légal/e/aux et leur autonomie de la volonté.

Selon DE ASIS, la capacité juridique nous révèle l'éthique juridique et permet la détermination du sujet de droit et de sa dignité humaine173. L'article 12.1 de la CIDE énonce que : « les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». Se conformant à la règle internationale, le 1er août 2015 le Code civil est substitué par le nouveau Code civil et commercial qui met un coup d'arrêt au paradigme de l'enfance comme période temporelle d'incapacité absolue. L'autorité se substitue à la responsabilité parentale et les personnes mineures passent d'un statut d'objet de protection à celui de sujet de droit, jouissant de droits et de garanties. En effet, suivant les considérations du Comité des droits de l'enfant, « à mesure que les enfants acquièrent des capacités, ils ont droit à un niveau croissant de responsabilité en ce qui concerne le règlement des questions les concernant174 ». Faisant siennes les affirmations onusiennes, le législateur argentin va tenter de donner un nouveau souffle à la matière, notamment en posant des limites à la discrétionnalité des décisions externes à la personne mineure.

III. Des tempéraments à l'autonomie de la volonté de la personne mineure : responsables légaux, avocat de l'enfant et opinion médicale

Si c'est bien sur la base de l' « expresse consentement » (art. 5) de la personne mineure que la procédure de changement de prénom et de sexe se fait, cette dernière reste dépendante de tierces personnes : le recours obligatoire à un avocat spécialiste des questions d'enfance et de jeunesse et l'accompagnement des représentant/e/s légal/e/aux. En cas de négation ou d'impossibilité matérielle d'obtention du/des consentement/s du ou des représentant/e/s légal/ e/aux, la situation est présentée en référé175 afin que les juges tranchent la question, guidés par les principes précisés antérieurement. Un certain retour à une juridiccionnalisation de l'identité de genre s'entrevoit. Dans ce cadre, la personne mineure bénéficie du droit à une

173 DE ASIS Roig « Sobre la capacidad » in Palacios Agustina et Barifel, Francisco (dir.), Capacidad jur'dica, discapacidad y derechos humanos. Una revisión desde la Convención internacional sobre los derechos de las personas con discapacidad, 2012, p. 13 y ss.

174 Comité des droits de l'enfant, Observation générale n°12, § 85, 2009

175 Notre traduction équivalente à la procédure de la « v'a sumar'sima ».

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assistance juridique. Comme le rappelle l'article 8 de la CIDE, « si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d'entre eux, les Etats parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. » Le législateur argentin à l'aune de la rédaction de la loi sur l'identité de genre a incorporé la figure de l'avocat de l'enfant déjà présente dans la loi n°26.061 à l'article 27 c), exception à la règle d'absence de tout intermédiaire176 dans ce processus administratif qui se fait « au travers ses représentants légaux177 » qui résonne comme un héritage de la patria potestad. Notons que sur ce dernier point Silviana FERNANDEZ précise que le consentement d'un/e seul /e représentant/e légal/e est nécessaire et suffisant en raison de leur simple qualité de pétitionnaires représentants de la volonté de la personne mineure178. Le droit à l'identité de genre est bien un droit personnel et même si son exercice requiert parfois l'intervention d'une personne majeure, celui-ci ne va en aucun cas déplacer la volonté du sujet, unique titulaire de ce droit179.

Au delà des questions à l'accès à la modification au registre civil et du respect de l'identité de genre adoptée, il y a celle concernant l'accès à une intervention chirurgicale. En effet, la loi sur l'identité de genre légalise la modification de l'apparence ou de la fonction corporelle (art. 2). Ainsi, nous nous extirpons du giron de l'article 56 du Code civil et commercial qui limite les actes de dispositions sur son propre corps au nom de la morale ou des bonnes moeurs car ici, l'amélioration de la santé de la personne se présente comme un juste motif180. En la matière, les tranches d'âge seront particulièrement usitées : pour les traitements non invasifs, l'exigence des 13 ans révolus est posée; pour ceux invasifs - donc ceux liés aux traitements hormonaux et autres opérations de chirurgie - elle est élevée à 16 ans. Ces paliers vont dans le sens d'une capacité progressive à mesure que la personne mineure s'approche de la majorité. Ils correspondent à la distinction faite par l'article 25 du même Code c'est-à-dire à l'inclusion du sous-groupe « adolescent/e/s » dans le groupe des

176 art. 6 de la loi nationale n° 26.743. Est fait référence à un gestor ou abogado. [Notre traduction de : « conseiller ou avocat ».]

177 ibidem, art. 5

178 FERNANDEZ Silviana, « La realización del proyecto de vida autorreferencial. Los principios de autonomie y desjudicializacion », La Ley suplemento especial « Identidad de género y muerte digna », mai 2012, pp. 20-21.

179 Direction des Affaires légales, avis n° 2064/2013 et résolution n°1589/2013

180 « Article 56 du Code civil et commercial : Actes de disposition de son propre corps. Sont interdits les actes de disposition de son propre corps lorsque ceux-ci provoquent une diminution irréversible de son intégrité ou sont contraire à la loi, à la morale ou aux bonnes moeurs. Exception est faite lorsqu'ils sont effectués pour améliorer la santé de l'individu et, exceptionnellement, d'une autre personne, conformément à la loi. »

[Notre traduction de : « Actos de disposición sobre el propio cuerpo. Están prohibidos los actos de disposición del propio cuerpo que ocasionen una disminución permanente de su integridad o resulten contrarios a la ley, la moral o las buenas costumbres, excepto que sean requeridos para el mejoramiento de la salud de la persona, y excepcionalmente de otra persona, de conformidad a lo dispuesto en el ordenamiento jur'dico. »]

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personnes mineures qui sont âgées de plus de 13 ans. Notons que ces âges se basent sur des présomptions simples, admettant donc preuve contraire. L'argument de la maturité, subjectif, peut alors être allégué. D'ailleurs, lorsque la personne mineure souhaite invoquer son droit à l'accès à une intervention chirurgicale (qu'elle soit totale ou partielle, une ou multiples), l'autorité judiciaire revient sur le devant la scène pour répondre au voeu du/de la requérant/e mineur/e sur la base d'une opinion médicale sur les conséquences de la réalisation ou non de l'acte médical.

§ 2 : LE DROIT À LA VIE VIDÉ DE SA SUBSTANCE : LE TRAVESTICIDE

Le droit à la vie est celui duquel découle tous les autres droits humains. Son exercice est donc central et jouit d'une protection internationale dans divers instruments181. Dans ce cadre, tous les droits associés à une personne perdent sens lorsque le droit à la vie n'est plus garanti182. Ici nous n'étudierons pas les autres types de violences - développées sous la notion de travesticide social (voir Partie II, Chapitre 1), le parti pris étant de différencier l'assassinat d'une personne en raison de son identité de genre des autres formes de violence sur la base d'un critère de gravité, d'une échelle d'exacerbation de la haine.

D'après l'Observatoire des personnes trans assassinés de l'ONG Transgender Europe183, la région d'Amérique centrale et du Sud est la plus violente en la matière : 78% des 2115 meurtres de personnes transgenres y ont eu lieu entre 2008 et avril 2016. L'Argentine occupe la 11ème place mondiale avec plus de 48 assassinats répertoriés sur la période. La Commission interaméricaine, dans un communiqué du 23 mars 2017184 a mis en garde la communauté américaine sur des chiffres déjà alarmants pour l'année 2017 concernant les travesticides. En octobre 2015, elle avait prié l'Etat argentin d'adopter les mesures nécessaires pour garantir le droit à la vie et à l'intégrité physique des défenseuses et défenseurs des droits humains, notamment celles et ceux luttant contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle

181 art. 3 de la DUDH; art. 6 du PIDCP; art. 9 Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur familles; art. 6 Convention de New York; art. 10 Convention relative aux droits des personnes handicapées; principe n°1 des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions; art. 7 Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones; art. 5 Déclaration sur les droits de l'Homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent; art. 1 Déclaration interaméricaine des Droits et Devoirs de l'Homme; art. 4 de la Convention interaméricaine des Droits de l'Homme.

182 CIDH. Arrêt « Villagrán Morales y Otros c. Guatemala », (affaire « Niños de la Calle »), 19 novembre 1999, Série C n°63, §144

183 Observatoire des personnes trans assassinées dans le monde, disponible sur : http://transrespect.org/es/map/ trans-murder-monitoring/

184 Com. IDH, « C[om.] IDH condena alarmantes cifras de asesinatos de personas LGBT en la regi--n en lo que va del a-o », 23 mars 2017

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ou l'identité ou expression de genre. Ce communiqué185 faisait suite au meurtre de l'activiste Diana Sacayán. Son assassinat fût le premier à être qualifié de Ô'féminicide», terme créé à l'aune de la lutte féministe mais insuffisant pour incarner la réalité trans : le travesticide émerge alors (I). Pour autant, dans la pratique, son usage est décevant (II).

I. Une notion tirée du féminicide : rapprochement entre lutte féministe et lutte trans

La question posée au préalable est celle de l'intégration des femmes trans dans les manifestations de défense des droits de la femme en Argentine. Judith BUTLER dans Deshacer el género186 (2006) se demande continuellement qui est « la » femme, qui peut la définir et au nom de qui. Nommer qui est sujet du féminisme et délier les luttes se complexifie, certain/es étant partisan/es d'une lutte commune, d'autres de la dissociation des revendications, faisant peut-être l'amalgame entre lutte féministe et lutte féminine. Pour ITZIAR Ziga, « il n'y a pas plus féministe que le défi trans187 » ; l'amalgame ne serait en fait que le fruit vertueux d'une vision intersectionnelle des réalités. Dans cet argumentaire, la dénonciation d'une société patriarcale et machiste issue de l'hétéronormativité unit femmes non trans et femmes trans. Nous parlons alors de transféminismes188. Il existe d'ailleurs un point où l'inclusion de la lutte trans dans celle féministe s'est révélée évidente : en 2010, le Conseil National de la Femme s'est convertit en Conseil National de toutes les Femmes189, contemplant désormais une partie du collectif trans. Les hommes trans sont néanmoins écartés du giron de l'institution.

Nommer et créer des figures sui generis permet de visibiliser un phénomène, reconnaître l'expression de la discrimination en son plus haut point : l'assassinat d'une personne en raison de son genre ou de son identité de genre. Dans le premier cas, le fémicide a été théorisé en 1992 par Jill Radford et Diana Russel dans Femicide : the politics of woman killing. Dès 1993, la ville de Ciudad Juárez devient le théâtre macabre de l'incarnation de ce terme,

185 Com. IDH, « C[om.] IDH condena asesinato de defensora de derechos humanos de personas trans en Argentina », 30 octobre 2015

186 Littéralement, « dé-faire », « dé-construire le genre ».

187 ITZIAR Itziar, « El género desordenado : Cr'ticas en torno a la patologización de la transexualidad » in COLL-PLANAS Gerard, MISSE Miguel, El género desordenado (É), op. cit., pp. 205-208

188 Transféminismes est pluriel car reflète la diversité des alliances faites entre des personnes qui expriment des corporalités, pratiques sexuelles, façons de nouer des relations et de manières de vivre et qui sont définies comme « pathologiques », « anormales » et « déviantes », donc fortement exposées à un ensemble de dominations, de discriminations et de violences comme résultantes du système hétéronormatif in OUTrans, Les transféminismes.

189 Le « Consejo Nacional de la Mujer » a été renommé « Consejo Nacional de las Mujeres » in Plan Nacional De Acción para la prevención, sanción y erradicación de la violencia contra las mujeres 2016- 2017, p. 20

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mettant à jour de nombreuses disparitions et assassinats de femmes caractérisés par une violence accrue (viols, tortures, corps mutilés, démembrés, nus, jetés dans des terrains vagues ou poubelles etc.). La barbarie reçoit un écho international et le Mexique est déclaré responsable internationalement par la CIDH dans une sentence exemplaire du 16 novembre 2009190. L'anthropologue mexicaine Marcela LAGARDE est la première à concrétiser le terme feminicidio en 1996 afin de le différencier de l'homicide191 et de mettre en exergue une tolérance sociale et une impunité étatique qui se cachent derrière la figure. Le meurtre en raison de l'identité de genre quant à lui, peine à être invoqué en tant que tel dans les tribunaux.

II. Un recours à la figure du travesticide décevant dans la pratique

Depuis la loi n°26.791 du 11 décembre 2012 en Argentine192, l'assassinat d'une femme par un homme pour violence de genre (art. 80.11) et celui basé sur l'identité ou expression de genre de la personne (art. 80.4) deviennent réprimés par une peine de prison à perpétuité. Les circonstances entourant la situation vont qualifier ces figures d'homicides aggravés.

Pour autant, si le droit pénal encadre le meurtre de personnes en raison de leur identité de genre, la notion de Ô'travesticide'' n'y est pas explicitement reconnue. Doctrine et activistes de défense des droits humains comme Sacha SACAYAN193 urgent l'Etat de nommer ce phénomène194. La coordinatrice de l'Unité du procureur spécialisée en violence contre les femmes s'est également exprimée en faveur de cette consécration afin de protéger cette population vulnérable195.

190 CIDH, arrêt « Gonzalez y otras vs. México » (Affaire `'Campo algodonero»), 16 novembre 2009

191 En espagnol, « homicidio ».

192 Notre traduction de l'article 80 du Code pénal argentin disposant que : « (É) est puni de la réclusion à perpétuité la personne qui tue : (É)

4° par plaisir, avidité, haine raciale, religieuse, en raison du genre ou de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre ou son expression. (É) ;

11° une femme quand le fait est perpetré par un homme moyennant violence de genre (É) ».

193 Coordinateur du collectif MAL et frère de Diana SACAYAN

194 Sur la nécessité de commencer à parler de travesticide in « Sasha Sacayán: «empecemos a hablar de travesticidio» », 7 mai 2016, in Marcha

195 D'après Marielle LABOZETTA, « l'utilisation du terme travesticide est intéressante dans le cadre d'une affaire pénale parce qu'il rend compte d'un phénomène nouveau concernant les sanctions juridiques. Ce dernier met en exergue les violences envers une communauté vulnérable, particulièrement dépourvue de droits et plus touchée par la violence institutionnelle (santé, police), restant exclue du marché du travail » in Pagina/12, BAKER Juliana, « La balanza para nuestro lado », 12 septembre 2016

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A défaut de cela, la CSJN a inclut les femmes trans dans son rapport sur les féminicides de 2016196, alors impulsée par le cas de Diana Sacayán. Ainsi 5 cas de travesticides ont fait l'objet d'une procédure judiciaire au cours de l'année 2015, ces derniers ayant eu lieu dans les provinces de Formosa, Jujuy, Mendoza, Misiones et Rio Negro. Sur la même période, l'Observatoire des Feminicides Adriana Marisel Zambrano coordonné par l'ONG Casa del Encuentro et par l'Observatoire Mujeres de la Matria Latinoamericana ont également enregistré 5 cas de travesticides. Si ces données ne précisent pas l'avancée judiciaire des procès, peu comptent des sentences condamnatoires, amenuisant alors l'effectivité de l'article 80.4 du Code pénal et rendant insatisfaisante la diligence due pour enquêter ces crimes.

Ces données ne représentent pas les réalités argentines : l'impunité de fait, l'absence de recours à la justice par peur de représailles, le mauvais traitement des opérateurs de justice ont pour conséquence un manque de juridictionnalisation des cas et donc, une invisibilisation de l'enregistrement de ces situations par les pouvoirs publics. Laura Elena MOYANA, Marcela CHOCOBAR, Brigitte NIETA, Bella INOSTROZA, Jose ZALAZAR MATURANO, Erika ROJAS, Soledad ITURRE, Zoe QUISPE, Fernanda COTY OLMOS197 sont des exemples concrets de travesticides restés impunes, une inactivité des pouvoirs publics dénoncée par les ONG. Cette liste est non exhaustive. Romina PEREYRA, activiste et membre de la Commission Justice pour Diana Sacayán, a même dénoncé le fait que : « nous vivons aujourd'hui confronté/es à un assassinat par semaine d'une camarade travestie198 ». Cette allégation s'écarte alors des chiffres révélés ci-dessus, qui répertorient environ un assassinat tous les deux mois et demi.

Dans une tentative d'amélioration systémique, un Observatoire des causes des féminicides incluant les travesticides et les transféminicides serait créé au sein de l'Oficina de las Mujeres de la CSJN. Est attendu pour juin 2018 son premier rapport. Même si ce travail est déjà effectué par des ONG199, la prise en charge par le Pouvoir législatif de la question favoriserait la prévention efficace et ciblée au travers de politiques publiques de ces assassinats en sus de renforcer la perspective de genre dans le droit national.

196 CSJN, Registro nacional de femicidios de la Justicia Argentina. Datos estadisticas del Poder Judicial sobre femicidios, 2016, p. 8. Ce registre est la 2ème édition, la CSJN ayant commencé la réportorisation des féminicides (puis dans le rapport cf. supra des travesticdes) en 2015 sur la base des données 2014.

197Akahatá, Agrupación Nacional Putos Peronistas et autres, Situación de los derechos humanos de las travestis y trans en Argentina. Evaluación sobre el cumplimiento de la Convención para la eliminación de todas las formas de discriminación contra las mujeres, 2016, pp. 12-13

198Entretien durant la marche du 28 juin 2016 de Romina Pererya in Equal Times

199 Devant l'absence de registre étatique, en 2008 l'ONG Casa del Encuentro est la première à rendre un rapport sur les feminicides en Argentine, s'extirpant de la notion de crime passionnel invoqué pour qualifier ces assassinats en raison du genre. De ce point de vue, l'assassin est exonéré partiellement de sa responsabilité en raison de ses sentiments passionnels incontrôlés face à une victime culpable d'avoir provoqué ce déchainement.

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Si le droit à être, le droit à l'identité a été reconnu en mai 2012 par le législateur argentin s'est-il vu être accompagné de politiques assurant la vie sociale des individus qui ont invoqué à leur faveur cette loi? En effet, être reconnu/e en tant que personne conformément à son identité de genre n'implique pas nécessairement des conditions d'existence dignes. Or d'après l'article 1er de la DUDH tous les êtres humains « naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Vivre dignement est donc une exigence tirée du droit international qui a valeur constitutionnelle dans le droit argentin depuis 1994. Celle-ci doit faire l'objet d'une protection positive et pro-active de la part de l'Etat argentin qui doit se défendre de toute politique discriminatoire. Interroger les politiques publiques en la matière est donc essentiel.

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PARTIE II. DISCRIMINATIONS : LES RÉSULTANTES DU TRAVESTICIDE SOCIAL

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Les droits humains s'inscrivent dans un continuum, le droit international nous rappelant que « tous les droits humains sont universels, indivisibles, interdépendants et intereliés200 ». La question de la virtualité du droit à l'accès aux soins et des droits économiques, sociaux et culturels en particulier dans un contexte de discrimination est ici formulée. Nous nous questionnerons sur l'incidence des conditions d'existence du collectif trans comme facteur discriminatoire.

Une personne trans en Argentine a une espérance de vie de 35 ans201 alors que la moyenne nationale est de 75 ans202. Aujourd'hui seulement 7,8% de la population trans argentine a plus de 42 ans203. Les circonstances de vie du collectif trans - différentes sur certains points précis du reste de la population - sont l'une des causes de ces possibilités restreintes face à la vie. En effet, si en théorie la possession de documents officiels accréditant l'identité de genre va garantir au citoyen trans la jouissance au plein-accès d'une série de droits, les réalités démontrent que des discriminations demeurent (Chapitre 1), celles-ci étant parfois normativisées (Chapitre 2). Pour Josefina Fernández, nous ne pouvons comprendre la construction de l'identité sans se saisir des conditions d'existence204. Cette partie est donc un éclairage essentiel pour la réalisation de l'identité trans dans le contexte argentin.

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