II.3/ Apparitions et disparitions
Non loin du monde du cirque, la magie est un domaine où
le héros burlesque parvient à s'exprimer dans toute sa fantaisie.
Dans Presto, le prestidigitateur dispose de deux chapeaux magiques qui
communiquent l'un avec l'autre. C'est justement à partir de ces chapeaux
que le scénario se développe, donnant au lapin blanc du magicien
un vrai moyen de se venger du traitement qu'il subit (annexe 41). Car,
une fois encore, le langage comique repose sur les souffrances infligées
au corps du personnage. Le chapeau magique est donc un outil parfait pour
tendre des pièges, puisque le héros ignore ce qu'il va trouver en
y plongeant sa main. En l'occurrence, il s'agira d'une tapette à souris,
d'un panneau électrique, d'une échelle, ou encore, d'un conduit
aspirant. Plus qu'un simple ressort narratif, cet accessoire merveilleux est
aussi une façon de mettre en évidence le partage de la
scène et des coulisses. Car le film donne à voir les deux
côtés du rideau rouge, et donc deux spectacles différents.
Le lapin, en coulisse, refuse de rentrer dans le chapeau avant d'avoir eu sa
carotte. Le magicien, sur scène, ne veut pas lui céder et doit
sauver les apparences. Le tandem se livre alors à un règlement de
compte par chapeaux interposés, mais le lapin prend rapidement le
dessus. Tout l'intérêt du film repose sur le fait que l'assistance
ne sait pas ce qui se passe en coulisse. Les coups encaissés par le
magicien sont perçus comme autant de preuves de ses talents. Il finit
par remporter un véritable triomphe.
Cette dualité entre les coulisses et la scène
est un des éléments centraux de Monsters Inc. Les
portes, qui symbolisent la frontière entre le spectacle et la
réalité, font l'objet d'une séquence
particulièrement haletante, où Sully et Mike tentent
d'échapper à leur ennemi. Juchés sur une porte, les deux
héros sont entraînés dans une salle aux dimensions
hallucinantes, où ces frontières entre Monstropolis et le monde
des enfants sont rangées dans un ordre bien précis. Pour semer
leur ennemi, Sully et Mike passent par différentes portes, et traversent
tour à tour, une chambre sur une plage, une maison près du Mont
Fuji, et un hôtel parisien. Véritables
téléportations, ces passages permettent d'ouvrir d'infinies
possibilités à cette poursuite. Mais ce qu'ils
révèlent surtout, c'est la capacité du corps à
disparaître et à réapparaître à des endroits
inattendus, tout en gardant son caractère comique par une chute ou une
main coincée dans une porte.
Dans Presto comme dans Monsters Inc.,
l'intérêt de ces scènes repose sur un principe cher
à Buster Keaton : « concilier le dysfonctionnement grotesque ou
la chute dérisoire et l'exploit invraisemblable, le fonctionnement
miraculeux qui provoque l'émerveillement »1.
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1 Stéphane GOUDET, Buster Keaton, Cahiers du
Cinéma, Paris, 2008, p.23.
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