II.1.3/ La hantise de l'oubli
Cette obsession du personnage animé à exister
à tout prix repose sur un principe simple, celui de sa capacité
à simuler la vie, alors qu'il n'est qu'inertie. La peur de l'oubli
serait en fait la peur de la disparition. Quand Mr. Incredible parvient
à être maîtrisé par son ennemi, c'est en se faisant
engloutir par des boules noires caoutchouteuses (annexe 47). Le
héros, enseveli est littéralement effacé de l'image,
malgré tous ses efforts pour y rester. Cette hantise concerne aussi
Woody, à travers toute la trilogie Toy Story.
Dans le premier épisode, le cowboy est le jouet
préféré d'Andy, avant que ne débarque Buzz
l'éclair qu'il considère immédiatement comme un
concurrent. Le second volet de ses aventures commence par sa mise au rebut sur
une étagère haut perchée, à cause d'un bras
décousu. De son perchoir poussiéreux, Woody constate
amèrement qu'il peut être oublié, surtout lorsqu'il entend
la mère d'Andy dire : « Tu sais, les jouets ne sont pas
éternels. » La séquence du cauchemar de Woody est
particulièrement éloquente en ce qui concerne cette peur de
disparaître. Quand Andy rentre dans sa chambre, il se saisit de Woody,
puis le laisse tomber négligemment. Le jouet traverse alors un tas de
cartes, lesquelles sont toutes des as de pique, c'est-à-dire la
représentation de la mort au tarot. Woody atterrit finalement dans une
poubelle où il est absorbé par une armée de bras issus de
jouets cassés (annexe 48). Une fois encore, l'inutilité
est synonyme de mort pour les jouets, comme dans la séquence de la
décharge de Toy Story 3. Cela s'avère aussi exact pour
toutes les créatures issues du studio, ces objets vivants et autres
corps objets qui doivent servir à quelque chose ou disparaître
dans l'anonymat.
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II.2/ À la recherche d'une identité
II.2.1/ La représentation du Moi
La peur de la mort n'est pas la seule préoccupation de
ces personnages. Car, pour parvenir à exister au sein d'une
communauté qui les rejette, ils doivent avant tout savoir qui ils sont.
Cette quête de l'identité passe notamment par la question de
l'image que renvoient ces personnages à eux-mêmes. En effet,
nombreux sont ces héros qui ne parviennent pas à se situer dans
leur univers, à s'affirmer en tant qu'individu à part
entière. Quand il ne s'agit pas d'une défiguration
perpétuelle (Mr. Patate), c'est un véritable travestissement qui
vient court-circuiter l'identification du protagoniste. C'est ainsi que Buzz se
retrouve en pleine crise existentielle après avoir été
contraint par la petite soeur d'Andy de prendre le thé avec des
poupées (annexe 49), ou que Wall-e se retrouve maquillée
par un robot défaillant issu d'un institut de beauté. Le
travestissement reste une constante dans les films burlesques, mais il reste,
la plupart du temps, volontaire, comme ce fut le cas pour Laurel et Hardy,
véritables adeptes du double rôle mari et femme.
Cependant, cette représentation est souvent
prétexte à des malentendus profonds concernant la nature du
personnage. Dans l'esprit d'Andy, comme dans l'esprit de beaucoup d'enfants,
Rex est censé être un terrible prédateur. Mais le pauvre
dinosaure ne fait que s'entraîner à faire peur, complexé
par la taille de ses bras. Quant à Marin, il est
appréhendé par des parents lorsqu'il amène Nemo à
l'école. Ceux-ci lui demandent de les faire rire, puisque c'est un
poisson-clown. Malheureusement pour Marin, sa timidité et sa maladresse
pour raconter des blagues déçoivent son public et le range dans
la catégorie des perdants, des êtres inintéressants.
La relation délicate du héros Pixar avec le
monde qui l'entoure commence donc par la difficulté qu'il a à
concilier ce qu'il doit représenter et ce qu'il est réellement.
C'est sur cela que repose le dilemme de Woody dans Toy Story 2, quand
il découvre qu'il est le héros d'une série
télévisée, et une pièce de musée pour les
collectionneurs (annexe 50).
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