CHAPITRE III : LE CORPS DANS L'ESPACE
Sujets à toutes sortes de brutalités physiques,
les personnages des productions Pixar sont le lieu de l'action autant que le
monde dans lequel ils évoluent. Mais comment se situent-ils dans ce
décor qui les entoure ? La liberté de mouvement qui les
caractérise imprime souvent à l'image la marque de leur passage.
En cela, le plan d'ensemble est un moyen d'inscrire ces corps agités
dans un cadre précis, même s'ils s'échappent parfois du
champ, pour exister en dehors des limites imposées.
III.1/ Laisser sa trace
Bien que subissant les foudres d'un monde cruel, tous ces
corps semblent, à terme, ne pas en garder trace. Ce rapport aux coups,
aux marques, n'est pas réciproque, puisque le monde qui les accueille
est sans cesse transformé par l'action de ces personnages. Cette manie
de marquer le territoire du sceau de son incompétence, de sa maladresse
ou de son inconscience, est un trait fondamental de l'existence du héros
burlesque. Laurel et Hardy, par exemple, sont passés maîtres dans
l'art de la destruction progressive, quant à Monsieur Hulot, il
déclenche un feu d'artifice imprévu (Les Vacances de Monsieur
Hulot, Jacques Tati, 1953), ou laisse involontairement des traces de pas
sur le sol, puis sur le bureau d'une secrétaire (Mon Oncle,
Jacques Tati,1958). Quoiqu'il en soit, le décor sort rarement indemne du
passage d'un personnage burlesque. Et lorsque celui-ci est animé, le
risque de ne pas rendre les choses dans leur état d'origine est encore
plus grand.1
Pendant que les humains attendent patiemment à bord
d'un immense vaisseau spatial (L'Axiom), Wall-e, dont le rôle est de
nettoyer la terre de ses déchets, , tombe amoureux de Eve, un robot en
quête d'une forme de vie. Alors que Eve montre sa puissance en tournant
sur elle-même à une vitesse folle, Wall-e se rapproche un peu trop
et reçoit un coup qui le projette contre la paroi métallique de
son abri. Un peu étourdi, il se laisse tomber, dévoilant
l'empreinte de son corps sur le mur.2 Mais Wall-e ne se limite pas
à
1 Félix le Chat est l'exemple le plus flagrant de la
transformation du monde selon la volonté du héros.
2 Dans Toy Story 2, Buzz l'éclair laisse une
marque identique contre un jeu prévu à cette effet (annexe
23).
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ce genre de maladresse, car à bord de L'Axiom, sa
fonction de compresseur de déchets attire l'attention de M-O, un robot
chargé du nettoyage d'un vaisseau déjà aseptisé.
Dès que Wall-e avance, ses chenilles laissent la preuve de sa
saleté. L'impudence de cet être impur est aussitôt
effacé par le robot obsédé par sa mission. Wall-e, comme
pour vérifier ce qu'on lui reproche, se permet d'avancer
délicatement un pied pour le poser sur le sol, tout juste nettoyé
par M-O. Ce geste, outre l'impertinence qu'il sous-tend, n'est qu'une
manière d'appréhender ce nouveau monde en en testant les limites.
Mais l'importance de cette mission de nettoyage systématique n'est pas
assimilée par Wall-e qui poursuit son chemin, suivi à la trace
par M-O. Ce motif de l'empreinte laissée comme une piste derrière
son auteur est d'ailleurs repris par un robot-peintre
déréglé, un peu plus tard dans le film.
Bob Parr, dans The Incredibles, modifie
également le décor par une force surhumaine qu'il a du mal
à contrôler. Et quand son odieux patron dépasse les bornes,
Bob le saisit par le cou et lui fait traverser plusieurs murs, abolissant les
barrières entre les espaces impersonnels de la compagnie d'assurance
pour laquelle il travaille (annexe 24). Plus tard, en sortant de sa
voiture, ce même personnage manque de tomber à cause d'un
skateboard abandonné près de la portière. En se rattrapant
au toit du véhicule, Bob se crispe et déforme la carrosserie.
Cette tendance à adapter le monde par la destruction, le remodelage, est
commune à Playtime (Jacques Tati, 1967), où il est
« nécessaire de modifier l'espace pour se l'approprier, de le
re-découper à la mesure de l'homme »1
Le décor serait-il insuffisant pour laisser s'exprimer
le personnage burlesque, au point que celui-ci s'emploierait à le
modifier ? Rien n'est moins sûr. Mais ce qui semble ce dégager de
cette fâcheuse tendance à l'altération de l'objet ou de la
surface, c'est le désir de s'affranchir des contraintes physiques
susceptibles d'enfermer le corps dans une routine du mouvement à
laquelle il se refuse.
1 Stéphane GOUDET, Like Home (2004), documentaire
d'analyse de Playtime.
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