III.3/ Renverser la vapeur
En tant que héros burlesque, le personnage Pixar est
avant tout un être qui refuse le fonctionnement du monde. Se jouant des
règles et des limites à sa fantaisie, il poursuit son chemin en
évitant, autant que faire se peut, de tomber dans le piège du
conformisme. Car c'est bien là que réside la force du genre
burlesque, dans ce décalage entre ce qui doit se passer et ce qui se
passe. Et le héros est là pour garantir, par sa maladresse, son
optimisme, son inconscience ou son obstination, cet écart qui est la
source du comique. Le slapstick est donc bien un genre « qui
rappelle la folie et le rêve, la transgression de toutes les limites et
bien sûr le potentiel subversif d'un cinéma qui s'en prend
à toutes les formes de pouvoir et décourage toutes les
vanités ».1 Dans la filmographie Pixar, trois
héros symbolisent cette transgression des règles. Il y a d'abord
Bob Parr et sa difficile relation avec une société trop
étroite pour lui, vient ensuite Wall-e qui fait rejaillir la folie au
coeur de l'humanité, et enfin, Flik qui parvient à renverser
l'organisation de sa colonie grâce à une nouvelle vision des
choses.
III.3.1/ Bob Parr ou l'étroitesse du monde
Dans The Incredibles, Dash, le fils, se plaint
auprès de sa mère de ne pas avoir le droit d'utiliser son
pouvoir. Sa mère argumente en disant que « Tout le monde est
exceptionnel », mais Dash lui répond : « Autrement
dit personne ne l'est. » La frustration de l'enfant traduit ici le
problème de bon nombre de super-héros qui ne comprennent pas que
la société refuse leurs pouvoirs. Car ces pouvoirs sont une part
de leur identité, et les cacher revient à ne pas
s'épanouir pleinement.
C'est le cas de Bob Parr. Cet ancien super-héros
indestructible, autrefois adulé par ses concitoyens est désormais
cantonné à un service d'assurance des plus ennuyeux, dans un
bureau trop petit pour lui. Le monde dans lequel il est censé
évolué est trop étroit pour sa taille, pour ses envies,
pour ses pouvoirs. Condamné à vivre comme tout le monde, il doit
contenir sa force surhumaine, tout en acceptant d'être humilié par
un patron cynique et
1 Emmanuel DREUX, Le cinéma burlesque ou la subversion
par le geste, L'Harmattan, 2007, p.42.
66
minuscule. La frustration est donc double. Et quand ce patron
dépasse les bornes, Mr. Incredible prend le dessus sur Bob Parr
(annexe 58). Après l'avoir envoyé à
l'hôpital, il est renvoyé de son travail et rejoint sa maison sans
rien dire, pour ne pas décevoir sa femme qui, elle, aspire à une
vie de famille des plus normales.
Sur le chemin du retour, Bob est bien évidemment pris
dans les embouteillages, engoncé dans une voiture trop petit pour lui,
il est encore une fois contraint de subir l'inefficacité de la
société, tout comme les personnages de Trafic (annexe
59). La voiture de Bob est un élément
révélateur de sa frustration. Contrastant avec son ancien
véhicule de super-héros, elle est tout ce qu'il y a de plus
banale. Il faut ajouter à cela que dans cette scène où Bob
descend de sa voiture et déforme la carrosserie pour éviter de
tomber, l'auto se moque un peu plus de lui. Car lorsque Bob veut fermer la
portière, elle ne fonctionne pas. Excédé, il la claque de
toutes ses forces et le choc brise la vitre. Bob s'empare alors de la voiture
et s'apprête à la jeter, mais en se retournant, il
s'aperçoit qu'un enfant l'observe ébahi, et repose doucement son
véhicule.
Dans la cellule familiale, la situation est la même. Et
au cours du fameux dîner des Parr, Bob, perdu dans ses pensées,
découpe la table sans s'en rendre compte, après avoir
coupé la viande de son fils. Ce plan résume tout le
problème du héros pris dans l'étau du système,
condamné à contenir sa force toute sa vie pour ne pas
gâcher celle de sa famille.
Cette pression sociale et familiale, Bob s'en évade en
acceptant une mission qui le replonge dans ses souvenirs. Une fois encore,
l'étroitesse du monde le ramène à la réalité
quand il essaie d'enfiler son costume d'autrefois, car les années ont
passée et sa silhouette n'est plus la même. Après un
passage chez sa costumière, il devient à nouveau Mr. Incredible.
Mais, au-delà de son costume, les passages par lesquels il doit
accéder à sa mission s'avèrent, eux-aussi, trop
étroits pour son gabarit (annexe 60).
Au final, si ces plans relèvent souvent du langage
comique, ils sont surtout une métaphore de la situation psychologique
d'un personnage qui ne s'épanouit pas dans cette société
inadaptée à ses pouvoirs, et qui risque à tout moment
d'exploser.
67
|