II.2.2/ La multitude du même
La réaction de Woody face aux produits
dérivés à son effigie lui fait prendre conscience de son
statut d'objet rare. La réaction du collectionneur à sa vue ne
laisse aucun doute sur la valeur de la figurine. En cela, Woody se distingue de
Buzz qui, dans le premier volet, comprend qu'il n'est qu'un jouet reproduit par
milliers en voyant la publicité de Buzz l'éclair à la
télévision (annexe 51). Le long couloir de jouets
visible à l'écran réapparaît dans Toy Story 2
(annexe 52). Cette fois, Buzz doit non seulement faire face à la
réalité, mais il affronte un deuxième Buzz l'éclair
qui le prend pour un imposteur. Une fois encore, le héros prouvera son
identité par son unicité en montrant à ses amis le nom
d'Andy inscrit sous son pied. Dans le troisième volet, le même
personnage se transforme en romantique espagnol suite à une
réinitialisation qui a mal tournée. De tous les héros du
studio Pixar, Buzz est celui qui est confronté au plus grand nombre de
déclinaisons de sa personne. Finalement, c'est en prenant conscience
qu'il n'est pas un super-héros mais un jouet parmi d'autres, qu'il
parvient à faire le chemin inverse, du banal à l'unique,
construisant ainsi sa propre identité. À travers le cas de Buzz,
les créateurs de tous ces personnages se jouent de leur héros et
démontrent également qu'il ne suffit pas d'imiter pour
égaler, n'en déplaise à leurs concurrents.
La multitude du même est d'ailleurs un des axes majeurs
de The Playhouse (Buster Keaton, 1921), où
l'acteur-réalisateur s'amuse avec son image en incarnant tous les
personnages d'une représentation d'opéra, du public aux chanteurs
en passant par l'orchestre. Bien sûr, il s'agit d'un rêve, mais la
persistance d'une foule uniforme contamine plusieurs films de Keaton. Dans
Cops, c'est un troupeau de policiers, dans Seven Chances
(1925), ce sont des hordes de jeunes prétendantes toutes de blanc
vêtues, et enfin, dans Go West (1925), des centaines de vaches.
La foule (pour)suit le héros, comme pour mieux faire ressortir son
individualité. Dans Finding Nemo, Marin doit faire face
à un gigantesque banc de méduses. Le contraste entre la petite
taille du poisson et cette masse uniforme, renvoie le héros à sa
solitude, au fait qu'il n'est intégré à aucun groupe et
qu'il va devoir lutter contre ses peurs pour s'affranchir de cette situation
(annexe 53).
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II.2.3/ Duos comiques
Pour mieux saisir le personnage dans toute son
individualité, il faut aussi s'intéresser à son partenaire
à l'écran. Car les personnages Pixar, bien que souvent
isolés, ne sont jamais totalement seuls. De véritables duos
comiques se mettent en place, faisant ressortir le meilleur comme le pire de
chacun, une bonne façon de définir des personnages.
Un des tandem les plus développés chez Pixar
reste celui de Woody et Buzz, de par un champ plus large couvert par leurs
aventures (trois films au total). En effet, ces deux personnages forment le duo
comique par excellence. D'abord parce que leur physique fait ressortir tout ce
qui peut les opposer : Woody est un cowboy, vêtu de cuir et de tissu,
tandis que Buzz est un ranger de l'espace ultra-sophistiqué. La simple
mécanique de Woody se résume en une ficelle que l'on tire pour
faire parler le personnage, alors que Buzz est parcouru de boutons en tous
genres et prétend pouvoir voler. À travers ce duo, ce sont deux
grands mythes de la culture américaine qui se font face, le héros
de la conquête de l'Ouest et celui de la conquête de l'espace. Et
quand le premier se fait l'organisateur de la vie des jouets, le second
s'attache à réparer sa boîte qu'il prend pour un vaisseau,
afin de protéger la galaxie. Car Woody se caractérise par son
sens pratique, alors que Buzz est définitivement dans la lune. C'est
justement leurs différences qui rendent ces deux héros
complémentaires, et chacune des compétences de l'un répond
aux défaillances de l'autre.
Dans Finding Nemo, les différences ne sont pas
purement physiques, mais avant tout psychologiques entre Marin et Dory. Le
premier se caractérise par une prudence maladive, tandis que Dory, elle,
est l'inconscience même. Souffrant d'une absence de mémoire
immédiate, elle n'a aucune idée des risques qu'elle prend. Ce duo
devient comique quand la témérité de Dory entraîne
Marin dans des situations qu'il n'aurait jamais osé imaginer, comme dans
cette séquence surréaliste où les deux poissons se
retrouvent au milieu de trois requins affamés qui luttent contre leur
instinct en organisant des réunions à la manière des
alcooliques anonymes. La décontraction de Dory ne fait que renforcer les
craintes de Marin et creuse encore plus l'écart entre la
réalité et l'absurdité délirante de la situation.
Finalement, le duo se résume en une séquence, celle où les
deux personnages atteignent les abysses pour récupérer un masque
de plongée. Dans l'obscurité, Marin
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s'adresse à Dory qui, bien sûr, a oublié
ce qui se passe. S'installe alors un dialogue dans lequel Marin se fait passer
pour la conscience de Dory afin qu'elle l'écoute attentivement. Car il
s'agit bien là de la clé de l'équilibre du duo : Marin est
la conscience qui leur permet de survivre malgré les dangers de
l'océan, tandis que Dory incarne l'inconscience qui pousse Marin
à dépasser ses peurs.
Le but premier des duos dans les films Pixar est de parvenir
à concilier deux personnages opposés pour installer un
décalage perpétuel qui va nourrir le pendant comique de
l'intrigue. Peu à peu, les deux héros font connaissance avec
l'autre et avec eux-mêmes, repoussent leurs limites, et commencent
à se forger une vraie identité.
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