CHAPITRE II : INDIVIDUS ET COMMUNAUTÉS
Tous les personnages issus des studios Pixar peuvent se
rattacher à une communauté, c'est-à-dire à un
groupe de personnes (par extension, cette définition s'applique aussi
aux animaux et aux objets) habitant dans un même lieu et pouvant partager
des intérêts communs. Mais le héros Pixar est un individu
au sens premier du terme : un être considéré comme distinct
par rapport au groupe auquel il est censé appartenir, typique du
personnage burlesque. Il s'agit alors de déterminer ce qui fait de ces
héros des personnages à part, en traitant d'abord des
manifestations d'une marginalité qui menace chacun d'eux, puis en
essayant de comprendre comment ces héros peuvent remédier
à cette mise à l'écart à travers la recherche de
leur identité.
II.1/ La norme et la marge
II.1.1/ De la particularité physique à la
marginalité
La plupart des héros burlesques peuvent se
résumer par leur silhouette bien spécifique. Charlot se distingue
par ses vêtements trop larges et son chapeau melon, Harold Lloyd par son
canotier et ses lunettes rondes, Monsieur Hulot par son grand corps oblique et
sa pipe. Ses silhouettes complètent souvent un physique particulier,
comme celui de Fatty, sorte de poupon géant. Le personnage burlesque est
donc trop petit, trop grand, trop gros, en bref, il n'entre pas dans la norme.
Mais comme le rappelle Chuck Jones, « si dix toiles sont
accrochées au mur, la seule qui risque d'attirer l'attention est celle
qui est de travers. Ne serait-ce que parce qu'elle met les gens mal à
l'aise, ce qui peut s'avérer utile. »1 Certains
personnages Pixar correspondent à cette approche du personnage en tant
qu' individu à part. Ceux-ci sont reconnaissables entre mille parce
qu'il sont physiquement différents.
1 Chuck JONES, Chuck Jones ou l'autobiographie
débridée du créateur de Bip-Bip, du coyote et leurs
amis, Dreamland, 1995, p.16.
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Ainsi, dans For the Birds l'oiseau qui retient
l'attention du spectateur est le plus grand. Les autres, bien que dotés
d'une personnalité qui leur est propre, sont identiques entre eux. S'il
ne s'agissait pas d'un film comique, ce grand oiseau arriverait sur la ligne
à haute tension, se poserait avec autorité au milieu des petits
et bomberait le torse en faisant trembler ses voisins. Ici, le plus grand tente
de se faire accepter (après tout, il est bleu, comme les autres), mais
sa taille est plus un handicap qu'une force. Et lorsque, d'un air avenant, il
interpelle la bande, celle-ci lui répond par des moqueries. La
particularité physique de l'animal constitue un frein à son
insertion, d'autant plus que son poids entraîne l'inconfort de ses
détracteurs (annexe 45). Ce film symbolise à lui seul le
drame des personnages Pixar qui tentent d'exister dans un monde qui leur est
hostile.
Déjà dans Red's Dream, le monocycle
était mis à l'écart à cause de son physique.
Soldé car difficile à vendre, il se retrouve dans un coin,
d'autant plus isolé qu'il s'apparente plus à la pompe à
vélo située à côté de lui qu'aux bicyclettes
de la boutique (annexe 46). Cette fois, la différence entre le
groupe et l'individu est mise en avant par la ressemblance à un objet
complètement exclu de cette communauté.
Quant à Nemo, il est unique avant de naître. Sa
mère a été tuée par un barracuda, tandis que ses
milliers de frères et soeurs ont été engloutis par le
prédateur. Marin, son père, découvre qu'un seul oeuf a
survécu, celui de Nemo. Dès lors, il prendra soin de son fils,
jusqu'à le surprotéger, prétextant que sa nageoire droite,
atrophiée, l'expose encore plus aux dangers de la mer. Nemo, de par ce
handicap, reste dans le giron paternel et n'entre en contact avec le monde
extérieur que lorsqu'il doit entrer à l'école. Ici, la
communauté sous-marine ne rejette pas Nemo, mais son père semble
savoir que, dans ce monde, il ne fait pas bon être différent.
La particularité physique chez le personnage Pixar est,
plus qu'un simple moyen de distinguer le héros des autres, un outil
narratif extrêmement efficace, puisqu'elle permet de donner toute son
épaisseur au personnage. Dès lors qu'un individu marginal se
présente à la communauté, la réaction de l'un par
rapport aux autres (et inversement) est, sinon le point de départ de
l'intrigue, son basculement, la clé qui mène au
dénouement.
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