IV.1. « CASSEURS », UNE DÉNOMINATION
À GÉOMÉTRIE VARIABLE
« Tout commence en rhétorique, dans le discours
social et dans les idéologies, en donnant des noms aux choses »
(Angenot 2014 : §4). Comme nous venons de le voir, la façon dont
l'objet du discours est présenté est primordiale pour
définir si un discours a une valeur énonciative, « qui dit
des choses sur l'identité et les intentions des interlocuteurs »
(Charaudeau 2007 : 28) ou de croyance qui « témoigne des jugements
sociaux portés sur les êtres et les faits du monde » (op.
cit.). C'est pourquoi le discours politique nous dit quel regard portent
les politiques sur les « casseurs ».
a) Condamnation des « casseurs » dans la
sphère politique
Visiblement, il n'y a pas vraiment des regards mais
bien un regard sur les « casseurs ». Comme nous l'avons
déjà évoqué dans la première partie, il
semblerait que le terme fasse consensus, si l'on se fie au traitement
médiatico-politique uniformisé où aucune voix discordante
ne se fait entendre. L'incendie d'une voiture de police le 18 mai 2016 en marge
de la manifestation contre « la haine anti-flics »81
illustre très bien ce consensus : pas une personnalité politique
n'a eu de mot assez dur pour dénoncer ces « tentatives de meurtres
» (Jean-Pierre Giran, France Bleu, 20 mai), cette «
volonté de se payer un flic » (Manuel Valls, RTL, 19 mai)
perpétrées par « ces milices d'extrême-gauche »
(Marine Lepen, Europe 1, 20 mai) qui seraient « au service de nos
adversaires » (Jean-Luc Mélenchon, Institut BVA, 20
juin).
En effet, c'est la (presque) totalité du spectre de
l'échiquier politique qui condamne
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d'une même voix, mais chacun-e à sa façon,
les « casseurs ». Le seul parti politique qui n'a pas voulu condamner
les violences, c'est le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) par la voix
d'Olivier Besancenot qui a refusé de critiquer les manifestant-e-s
violent-e-s tout en rappelant que lui-même n'est pas un « casseur
», que « le fait de casser des vitrines » n'est pas un «
moyen d'action du NPA » (BFM TV, 4 novembre 2014). Il ne condamne
pas les « casseurs » mais plutôt « cette stratégie
politique, qui fonctionne visiblement très bien puisqu'on ne parle que
de ça, qui est de la responsabilité du pouvoir, qui crée
les conditions de ces débordements et de ces violences, voilà
» (RMC, 02 mai 2016).
b) La sphère médiatique au
diapason
La sphère médiatique rejoint la sphère
politique dans une condamnation sans équivoque puisque les
éditorialistes, présentateurs/présentatrices des journaux
télévisés et journalistes ont produit un flot continu de
condamnations des violences. Il suffit de lire les éditoriaux du 16 juin
2016 au sujet du « saccage » de l'hôpital Necker pour s'en
rendre compte :
La violence antidémocratique ne doit pas faire reculer
la démocratie, dont les principes et les procédures doivent
être maintenus, même dans des circonstances difficiles. Ce serait,
sinon, rendre des points aux activistes que l'on dénonce. (Laurent
Joffrin, Libération) ;
Au lieu de décréter purement et simplement que
l'état d'urgence commande de proscrire toute sorte de manifestations et
de rappeler fermement que la police, durement endeuillée par la barbarie
islamiste, a autre chose à faire que de disperser des voyous
encagoulés et dont la sauvagerie sidère (Paul-Henri du Limbert,
Le Figaro) ;
Il est légitime de manifester (...) c'est même
un droit constitutionnel. Mais ne pas se désolidariser du nihilisme de
certains éléments incontrôlés, c'est affaiblir la
cause que l'on entend défendre (Guillaume Goubert, La Croix)
;
Il n'y a qu'à voir les images pour comprendre à
qui on a affaire: les abrutis qui assaillent nos forces de l'ordre, qui brisent
les vitrines, qui défoncent les murs de Necker sont des lâches...
Ces cinglés sont casqués, armés, se cachent, ne sont pas
reconnaissables. E...] Martinez, Mailly and Co ne sont pas
débordés par leurs troupes. Ils sont dépassés dans
la file de la manif' par des hordes de sauvages qui profitent de tout et
n'importe quoi pour casser, voler, détruire, blesser (Jean-Marc
Chavauché, Courrier picard).
c) Dépolitiser la violence politique
À travers ces condamnations, c'est surtout la
dépolitisation de l'acte violent dans le cadre d'une manifestation
politique qui est ici à l'oeuvre. Nous retrouvons ce processus dans
notre corpus (Hollande 17 mai : 539-542 ; Baylet 3 mai :
155-157 ; Touraine 19
65
mai : 51-56 ; Valls 19 mai : 98-100).
La condamnation et la dépolitisation se font
grâce aux accusations d'intentions : les « casseurs »
viendraient juste pour casser puisque c'est la seule revendication qu'ils
auraient. De même, les « jeunes » qui s'intéressent
à la politique sont encensé-e-s sans imaginer que se sont
potentiellement les mêmes qui cassent. Nous l'avons vu tout au long de
notre étude, les « casseurs » n'ont aucune conscience
politique, ils cassent pour s'amuser et attaquent la police car ils sont
habités par la haine.
La condamnation est unanime et les voix discordantes sont
comme recouvertes par le discours officiel. Cependant, comme le montre les
exemples précédents, le trait condamnatoire des «
casseurs » est la « casse » et il semble que ce soit un des
principaux griefs qui leur sont reprochés. Pourtant, nous allons voir
que ce n'est pas le seul groupe manifestant à utiliser la « casse
» comme moyen d'action.
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