Chapitre II : Les obstacles à une application
effective
du corpus juridique consacré à la
protection de la
faune sauvage par la justice
répressive.
Nous avons mentionné supra, que la délinquance
faunique est aujourd'hui considérée comme une composante
importante de la criminalité environnementale. Le caractère
tentaculaire des infractions dans ce domaine dépasse largement les
sphères nationales et échappent à la connaissance du juge
répressive. Celui-ci étant un juge infra-légal,
il est soumis au principe de l'interprétation stricte de la loi
pénale. Au cours de ces dernières décennies, la
criminalité environnementale, dans laquelle il faut inclure la
délinquance faunique, s'est hissée au quatrième
(4ème) rang des activités illicites
internationales79. Aussi, la recrudescence des
phénomènes tels que : le braconnage ou le commerce illégal
des espèces menacées d'extinction dans la plupart des pays
d'Afrique, met en péril les écosystèmes et la survie des
espèces pour le bien des générations présentes et
futures. Cette situation préoccupante a fait l'objet de plusieurs
rapports et études d'experts faisant office d'alerte. Dans bon nombre de
cas, un accent a été mis sur l'ineffectivité du dispositif
répressif élaboré par les Etats dans le cadre de leurs
législations fauniques internes. Mais, il a été aussi
pointé du doigt la profusion ainsi que le caractère évasif
et aléatoire des normes internationales en la matière, celles-ci
étant souvent confrontées aux intérêts divergents
des Etats souverains.
C'est à ce titre qu'il nous ait paru évident
d'affirmer avec Nathalie RORET et Mathilde PORRET-BLANC que : « la
mise en oeuvre d'un système effectif de répression des atteintes
à l'environnement -et partant contre la faune sauvage- se
heurte aujourd'hui à des nombreuses difficultés
»80. Certains de ces obstacles relèvent du droit
interne (Section1) tel qu'institué par chaque Etat.
Mais d'autres par contre découlent de l'application des normes
internationales consacrée à la protection des espèces
fauniques (Section2).
Section1 : Les obstacles à la mise en oeuvre du
régime de protection pénale en droit interne.
Il est évident qu'aujourd'hui, au Congo et au Cameroun,
la lutte pour la préservation des écosystèmes riches en
biodiversité que regorgent ces pays ne passe que par la mise en place
d'un régime de répression effectif dont le juge pénal
serait le maître d'orchestre. Pour ce faire, au cours de ces
dernières décennies, on a relevé dans ces deux (2) pays
une intensification dans la production normative consacrée à la
protection des ressources fauniques.
79 RORET (N) et PORRET-BLANC (M),
L'effectivité du droit pénal de l'environnement : Etat
des lieux et perspectives, Les Revues Lexisnexis n°7, juillet 2016,
page.13.
80 RORET (N) et PORRET-BLANC (M), op.cit, page.14
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Cependant, la persistance du braconnage à grande
échelle, du commerce illicite des espèces menacées
d'extinction ainsi que des autres types d'infractions y relatives, nous
renvoient à cette évidence : qu'en matière
d'environnement, les règles répressives sont en apparence
redoutable, mais leur efficacité est plus que douteuse81.
En effet, qu'il s'agisse de la transaction instituée
par les lois fauniques congolaise et camerounaise (§1)
que des faiblesses et insuffisances de ces textes (§2).
Le régime de protection pénale des ressources fauniques mis en
place par ces deux Etats porte en son sein, des germes d'une
ineffectivité dans sa mise en oeuvre.
Paragraphe1 : La transaction en matière
faunique : un obstacle majeur à la mise en oeuvre de la
répression pénale.
Qu'il s'agisse de la loi camerounaise n°94/01 du 20
janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la
pêche ou de celle n°37-2008 du 28 novembre 2008 sur la faune et les
aires protégées en République du Congo. Une
possibilité est accordée aux délinquants fauniques,
auteurs d'infractions, de procéder à une transaction qui
constitue dans les deux systèmes répressifs, une cause
d'extinction de l'action publique. La grande question est celle de savoir : En
quoi, une transaction en matière faunique peut-elle être
considérée comme l'un des obstacles majeurs à la mise en
oeuvre du régime répressif consacré à la protection
des espèces ? On peut trouver un début de réponse à
cette question, en rappelant que le régime répressif mis en place
par ces Etats est constitué par un ensemble des dispositions qui jouent
un rôle dans la prévention et la sanction des différentes
atteintes exercées par l'homme contre le milieu naturel. Certes,
réprimer n'est pas le remède miracle qui sauvera l'environnement
des maux qui l'accablent. Mais c'est affirmer qu'un intérêt social
a été lésé et que, par conséquent, les
éléments de l'environnement sont des valeurs à respecter.
L'action du juge pénal est donc irremplaçable et
déterminante en la matière82.
Or, la transaction a pour but, de soustraire le
délinquant de sa responsabilité pénal. Elle permet
à ce dernier d'échapper à la sanction du juge pénal
en substituant l'acte incriminé au paiement d'une amende devant
l'autorité administrative. Mais, par définition, la
transaction83 est d'abord et avant tout un acte qui répond
à une procédure spéciale définit par les lois
fauniques en vigueur et dont certains aspects méritent un examen
minutieux (A). Ensuite, comme tout acte juridique, elle
produit nécessairement des effets sur le contentieux faunique
(B).
81 Cette affirmation nous renvoie à
l'article de M-J. LITTMANN-MARTIN, Droit pénal de l'environnement.
Apparence redoutable et efficacité douteuse, Justice, Syndicat de la
magistrature, 1988, n°122, pages.15-29. Elle a aussi été
reprise par Jérôme LASSERRE CAPDEVILLE, Le Droit pénal de
l'environnement : un droit encore à l'apparence redoutable et à
l'efficacité douteuse, in Sauvegarde de l'environnement et droit
pénal, edition l'Harmattan Sciences criminelles 2005, page.13.
82 LASSERRE-CAPDEVILLE (J), op.cit, page.17
83 Sur la définition juridique de la
transaction voir le Lexique des termes juridiques, 13ème
édition Dalloz 2001, page.548.
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A)-La procédure de transaction mise en
place par les lois fauniques au Congo et Cameroun.
Deux aspects essentiels de la procédure de transaction
telle qu'instituée par les lois fauniques au Congo et au Cameroun
méritent d'être examinées à savoir : L'institution
d'un régime différencié entre le délinquant
primaire et le délinquant récidiviste en matière de
transaction (1) d'une part. L'examen des régimes
d'habilitation à transiger reconnus aux différentes
autorités administratives (2) d'autre part.
1-Un régime différencié entre
délinquant primaire et récidiviste.
Au Congo, c'est le chapitre II du titre VI, de la loi de 2008
sur la faune et les aires protégées qui détermine le
régime de la transaction en matière faunique. Ainsi, l'article
106 dispose en son dernier alinéa que : « Les
récidivistes ne peuvent prétendre à aucune transaction
». Cette mention pose tout de même un sérieux
problème de logique procédurale. En effet, la récidive est
définit en droit pénal comme : une « cause d'aggravation
de la peine résultant pour un délinquant de la commission d'une
seconde infraction dans les conditions précisées par la loi,
après avoir été condamné définitivement pour
une première infraction (...) »84. A ce titre deux
questions méritent d'être posées. D'abord comment parler de
récidive en matière faunique s'il est donné une
possibilité aux délinquants primaires de transiger et donc
d'échapper à une première condamnation sans laquelle on
saurait parler de la récidive ? Ensuite, en l'état actuel du
système pénal congolais, il n'existe pas un fichier pénal
national dans lequel se trouverait répertorié toutes les
condamnations. De sorte qu'une même personne peut faire l'objet de
plusieurs condamnations. Soit dans les juridictions répressives de la
même localité ou dans des localités différentes,
sans que cela ne puisse avoir un impact sur son statut pénal. Alors,
dans ces conditions, comment parler de seconde condamnation et mieux de
récidive ?
Tout au moins, en théorie, cette loi établit
donc un régime différencié entre le délinquant
primaire. Lequel peut prétendre à une possibilité de
transaction et le délinquant récidiviste qui n'a pas droit
à cette possibilité. Il ne s'agit nullement d'une entorse au
principe d'égalité des citoyens devant les services judiciaires.
Mais plutôt, d'une volonté de rendre plus stricte le traitement
réservé aux citoyens qui persistent dans la commission des actes
attentatoires à la faune. Ceux-ci, constituant un véritable
danger pour la survie des espèces, il faut les soumettre à des
peines d'emprisonnement. C'est le seul moyen de les dissuader.
Ce régime qui apparaît comme un traitement de
faveur fait au délinquant primaire, est aussi prévu par la
loi camerounaise du 20 janvier 1994 dont l'article 146 al.4.c dispose que :
« En cas de transaction : c)-Les matériels saisis, s'ils sont
impliqués pour la première fois dans une infraction et si le
contrevenant est délinquant primaire, sont restitués au
contrevenant après règlement définitif de la transaction
». Il s'agit là, d'une grande faiblesse de cette loi et un
obstacle sérieux quant à la répression et donc à la
dissuasion de la délinquance faunique.
84 Sur la définition juridique de la
récidive, voir le Lexique des termes juridiques, op.cit, page.462.
Page | 57
En effet, si à un délinquant qui a
été pris en flagrant délit d'abattage d'un animal
intégralement protégé, non seulement on lui donne la
possibilité de se soustraire à la justice et donc à des
sanctions pénales moyennant le paiement d'une somme d'argent, on doit
aussi lui restituer le matériel qui lui aurait servir dans la commission
de son forfait, comme pour l'inciter à continuer dans son entreprise
infractionnelle. Il y a donc de quoi se demander, si entre la protection des
espèces fauniques à travers la mise en oeuvre des sanctions
pénales et la dissuasion de la délinquance faunique grâce
à l'application des mesures administratives souples, le
législateur a opté pour la seconde option.
Mais la solution camerounaise, semble aller plus loin dans
cette option de souplesse. Elle accorde cette possibilité de transiger
même aux délinquants récidivistes avec une petite
différence. Pour s'en convaincre, l'article 146 al.4.d poursuit en ces
termes : « En cas de transaction : d)- Les matériels saisis,
s'ils sont impliqués pour plus d'une fois dans une infraction et si le
contrevenant a récidivé, ne sont pas restitués et sont
vendus aux enchères publiques ou de gré à gré en
l'absence d'adjudicataire, à l'exception des armes à feu et
munitions qui sont transmises aux autorités compétentes de
l'administration territoriale ». Au regard de cette disposition, on
peut s'interroger sur ce qu'il en est des armes à feu et munitions du
délinquant primaire qui a bénéficié d'une
transaction ? Outre cette aspect de traitement entre délinquant primaire
et récidiviste, la transaction telle qu'instituée par les textes
congolais et camerounais pose, un autre problème, celui de savoir
quelles sont les autorités habilitées à transiger ?
2-Les niveaux habilitations reconnus aux
autorités administratives pour transiger.
Aux termes de la loi congolaise sur la faune et les aires
protégées, les niveaux d'habilitation pour transiger sont
repartis entre différentes autorités du Ministère en
charge de la faune. En ce sens, l'article 106 al. 1-3 dispose que : «
Le ministre chargé des eaux et forêts, le directeur
général et les directeurs départementaux chargés
des eaux et forêts sont autorisés à transiger au nom de
l'Etat pour les infractions en matière de faune et de chasse. Les
niveaux de transaction sont fixés conformément à la
législation en vigueur. Les conservateurs sont autorisés à
transiger pour les infractions de nature à entraîner une amende de
5.000.000 de francs CFA maximum conformément au règlement
intérieur de l'aire protégée ». Ainsi, sont
autorisés à transiger au nom de l'Etat : le Ministre en charge de
la faune, le Directeur Général et les Directeurs
Départementaux. Il s'agit donc d'une répartition
hiérarchique des compétences dans l'habilitation à
transiger. Par contre, la loi camerounaise de 1994 ne fournie aucun
renseignement sur les autorités habilitées à transiger.
Mais il est évident que cette compétence relève du
ministère en charge de la faune.
Comme tout acte juridique, la transaction en matière
faunique entraine des effets dans le cas où, elle est passée avec
l'administration, mais aussi au cas où elle n'aboutie pas.
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B)-Les effets de la transaction en matière
faunique.
Rappelons d'abord que l'article 6 al.1 du Code de
Procédure Pénale congolais dispose que : « L'action
publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du
prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi
pénale, la transaction lorsque la loi en dispose spécialement
(...) ». Il en est de même de l'article 62 du Code de
Procédure Pénale camerounais qui parle de la transaction comme
cause d'extinction de l'action publique : « lorsque la loi le
prévoit expressément ». Il résulte donc de ces
prévisions légales qu'une loi spéciale peut ériger
la transaction comme un moyen pour le délinquant d'arrêter le
déclenchement de l'action publique. Ainsi, en cas d'exécution
(1) ou même de non exécution
(2), la transaction produit forcément des effets
juridiques à l'égard du délinquant faunique.
1-Les effets en cas d'exécution de la
transaction.
L'effet immédiat de la transaction en matière
faunique est l'extinction de l'action publique. En ce sens, l'article 109 de la
loi congolaise sur la faune dispose que : « Avant le jugement, la
transaction éteint l'action publique. Elle ne porte que sur les amendes
». De même que l'article 146 al.2 de la loi de 1994 au Cameroun
dispose que : « La transaction sollicitée par le contrevenant
éteint l'action publique, sous réserve de son exécution
effective dans les délais impartis ». Elle permet aussi, dans
le modèle camerounais, la restitution des matériels
confisqués lors de l'arrestation du délinquant, à
condition que celui-ci soit un délinquant primaire. Elle peut
également, si le délinquant est un récidiviste, donner
lieu à une vente aux enchères publiques ou de gré à
gré des matériels confisqués.
Mais qu'en est-il en cas de non transaction ?
2-Les effets en cas de non exécution de la
transaction.
Les lois congolaise et camerounaise déterminent un
délai pour l'exécution de la transaction. Dans le cas du Congo,
le délai est de deux (2) mois. Dépassé celui-ci, il est
procédé aux poursuites pénales contre le
contrevenant85. Or l'article 107 n'assortie pas ce délai
d'une mise en demeure du délinquant et une autre défaillance de
la loi congolaise réside en ce qu'il convient de se demander : Pendant
les deux (2) mois qu'advient-il du contrevenant qui a manifester la
volonté de transiger ? Est-il mis en liberté, le temps qu'il ne
s'acquitte du montant fixé à titre de transaction ? Ou,
placé en détention préventive ? Dans le premier cas, n'y
a-t-il pas dans ce cas, un risque que celui-ci ne prenne la fuite sans avoir
honoré à sa promesse de transiger ? Le model camerounais, semble
donc offrir une meilleure rédaction puisqu'il résulte de
l'article 147 de la loi de 1994 que : « En l'absence de transaction ou
en cas de non exécution de celle-ci, et après mise en demeure
préalablement notifiée au contrevenant, l'action publique est
mise en mouvement dans un délai de soixante douze (72) heures sur la
demande des administrations chargées selon le cas (...) de la faune,
partie procès. A cet effet, elles ont compétence pour :
85 Voir en ce sens, l'article 107 de la loi sur la
faune et les aires protégées qui dispose que : « Le
montant de la transaction doit être acquitté dans le délai
fixé par l'acte de transaction, qui ne peut dépasser deux mois,
faute de quoi il est procédé aux poursuites du contrevenant
».
Page | 59
-faire citer aux frais du Trésor Public tout
contrevenant devant la juridiction compétente ;
-déposer leurs mémoires et conclusions et
faire toutes observations qu'elles estiment utiles à la sauvegarde de
leurs intérêts (...) ».
Il ressort donc de ce qui précède que la
transaction en matière faunique, constitue un véritable obstacle
au régime de répression. En effet, à travers elle
l'administration vol la vedette au juge répressif. Elle accorde ainsi au
délinquant un moyen de se soustraire à un jugement pénal.
La mise en oeuvre de la transaction dans le régime de protection de la
faune sauvage rejoint une approche sociologique qui veut que : « la
répression pénale, en tant que manifestation par excellence de la
réprobation sociale, se révèle parfois peu adaptée
à la protection d'une valeur encore émergente, comme la
protection de l'environnement, dans la conscience collective. Ainsi, pour
certains, le délinquant écologique ne mériterait pas
l'opprobre »86. Or cette approche ne concoure pas à
la préservation des écosystèmes et à leur gestion
durable pour le bien des générations présentes et
futures.
Mais outre la transaction, le régime répressif
mis en place grâce aux lois fauniques, comporte bien plus de germes
d'ineffectivité caractérisés par des faiblesses et des
insuffisances qu'il convient d'examiner.
Paragraphe 2 : Les faiblesses et insuffisances du
corpus juridique consacré à la protection de la faune
sauvage.
Depuis plusieurs années, le corpus juridique au plan
interne mis en place au Congo et au Cameroun pour assurer une protection
efficace de la faune sauvage, apparaît comme un « maquis
juridique dont seuls quelques spécialistes savent débrouiller les
pistes »87. En effet, l'ensemble des textes en
matière faunique comportent une multiplicité d'incriminations
extérieures au Code pénal. Elles sont souvent imprécises,
illisibles et lapidaires. Du fait de leurs insuffisances, ces textes donnent
lieu à une technique d'incrimination par renvoi et à des concours
de qualification. Mais outre ces griefs qui peuvent être faites à
l'égard des textes d'incriminations (A). Il faut aussi
relever que ces faiblesses tiennent du fait des contrariétés
entre les règles procédurales spéciales, instituées
par les lois fauniques, et les règles relevant de la procédure
pénale générale (B).
A)-Un corpus juridique constitué des textes
d'incriminations épars et lapidaires.
Il conviendra d'examiner successivement la multiplicité
des incriminations prévues dans divers textes consacrés à
la protection de la faune sauvage (1). Ainsi que le
caractère lapidaire de ces incriminations (2). A
travers cet examen, nous montrerons que ces griefs faites au régime
répressif institué par le législateur congolais et
camerounais, constituent un obstacle à la mise en oeuvre du dispositif
répressif en matière de la faune sauvage.
86 LASSERRE CAPDEVILLE (J), op.cit, page.65.
87 ROBERT (J.H), Droit pénal et
environnement, Paris, A.J.D.A, 1994, page.583
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1-Des textes d'incriminations
épars.
Dans la plupart des cas, les incriminations portant sur la
faune sauvage sont extérieures au Code Pénal, qu'il s'agisse du
Congo ou du Cameroun. Elles sont dispersées à travers plusieurs
textes légaux ou réglementaires. Au Congo, par exemple, cette
hétérogénéité des incriminations en
matière fauniques, relève d'une combinaison entre la loi
n°37-2008 du 28 novembre 2008 sur la faune et les aires
protégées, la loi n°16-2000 du 20 novembre 2000 portant code
forestier et la loi n°003/91 du 23 avril 1991 sur la protection de
l'environnement. Au Cameroun, la loi de 1994 combine trois secteurs la
forêt, la faune et la pêche. De ce fait les incriminations qui y
sont prévues sont protéiformes. Certains revêtant parfois
la nature de prescriptions administratives.
Au nombre des incriminations prévues par l'ensemble de
ces textes, on relève deux grandes catégories en tenant compte du
comportement du délinquant faunique. Ainsi, on distinguera les
incriminations basées sur la faute d'inobservation des
règlements, ce sont des infractions d'omission et celles basées
sur des actes d'exécution. Ce sont des infractions de commission. A ce
titre, dans la loi congolaise de 2008 seront considérées comme
des infractions d'omission : le fait de chasser sans être
détenteur du permis ou de la licence de chasse requis ou de chasser
pendant une période interdite ou dans une zone non ouverte à la
chasse. De même que chasser sans autorisation à l'intérieur
d'une aire protégée. Par contre, seront considérées
comme des infractions de commission, le fait de d'abattre une femelle
suitée ou un animal intégralement protégés. Or, ces
incriminations sont combinées dans les mêmes dispositions des
articles 112 et 113 de ladite loi. Aussi cette
hétérogénéité ne facilite pas le travail du
juge qui doit recourir à plusieurs textes à la fois pour trouver
une meilleure qualification à l'acte infractionnel
déféré devant sa barre. De plus, cette dispersion entraine
à de nombreuses confusions dans la caractérisation et même
dans l'adoption des sanctions, puisqu'il existe des exemples dans ces textes de
lois ou la même incrimination apparait deux fois, entrainant cependant
deux infractions distinctes. Il en est ainsi s'agissant de l'infraction
consistant à rejeter ou déverser des substances ou des
déchets préjudiciables à la faune ou à son milieu,
cette infraction est punie à l'article 113 d'une peine d'amende de
100.000 francs CFA à 5.000.000 de francs CFA et à celle d'un
emprisonnement de deux (2) à cinq (5) ans. Alors que la même
infraction est reprise par l'article 114 avec des peines d'amende de 10.000.000
de francs CFA à 50.000.000 de francs CFA et celle d'emprisonnement de
dix (10) ans à vingt (20) ans de réclusion.
Ces incomplétudes liées au caractère
« fourre-tout » des textes d'incriminations en
matière faunique apparaissent également dans la loi camerounaise
de 1994. Pour s'en convaincre on pourrait citer le cas des articles 155 et 158
qui répriment différemment les mêmes infractions. Il
résulte donc de cette analyse des textes d'incriminations en
matière faunique, que les méthodes d'élaboration de ces
textes par les législateurs marquées par un confinement de ces
incriminations et leur dispersion à travers divers instruments
juridiques de droit interne entraine une autre conséquence à
savoir, le caractère lapidaire de ces incriminations qui est une forme
d'obstacle à son effectivité.
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2-Des textes d'incriminations
lapidaires.
Les textes d'incriminations tels qu'envisagés dans les
lois fauniques au Congo et au Cameroun, manquent de précision, de
clarté. Ils donnent lieu à une opacité de sorte que les
auteurs comme : J-H Robert et M. REMOND-GOUILLOUD parlent d' « un
sentiment de suffocation » lorsque le juge pénal ou même
le juriste est confronté face à de telles dispositions. L'une des
conséquences immédiates qui résulte de cette situation,
est le recours fréquent à un système d'incrimination par
renvoi. Il s'agit d'un style adopté par le législateur dans la
rédaction suivant lequel : Un texte ne précise que la sanction
encourue, alors que la description de l'acte incriminé se trouve
ailleurs, soit dans le même texte. On parle alors, d'un renvoi interne.
Soit dans un autre texte de loi, il s'agit dans ce cas d'un renvoi externe.
Le législateur camerounais de 1994, à fait
recours plusieurs fois à des renvois internes s'agissant des
incriminations en matière faunique. Tel est le cas par exemple pour
l'article 155 dont l'alinéa 1er prévoit la sanction en
ces termes : « Est puni d'une amende de 50.000 francs CFA à
200.000 francs CFA et d'un emprisonnement de vingt (20) jours à deux (2)
mois ou de l'une seulement de ces peines, l'auteur de l'une des infractions
suivantes » et son alinéa 9 opère un renvoi interne en
ces termes : « la violation des dispositions en matière de
chasse prévue aux articles 87, 90, 91, 93, 98, 99, 100, 101 et 103
ci-dessus ; ». Il en est de même pour l'article 156 dont
l'alinéa 1er prévoit la peine et l'avant dernier
opère un renvoi aux articles 106, 107 et 108 en matière d'armes
de chasse.
Ces renvois peuvent aussi porter sur des instruments
internationaux relatifs à la protection de la faune sauvage. Ainsi
l'article 113 de la loi congolaise de 2008 tout en prévoyant des
sanctions à son alinéa 1er soumet les conditions
d'importation, exportation, commercialisation ou de transit sur le territoire
national des animaux sauvages ou leurs trophées par rapport aux
conventions internationales sans autres précisions sur les
prévisions ou même la dénomination de cette convention.
Dans ces cas, le juge pénal appelé à connaitre une telle
infraction peut se tromper en faisant appel à une convention de
portée régionale, alors qu'il s'agit d'une convention
sous-régionale ou même mondiale. Le caractère lapidaire des
textes d'incriminations constitue également pour le juge pénal un
véritable dédale dans la mesure où, leur confinement en
deux ou trois articles rédigés de façon très
laconique entraine une superposition d'infractions. Cette situation conduit
souvent à des concours de qualification, le même fait pouvant
donner lieu à plusieurs incriminations et suscitant donc plusieurs
qualifications pénales parfois erronées. A titre d'exemple, on
peut citer les articles 112 et 113 de la loi faunique au Congo.
Il résulte de tout ce qui précède, qu'au
Congo comme au Cameroun, les faiblesses et les insuffisances constituent un
obstacle à l'application effective des lois fauniques. Elles tiennent du
fait de l'éparpillement des incriminations à travers plusieurs
textes. Mais aussi du fait du caractère laconique de celles-ci. Mais,
ces faiblesses résultent aussi du fait de l'illisibilité des
incriminations. Ainsi que de certains aspects procéduraux
consacrés par ces lois. Ces difficultés d'appréhension
relevant de la nature technique et scientifique du domaine de la faune,
obligent souvent le juge répressif à procéder à une
interprétation qui peut être soit authentique ou
législative, soit judiciaire ou doctrinale.
Page | 62
Lorsque cette interprétation est dite authentique ou
législative, elle peut être incorporée dans le même
texte spécial ou dans un autre texte de renvoi. Tel est le cas de
l'article 5 de la loi de 2008 sur la faune et les aires protégées
qui fournie les définitions d'une multitude d'expressions techniques
relevant du domaine de la faune. A défaut d'une interprétation
authentique, les juges répressifs font parfois appel à la
doctrine ou même à la jurisprudence pour les éclairer dans
l'interprétation de la loi dans un sens comme dans l'autre.
Il est donc nécessaire d'examiner dans une seconde
rubrique, le caractère illisible des incriminations et de certains
aspects procéduraux tels qu'envisagé par les législateurs
de ces deux pays. Dans un souci d'analyse approfondie, nous aborderons aussi
les contrariétés entre les dispositifs répressifs
spécifiquement consacrés au domaine faunique et les règles
générales prévues dans les textes répressifs
classiques (Code pénal et de procédure pénale).
B)-Un corpus juridique comportant des
règles procédurales et des incriminations illisibles entrainant
des graves contrariétés avec les textes répressifs
généraux.
Les critiques formulées à l'encontre des textes
répressifs consacrés dans les lois en matière faunique au
Congo et au Cameroun tiennent également du caractère illisible
des incriminations et de certains aspects procéduraux contenus dans ces
textes de lois (1). Ce qui ne facilite pas la tâche du
juge dans la caractérisation des infractions. Mais, on relève
aussi des graves contrariétés entre les règles
répressives spéciales et celles qui relèvent du droit
pénal classique (2).
1-L'illisibilité des règles
procédurales et des incriminations fauniques.
Devant les juridictions répressives, le contentieux
faunique est appréhendé comme un contentieux spécial
nécessitant, pour le juge pénal, le recours à un droit
pénal spécial avec des règles, des infractions et parfois
même une procédure spécifique. Or, le droit pénal
protégeant la faune sauvage est une partie du droit de l'environnement
dont la conception des règles et des principes font appel à des
spécialistes du domaine de la faune (ingénieurs des eaux et
forêts, biologistes, naturalistes...). C'est donc un droit pénal
« profondément marqué par sa dépendance
étroite avec les sciences et la technologie. Sa compréhension
exige un minimum de connaissance scientifiques et toute réflexion
critique à son propos impose une approche pluridisciplinaire
»88. Ainsi donc, la plupart des infractions fauniques sont
difficiles dans la caractérisation. En effet, comment un juge
pénal peut-il dégager l'élément intentionnel ou
même matériel dans une infraction comme le fait d'abattre une
femelle suitée, un oiseau ou un reptile en nidation89 ?
Olivier LECUCQ a estimé que : « Les ambiguïtés, les
incertitudes, l'élasticité du droit de l'environnement augmente
le pouvoir d'appréciation du juge »90.
88 LASSERRE CAPDEVILLE (J), op.cit, page.38
89 Voir article 113 alinéas 2 de la loi
n°37-2008 du 28 novembre 2008 sur la faune et les aires
protégées.
90 LECUCQ (O), Le rôle du juge dans le
développement du droit de l'environnement, 1ère
édition, Bruxelles, BRUYLANT 2008, page.18.
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Ainsi donc, l'illisibilité des incriminations en
matière faunique, tient du fait que les textes sectoriels sont souvent
rédigés par des techniciens relevant des eaux et forêts. Le
plus souvent les infractions qui y sont prévues, ne sont pas
rédigées en des termes clairs, encore moins selon le style
classique du code pénal. Or, le juge pénal qui applique ces
infractions est soumis au principe de l'interprétation stricte de la loi
pénale, même si celle-ci est portée sur un domaine
spécial. Aussi, lorsque les infractions prévues dans une loi, qui
lui sert de base légale ne sont pas claires, le juge pénal court
le risque de réprimer des faits qui ne relèvent pas formellement
de la loi faunique. Mais de sanctionner sur la base d'une interprétation
erronée qu'il ferait du texte, au motif que celui-ci est difficilement
compréhensible. La conséquence immédiate de la
complexité des incriminations prévues par les lois fauniques au
Congo et au Cameroun est la mise en place des procédures
dérogeant, parfois, à la procédure classique
adaptée aux infractions de droit commun.
Il en sera ainsi, pour la constatation de ces infractions et
pour la recherche des preuves concourant à faire assoir l'accusation ou
l'imputabilité des faits au prévenu. C'est dans ce sens que le
législateur a institué des Agents relevant du Ministère en
charge de la faune dotés des compétences spéciales pour
procéder à tous les actes d'enquêtes en cas d'infractions
fauniques. Pour s'en convaincre, l'article 141 alinéa1 de la loi
n°94/01 du 20 janvier 1994 sur le régime des forêts, de la
faune et de la pêche dispose que : « Sans préjudice des
prérogatives reconnues au Ministère public et aux officiers de
police judiciaire à compétence générale, les agents
assermentés des administrations chargées (...) de la faune, dans
l'intérêt de l'Etat, des communes, des communautés ou des
particuliers sont chargés de la recherche, de la constatation et des
poursuites en répression des infractions commises en matière
(...) de la faune » et l'article 142 alinéa 3 confère
à ses agents des prérogatives très larges dans la
poursuite des enquêtes en matière faunique.
A coté du caractère illisible des aspects
procéduraux et des incriminations prévus par les lois fauniques.
On peut aussi citer comme obstacles à leur application effective, les
contrariétés qui existent entre ces textes sectoriels et les
codes classiques.
2-Les exemples de contrariétés entre
les règles répressives sectorielles et les codes
répressifs généraux.
Le procès pénal est régi par un ensemble
de principes qui garantissent sa bonne tenue. Au nombre de ces principes : il y
a l'égalité de tous les citoyens devant la justice d'où
est tiré la maxime « nul n'est au dessus de la loi ».
De même, les magistrats du siège et du parquet son régis
par un principe d'impartialité. Or, aux termes de l'article 147
alinéa 3 : l'administration en charge de la faune a compétence
pour : « déposer leurs mémoires et conclusions et faire
toutes observations qu'elles estiment utiles à la sauvegarde de leurs
intérêts ; leurs représentants siègent à la
suite du Procureur de la république, en uniforme et découverts,
la parole ne peut leur être refusée ». Cette
prérogative reconnue aux agents de l'administration de la faune
était également prévue dans la loi congolaise du 21 avril
1983. Cette prérogative pose cependant des contrariétés
avec les règles du procès pénal classique.
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En effet, la partie civile a les mêmes droits que le
prévenu, elle ne peut en aucun cas être juge et partie.
En siégeant aux cotés du Ministère Publique, alors qu'elle
est partie civile, l'administration apparaît à la fois comme
l'organe accusateur et partie civile. Un autre aspect de la procédure
suscite des contrariétés avec les règles classiques, en ce
sens, l'article 103 de la loi sur la faune et les aires protégées
au Congo dispose que : « Si dans une instance pénale
consécutive à une infraction en matière de faune ou de
chasse, le prévenu excipe d'un droit réel, le tribunal sursoit
à statuer sur cette affaire jusqu'à ce que le juge
compétent se prononce sur l'exception préjudicielle. Celle-ci ne
peut être admise que si elle est fondée sur des moyens de droit et
de fait de nature à ôter au fait incriminé son
caractère délictueux ». Cette disposition pose un
bémol à la prévision de l'article 322 du Code de
procédure pénale : « Le tribunal saisi de l'action
publique est compétent pour statuer sur toutes exceptions
proposées par le prévenu pour sa défense, à moins
que la loi n'en dispose autrement, ou que le prévenu n'excipe d'un droit
réel immobilier ».
Cependant, l'article 103 de la loi faunique doit être
confronté aux conditions prévues à l'article 324 du Code
de procédure pénale sur la recevabilité de l'exception
préjudicielle.
1ère condition : l'exception
préjudicielle n'est recevable que si elle est de nature à retirer
au fait qui sert de base à la poursuite le caractère d'une
infraction. Or l'article 103 sus évoqué, parle des moyens de
droit et de fait de nature à ôter au fait incriminé son
caractère délictueux. Il convient donc de se poser la question
suivante : Quels sont les moyens de droit et de fait qui peuvent constituer une
exception préjudicielle et par conséquent susceptibles
d'ôter au fait incriminé (commission d'une atteinte à la
faune ou omission à une règlementation faunique) son
caractère délictueux ?
2ème condition : l'exception
préjudicielle n'est recevable que si elle s'appuie sur des faits ou sur
des titres donnant un fondement à la prétention du
prévenu.
Quels sont les faits ou titres que peut invoquer le
prévenu au fondement de sa prétention pour le caractère
délictueux attaché au fait à lui reproché soit
ôté ?
3ème condition : Si l'exception
est admissible, le tribunal impartit un délai dans lequel le
prévenu doit saisir la juridiction compétente. Quelle est la
juridiction compétente devant laquelle doit se tourner le prévenu
?
Mais lorsqu'il s'agit d'un acte administratif, le juge
pénal ne peut sursoir à statuer car en vertu de l'article 64 de
la loi n°19-99 du 15 août 1999 modifiant et complétant
certaines dispositions de la loi n°022-92 du 20 août 1992 portant
organisation du pouvoir judiciaire, pose le principe d'une plénitude de
juridiction du juge répressif en vertu duquel, celui-ci a
compétence pour interpréter et apprécier la
régularité d'un acte administratif91.
91 L'article 64 de la loi n° n°19-99 du
15 août 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la
loi n°022-92 du 20 août 1992 portant organisation du pouvoir
judiciaire au Congo dispose
que : « En matière pénale, le Tribunal
de Grande Instance connait des infractions punies des peines correctionnelles
et des contraventions qui leur sont connexes. Il a, au cours des instances
dont-il est saisi plénitude de juridiction et peut interpréter
les décisions des diverses autorités administratives et en
apprécier la régularité juridique, à la demande de
l'une des parties »
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Aussi, si l'exception préjudicielle est fondée
sur la régularité d'un permis de chasse, qui par essence est un
acte administratif, l'exception n'est pas fondée dans la mesure
où, le juge répressif à compétence pour
apprécier la régularité d'un permis ou d'une licence de
chasse ayant servi dans l'abattage d'une espèce sauvage.
Au regard de tout ce qui précède, il convient de
retenir que plusieurs obstacles concourent à l'ineffectivité dans
l'application des régimes répressifs mis en place au plan interne
par les Etats. Mais notre étude n'étant pas exhaustive sur ce
point, il est paru nécessaire de n'examiner que la transaction et
certaines insuffisances et faiblesses. Il résulte de cette examen que
si, au cours de ces dernières le Congo et le Cameroun ont fourni des
efforts considérables dans la protection pénale des
espèces fauniques, la persistance de la criminalité faunique
démontre que le chemin est encore très long, ces textes doivent
être amélioré et surtout leur contenu en terme de
dispositions répressives et procédurales mieux adaptées
aux enjeux de la lutte contre cette forme de délinquance.
A coté des obstacles découlant des textes de
droit interne, il reste à examiner ceux qui découlent des normes
de droit international de l'environnement applicable en matière de la
faune sauvage.
Section2 : Les obstacles découlant de
l'application des normes internationales.
De nombreux auteurs se conviennent pour dire que : «
le développement du droit international de l'environnement -et
en particulier des normes internationales consacrées à la faune
sauvage- s'est effectué d'une manière non coordonné,
se traduisant par des doubles emplois, des incohérences et des lacunes
»92. En effet, la profusion des normes internationales,
surtout en matière de protection de la nature et donc de la faune
sauvage, résulte de la prise de conscience d'une menace imminente de la
disparition des écosystèmes et de l'extinction de certaines
espèces. C'est le souci de préserver « ce bien commun
» qui a conduit les Etats, depuis la fin des années 1970
à intensifier la production des instruments internationaux. On compte
plus de cinq cents traités multilatéraux93qui ont
été adoptés dans divers domaines de l'environnement. Mais,
ce foisonnement conventionnel n'est pas sans conséquence. En effet on
note, surtout dans les pays en développement comme le Congo et le
Cameroun, de nombreuses difficultés quant à la mise en oeuvre de
ces instruments. Les intérêts de préservation de la faune
et de son habitat vont parfois à l'encontre des besoins de
développement socio-économique. A ce titre, les Etats invoquent
souvent le principe de souveraineté permanente sur leurs ressources.
Celui-ci étant reconnu comme valeur coutumière du droit
international général, il peut se révéler comme un
véritable obstacle à l'application des instruments internationaux
en matière environnementale (§2). On note
également des sérieux problèmes de cohérence.
L'hétérogénéité et le caractère
évasif des instruments internationaux peuvent avoir aussi des
conséquences sur leur mise en oeuvre effective
(§1).
92 MALJEAN-DUBOIS (S), La mise en oeuvre de droit
international de l'environnement, Paris, iddri 2003, page.11
93 MALJEAN-DUBOIS (S), idem.
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Paragraphe1 :
L'hétérogénéité et le caractère
évasif des normes de droit international de l'environnement en
matière de la protection de la faune sauvage.
Un « atelier d'expérimentation juridique
»94, c'est l'expression empruntée à L.
CONDORELLI par Alain PELLET, Patrick DAILLIER et Mathias FORTEAU, pour
qualifier le droit international de l'environnement. Ces auteurs ajoutent aussi
que c'est un droit où la soft law ou droit mou foisonne. Mais
ce foisonnement ne résume pas seulement en termes de droit mou
ou de règles non contraignantes. Les textes en eux même sont
protéiformes et cette surabondance entraine une juxtaposition entre les
normes internationales de portée mondiale et celles de portée
régionale ou sous régionale. Ce phénomène n'est pas
sans conséquence sur leur effectivité (A). Il en
est de même pour son manque total de précision s'agissant des
normes répressives en matière faunique (B).
A)-Les conséquences de la profusion des
normes internationales de l'environnement en matière de la protection de
la faune sauvage.
Le buissonnement normatif qui caractérise, la
réglementation internationale en matière de protection de la
faune sauvage n'est pas sans conséquence. En effet, il entraine une
juxtaposition entre les différentes normes de portée mondiale et
celles qui sont conclues dans un cadre régional ou sous-régional
(1). Il s'ensuit que pour le juge répressif national
qui se réfère à ces instruments, il peut exister des
risques de redondance ou même de confusion (2). Ces
conséquences empiètent parfois sur l'effectivité de leurs
applications.
1-La juxtaposition entre les normes de
portée mondiale et celles de portée régionale ou sous
régionale.
Depuis plusieurs décennies, l'outil juridique est plus
sollicité pour la protection des écosystèmes. Face au
caractère transnational des préoccupations portant sur la
préservation et la protection des espèces faunique, le droit
international a été le canal par excellence de l'expression de la
volonté commune des Etats pour endiguer la criminalité faunique.
Or cette vitalité dans la production de la norme internationale se fait
à différent niveau tant sur le plan universel que régional
et sous régional. Il en résulte donc que les instruments peuvent
porter sur les mêmes objectifs, avec les mêmes prescriptions et
parfois la même approche de protection. C'est ainsi que plusieurs
conventions sur la protection des espèces fauniques offrent un model de
classification des espèces par liste ou par annexe. Tel est le cas pour
la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant
à la faune sauvage ou convention de Bonn. Adoptée en 1979, elle
prévoit une protection sous forme d'annexes (Annexe. I (article 3)
sur les espèces migratrices en danger. Annexe 2 (article 4) sur les
espèces migratrices devant faire l'objet d'accord).
94DAILLIER (P), FORTEAU (M) et PELLET (A), Droit
International Public, 8ème édition, Paris,
L.G.D.J 2009, page.1417
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On citera aussi la Convention de Washington de 1973, sur le
commerce international des espèces de faune et de flore sauvage
menacées d'extinction (CITES), qui, elle aussi prévoit une
protection en trois annexes. S'agissant de la protection de l'habitat des
espèces fauniques, plusieurs conventions ont également
institué une protection par inscription sur des listes. Ainsi donc aux
termes de l'article 2 de la Convention concernant la protection du patrimoine
mondial, culturel et naturel du 16 novembre 1972 : « Aux fins de la
présente convention, sont considéré comme : «
Patrimoine naturel » : Les monuments naturels constitués par des
formations physiques et biologiques (...) des zones strictement
délimitées constituant l'habitat d'espèces animales et
végétales menacées, qui ont une valeur universelle
exceptionnelle du point de vu de la science ou de la conservation
».
Il en est de même de la convention relative aux zones
humides d'importance ou convention de Ramsar, qui institut également une
protection des espaces par inscription sur des listes. Il est vrai que
certaines conventions portent sur des aspects bien spécifiés. Il
n'en demeure pas moins vrai qu'il existe une superposition et une juxtaposition
entre elles. Cela rend parfois flou les objectifs de chacun en engendrant une
grande confusion, car un site peut être inscrit sur une liste sans en
être dans une autre. Il arrive aussi qu'une espèce fasse l'objet
d'une protection dans une convention et non dans une autre. Tout dépend
donc des critères de sélection aux fins d'inscription sur une
liste ou une annexe. S'agissant du régime de protection des
espèces sauvages, on note une juxtaposition entre la convention CITES et
la Convention Africaine de Maputo en 2003. En effet, l'article 3 de cette
dernière vise également le commerce des spécimens et de
leurs produits. L'annexe 1 de la Convention de Maputo vise les espèces
menacées et l'annexe 2 les aires de conservation.
Mais cette juxtaposition des instruments internationaux peut
aussi avoir pour conséquence, la redondance et parfois même, la
confusion dans l'application en tant que texte de référence par
le juge.
2-Les risques de redondance et de confusion dans
la référence au droit international par le juge
pénal.
Il faut remarquer que la profusion normative en droit
international de l'environnement et partant dans le domaine de la protection de
la faune sauvage, pose des problèmes de cohérence. On note donc
une relative fragmentation et une sorte de compartimentation entre des normes
visant pourtant le même objectif. Ainsi, on pourrait remarquer qu'il
existe des instruments à chaque niveau notamment sur le plan mondial,
régional et sous-régional. Cette division dans l'espace
relève parfois des conflits d'intérêts et du niveau de
coopération entre les Etats. Il s'ensuit que ces textes
n'échappent pas aux redondances et aux répétitions
multiples. Ces inconvénients se répercutent ainsi, sur
l'effectivité de leur application. Le plus souvent, les Etats parties
à plusieurs conventions ayant la même vocation, mais intervenant
sur diverses sphères géographiques ont tendance à ne tenir
compte que de celles qui coïncident le plus de leurs
intérêts. Surtout lorsque, ces normes n'ont pas un
caractère contraignant et qu'elles disent quasiment la même
chose.
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Ces inconvénients posent également un
problème pour le juge pénal, chargé d'appliquer les lois
internes et qui peut recourir, parfois, à la norme internationale.
Ainsi, lorsqu'il y a concours des normes internationales sur le même
domaine, le juge peut être dubitatif en raison de la confusion. Cet
état peut affecter gravement son interprétation et même
parfois son analyse ou son jugement. Il est donc clair que la profusion des
normes internationales en matière de protection de la faune sauvage n'a
pas pour effet, seulement, l'avantage de pluralité. Mais elle entraine
aussi une confusion, un manque de clarté et même parfois une
réelle difficulté de l'appréciation ou dans
l'application.
En outre, le caractère évasif des normes non
contraignantes peut aussi être constitutif d'ineffectivité dans la
répression des atteintes contre la faune sauvage.
B)-Le caractère évasif des normes
internationales relevant du soft law
Selon le Doyen CARBONNIER et son hypothèse du non-droit
: « L'environnement appartient ainsi encore aux domaines pour lesquels
le non-droit est quantitativement plus important que le droit ». En
effet, le droit international de l'environnement en général et
celui portant sur la protection de la faune sauvage en particulier, est un
domaine où on a noté un foisonnement du droit mou.
Autrement dit, c'est un domaine où les normes internationales ne se
limitent qu'à édicter de simples recommandations, des incitations
et non des obligations encore moins des sanctions. C'est cette abondance de
la soft law qui est considérée comme le symptôme
d'une pathologie qui affecte l'efficacité du régime international
en matière de protection de la faune sauvage. La prolifération du
droit mou ou droit vert place les Etats parties aux accords
multilatéraux dans des sphères de non-droit. Ils sont dans une
situation où le manquement à un engagement n'entraine pas
forcément une sanction. Comment cela, en sera autrement, dans la mesure
où, le texte à la base de cet engagement n'est ni contraignant ni
obligatoire ou assortie de sanctions. Il faut relever que la protection de
l'environnement et plus précisément, celle des espèces,
est souvent tributaire des intérêts multiples des Etats. Dans ce
cadre, l'instrument juridique au niveau international le plus typique ne peut
pas être le droit dur ou hard law. Il ne faut pas
oublié que celui-ci a pour but de restreindre le comportement des
acteurs internationaux ainsi que leurs actions souveraines.
Or, le droit mou ou soft law paraît
plus adapté, il propose des instruments plus adaptables et modulables
selon les intérêts des parties. Cette ascension des normes
internationales à la juridicité plus atténuée
n'est pas sans conséquence sur l'effectivité de leur
application. En effet, la norme à la juridicité
atténuée peut constituer une source d'insécurité
juridique. De par son caractère évasif, elle manque de
précision, de fermeté, de contrainte ou de sanction. Ainsi, on
pourrait affirmer qu' « En droit de l'environnement, le
développement de l'usage du soft law conduit à ce que les
concepts traditionnels du droit en tant que contrainte ou limite, cèdent
la place à une gamme juridique à graduation diversifiée
»95.
95 CHATZISTAVROU (F), L'usage du soft law dans le
système juridique international et ses implications sémantiques
et pratiques sur la notion de la règle de droit, in Portique (Revue
de philosophie et sciences humaines) 2005, page.2
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En doctrine, il y a eu de nombreux débats entre des
auteurs tels que M. VIRALLY, F. ROESSIER et M. BOTHE sur le seuil de
juridicité nécessaire à atteindre pour qu'un
instrument de droit international de l'environnement soit reconnu comme
produisant des effets juridiques. Certains ont estimé qu'il n'existait
pas de catégorie intermédiaire entre les textes ayant une
portée juridique et ceux qui en sont dépourvus. D'autres par
contre affirment qu'il est assez difficile de parvenir à une distinction
nette et rigoureuse entre obligations juridiques et absence d'obligations
juridiques, formuler dans des termes qui permettraient de faire
disparaître toutes les incertitudes le plus souvent
volontaires96.
Paragraphe2 : Le principe de la souveraineté
permanente sur les ressources naturelles comme obstacle à une
application efficace des normes de droit international de
l'environnement.
Le principe de la souveraineté permanente sur les
ressources naturelles peut constituer un véritable obstacle à une
application effective des normes de droit international de l'environnement
consacrées à la protection des espèces fauniques. Il est
définit comme une notion selon laquelle : « L'Etat
décide en dernier instance et en toute indépendance du sort des
ressources naturelles qui se trouvent sur son territoire et des
activités économiques qui s'y exercent »97.
En d'autres termes, le Congo et le Cameroun disposent respectivement des
pouvoirs souverains permanents, exclusifs et inaliénables sur leurs
ressources naturelles et sur les activités économiques qui y sont
attachées. Ce principe est considéré comme un prolongement
de la souveraineté nationale reconnue à chaque Etat. Il trouve
son fondement en droit international à travers la non-ingérence
dans les affaires intérieures d'un Etat et le droit des peuples à
disposer d'eux même (A). De ce principe découle,
pour l'Etat, des pouvoirs de dominium et d'imperium sur les
ressources fauniques (B).
A)-La libre exploitation par les Etats de leurs
ressources naturelles : une extension du principe de souveraineté
consacré par le droit international.
Il a été établit supra que le Congo et le
Cameroun disposent chacun sur leur territoire, des écosystèmes
riches en biodiversité. C'est la menace de leur extinction qui a conduit
ces pays à mettre en oeuvre un régime répressif pour
dissuader les délinquants fauniques. Il est aussi constant que selon
leurs lois fauniques, la gestion des ressources naturelles relève du
domaine des pouvoirs publics. Ainsi, depuis la fin des années 1990,
l'avènement de la démocratie et du multipartisme a
entrainé l'élaboration de nouvelles constitutions qui prenaient
en compte les aspects environnementaux. Aussi, elles consacrent le droit
à un environnement sain, satisfaisant et durable98.
96 Idem
97 SALOMON (J), Dictionnaire de Droit International
Public, Bruxelles, Bruylant 2001, page.1046
98 Voir en ce sens les articles 46 de la
Constitution Congolaise du 15 mars 1992 et Préambule de la Constitution
Camerounaise.
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Bien plus, ces constitutions consacrent également le
principe de la souveraineté permanente de l'Etat sur ses ressources
naturelles et la libre exploitation de celles-ci99. Il s'agit donc
d'un prolongement du principe de la souveraineté nationale qui est
consacré dans les constitutions congolaises et camerounaise
(1). Mais, il trouve aussi un écho favorable en droit
international (2).
1-Une extension du principe de la souveraineté
étatique.
D'abord au Congo, ce principe est apparu pour la
première fois dans la constitution du 15 mars 1992. Sont article 9
disposant que : « L'Etat exerce sa souveraineté entière
et permanente sur toutes ses richesses et ses ressources naturelles, y compris
la possession et le droit de les utilisées et d'en disposer (...)
». La constitution du 20 janvier 2002 a repris cette disposition dans
son préambule en ces termes : « Réaffirmons
solennellement, notre droit permanent de souveraineté inaliénable
sur toutes nos richesses et nos ressources naturelles comme
élément fondamental de notre développement ». De
même, son l'article 38 va plus loin en affirmant que : « Tout
acte, tout accord, toutes conventions, tout arrangement administratif ou tout
autre fait qui a pour conséquence directe de priver la Nation de tout ou
partie de ses propres moyens d'existence tiré de ses ressources ou de
ses richesses naturelles, est considéré comme crime de pillage
imprescriptible et punis par la loi ». Plus récemment ces
dispositions ont été reprises tant par le préambule de la
nouvelle constitution congolaise du 25 octobre 2015 que par son article 44.
Ensuite, au Cameroun, ce principe est consacré par le préambule
de la constitution en ces termes : « Le peuple camerounais (...)
Résolu à exploiter ses richesses naturelles afin d'assurer le
bien être de tous, en relevant le niveau de vie des populations sans
aucune discrimination ».
Il résulte clairement de l'ensemble de ces dispositions
que le Congo et le Cameroun rattachent l'exploitation de leurs ressources
naturelles, dont la faune sauvage, à deux concepts à savoir :
? La souveraineté nationale qui s'assimile
systématiquement à la notion d'indépendance de l'Etat. En
ce sens, Max HUBER affirme dans l'affaire de l'île des Palmes
que : « La souveraineté dans les relations entre Etats
signifie l'indépendance »100.
Ainsi, l'indépendance de l'Etat ne peut être
affectée par les limitations que lui imposent ses engagements dans le
cadre du droit international de l'environnement. Cette opinion a
été évoquée par le juge ANZILOTTI, au titre des
opinions dissidentes dans l'affaire du Régime douanier
Austro-allemand101. La souveraineté est
l'élément essentiel par lequel l'Etat affirme son existence dans
le concert des nations. Et la libre exploitation des ressources naturelles est
une des manifestations de l'affirmation de cette souveraineté
étatique et partant, de son indépendance.
99 Voir l'article 9 de la Constitution Congolaise
du 15 mars 1992, le Préambule de la Constitution du 20 janvier 2002 et
Préambule de la Constitution congolaise du 25 octobre 2015 et
Préambule de la Constitution camerounaise.
100 CPA, 4 avril 1928, RSA, II, p.838
101 Voir opinion dissidente d'Anzilotti dans l'affaire du
Régime douanier Austro-allemand, CPJI, série A/B, n°41,
page.57
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Ainsi, l'Etat qui a une emprise sur les ressources fauniques
comprises sur son territoire doit avoir la latitude de les gérer en
toute indépendance sans aucune influence extérieur.
? Ensuite, aux termes de ces dispositions constitutionnelles,
il apparaît que la libre exploitation des ressources naturelles par
l'Etat sur son territoire est rattachée à la
nécessité d'un développement socio-économique. En
effet, au début des années 1990, l'avènement des
régimes multipartistes et des démocraties capitalistes
étaient accompagnés d'une volonté des pouvoirs publics de
sortir du sous développement. Aussi, les nouvelles constitutions
à l'image de la constitution congolaise du 15 mars 1992, devaient
réaffirmer la libre exploitation, par les Etats, de leurs richesses en
toute indépendance. Il ne pouvait en être autrement puisque
l'essentielle de leurs activités économiques étaient
basée sur l'exploitation forestière. Elle portait donc, par
nature, sur la destruction de l'habitat des espèces fauniques, ce qui
allait à l'encontre des impératives de protection de
l'environnement.
En réalité, la souveraineté permanente
sur les ressources naturelles est un principe classique de droit international
consacré par les Nations Unies. Pour George FISHER : « La
souveraineté permanente des peuples sur leurs richesses et ressources
naturelles est considérée comme un corolaire du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes »102. Il convient donc
d'examiner les fondements juridiques de ce principe en droit international.
2-Un principe fondé sur la
non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat et sur le
droit des peuples à disposer d'eux même.
L'article premier des deux projets relatifs aux Droits de
l'Homme est ainsi libellé : « Le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes comprend en outre un droit de souveraineté
permanente sur leurs richesses et leurs ressources naturelles. Les droits que
les autres Etats peuvent revendiquer ne pourront en aucun cas justifier qu'un
peuple soit privé de ses propres moyens de substance ». Ainsi
aux termes de la résolution 523 (VI) du 12 février 1952 : «
Les pays insuffisamment développés ont le droit de disposer
librement de leurs richesses naturelles (...) qu'ils doivent utiliser de
manière à se mettre dans une position plus favorable pour faire
progresser d'avantage l'exécution de leurs plans de développement
économique conformément à leurs intérêts
nationaux ». Il en est de même pour la résolution 626
(VII) du 21 décembre 1952 qui prévoit que : «
L'Assemblée Générale, considérant qu'il importe
d'encourager les pays insuffisamment développés à mettre
à profit et à exploiter comme il convient leurs richesses et
leurs ressources naturelles ». Pour l'Assemblée
Générale des Nations Unies aucun pouvoir direct ou indirect ne
doit porter atteinte à l'exercice par l'Etat de sa souveraineté
sur ses ressources naturelles. Or cette approche peut constituer un
sérieux obstacle quant à l'application effective des normes de
droit international de l'environnement. Dans la mesure où, et le plus
souvent, les intérêts économiques des Etats sont aux
antipodes des impératives de protection de l'environnement.
102 FISHER (G), La souveraineté sur les ressources
naturelles, Persée Annuaire français de Droit International,
page.516
Page | 72
Ce principe trouve ses fondements d'abord dans le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes qui découle de la
Charte des Nations Unies. L'article premier paragraphe 2 dispose que : «
développer entre les Nations des relations amicales fondées
sur le principe du respect de l'égalité des droits des peuples et
leurs droit à disposer d'eux-mêmes ». Dans la
jurisprudence internationale, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a
consacré ce principe dans ses avis respectifs de 1971 et 1975 sur la
Namibie et le Sahara Occidental. En réalité, le
principe des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes peut
être subdivisé en deux (2) aspects : politique et
économique. L'aspect politique de ce principe se traduit à
travers le principe de l'autodétermination qui s'analyse par
l'indépendance d'un peuple à choisir librement son système
politique, social et culturel. C'est dans son aspect économique que le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes se traduit par la
souveraineté permanente sur les ressources naturelles et donc à
l'indépendance économique des peuples. Ce principe qui a
longtemps été considéré comme un lex imperfecta
a cependant joué un rôle sans précédent dans le
processus de la décolonisation des pays africains. Certains auteurs ont
estimé que ce principe constituait une norme impérative de droit
international public et d'autres comme une norme anticolonialiste. Il
constituera un fer de lance pour les pays du tiers monde dans la lutte des
indépendances au début des années 1960.
Ensuite, la libre exploitation des ressources naturelles est
fondée sur le principe de non ingérence dans les affaires
intérieures d'un Etat qui est également un principe de droit
international public. Ce dernier se traduit par le fait qu'un Etat ne peut
intervenir dans les compétences qui sont exclusivement reconnues
à un autre Etat, telle que la compétence territoriale. En effet,
l'Etat est la seule entité juridique à exercer son pouvoir
souverain sur l'étendue de son territoire. C'est de là que
découle les droits de possession de l'Etat sur ses ressources
naturelles. Il résulte donc qu'au-delà de la consécration
de ce principe dans les constitutions congolaise et camerounaise, la
souveraineté permanente de l'Etat sur ses ressources naturelles est
intégrée dans le droit international. Dans la pratique, ce
principe confère à tout Etat des pouvoirs de dominium et
d'imperium sur ses ressources naturelles et donc sur la faune sauvage
se trouvant sur son territoire.
B)-Les droits de l'Etat issus du principe de la
souveraineté sur les ressources naturelles : Les pouvoirs de dominium et
d'imperium.
La souveraineté permanente de l'Etat sur ses ressources
naturelles lui confère les pouvoirs de dominium (1)
et d'imprium (2) sur ses ressources
fauniques.
1-Un pouvoir de dominium sur la faune sauvage
existant sur son territoire.
La souveraineté permanente sur les ressources
naturelles est un principe qui confère à l'Etat des pouvoirs de
dominium sur les richesses et les ressources se trouvant sur son
territoire, notamment sur la faune sauvage. Autrement dit, l'Etat dispose sur
ses ressources naturelles un droit réel similaire à celui que
possède un propriétaire sur ses biens avec les mêmes
attributs. Tel est le cas du droit de disposer de ses ressources, de les
contrôler et de règlementer leur exploitation. Ainsi, l'Etat
dispose d'un droit domanial sur le sol, sous-sol ou sur ses ressources
renouvelables et non renouvelables.
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L'Etat aura donc en vertu de son dominium, le droit
d'utiliser, d'exploiter, de nationaliser et même d'exproprier, autant de
droits que lui confèrent l'usus et le fructus.
A coté du dominium, l'Etat dispose aussi
l'imperium sur ses ressources naturelles. 2-Un pouvoir d'imperium
sur la faune sauvage existant sur son territoire.
L'impurium est le corollaire du dominium, il
constitue le pouvoir de commandement. C'est le pouvoir exercé par l'Etat
sur les personnes et les choses se trouvant sur son territoire. Ce pouvoir lui
permet donc de concevoir les règles qui régissent la faune
sauvage se trouvant sur son territoire. Il peut ainsi définir les
règles concourant à la répression des ressources
naturelles se trouvant sur son territoire. Les lois fauniques entrent donc dans
ce cadre.
Au terme de cette première partie, il convient de
retenir que le commerce illicite d'espèces sauvages, le braconnage et
partant les autres infractions y afférentes, se sont transformés
en une véritable industrie criminelle. Ces infractions mettent à
mal l'ensemble des écosystèmes dans les pays des Bassins du
Congo. De nombreux rapports ont révélé que le commerce
illicite pèse aujourd'hui près de dix neuf (19) milliards de
dollars US par an. La délinquance faunique apporte de l'eau au moulin de
la criminalité internationale. Mais pourtant, au cours de ces
dernières décennies, les pays d'Afrique dont le Congo et le
Cameroun n'ont pas cessez de mettre en place un cadre légal
consacré à la répression de cette forme de crime. Cette
volonté a été plus manifeste à travers
l'internalisation des instruments juridiques du droit international de
l'environnement. Or, nous avons démontré que ce dispositif
répressif conçu pour apporter une réponse pénale
plus adaptée aux enjeux de la criminalité faunique porte les
gènes de son ineffectivité car de nombreux obstacles concourent
à sa mise en oeuvre.
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Deuxième Partie :
LA MISE EN PLACE D'UNE CHAÎNE PENALE
EN
VU D'UNE REPONSE EFFICACE CONTRE LA
CRIMINALITE FAUNIQUE.
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L'augmentation de la criminalité dans le domaine de la
faune sauvage, la persistance de la destruction des importants
réservoirs de biodiversité que regorge le Bassin du Congo. De
même que l'imminence de la menace d'extinction des centaines
d'espèces de faune aboutissent à une même conclusion :
Après plusieurs décennies, le bilan du processus de mise en
oeuvre des mécanismes de protection pénale de la faune sauvage au
Congo et au Cameroun est mitigé. Il est donc plus qu'évident que
la prolifération et la vitalité dans la production des normes
internes et internationales, n'est pas la condition suffisante pour assurer une
réponse pénale effective et efficace dans la lutte contre la
délinquance faunique et la préservation des
écosystèmes. Il ne s'agit donc pas seulement de s'interroger sur
l'existence d'un cadre normatif consacré à la répression
de la délinquance faunique ou même sur l'effectivité de son
application. A ce niveau, les réponses apportées à travers
nos développements sus évoqués sont claires. En effet, il
existe au Congo et au Cameroun un cadre juridique constitué de
règles de droit interne et de droit international. Il a
été mis en place pour garantir une protection pénale de la
faune sauvage. Par ailleurs, il ne fait l'ombre d'aucun doute que ce cadre
juridique, du moins dans son aspect pénal, est constitué de
normes ineffectives et en proie à de nombreux obstacles qui ne
facilitent guère leur application.
Mais notre approche binaire ne pourra avoir tout son sens qui
si, on s'interroge aussi sur l'action de l'ensemble des acteurs chargés
de veiller à l'application des normes consacrées à la
protection pénale des espèces fauniques. A ce titre, Sandrine
MALJEAN-DUBOIS, en rappelant les mots du doyen VEDEL : « le droit
vécu est le fait du juge » a affirmé que : «
le champ de la protection de l'environnement illustre remarquablement la
montée en puissance des juges » et, poursuivant sa
pensée, elle se pose plusieurs questions entre autre : « Quelle
est la contribution du juge à l'universalisation de la
préoccupation environnementale ? Le juge participe-t-il à la
gouvernance des questions environnementales ? »103. Or la
justice pénale ne saurait se limiter au seul juge pénal. Il faut
donc examiner l'ensemble des acteurs qui concourent à la
répression des atteintes à la faune sauvage et qui forment ainsi,
une chaîne pénale (Chapitre I). Ensuite, les
causes de l'inefficacité de la réponse qu'ils apportent au
phénomène de la délinquance faunique (Chapitre
II).
103 MALJEAN-DUBOIS (S), Juge(s) et développement du
droit de l'environnement, des juges passeurs de frontière pour un droit
cosmopolite ? In : Le rôle du juge dans le développement
du droit de l'environnement, 1ère édition,
Bruxelles, BRUYLANT 2008, page.17
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