CHAPITRE III : CONTRE L'ORDRE ÉTABLI
Si une certaine rivalité existe bel et bien entre les
différents héros de ces films, rien ne peut remettre en cause la
solidité de ces tandems. La célébrité de Sully,
véritable star à Monstroplis (Monsters Inc.),
n'entraîne pas pour autant la jalousie de Mike. Et quand les deux amis
regardent en direct la publicité dans laquelle ils ont tourné,
Mike ne s'offusque même pas d'être caché par le logo de leur
entreprise (annexe 54), tout comme sa jubilation fait oublier le fait
qu'il est dissimulé sous un code-barre à la une d'un magazine
(annexe 55). Mais le comportement de ce personnage n'est-il pas
typique du héros burlesque qui n'admet pas la logique du monde et qui
préfère se construire sa propre réalité ? C'est
d'abord une façon d'aller contre l'ordre établi,
c'est-à-dire de recréer les conditions d'une vraie liberté
d'esprit. Cela passe avant tout par un aveuglement complet des protagonistes au
profit de leur objectif, c'est notamment le cas dans la séquence de la
miraculeuse traversée de la rue dans Toy Story 2. De plus, ce
déni du monde est un moyen de réinterpréter le réel
pour ouvrir de nouvelles portes aux personnages. Ceci, afin de pouvoir adapter
la société au héros, et non le contraire.
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III.1/ La traversée miraculeuse ou l'aveuglement
salutaire
Dans Toy Story 2, quand les amis de Woody
décident de retrouver leur leader, un obstacle de taille se
présente à eux, une rue dont le trafic est plutôt dense. La
projection d'une canette de soda écrasée par une voiture juste
devant les protagonistes, en démotive plus d'un. Mais la
détermination de Buzz a raison de leurs craintes. C'est ainsi qu'ils se
cachent sous des cônes de signalisation pour traverser en toute
discrétion. Mais dès qu'une voiture se dirige vers eux, les
personnages se figent, provoquant un dérapage du véhicule qui
fonce sur une herse et crève ses pneus. Les jouets reprennent leur
chemin tandis que d'autres voitures viennent percuter la première. C'est
ensuite un camion qui se met en travers de la route pour éviter ces
cônes de signalisation mobiles, après être passé
juste au-dessus d'eux. Les jouets, sans avoir conscience de la situation
suivent Buzz, mais Mr. Patate, qui a marché sur un chewing-gum, doit
rebrousser chemin pour récupérer son pied. Il évite de
justesse l'énorme rouleau tombé du camion qui risquait de
l'écraser. Tandis que tous se félicitent de leur réussite
sur le bord de la route, un lampadaire, percuté par le rouleau, vient
parachever le tableau en se couchant sur la chaussée (annexe
56). Cette séquence, dans ses moindres détails,
démontre l'extrême efficacité du hasard dans le domaine
comique. Car le hasard, quand il ne se range pas du côté du monde,
est le meilleur allié du personnage burlesque, « il se
manifeste de préférence comme un ange gardien »1.
En effet, une des images les plus marquantes du cinéma reste celle
de la façade tombant sur Buster Keaton sans le blesser, dans Steamboat
Bill Jr. (1928). Ce dernier, debout, sans bouger, n'a pas vu le danger venir et
c'est justement son ignorance qui l'a sauvé. En restant à sa
place, il passe comme par magie par le trou d'une fenêtre. Le hasard est
donc un élément déterminant dans l'agencement des
mouvements du monde et des personnages qui le peuplent. Les jouets, sains et
saufs, ne le seraient peut-être pas s'ils avaient eu conscience du
danger. Il s'agit pour eux de faire abstraction du monde pour mieux lui
échapper. Cet aveuglement salutaire transforme ce moment de bravoure en
un véritable miracle de synchronisation, car le hasard, lorsqu'il joue
sa partition, respecte un rythme bien précis et marque des pauses juste
au bon moment. L'inconscience et le hasard font donc bon ménage dans le
genre burlesque, d'autant plus que dans le cas d'un film d'animation, le hasard
ne peut pas se tromper. Finalement, ceux qui subissent les
1 Petr KRÀL, Le burlesque ou la morale de la tarte
à la crème, Ramsay, 2007, p.84.
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conséquences de cette traversée sont les
automobilistes qui, malgré l'absurdité des indications
données par les cônes de signalisations, se plient aux
règles, tout comme les personnages des films de Tati sont soumis aux
panneaux indicateurs qui « se révèlent ordonnateurs, au
point qu'il semble quasiment impossible d'échapper à leur
prescription »1.
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