II.1.2/ De l'isolement spatial à l'isolement
social
Certes la différence physique est un critère de
marginalité, et Nick, le héros de Knick-Knack (John
Lasseter, 1988), en est une bonne illustration. Mais ce qui caractérise
vraiment ce personnage, c'est son isolement spatial. En effet, le film commence
par l'exposition de bibelots (knick-knack), souvenirs de vacances
rapportés de Miami, d'Égypte, etc. Tous ces bibelots sont des
personnages joyeux, colorés, et portent des lunettes de soleil. Un long
panoramique dévoile le héros du film : un bonhomme de neige,
enfermé dans sa boule de verre. Nick est seul dans sa froideur, face
à la chaleur renvoyée par les autres souvenirs, et à leurs
lunettes de soleil répondent son haut de forme et son écharpe.
L'isolement spatial de sa ville d'origine, Nome, en Alaska, est restitué
à travers la distance qui sépare le héros des autres, et
par la paroi de verre qui l'enferme dans sa solitude. Cette séparation
physique, ajoutée à d'aussi nettes différences entre le
héros et ceux qu'il aspire à rejoindre, suffit pour le
marginaliser définitivement. D'autant plus que cet isolement est aussi
sonore car son environnement liquide ne lui permet pas de parler. Nick se
contente alors de communiquer avec le spectateur par le biais du regard
caméra. Ce procédé largement utilisé, en
particulier dans le genre burlesque, consiste à prendre le spectateur
à témoin. Oliver Hardy a d'ailleurs élevé ce type
de regard au rang d'art, y « apportant un nombre considérable
de nuances [É], le coup d'oeil pouvant être de complicité,
de colère, de conspiration, d'exaspération, de
résignation, d'embarras[...] ».1 Dans le cas de
Nick, il s'agit surtout de souligner sa triste condition d'objet
enfermé, mais en-dehors. Cette incommunicabilité le pousse donc
à sortir de sa bulle par tous les moyens. Après maintes
tentatives, sa boule à neige se renverse, et dans une chute vertigineuse
depuis le haut de son étagère, Nick parvient à sortir par
une issue de secours. Mais il tombe dans le bocal d'un poisson. Heureusement,
une magnifique sirène l'attend au fond de l'eau. Nick n'a pas le temps
de la rejoindre, sa boule à neige lui retombe dessus, l'enfermant
doublement. Quoiqu'il arrive, Nick ne peut échapper à son statut
de victime, le sort s'acharne contre lui, et son isolement (spatial et sonore)
est conforté malgré tous ses efforts.
Dans Partly Cloudy (Peter Sohn, 2009), la question de
l'isolement concerne Gus, un nuage qui, contrairement à ses
congénères, ne crée que des animaux dangereux, au grand
1 Roland LACOURBE, Laurel et Hardy ou l'enfance de
l'art, Ramsay, 1989, p.37.
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dam de son partenaire, Peck, une cigogne chargée de
livrer ces bébés à leurs parents. Après avoir
essuyé les charges d'un petit bélier et les morsures d'un
crocodile, Peck quitte Gus pour aller voir un autre nuage, un peu plus haut. En
bas, Gus est définitivement seul, et commence à gronder, il
tonne, puis se met à pleuvoir, ne pouvant ni pleurer, ni parler. Encore
une fois, l'eau remplace la parole. Dans les deux cas, les personnages
n'acceptent pas leur isolement, car une peur persiste, celle d'être
écarté à jamais du reste de la communauté, de ne
pas parvenir à exister parmi les autres.
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