I.3/ Prendre les commandes
La plupart des héros burlesques ont ce point commun de
vouloir s'accaparer le monde, l'adapter pour mieux le posséder, le
maîtriser. Ainsi, dans Monsters Inc., la porte de l'appartement
de Mike et Sully a été adaptée à leur
différence de taille. Une petite porte a été
ajoutée à celle d'origine (annexe 42). Car à quoi
bon ouvrir une porte si grande si le personnage qui sort est si petit ? La
prise du pouvoir par les machines est donc un frein à cet apprivoisement
du monde, le héros Pixar va donc tenter d'enrayer cette mécanique
immuable. Mais la voiture et le tapis roulant ne sont que les symboles d'un
monde moderne auquel le protagoniste semble avoir du mal à s'adapter.
Partout autour de lui se manifestent des machines capricieuses et complexes
dont il tente de prendre le contrôle, non sans mal.
Le cas de Rex, le tyrannosaure en plastique de Toy
Story, qui n'arrive pas à jouer à la console vidéo
à cause de ses bras trop courts, inaugure ce rapport délicat aux
machines, à l'électronique. En dehors de ce problème
purement physique, le héros Pixar semble se poser une question
récurrente : sur quel bouton appuyer ? Ainsi, lorsque Wall-e est
propulsé du vaisseau dans une capsule programmée pour
s'auto-détruire, l'incompréhension s'ajoute à la panique.
Dans cette situation, le réflexe du robot est d'actionner un
énorme bouton rouge clignotant. Bien sûr, son action n'a aucun
effet, et Wall-e se met à appuyer désespérément sur
tous les éléments du tableau de bord. Mais la profusion
d'indications n'aide pas le héros à se sortir de cette situation
délicate (annexe 43). Au contraire, cela renforce sa solitude
car, dans sa panique, Wall-e déclenche tout un éventail de
fonctions totalement inutiles. Un plan large montre alors la capsule dans
l'immensité de l'espace, et le déploiement de ses accessoires :
une antenne, un radar, des fusées de détresse, un parachute, un
radeau pneumatique, et enfin un klaxon. Le ridicule de cette situation
révèle non seulement l'incapacité du personnage, mais
aussi l'absurdité d'un appareil ultra-sophistiqué qui,
malgré toutes ces options destinées à la
sécurité de son passager, ne fait qu'entraver sa survie.
Mais la panique liée à l'urgence se mue parfois
en simple stress, comme dans Lifted (2006), où Stu, un jeune
extraterrestre, doit piloter une soucoupe volante sous le contrôle d'un
inspecteur. L'immense console devant laquelle il se trouve laisse augurer une
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confusion chez le héros. Soumis à un
véritable examen, Stu hésite et finit inévitablement par
faire le mauvais choix. Le réalisateur, Gary Rydstrom, directeur du son
sur la majeure partie des films du studio, explique comment il a imaginé
ce tableau de bord :
« Quand je faisais du mixage, je travaillais avec une
énorme console pleine d'atténuateurs et de boutons et tout le
monde se demandait comment je faisais. Mon métier se résumait
à commander cette machine infernale tout en étant jugé par
les gens. On a essayé de créer la pire console qui puisse
exister. »1 (annexe 44).
Stu se retrouve donc face à des milliers de boutons
identiques et sans aucune indication. Contrairement à la capsule de
Wall-e, la soucoupe volante se caractérise par la
simplicité de sa forme et l'inexistence d'informations concernant sa
prise en main. En outre, le corps vert et gélatineux (donc
malléable) de Stu s'oppose à la grise monotonie des
rangées de boutons métalliques qui se présentent à
lui, renforçant ainsi l'idée de l'incompatibilité de
l'extra-terrestre et de la console.
Qu'il y ait surenchères ou absence d'informations, le
résultat est le même, prendre les commandes de la machine reste,
pour le héros Pixar, un véritable défi. Les
différentes mises en scène de ces situations soulignent la
même solitude du héros face à des circuits complexes qui le
renvoient à son incompétence. Cela n'est pas sans rappeler le
vieux personnage de Playtime qui, lorsqu'il annonce l'arrivée
de Monsieur Hulot, doit utiliser un tableau électronique
incompréhensible. Là aussi, l'hésitation et l'inaptitude
sont les principaux ressorts comiques de la scène.
Finalement, chez Pixar, les rapports entre les personnages et
les machines relèvent presque toujours de l'opposition radicale. La
voiture, le tapis roulant ou n'importe quel autre système
mécano-électrique incarnent une menace pour le vivant, mais c'est
justement ce qui permet de faire ressortir la difficile relation du personnage
avec le monde qui l'entoure : un univers peuplé de boutons en tous
genres, de commandes aux fonctions insondables. Pour ne pas se laisser
manipulé par la machine, le héros burlesque doit tenter de
comprendre son fonctionnement, même si cela doit passer par des essais
infructueux. L'hostilité de la technique est donc le vecteur de
l'apprentissage du monde par des personnages qui lui sont initialement
inadaptés.
1 Gary Rydstrom, dans les commentaires du DVD de
Lifted.
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