I.2/ Le tapis roulant ou la fatalité
mécanique
C'est justement dans Modern Times (Charlie Chaplin,
1936) que le tapis roulant (ou convoyeur) prend le relais de la voiture pour
faire subir les affres de la mécanique au héros burlesque.
Symbole par excellence de l'automatisation du travail, le convoyeur imprime un
rythme que l'ouvrier doit impérativement suivre pour ne pas perturber la
chaîne de production. Là où Chaplin utilisait cet
élément comme une métaphore de l'aliénation par le
travail, le studio Pixar exploite le convoyeur comme un outil narratif
supplémentaire.
Car chez Pixar, le tapis roulant n'entre pas dans une logique
d'aliénation du personnage. Dans Monsters Inc., il est
plutôt synonyme de mort. Et quand Sully croit que sa
protégée est passée par le vide-ordure, il ne peut que
constater avec horreur le sort réservé aux déchets.
Alternent alors des plans du cheminement des ordures sur un tapis roulant et
des plans rapprochés de Sully, derrière une vitre,
réagissant à chaque étape de la compression des
détritus. Dans ce cas précis, il s'agit d'illustrer l'impuissance
du vivant face à la machine. Aux énormes pilons, lames et
rouleaux compresseurs qui ponctuent le convoyeur, répondent les grimaces
d'effroi de Sully. Car la mécanique imperturbable du système ne
laisse aucune chance de survie à quiconque la traverse, a fortiori
lorsqu'il s'agit d'un enfant. Cette séquence reste néanmoins
comique puisque, contrairement au héros, le spectateur sait qu'elle
n'aura pas d'issue fatale. Ce montage alterné cristallise alors
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l'opposition entre la mécanique froide et
inéluctable du tapis roulant et la sensibilité exacerbée
du vivant.
Le motif du tapis roulant qui conduit à la mort
réapparaît dans Toy Story 3. Une fois encore, les jouets
suivent le chemin des ordures, de la poubelle à la décharge en
passant par le camion-benne. Mais dès l'instant où ils se
retrouvent sur un convoyeur, l'intrigue prend une tournure dramatique d'une
rare ampleur dans un film d'animation. Car ce ne sont plus les personnages qui
impriment leur rythme à l'action, mais le tapis roulant. Les jouets se
démènent pour rester maîtres de la situation, en vain. Le
mouvement continu de ce mécanisme oblige les protagonistes à
suivre son rythme, à l'image du sportif qui s'entraîne sur son
tapis de course. Malheureusement pour eux, les jouets ne sont pas assez rapides
et ne peuvent que regarder ce qui les attend. Après avoir
échappé de justesse au broyage, ils atteignent le bout du
convoyeur et sont plongés dans un gigantesque amas de détritus
pulvérisés, voués à être engloutis par la
fournaise qui se trouve face à eux. Pris dans cet immense tourbillon de
plastique en fusion, les héros n'ont plus aucune prise sur leur destin,
comme sur ce qui les entoure, car tout se dérobe sous leurs mains. C'est
à ce moment que le film atteint son sommet dramatique. Les personnages
échangent des regards désespérés, puis finissent
par se prendre par la main, unis face à la mort. Le tapis roulant est
donc, chez Pixar, plutôt que la promesse d'une issue fatale, la mort
elle-même, car la fournaise vers laquelle se dirigent les héros
fait écho, dans l'inconscient collectif, à la
représentation de l'enfer.
En effet, à la mécanique froide et radicale
présente dans Monsters Inc., répond la chaleur intense
du destin funeste des jouets de Toy Story 3. Dans les deux cas, le
tapis roulant matérialise la mort, mais c'est surtout à travers
le deuxième exemple que ce procédé prend une dimension
supérieure. Finalement, ces marionnettes sont renvoyées à
leur condition d'objet : puisqu'elles ne remplissent plus leur fonction
divertissante, elles sont mises au rebut, vouées à la
destruction.
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