1.6 Les premières observations
La malnutrition a vraisemblablement existé sous toutes
les latitudes depuis des décennies. Une des premières
descriptions complètes d'un tableau clinique correspondant à ce
qu'on appelle le "kwashiorkor" remonte à 1865. Elle est divulguée
par deux médecins (les DrsHinojosaet Coindet, 1865) qui travaillaient
dans un village au Mexique (Briend, 1997).
Ces auteurs avaient observé la présence
fréquente d'oedèmes chez des enfants dénutris à la
période du sevrage. Ils avaient aussi remarqué la présence
fréquemment associée de diarrhées et le rôle
déclenchant de la rougeole. Ces médecins avaient encore
noté que ce tableau clinique différait nettement de celui de la
pellagre déjà bien connu à l'époque, même si
les enfants oedémateux suivaient un régime à base de
maïs. Le diagnostic de pellagre avait été
catégoriquement rejeté.
Au début du XXe siècle, la malnutrition de
l'enfant devint plus rare en Europe et ce sont surtout des médecins
travaillant dans des colonies qui décrivirent en détail des cas
de malnutrition grave. Une des plus anciennes observations vient de l'Annam12.
On la doit à un médecin militaire français, Normet (1926),
qui avait constaté des oedèmes chez des enfants dénutris
et ayant une alimentation à base de riz. Il appela cette maladie qui
correspond au kwashiorkor dans la terminologie moderne, «la
bouffissure d'Annam». Il publie en 1926 la première photo
connue. Il soupçonna d'emblée qu'une origine nutritionnelle en
était la cause, ayant remarqué qu'elle ne survenait pas le long
des rivières poissonneuses. Ce qui est remarquable est que le niveau
sanguin et l'excrétion urinaire d'urée étaient
abaissés chez ces enfants bouffis et attira ainsi l'attention sur le
rôle des protéines dans le développement de cette
affection.
Entre 1933 et 1935, les premières observations
d'oedèmes associés à la malnutrition tombèrent dans
l'oubli. Entre les deux guerres mondiales, les communications entre les
différentes parties du monde étaient extrêmement
limitées et les techniques de recherche bibliographique rudimentaires.
Williams ignorait les publications de Normet relatives à la
"malnutrition oedémateuse" quand elle débuta sa carrière
de pédiatre en Côte d'Or (actuel Ghana) dans les années 30.
Elle aussi vit des cas d'oedèmes associés à une
malnutrition et elle les décrivit dans les "Archives of Diseases in
Childhood", dans un article publié en 1933 et intitulé : "A
nutritionaldisease of childhoodassociatedwith a maizediet". Cette
première publication insiste sur les lésions cutanées
observées et la description clinique met tout aussi bien en relief les
différences entre cette "maladie nutritionnelle" et la pellagre.Peu de
temps après sa création, juste après la fin de la seconde
guerre mondiale, la FAO envoya deux experts, les DrsBrocket Autret, faire le
tour de l'Afrique pour faire le point de la situation alimentaire de ce
continent. Leur expédition dura deux mois et ils
rédigèrent, à leur retour, un rapport intitulé
«Le kwashiorkor en Afrique» (Brock et Autret, 1952). Cette
publication eut un grand retentissement dans le monde scientifique. Le rapport
tendait à démontrer d'une part que le kwashiorkor était
très répandu en Afrique, surtout si l'on tenait compte de ses
formes mineures, et d'autre part que la maladie était essentiellement
imputable à un régime pauvre en protéines. Ce rapport
concluait que les carences en protéines représentaient le
problème nutritionnel le plus préoccupant en Afrique. Le terme de
"malnutrition protéique" devint alors un terme général
appliqué très largement à tous les états de
malnutrition observés dans les pays pauvres (P. TanangTchouala, 2009).
.1.2 Des carences en protéines aux carences
en énergie
Les années passant, un certain scepticisme s'installa
quant au rôle véritable des carences en protéines comme
cause de malnutrition infantile dans les pays pauvres. On comprit dès
lors que les programmes d'aide visant à augmenter les apports
alimentaires protéiques avaient un impact faible, voire
négligeable. Cette conviction devait se renforcer quelques années
plus tard à la suite d'une étude portant sur plus de deux cents
programmes de supplémentation à l'aide d'aliments riches en
protéines et montrant que leur effet était
généralement faible, s'il n'était inexistant (Beaton et
Ghassemi, 1982). Aussi une remise en cause de ces programmes s'imposait.
En 1968, l'équipe d'Hyderabad travaillant en Inde avait
démontré qu'il n'existait pas de différence de
régime entre les enfants qui allaient développer
ultérieurement un kwashiorkor et ceux évoluant vers une
malnutrition de type marasme (Gopalan, 1968). Cette même équipe
avait également constaté qu'une augmentation de la ration
alimentaire des enfants vivant dans des villages, pouvait permettre
d'améliorer leur croissance. Cette modification diététique
de nature purement quantitative serait en même d'exercer ses effets sans
toucher à la composition du régime (Gopalan et al, 1973).
Tous ces éléments ont fait que soit
progressivement tombé en désuétude, le terme
malnutrition protéiqueau profit de "malnutrition
protéino-calorique" puis de "malnutrition
protéino-énergétique". En 1974, Mc Laren publia un
article dans le Lancet, intitulé «The Great Protein
Fiasco», dans lequel il retrace l'évolution des idées sur le
sujet. Cet article répandit l'idée selon laquelle le
problème nutritionnel le plus commun à travers le monde n'est pas
une carence en protéines mais un déficit d'apports en
énergie.
2. De la malnutrition pluri-carentielle
L'approche pluri-carencielle appréhende la malnutrition
comme une maladie qui apparaît lorsque la nourriture disponible n'a pas
la qualité nécessaire pour assurer le développement du
corps humain. Elle est donc liée à un manque
d'éléments nutritifs essentiels comme les vitamines et les sels
minéraux. Elle affecte particulièrement les enfants en bas
âge et se rencontre même dans des régions où l'on
connaît une sécurité alimentaire. La malnutrition est
principalement causée par cette absence d'éléments
nutritifs essentiels au développement de l'organisme (MSF, 2007).
Un enfant qui ne reçoit pas suffisamment de nutriments
dans son alimentation quotidienne est exposé aux différentes
formes de malnutrition. Si le déficit porte principalement sur les
apports en énergie et en protéines, on parle de "malnutrition
protéinoenergétique" (MPE) ou
protéino-calorifique. Si le déficit porte surtout sur le
fer, on parle d' "anémie nutritionnelle". Par contre, si ce
déficit constaté porte principalement sur la vitamine A, les
manifestations de la carence portent le nom de xérophtalmie (J. C.
Dillon, 2000). Il n'est, cependant pas rare que l'enfant porte à la fois
et à des degrés divers les traces de ces trois formes de
malnutrition.
I.4.2.2 Malnutrition dans le
monde
La malnutrition cause la mort de plus de 2,5 millions
d'enfants chaque année dans le monde. Elle est la cause sous-jacente de
plus d'un tiers de tous les décès d'enfants de moins de cinq ans
au niveau mondial (Unicef, 2017). En outre, dans 53 pays du monde,
113 millions de personnes ont été en situation
d'insécurité alimentaire aiguë en 2018, dans 53 pays
(Yadav et al, 2016).
Les facteurs liés à la malnutrition dans le
monde sont les suivants : le niveau d'études bas de la mère
est associé à une prévalence plus élevée du
retard de croissance de l'enfant. L'absence d'un robinet d'eau potable
fonctionnel à domicile et une prévalence plus
élevée de la malnutrition, la durée de la maladie et de la
diminution d'appétit, l'âge de l'enfant est associé
significativement au retard de croissance avec un risque accru chez les enfants
de 12 mois et plus, l'introduction d'une alimentation de complément
inappropriée ou contaminée, à partir de 6 mois, l'anorexie
de l'enfant constitue un prédicteur significatif de l'émaciation,
(Yadav et al, 2016).
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