III.2/ De l'importance du plan d'ensemble
Avant de traiter du plan d'ensemble, il est nécessaire
de le définir ou, du moins, de tenter d'en cerner les enjeux. Car la
notion d'échelle de plans est toute relative. Dans Wall-e, par
exemple, un plan montre, sur fond noir, un vaisseau spatial se rapprochant de
la Terre. Mais le cadre s'élargit peu à peu, laissant
apparaître le capitaine de l'Axiom, une maquette de son vaisseau dans la
main droite et un globe terrestre dans la main gauche, se projetant un possible
atterrissage. Ce qui ressemblait, au départ, à un plan
général, s'avère être le très gros plan d'un
fantasme du capitaine. Se distinguant du plan général (qui
embrasse tout un paysage), le plan d'ensemble « permet d'inscrire le
corps (reconnaissable) du protagoniste dans un décor donné et de
mettre en valeur les interactions entre l'un et l'autre.
»1 Dans le cas du genre burlesque, le plan d'ensemble est
un outil idéal pour développer toute une panoplie de mouvements,
et pour mettre en exergue le difficile rapport qu'entretient le personnage avec
le monde.
Le plan d'ensemble aèrerait donc l'action, laisserait
respirer le corps, lui laissant tout le champ nécessaire à
l'épanouissement de son expression. Mais c'est aussi un moyen de
révéler l'extrême isolement du personnage. Isolé,
Bob Parr l'est incontestablement lorsqu'il sort la tête de son bureau
ouvert pour observer l'ensemble de la salle, qui n'est pas sans rappeler un des
plans les plus fameux de Playtime (annexe 25). Isolée
également, la maison de Carl Fredricksen dans Up, qui se
retrouve cernée par un immense chantier, et semble vouée à
la destruction. Cette simple exposition permet d'amener l'idée d'une
fuite de ce monde par les airs, comme va le faire Carl. La solitude par le vide
est une constante dans la filmographie du studio, puisque dans Lifted
(Gary Rydstrom, 2006), un extraterrestre gaffeur fait s'écraser une
soucoupe-volante sur une maison. Lorsque la soucoupe décolle, elle
laisse un énorme cratère au milieu duquel subsiste un minuscule
îlot où un jeune homme dort profondément (annexe 26).
Le vide qui entoure le personnage est d'autant plus inquiétant que
celui-ci l'ignore. L'enjeu du plan d'ensemble est, ici, de rendre le public
complice de la chute inévitable du personnage dès son
réveil.
Cependant, ces espaces vierges de tout autre personnage ne le
restent jamais très
1 Stéphane GOUDET, Buster Keaton, Editions
Cahiers du Cinéma, collection Grands Cinéastes, Paris, 2008,
p.51.
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longtemps. À l'image de la rue déserte
submergée par une multitude de policiers lancés à la
poursuite du héros (Cops, Buster Keaton, 1922), le vide,
destiné initialement à la pleine expression du corps burlesque,
se retrouve envahi par la foule. Ce genre de plans est très
répandu dans Cars (John Lasseter, 2006), où une jeune
voiture de course, Flash Mc Queen, se retrouve au centre d'un immense circuit
automobile. Le crépitement des appareils photos et les phares des
voiture font alors ressortir l'incroyable foule que peuvent contenir les
tribunes. La solitude par le vide est ici remplacée par une solitude par
la foule, car le héros devient le point de chute de l'attention de tous
les autres personnages. Le thème du corps exposé au regard, et
donc au jugement de l'autre, est aussi présent dans Presto
(Doug Sweetland, 2008). Un magicien, au prise avec son lapin
récalcitrant, doit faire preuve d'une grande maîtrise pour ne pas
gâcher son numéro. Encore une fois, le plan d'ensemble rappelle la
situation du magicien, à ceci près que, l'ajout de la
plongée rend la foule de spectateurs encore plus oppressante (annexe
27). Sur le même principe de mise en scène, Dory et Marin,
deux poissons malchanceux, atterrissent sur le quai d'un port de plaisance, au
beau milieu d'une nuée de mouette. La fixité de tous les
personnages, ajoutée à la multitude du danger, permet de
mélanger subtilement l'angoisse et le rire, tout en résumant la
délicatesses de la situation (Finding Nemo, Andrew Stanton et
Lee Unkrich, 2003) (annexe 28)1.
Cette fonction synthétique du plan d'ensemble est
exploitée dans Toy Story 2, lorsque les jouets se lancent au
secours de Woody. Pour traverser une rue dont le trafic est important, les
personnages se cachent sous des cônes de signalisation et provoquent une
série d'accidents sans s'en apercevoir. Les héros se
félicitent de la réussite de l'opération
lors d'un dernier plan montrant une rue totalement
embouteillée par un carambolage. Le plan d'ensemble s'avère donc
un outil narratif relativement important, d'autant qu'il permet
d'évaluer le rapport qu'entretient le corps burlesque avec les
situations les plus délicates. Dory et Marin s'immobilisent car ils ont
conscience du danger qui les entoure, tandis que les jouets poursuivent leur
chemin, pensant, à tort, avoir bien négocié une
étape inquiétante de leur périple. Et qu'importe si le
plan d'ensemble ne met pas le corps à l'abri de la foule et du danger
(bien au contraire), ces personnages ont une botte secrète : le
hors-champ.
1 Ce plan est d'ailleurs un hommage appuyé au film
d'Alfred Hitchcock, The Birds (1963).
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