Situation des personnes trans en Argentine: entre droit et réalités à l'identité de genre( Télécharger le fichier original )par Charlène BECQUET Université de Rouen - Master II Pratique des transversalités juridiques : droit international et européen 2017 |
II. DÉFINITIONS TERMINOLOGIQUESLa diversité propre à chaque individu qui se définit comme étant travesti/e, transgenre ou transsexuel/le ne doit pas nous empêcher d'édifier des définitions de ces termes, nécessaires pour ne pas rester dans un flou conceptuel et pouvoir générer des réflexions propres à leurs situations. Les mots sont d'une importance capitale, chargés de symbolisme et d'histoires; l'effort de définition est nécessaire pour s'approcher au plus du réel 32. La question recouvre la situation juridique des personnes travesti/e/s, transsexuel/le/s et transgenres. Cette différenciation terminologique reflète des réalités distinctes. Comme le précise Stephen WHILTTLE, nous n'omettons pas le fait que ces définitions sont « arbitraires, insuffisantes pour décrire l'ensemble des possibilités offertes à chacun et à chacune dans la construction de sa propre identité33 ». Nous verrons que, dans chacune de ces situations, l'identité de genre s'exprimera au travers de filtres différents. Nous tenterons ici de délier quels sont les filtres, les critères qui définissent ces idées avec deux limites principales : ne pas tomber dans l'écueil d'une pathologisation et ne pas prétendre vouloir enserrer toutes les réalités sous ces définitions. Ces dernières n'existent alors qu'à effet de simplification théorique au vu de la fluidité et complexité de la notion de genre et également de celle d'identité de genre. Elles sont une 30 Exemple d'une enquête menée en Belgique où seules 55 % des personnes transgenres qui ont été déclarées de sexe masculin à leur naissance se sont identifiées comme totalement ou principalement femmes. De même, seules 60 % des personnes transgenres déclarées de sexe féminin se percevaient entièrement ou principalement comme hommes. Le reste des personnes interrogées ne s'identifiaient ni hommes ni femmes, ou se définissaient 3 comme les deux à la fois, ou «autrement ». Motmans Joz, « Being transgender in Belgium. Mapping social and legal situation of transgender people », 2010, disponible sur : http://igvm-iefh.belgium.be/fr/binaries/34%20-%20Transgender_ENG_tcm337- 99783.pdf 31 GARRAIZABAL Cristina, « Transexualidades, identidades y feminismos » in COLL-PLANAS Gerard, MISSE Miguel, El género desordenado : cr'ticas en torno a la patologización de la transexualidad, ed. Eguales, Madrid/Barcelona, 2011, 288 p., pp. 125-140 32 MISSE Miguel, Transexualidades : Otras miradas posibles, ed. Eguales, Madrid/Barcelona, 2014, 144 p. 33 Notre traduction de : « (É) it is acknowledged that any given definition would be arbitrary and, most likely, insufficient to describe all possibilities a person can have to construct his/her own identity » in WHITTLE Stephen, Respect and Equality : Transsexual and Transgender Rights, 2002. 8 synthèse de lectures de diverses sources : organisations Internationales (OI) comme l'ONUSIDA, l'OIT, le PNUD, l'Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS), droit national argentin, Organisations Non Gouvernementales (ONG) argentines - Asociación de Travestis, Transexuales y Transgéneros de Argentina (ATTTA), Federación Argentina de Lesbianas, Gays, Bisexuales y Trans (FALGBT), Fondation Colombia Diversa -, académie de la langue castillane (Académie Royale espagnole) et doctrine (Miguel MISSE, Lohana BERKINS). Ces définitions sont elles-mêmes objets de critiques. Remontant à l'origine latine commune aux langues française et castillane, trans signifie « de l'autre côté de », « au-delà de » 34 . Ce préfixe implique un changement, une traversée. Pour autant, cette invitation au voyage n'est pas sans turbulences lorsque nous lui accolons la notion d'identité. Les termes travesti/e, transgenre et transsexuel/le se sont construits autour de la notion de genre ; un genre « de l'autre côté » de celui cisgenre qui se définit comme répondant au schéma binaire associant le mâle au masculin, la femelle au féminin. Les identités trans quant à elles sont celles qui se situent entre ces deux bornes - voir hors de ces deux bornes - n'étant pas la réponse socialement attendue et donc parfois, qui se trouvent être disqualifiées. Pour Lohana BERKINS, cette « compréhension de l'identité travestie questionne la notion des identités comme limites35 ». Les principes de Jogjakarta, repris par le droit argentin36 ont défini l'identité de genre comme étant : « L'expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu'elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle du corps (qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de l'apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres) et d'autres expressions du genre, y compris l'habillement, le discours et les manières de se conduire37». 34 Dictionnaire Larousse en ligne 35 BERKINS Lohana, « Un itinerario pol'tico del travestismo », in Maff'a Diana (dir.) Sexualidades Migrantes. Género y Transgénero, 2013, Buenos Aires, Feminaria Editora, 154 p. 36 art. 2 de la loi Identidad de género du 23 mai 2012, voir Annexe n°1 37 Extrait du préambule des Principes de Jogjakarta in Principes sur l'application de la législation internationale des droits humains en matière d'orientation sexuelle et d'identité de genre, Panel international d'experts en législation internationale des droits humains et de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre, mars 2007, disponibles sur : http://www.yogyakartaprinciples.org/principles-fr/. Ces principes sont le fruit d'une réunion qui se déroula à Jogjakarta (Indonésie) du 6 au 9 novembre 2006 avec 29 experts éminents en matière de législation en droits humains, venus de 25 pays différents. 9 A) TRAVESTISME La personne travesti/e a été identifiée comme telle au début du XXème siècle par des médecins dans le but de nommer l'ensemble des personnes non cisgenres38. Aujourd'hui, la terminologie s'est décantée pour faire place à d'autres vocables comme la transsexualité ou encore le transgénérisme. Une personne travestie reste alors celle qui s'approprie des codes vestimentaires du genre masculin ou féminin si à celle-ci lui a été attribué à la naissance le sexe « femelle » ou « mâle » respectivement. Les équations vêtements masculins et sexe féminin d'une part, et vêtements féminins et sexe masculin d'autre partContrairement à la personne transsexuelle celle travestie n'éprouve pas de gêne en général avec son sexe biologique, le conflit n'apparaissant qu'avec l'assignation et expression des rôles associés à celui-ci39. Critique doit être faite concernant la définition restrictive de certaines ONG et OI (comme l'ATTTA, la FALGBT et le PNUD40) de la personne travestie comme étant celle qui s'est vu assigner une « identité sexuelle masculine à la naissance mais qui construit son identité de genre selon différentes expressions de féminité ». L'absence de visibilité des personnes ayant une identité sexuelle féminine et exprimant différentes versions de la masculinité est patente. Si nous admettons que la théorisation se fait à partir d'une conception genrée et duale des réalités, il ne faut pas omettre le revers de la médaille, qui a deux faces (féminité/masculinité). Notons également que différence doit être faite avec les transformistes qui, même s'ils/ elles adoptent des codes vestimentaires de la même manière que la personne travestie, ceci se fait dans une période de temps plus courte et souvent, à des fins de mise en scène artistique. L'amalgame conduit parfois à un mépris des identités trans, les considérant comme re-créatives et non comme créatives (au sens de « se construire »41). Dans cette recherche d'appartenance à un des deux groupes traditionnels, nous demeurons dans une vision cisgenrée des réalités. La personne queer (de l'anglais « bizarre », 38 MISSE Miguel, Transexualidad : otras miradas posibles, op. cit. 39 PAVAN Valeria (dir.), Niñez trans (É), op. cit., p. 43. 40 ATTTA et FALGBT, Gu'a para comunicadores y comunicadoras. Derecho a la Identidad, 2011. Cette définition a été réutilisé par le PNUD dans le Gu'a de Incidencia Pol'tica para Conseguir una Ley de Identidad de Género en 2014. 41 ESPINEIRA Karina, « L'identité de genre : L'impensé socio-juridique dans les sociétés de droit » in Blog de Karina Espineira, article du 1er juillet 2013 10 « étrange »), quant à elle aborde de façon performative son corps, qui devient oeuvre d'art 42. Cette dernière ne se définit pas selon les catégories culturelles existantes, souhaitant ainsi revendiquer une contre-culture sui generis. Théorisée en 1990 par Judith BUTLER dans Gender Trouble, la figure du/de la queer accuse le mouvement homosexuel de se conformer à l'hétéro-norme en se positionnant comme son pendant et stigmatisant ses propres `'anormaux» tels que les personnes transgenres43.
Pour Walter BOCKTING, être transgenre reflète un groupe divers de personnes dont les identités de genre diffèrent dans des proportions diverses du sexe que l'on leur a assigné à la 42 PEREZ FERNANDEZ-FIGARES Kim, « Historia de la patologización y despatologización de las variantes de género » in COLL-PLANAS Gerard, MISSE Miguel, El género desordenado (É), op. cit., pp. 97-111 43 LAVIGNOTTE Stéphane, « Politique d'un nouveau genre » in Les Panthères roses, article du 9 juillet 2017 44 OPS, BOCKTING Walter, HOLLOWAY Joan, KEATLEY Joanne et al., Por la salud de las personas trans. Elementos para el desarrollo de la atención integral de personas trans y sus comunidades en Latinoamérica y el Caribe, 2013, p.16 45 ATTTA et FALGBT, Gu'a para comunicadores y comunicadoras. Derecho a la Identidad, 2011 46 Amnesty International France, « Des enfants danois et allemands nés intersexués subissent des interventions chirurgicales invasives de `'normalisation» », consulté le 9 juillet 2017 11 naissance47, sans inclure de nécessaires chirurgies de modification corporelle. Ceci se comprend dans une analyse cisgenrée des réalités associant le féminin à la femme et le masculin à l'homme. En espagnol, la notion transgenre se dédouble au féminin et au masculin. On parle alors de personne transgénero et transgénera. Certains associations de défense des droits des personnes trans revendiquent l'usage de ces deux notions qui permettent la plénitude de la conceptualisation de son identité de genre. D) DÉFINITION RETENUE Les identités travesties, transsexuelles et transgenres sont « poreuses » et se recoupent48 . Ainsi, dans le cadre de ce mémoire nous retiendrons le terme trans comme englobant l'ensemble des personnes qui se définissent sous l'une de ces trois catégories : travesti, transsexuel et transgenre. L'utilisation de ce terme générique est louable pour la dimension inclusive qu'il revêt concernant les identités non cisgenrées. De plus, le terme trans est d'ores et déjà usitée par nombre d'acteurs de droit international ou national49. La loi sur l'identité de genre ne fait d'ailleurs aucune référence ni distorsion entre personnes travestie, transsexuelle et transgenre. Elle ouvre seulement le droit à des personnes, des individus, de mettre en conformité son identité de genre. Ainsi, tout au long de cette étude, nous ne réduirons pas l'individu/e au fait qu'il/elle se sente/soit trans, d'où l'exigence de définir « l'individu », « la personne », « le collectif » ou autre, trans. Notons qu'il est évident que certaines questions vont recouvrir de façon préférentielle plutôt un groupe que l'autre. Par exemple, dans le cadre du thème des traitements hormonaux et interventions chirurgicales, les personnes transsexuelles seront, de fait, mises en exergue. 47 APA, « The Psychology of Transgender Eight questions for transgender expert Walter Bockting », 19 novembre 2015 48 BRUNE Laurence, FORTIER Corinne, « Changement d'état civil des personnes `'trans» en France : du transsexualisme à la transidentité », in Gallus Nicole, Droit des familles, genre et sexualité, Éd. Anthemis S.A., 2012, pp. 63-64 49 Quelques exemples d'OI, ONG ou médias de communication utilisant le terme générique trans : Agencia de Noticia San Luis (voir http://agenciasanluis.com/notas/2015/03/18/se-conmemora-el-dia-de-la-promocion-de-los-derechos-de-las-personas-trans/), BBC (voir http://www.bbc.com/mundo/noticias/ 2014/05/140516_argentina_trans_derechos_revolucion_lgbt_irm), FALGBT (voir http://www.falgbt.org/wp-content/uploads/2016/10/Dia-de-promocion-de-los-derechos-de-las-personas-trans.pdf p.2), Fundación HuÉsped (voir https://www.huesped.org.ar/wp-content/uploads/2014/11/Percepciones-y-experiencias-sobre-estigma-y-discriminacion-en-poblacion-Trans-HSH-y-usuarios-de-drogas.pdf p.9), Le Nouvel Obs (voir http:// leplus.nouvelobs.com/contribution/1245255-bresil-pays-du-transfeminicide-une-expression-de-la-place-du-feminin-dans-nos-societes.html), INDEC et INADI ( http://www.trabajo.gov.ar/downloads/diversidadsexual/ Argentina_Primera_Encuesta_sobre_Poblacion_Trans_2012.pdf) OAS (voir http://www.oas.org/es/cidh/prensa/ comunicados/2015/123.asp) etc. 12 |
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