III.3.2/ Wall-e ou la revanche de la folie
Quand Wall-e arrive sur l'Axiom, il découvre une
société humaine totalement couvée par les robots (le
vaisseau compte 500 000 robots pour 5 000 humains)1. Rapidement, il
est dépassé par le trafic des passagers, véritables
limaces qui passent leur temps allongés sur des fauteuils en
lévitation. Comme tout personnage burlesque qui se respecte, il provoque
un accident en se mettant en travers de la route d'un de ces passagers, John
(annexe 61). Devant tant d'automatismes, Wall-e, habitués
à sa solitude et à sa liberté de mouvement, est vite
repéré par les robots comme un éléments
perturbateurs, et se retrouve enfermé dans une cellule de verre, en vue
d'être réparé. Mais après avoir brisé la
vitre qui le retenait, Wall-e déverrouille par erreur les autres
cellules. Porté en triomphe par une bande de robots défectueux,
il devient l'ennemi public numéro un sur le vaisseau.
Si le petit robot a été conçu en pensant
à Buster Keaton pour l'expression corporelle, c'est véritablement
sur le vaisseau qu'un parallèle peut être fait avec ce
génie burlesque. Car, Wall-e suit la même trajectoire que Keaton
dans Go West. En effet, quand Keaton arrive dans la ville, il se fait
littéralement piétiné par les passants, victime, comme
Wall-e, de l'indifférence des automatismes. Après s'être
entiché d'une vache, Keaton décide de la suivre sur le chemin de
l'abattoir pour la libérer. Dans son élan, il libère tout
un troupeau qui commence à le suivre à travers la ville, donnant
au héros la possibilité d'une revanche sur ceux qui le
piétinaient. Or, si Wall-e libère les robots mis au rebut, c'est
avant tout parce qu'il tente de libérer Eve, dont il est amoureux. Et
à partir du moment où Wall-e devient leur héros, il est
suivi fidèlement par toute la troupe, prenant, lui aussi une revanche
involontaire sur un système qui le balayait.
L'influence de Keaton a donc été décisive
sur le personnage, mais aussi sur le schéma narratif. Car Andrew
Stanton, le réalisateur, a déclaré qu'il projetait un film
de Keaton à chaque pause déjeuner de son
équipe2. Le scénario de Go West a semble-t-il
nettement influencé le développement de l'histoire.
1 COLLECTIF, Pixarpedia, a complete guide to the world of
Pixar... and beyond I, DK Publishing, p.277.
2 Tim HAUSER, The Art of Wall-e, Chronicle Books,
p.9.
68
Mais Wall-e n'est pas que l'héritier de Keaton. Bien
qu'il soit lui aussi la cible d'une foule de policiers (en l'occurrence, des
robots-policiers) (annexe 62), il est surtout la source de
l'instillation de la folie dans un lieu où tout est rationnel et
pré-réglé. Dans Playtime, Monsieur Hulot brise la
porte vitrée du Royal Garden, laissant ainsi la liberté de
circuler aux individus qui ne pouvaient pas entrer dans ce lieu bourgeois et
fermé. À partir de ce moment, la folie gagne le restaurant et le
rend définitivement plus vivant.
Wall-e se trouve donc à mi-chemin entre Buster Keaton
et Monsieur Hulot, comme eux, il n'est d'ailleurs pas maître de ses
déplacements, et provoque involontairement le déferlement d'une
folie salvatrice dans un monde organisé et froid. C'est d'ailleurs lui
qui redonne naissance à l'humanité en lui faisant prendre
conscience de l'absurdité de sa condition. La révolte des humains
contre l'ordre des machines commencent avec John et Mary qui, après
avoir rencontré Wall-e, détachent leurs yeux des écrans
pour découvrir une gigantesque piscine. Ils vont alors batifoler
près de l'eau, quand un robot leur rappelle qu'il est interdit
d'éclabousser. John, dans un élan de liberté,
répond à cette interdiction en lançant de l'eau au robot,
immédiatement mis hors-service. Ce simple geste résume à
lui seul le basculement de la servitude à l'indépendance. Car
c'est bien de cela qu'il s'agit quand le capitaine du vaisseau comprend que le
système dans lequel ils sont enfermés n'est dû qu'à
la paresse servile de l'homme. Il reprend d'ailleurs les commandes en se
mettant debout, un exploit qui fait des émules parmi les passagers du
vaisseau. Paradoxalement, c'est un robot qui redonne ce nouveau souffle
à l'humanité, qui finit par retourner sur sa planète pour
se remettre à cultiver.
|