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Les émoticônes : une nouvelle forme de ponctuation numérique ?

( Télécharger le fichier original )
par Chloé LEONARDON
Université Paris X - Nanterre La Défense - Master professionnel ECRIFORE (Sciences du Langage) 2017
  

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INTRODUCTION

Facebook, Twitter, Instagram, MSN, Skype, Discord, Google Plus, Skyblog, Tumblr, LinkedIn, Viadeo, Pinterest... Ces sites et réseaux sociaux ont beau être récents (ils n'ont, pour les plus vieux d'entre eux, pas plus de 20 ans), ils forgent et façonnent la façon de communiquer en ligne, et par conséquent les codes linguistiques, qui évoluent et s'adaptent à ces nouvelles formes de littératie1 et de partage. C'est ainsi qu'il est possible de retrouver parfois, dans les conversations en ligne, des utilisations d'éléments linguistiques totalement nouvelles, notamment de la ponctuation, comme l'utilisation des astérisques pour encadrer les onomatopées (exemple : *Slurp*) ou encore pour signifier une action produite par le locuteur.

Exemple d'utilisation des astérisques dans une
conversation en ligne pour signifier une action

Aujourd'hui, ces écrits numériques occupent une place importante dans les activités des scripteurs
et des lecteurs actuels. Selon l'étude d'une équipe de chercheurs belges de l'Université de Louvain :

Contrairement aux idées reçues et véhiculées dans la presse et dans les milieux de l'éducation, nous partons de l'hypothèse que l'utilisation des nouveaux médias chez les classes d'âge de plus en plus jeunes ne mène pas à une incompétence linguistique (baisse du niveau de l'orthographe, méconnaissance des règles grammaticales...), mais plutôt à une "pluricompétence" qui amènerait chaque locuteur à jongler avec son code à chaque

1 La littératie est l'aptitude à comprendre et à utiliser l'information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d'atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités. (source : rapport de l'OCDE http://www.oecd.org/fr/edu/innovation-education/39438013.pdf )

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changement de situation, d'interlocuteur et de médium de communication. (source : site vospouces.org)

Ces chercheurs, qui sont sociolinguistes, psychologues et experts en traitement automatique des langues, ont créé un site participatif, vospouces.org, sur lequel n'importe quel internaute peut apporter ses données, déposer ses messages numériques, et ainsi attester de sa façon de communiquer sur le web. Ils ont en effet décidé de prouver au grand public grâce à cette collecte et à cette étude que l'écriture numérique, que l'on retrouve par exemple sur les réseaux sociaux, n'est pas une perte de repères syntaxiques, lexicaux ou encore linguistiques, mais bien le développement d'un nouveau code langagier, adapté à cette nouvelle forme d'écriture.

Nous n'avons jamais autant eu besoin d'écrire, et ce de façon quotidienne. La société, par le biais d'internet et de la présence de plus en plus obligatoire des individus et des entreprises sur les multiples réseaux sociaux, connaît une expansion de sa littératie. Une littératie numérique, toute particulière, qui implique de savoir lire et écrire sur de nouveaux supports. Aujourd'hui, les scripteurs doivent être compétents pour lire, écrire et participer au web. Ainsi, selon Marie-José BERGER et Alain DESROCHERS (2011 : 250) : « il est capital que les littératies numériques se développent chez tout citoyen parce qu'elles sont intimement liées à l'écrit et qu'elles incarnent l'écrit de demain ». De plus, les conversations synchrones comme les chats et même les conversations moins instantanées sur les réseaux sociaux brouillent de plus en plus la frontière entre l'écrit et l'oral, ce que FERRARA, BRUNNER et WHITTEMORE (1990) définissent comme « l'écrit interactif ».

Certains linguistes, comme HALTE (2016), COLAS-BLAISE (2011), MARCOCCIA (2004 et 2016) ou encore MARTIN (2007) se sont attelés à la lourde tâche de se pencher sur ces nouveaux écrits numériques et donc « interactifs », de plus en plus présents dans nos vies. Les experts se penchent sur les nouvelles règles linguistiques qui se démarquent et s'imposent dans ces chats, ces messages et ces tweets. Parmi elles, des syntaxes particulières, de nouveaux éléments lexicaux, des nouvelles ponctuations (les termes de « tweets », les emprunts « like » ou « DM » pour « Direct Message », ou encore l'utilisation du retour à la ligne pour marquer l'hésitation) et la présence d'éléments nouveaux, apparus avec l'émergence de cette nouvelle littératie et surtout celle de cette écriture interactive, aux besoins oscillants entre les codes de l'oralité et ceux de l'écrit : les « émoticônes ».

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Ces émoticônes, mot-valise constitué par « émotion » et « icône », sont de plus en plus incontournables dans les conversations numériques. Selon HALTE (2016 : 235) elles permettent de combler le besoin d'information non-verbale manquant aux textes écrits et l'absence d'indices paralinguistiques que nous avons à l'oral à travers les gestes, les expressions faciales, les réactions corporelles ou encore la prosodie ; en quelque sorte, les émoticônes servent à reproduire un « face à face à l'écrit » (MARCOCCIA, 2004). On les retrouve partout : dans les SMS, dans les messages privés, sur les réseaux sociaux, dans les mails personnels et parfois même professionnels. Maintenant, ces émoticônes, qui sont également appelées smileys ou émojis par leurs utilisateurs (les trois termes portent très souvent à confusion pour les internautes), illustrent même les écrits professionnels des community managers qui, embauchés par des sociétés, des marques ou encore des institutions, sont chargés d'animer et de fédérer la communauté de ces entreprises sur internet en utilisant notamment leurs réseaux sociaux.

Il n'est pas étonnant de retrouver ces « petites images » dans les textes numériques. Ces émoticônes nous semblent un phénomène linguistique nouveau, cependant le modèle pictographique d'écriture est utilisé depuis sa naissance. En effet, selon la conférence de J.-J. GLASSNER (2006), la pictographie fut l'une des premières formes d'écriture, utilisée en Mésopotamie pour désigner de nombreux concepts et de nombreuses pensées à l'aide de signes concrets représentant les objets de leur quotidien. Une sorte d'écriture en « rébus » que l'on peut retrouver également en Egypte ancienne. On peut donc se poser la question du rôle de l'émoticône dans le discours : serait-elle un retour aux sources ? Serait-elle à la base d'un nouvel alphabet, comme celui des premières civilisations, ou a-t-elle un tout nouveau rôle lié au développement de la littératie digitale ?

On peut observer une utilisation des émoticônes qui semble réglementée, et qui semble surtout respecter la linéarité des phrases et la composition des propositions phrastiques. Malgré l'existence marquée d'ouvrages d'analyse communicationnelle et/ou pragmatique des émoticônes, il reste rare de trouver des textes qui expliciteraient leur rôle syntaxique. Nous pouvons donc poser la problématique suivante : et si les émoticônes étaient une nouvelle forme de ponctuation ? Si nous arrivons à prouver que ces éléments, aux rôles « expressif, d'ironie, d'humour, relationnels ou encore de politesse » comme les définit MARCOCCIA (2016 : 96), sont véritablement de nouveaux signes de ponctuation, ils ne seront pas sans rappeler la proposition de Hervé BAZIN : six nouveaux « points d'intonation » (Plumons l'oiseau, Grasset, 1966 : 142)

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Les six points d'intonation proposés par Hervé BAZIN

Avant de commencer l'étude qui nous permettra de répondre à notre question, nous nous intéresserons au préalable aux écrits linguistiques traitant de l'émergence de la communication numérique écrite (appelée également « écriture numérique »), notamment ceux de MARCOCCIA (2016) et ceux de MARTIN (2007). Nous nous pencherons ensuite sur le cas des émoticônes, éléments nouveaux issus de cette même communication numérique avec les textes de GAUDUCHEAU et MARCOCCIA (2007) et de HALTE (2016). Pour débuter une analyse du rôle et du sens des émoticônes dans les écrits numériques, nous nous attarderons sur leur définition sémantique selon les théories de PEIRCE expliquées par DELEDALLE (1979) et reprise par HALTE (2016). Enfin, nous terminerons notre présentation théorique en présentant les différents rôles de la ponctuation dans nos écrits avec les oeuvres de CATACH (1994) et de DÜRRENMATT (2015). Après ces approches, nous passerons à la présentation et à l'analyse de notre corpus. Ce mémoire s'appuiera sur un corpus de 120 captures d'écran de messages datant de moins d'un an et venant des deux réseaux sociaux les plus utilisés en France selon l'institut d'études Harris Interactive : Facebook et Twitter. Ces captures d'écran, sur lesquelles seront visibles diverses utilisations des émoticônes, cibleront à la fois l'usage privé et personnel des réseaux sociaux et l'usage professionnel qu'en font les community managers de grandes entreprises comme Leclerc, Carrefour ou encore Castorama. Avec ce corpus, nous analyserons les émoticônes selon leur placement dans la phrase (qu'elles soient à son début, son milieu ou sa fin), selon qu'elles sont en répétition (plusieurs fois la même émoticône) ou en accumulation (plusieurs émoticônes différentes à la suite), et selon qu'elles remplacent ou se cumulent à la ponctuation générique (présence ou non de points, virgules, points d'exclamation ou encore de points d'interrogation). Cette analyse permettra une vision globale de l'utilisation et du rôle des émoticônes dans les phrases des scripteurs, et surtout mettra en relief leurs liens, existants ou non, avec la ponctuation telle que nous la définissons et la connaissons.

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I - CADRE THEORIQUE

Avant de passer à la présentation et à l'analyse de notre corpus, il est nécessaire d'exposer les bases théoriques de la pensée linguistique autour des domaines utiles à notre étude. Nous nous attarderons en premier lieu sur l'émergence de la communication numérique écrite afin de situer le contexte du type de littératie de notre corpus. Nous nous intéresserons ensuite à la naissance et aux spécificités des nouveaux signes que représentent les émoticônes, qui font l'objet de notre étude. Après cela, nous tenterons d'établir une définition sémiotique de ces émoticônes et de leur attribuer un sens linguistique en tant que signes composant notre écriture. Enfin, nous nous concentrerons sur les divers rôles de la ponctuation et leurs liens avec ceux des émoticônes, qui nous ont amené à penser ce mémoire.

1) La communication numérique écrite : l'émergence de codes complexes

L'utilisation d'internet et des nouvelles technologies numériques se répand dans les foyers, les métiers et dans la vie de nombreuses personnes à travers le monde. Ce développement et cette diffusion à très large échelle d'un nouveau mode de communication entre les individus a créé, de façon naturelle et attendue, une nouvelle façon de communiquer : nous appelons cela la communication numérique écrite.

Sa définition selon MARCOCCIA (2016 : 7) est la suivante :

Cette dénomination [la communication numérique écrite] renvoie aux nombreuses productions écrites réalisées par le moyen de l'internet ou de la téléphonie mobile. Les dispositifs de communication numérique écrite les plus connus sont le courrier électronique, le forum de discussion, la liste de diffusion, le tchat, la messagerie instantanée, le SMS (ou texto), le blog, les plateformes de réseaux sociaux. Le plus souvent, l'expression « communication numérique écriture » (ou « communication écrite en ligne ») réfère à des situations de communication interpersonnelle et n'intègrent pas les médias numériques de masse, comme le Web (dans sa version 1.0), qui relève plus d'une problématique de publication que de communication.

Cette communication numérique écrite dépend donc de plusieurs plateformes, toutes plus différentes les unes que les autres, et toutes très utilisées par les usagers. Cependant, cette nouvelle forme de communication est exposée, elle aussi, à des habitudes et à des codes sociaux. Les SMS

sont souvent plus représentatifs du « jeune » usager, le mail est attribué à un usage plus adulte, voire professionnel, et les réseaux sociaux sont considérés comme des usages « populaires ». Cependant, tous ces modes de communication font écho à ce que représente internet aujourd'hui pour dialoguer et partager sa parole : une méthode rapide, facile et de plus en plus accessible pour tous. Lorsqu'un mode de communication se crée, des règles et des codes viennent le régir, afin d'y apporter de la stabilité et afin de lui permettre de se répandre plus rapidement. Selon MARTIN (2007 : 12) :

Le micro-ordinateur, en tant que support matériel, a modifié notre rapport à l'écrit. E...] A cette particularité s'ajoute la création de néologismes, d'acronymes ainsi que la traduction écrite des émotions à travers un système iconographique.

Ainsi, la communication numérique écrite (ou écriture numérique) connaît ses propres codes lexicaux, syntaxiques ou encore pragmatiques et proxémiques (l'utilisation du tutoiement et du vouvoiement n'est pas régie par les mêmes codes qu'à l'oral ou que dans des écrits non numériques). Par exemple, dans l'analyse de son corpus, MARTIN (2007 : 71) relève 38,57 % de termes d'origine anglo-américaine et 20 % de structures linguistiques transcrites phonétiquement. Ces chiffres dénotent une nouvelle façon de communiquer et un nouveau lexique propre à cette communication numérique écrite.

La particularité de cette communication réside dans son rapport complexe et partagé entre les codes du langage oral et ceux du langage écrit. Toujours selon MARTIN (2007 : 76), le code linguistique sur l'Internet est un « langage hybride », qui « n'a pas de l'oral la redéfinition permanente du discours, mais n'a pas non plus de l'écrit la précision, la construction par avance, de l'objet scriptural ». Les discours et messages numériques n'obéissent donc pas aux mêmes règles linguistiques que nous connaissons et qui opposent l'oral et l'écrit : l'écriture numérique est le résultat d'un mélange entre l'immédiateté du discours oral et la construction du discours écrit.

Tweet comportant une hésitation représentée par un bégaiement et le retour à la ligne

Tweet comportant les marqueurs d'hésitation tels que "heu", "ben" et tels que les points de suspension

Cette absence de « face à face », de « réel » et d'un contexte oral classique amène l'écriture numérique à se créer de nouveaux codes qui tentent de combler ce manque : ainsi nous pourrons retrouver des énoncés comme ci-dessous.

Tweet comportant l'interjection de rire "hihi"

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Tweet comportant l'interjection de soulagement "aaah"

Dans ces quatre tweets, nous pouvons soulever un grand nombre de marqueurs d'oralité que nous n'avons pas l'habitude de retrouver dans les écrits non numériques. Nous remarquons alors l'utilisation de certaines interjections émotionnelles (le rire avec « hihi », le soulagement avec « aaah ») ainsi que l'utilisation de marques d'hésitation transcrites directement de l'oralité, comme le bégaiement (« je... je », « heu ben heu ») ou encore l'utilisation des points de suspension (qui symbolisent ici un temps de silence) et du retour à la ligne (qui semble symboliser le même temps de silence). La transcription de cette hésitation peut paraître paradoxale une fois écrite ; puisque les différences entre l'oral et le scriptural sont, selon COÏANIZ (1981 : 522) :

Oral

Scriptural

Il n'est pas possible de construire à l'avance les

Avant d'écrire, il est possible de prévoir, de

énoncés : on précise sa pensée au fur et à mesure

construire à l'avance les énoncés, l'écrit n'est

que l'on parle. L'oral est linéaire, il est donc

pas linéaire, et fait un usage différent du temps.

fréquent de trouver ici :

[...]

- des répétitions ;

Il faut être précis, concis.

- des approximations ;

L'écrit est une langue construite.

- des hésitations ;

[Le scripteur] doit construire un récepteur fictif

- des retours à ce qui a été dit. - [...]

[...].

L'oral est une langue en construction [...] [qui] met le plus souvent en présence un émetteur et un récepteur. L'émetteur organise son discours en tenant compte de ce fait.

 

C'est là toute la complexité de cette nouvelle communication numérique écrite : bien qu'elle reste une communication scripturale par définition (il est possible de la prévoir et de la construire, puisqu'on n'y utilise pas le temps de façon linéaire), elle est marquée par des dispositifs que l'on croyait jusqu'alors réservés à l'oralité (cf les marqueurs d'hésitations vus ci-dessus).

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Tout cela nous prouve en effet, comme le dit MONDADA (1999), que « les discours médiatisés par ordinateur [...] obligent à repenser le continuum existant entre oral et écrit, au lieu d'opposer ces deux pôles ». C'est cette émergence d'une écriture numérique hybride, ainsi que l'émergence inhérente de ses codes, qui contribue à celle de l'utilisation des émoticônes.

2) Un nouvel objet d'étude dans la communication numérique écrite : l'émoticône

Afin de brouiller cette frontière entre oralité et écriture, il est donc possible de rencontrer dans un message numérique un mélange de textuel et d'iconique : cette iconicité est représentée en grande partie par la présence des émoticônes.

ANIS (2001 : 40) revient sur les débuts de l'usage des émoticônes dans la communication numérique écrite :

Les fameux « smileys » [...] remontent aux débuts des réseaux. Quand les débats ont commencé dans les « newsgroups » (forums), une phrase mal comprise pouvait provoquer des « flame wars », en bon français des engueulades, alors on pouvait ajouter un commentaire [...] Alors on fera comme ça :-) . Il suffit d'avoir le cou souple, de tourner la tête un quart à gauche, et un peu d'imagination pour y voir .

L'apparition des émoticônes permet alors aux usagers des forums, et plus généralement d'internet, de préciser leur discours et permettre à leurs discussions d'être plus complètes et permettre aux informations qu'ils y donnent d'être plus explicites.

Leurs formes et leurs appellations sont diverses. En effet, si HALTE (2016) parle « d'émoticônes », nous remarquons dans la citation précédente d'ANIS (2001) que le terme utilisé est celui du « smileys ». Nous choisirons dans ce mémoire d'utiliser le terme d' « émoticônes », car il est selon nous le terme le plus « englobant » : il peut ainsi désigner toutes les sortes d'émoticônes, celles expressives comme celles non expressives, contrairement à l'appellation « smileys » qui ne semble désigner que les émoticônes expressives (de par sa traduction, smile voulant dire « sourire » en anglais). Pour ce qui est de leurs formes, qui ont grandement évolué jusqu'à aujourd'hui, HALTE (2016 : 232) précise :

Notons enfin que si, à l'origine, les émoticônes sont constituées des caractères ASCII, aujourd'hui, dans les réseaux sociaux et même dans les traitements de texte, taper la suite de

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caractères « :) », par exemple, transforme automatiquement cette suite en pictogramme, comme suit : « ». [...] Dans l'univers de la téléphonie mobile et de la communication par SMS, il n'existe aujourd'hui plus que des pictogrammes. Les émoticônes faites de signes de ponctuation n'y ont quasiment plus cours, même si, curieusement, certaines marques de téléphones portables proposent encore des banques d'émoticônes constituées de signes de ponctuation.

D'un assemblage de signes de ponctuation (dénués par ailleurs de tout leur sens et but premiers) à une image à part entière, les émoticônes ont donc connu l'évolution logique vers ce qu'elles cherchaient à représenter : souvent des visages, mais aussi des animaux, des objets ou encore des symboles.

L'intérêt de l'utilisation des émoticônes dans les conversations et messages en ligne réside dans sa compensation de l'absence d'indices non-verbaux dans la communication écrite. Selon GAUDUCHEAU et MARCOCCIA (2007 : 43), l'émoticône peut avoir « une fonction expressive, [être un] marqueur d'ironie et d'humour, [avoir une] fonction relationnelle et [être un] procédé de politesse ».

Exemple d'ironie marquée par une émoticône Exemple d'ironie marquée par une émoticône "visage

"paire d'yeux" souriant"

Nous voyons dans les deux exemples ci-dessus que l'ironie est bel et bien appuyée par l'utilisation des émoticônes, qui donnent alors le ton au message et explicite l'intention du scripteur. Il est effectivement toujours compliqué, dans une conversation écrite n'impliquant pas le face à face et tous ses indices paralinguistiques (comme le ton de la voix, la position du corps, les gestes du locuteur ou encore ses expressions du visage) de faire passer de façon entière le message (et donc ses intentions) juste par la mise en place de ses propres mots.

Les émoticônes, selon HALTE (2016 : 229), « rentrent donc dans le cadre de la modalisation et plus généralement des marques de subjectivité dans le discours ». Il serait donc important d'en définir les caractéristiques linguistiques et d'analyser leur rôle sémiotique dans la communication numérique écrite, tout comme l'a fait au préalable HALTE (2016).

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3) Les émoticônes et leur rôle sémiotique : des indices, des symboles ou des icônes ?

Pour analyser le rôle sémiotique des émoticônes, nous nous penchons sur l'oeuvre de PEIRCE (1931-1935), et plus précisément sur l'explication des propos de PEIRCE par DELEDALLE (1979). Cette sémiotique permet de déterminer le sens des émoticônes dans le discours, puisqu'elle donne une définition concrète de la catégorisation des différents signes du langage selon qu'ils sont des icones, des indices ou encore des symboles.

Selon DELEDALLE (1979 : 24), la production de sens dans le discours est un « processus triadique de trois sous-signes appartenant respectivement aux trois dimensions du representamen [qui est le signe], de l'objet et de l'interprétant ».

Modèle sémiotique de PEIRCE (DELEDALLE

1979 :24)

Le signe et sa signification sont donc entièrement dépendants de leur interprétant (celui qui l'entend/le lit) et de l'objet qu'ils représentent. On peut donc en conclure qu'un « signe n'est signe que s'il comporte les trois éléments suivants : un representamen premier, un objet second et un interprétant troisième » (DELEDALLE 1979 : 65).

Ces trois composants connaissent des relations qui s'effectuent de trois manières différentes. Ainsi, il y a en tout neuf « sous-signes » (trois pour le representamen, trois pour l'objet et trois pour l'interprétant)

 

Priméité

Secondéité

Tiercéité

Trichotomie du representamen

Qualisigne

Sinsigne

Légisigne

Trichotomie de l'objet

Icône

Indice

Symbole

Trichotomie de l'interprétant

Rhème

Dicisigne

Argument

Les trois trichotomies fondamentales et les neuf types de sous-signes (DELEDALLE 1979 : 25)

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Il existe donc trois types de signes : le qualisigne, le sinsigne et le légisigne. En voici les définitions selon DELEDALLE (1979) :

Qualisigne : sous-signe premier de la dimension du representamen. Le qualisigne est une qualité qui est un signe. Il ne peut agir que réalisé dans un sinsigne.

Sinsigne : sous-signe second de la dimension du representamen. Le sinsigne est une occurrence individuelle, l' « incarnation » ou la « réalisation » d'un qualisigne.

Légisigne : sous-signe troisième de la dimension du representamen. Le légisigne est une loi, une règle qui est un signe. Tout signe conventionnel est un légisigne.

Le qualisigne est donc la représentation directe et immédiate d'une réalité, de la qualité d'un objet. Le sinsigne, lui, est la représentation du qualisigne dans un espace-temps donné, et qui n'est donc pas infini. Le légisigne étant un signe conventionnel, il est judicieux de dire que tous les signes appartenant à une langue sont des légisignes, puisqu'ils suivent la conventionnalité et les règles de ladite langue.

Nous pouvons alors dire, comme le démontre HALTE (2016 : 237), que les émoticônes sont des légisignes (puisqu'ils sont des signes conventionnels et suivant certains codes) « qui se manifestent en sinsignes » (puisqu'ils sont représentatifs d'un objet limité dans le temps).

Pour définir le sens des émoticônes en tant qu'objet, penchons-nous à présent sur la relation signe-objet établie par PEIRCE. Comme nous pouvons le voir dans le tableau ci-dessus, cette relation s'articule autour de trois façon de représenter l'objet : l'icône, l'indice et le symbolique.

Selon DELEDALLE (1979), en voici les définitions :

Icone : sous-signe premier de la dimension de l'objet. Ressemble à l'objet qu'il représente. Un portrait est une icône.

Indice : sous-signe second de la dimension de l'objet. Renvoie à l'objet qu'il représente parce qu'il entretient une relation directe avec lui. Le symptôme d'une maladie est l'indice de cette maladie parce que c'est la maladie qui en est la cause.

Symbole : sous-signe troisième de la dimension de l'objet. Renvoie à l'objet qu'il dénote en vertu d'une loi, d'ordinaire une association d'idées générales. L'objet du symbole est, comme ce dernier, général. Il doit donc y avoir des cas « existants » de ce que le symbole dénote, fussent-ils imaginaires. Le symbole implique donc un indice d'une certaine sorte.

Pour illustrer le principe de l'icône, nous pouvons prendre pour exemple les pictogrammes. Un pictogramme représentant un avion, un feu ou encore un chat représente directement l'objet du

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monde qu'il imite. Les émoticônes, certaines pouvant d'ailleurs être assimilées à des

pictogrammes, sont des icônes (les émoticônes « animaux », « nourriture » ou encore « moyens de transport » par exemple, mais aussi celles représentant des imitations, des mimiques faciales du visage).

Pour illustrer le principe de l'indice, qui représente un objet qui n'est pas directement saisissable ou perceptible, nous pouvons prendre pour exemple les émoticônes représentant une émotion (comme l'émoticône « qui sourit », l'émoticône « triste », l'émoticône « qui tire la langue »). Cette émotion est contenue dans le sens de l'émoticône (et donc de l'objet) mais n'est pas explicite pour autant. Enfin, pour illustrer le principe du symbole, nous pouvons prendre l'exemple de n'importe quel mot d'une langue puisque ce mot renvoie à un référent connu et associé à ce même mot. Le mot « avion » dans une phrase représente l'avion en tant qu'objet du monde, et ce de façon arbitraire. Il en va cependant de même pour les liens plus « imaginaires » des objets, comme la colombe blanche qui est le symbole de la paix (selon une loi, une association d'idées).

HALTE (2016 : 239) conclue donc :

« Les émoticônes sont donc [...] des légisignes, qui sont des icônes de mimiques faciales ou d'autres éléments, et qui, de par ce statut d'icône, peuvent facilement devenir des indices d'émotions. Le nom est donc bien trompeur : l'émoticône n'est pas l'icône d'une émotion, elle en est l'indice. ».

Si l'on s'en tient à toutes ces définitions, l'émoticône pourrait à la fois être une icône (ce qu'il est de façon générale), un indice (lorsqu'il implique, par exemple, la compréhension d'une émotion), mais pourrait également être lié à un symbole (lorsqu'un scripteur utilise par exemple l'émoticône coeur « <3 », puisque, toujours selon HALTE (2016 : 239), cette émoticône est l'icône d'un coeur et, le coeur étant lui-même le symbole de l'amour, <3 devient alors indice du concept d'amour).

Il est fréquent de lire, dans la littérature linguistique, des auteurs comme HALTE (2013 et 2016), MARCOCCIA (2004 et 2016), MARCOCCIA et GAUDUCHEAU (2007) ou encore MARTIN (2007) discuter du sens, de l'intentionnalité des émoticônes et de leurs rôles sémantiques, sémiotiques ou encore pragmatiques. Cependant, il semble plus rare de trouver des études sur leur utilisation et leur rôle dans la phrase, en tant qu'objet linguistique syntaxique. C'est pourquoi notre étude s'intéressera ici à cette utilisation syntaxique, plus particulièrement à son lien avec la ponctuation.

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4) Les rôles linguistiques de la ponctuation et son lien avec les émoticônes

Avant de commencer notre analyse du corpus et notre étude sur le lien entre émoticône et ponctuation traditionnelle, il est nécessaire de revenir sur la définition et le rôle de cette ponctuation. Ils sont notamment décrits dans les textes linguistiques de CATACH (1994) et de DÜRRENMATT (2015).

La ponctuation est un fait linguistique qui, selon CATACH (1994 : 48), est « essentiellement syntaxique », puisqu'elle est intrinsèquement liée à la phrase et à ses différents composants (et surtout, ses différentes parties syntaxiques), mais également au texte en général (où les phrases « s'imbriquent les unes aux autres par une série d'enchâssements et de présupposés » (CATACH 1994 : 49)). Il existe selon elle trois « ordres de signe » : ceux qui sont utilisés pour ponctuer le texte (appelés « de premier ordre »), ceux qui sont utilisés pour ponctuer la phrase (appelés « de second ordre ») et enfin ceux qui sont utilisés pour ponctuer les parties du discours et les mots (appelés « de troisième ordre ») (CATACH 1994: 50). Nous ne ponctuons donc pas nos textes au hasard : la position des signes de ponctuation dépend du contenu informationnel du texte et de ses parties syntaxiques, que nous devons toujours respecter. Par exemple, il serait difficilement acceptable d'écrire une phrase du type : « *Ma, mère a les plus beaux cheveux du monde » ou encore « *Ce cadeau est ! Génial ». Dans les deux cas, un segment syntaxique a été découpé en deux par un signe de ponctuation, ce qui rend son apport sémantique à la phrase très compliqué à analyser ou comprendre. Séparer le déterminant du nom ou encore le verbe de son attribut constitue une erreur linguistique qui nous semble, à tous, impensable et dérangeante.

Outre le fait que la ponctuation se positionne souvent sur des informations données par l'oralité (comme par exemple les pauses de la voix dans la phrase et la prosodie), elle est également régie par des règles graphiques entièrement liées aux codes du langage écrit. CATACH (1994 : 53) écrit d'ailleurs à ce sujet que « [la ponctuation] est à la fois la plus orale et la plus visuelle des parties de l'écrit ». DÜRRENMATT (2015 : 12) ajoute :

De fait, il est évident aujourd'hui que, s'il est vrai que certains usages des signes de ponctuation correspondent bien à des faits intonatifs spécifiques en cas d'oralisation du texte, les usages non intonatifs sont si nombreux qu'il vaut mieux renoncer à envisager, comme certains, que ponctuer a toujours à voir avec une sorte d'oralité interne permanente et considérer que la ponctuation est un système propre au langage écrit et qu'il s'agit donc de le comprendre et de le décrire dans ce cadre seul ».

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Ce point de vue linguistique est d'ailleurs appuyé par l'utilisation des émoticônes qui font l'objet de notre étude : outre le fait qu'elles soient des indices des émotions des scripteurs, elles sont surtout un véritable produit de la communication numérique écrite et, s'il s'avère qu'elles peuvent être comparés à des signes de ponctuation, alors elles se distinguent d'une utilisation et d'une production aux origines exclusivement orales.

La ponctuation, bien qu'ayant des fonctions précises telles qu' « agencer » le texte, « distinguer » les éléments du texte ou encore « hiérarchiser » les informations (DÜRRENMATT 2015 : 24), est avant tout également le marqueur d'une certaine intensité dans le texte et permet d'en modaliser son contenu informationnel. Cette modalisation permet d'illustrer le degré d'adhésion et d'intensité du locuteur (et donc ici, du scripteur) par rapport à son énoncé.

Fonction :

obliger à/aider à

Agencer

Distinguer

Hiérarchiser

Modaliser

Virgule

++

++

++

 

Point-virgule

++

 
 
 

Deux-points

++

+

 
 

Point

++

+

+

 

Point d'interrogation

+

 
 

++

Point d'exclamation

+

 
 

++

Point de suspension

+

+

 

+

Blanc

 

++

 
 

Tiret

+

+

++

+

Parenthèses

 
 

++

 

Guillemets

 

++

 

+

Certains signes de ponctuation et leurs rôles. Source : DÜRRENMATT (2015 : 25)

Cette notion de modalisation par les signes de ponctuation est importante à retenir puisqu'elle nous permet de commencer à faire le lien avec notre objet d'étude. Les émoticônes, dont on connaît déjà la grande valeur émotionnelle, pourraient alors se rapprocher syntaxiquement des signes de ponctuation dits « modaux » (comme le point d'exclamation, le point d'interrogation ou encore les points de suspensions). DÜRRENMATT (2015 : 100) propose même de voir les signes de ponctuation modaux comme des icônes : « [ils sont] autant linguistiques qu'extralinguistiques ».

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Notre hypothèse de travail sera donc la suivante : les émoticônes sont une nouvelle forme de ponctuation numérique, essentiellement modale et suivant des règles qui se rapportent à celles de la ponctuation traditionnelle telle que la décrivent CATACH et DÜRRENMATT.

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II - LE CORPUS

Afin de répondre à la question que nous avons soulevée sur le possible lien entre l'utilisation des émoticônes et une hypothétique nouvelle marque de ponctuation actuellement à l'oeuvre dans le domaine des écrits numériques, nous proposons un corpus composé d'une sélection de messages d'internautes contenant une ou plusieurs émoticônes. Dans cette partie, il sera question d'exposer et d'expliciter les choix qui ont été fait pour la constitution du corpus : nous présenterons notre volonté de travailler avec des captures d'écran, nous parlerons du choix des plateformes numériques (Twitter et Facebook) et de la sélection des scripteurs (60 tweets professionnels et 60 tweets personnels rédigés par un large panel de personnes), puis nous verrons quels types de signes, et donc d'émoticônes, ont été choisi pour composer le corpus d'étude. A la suite de cette présentation détaillée, nous introduirons notre travail en présentant les trois catégories d'études que nous avons mises en place pour vérifier notre hypothèse.

1) La constitution du corpus

a) Travailler sur des données iconiques

Afin de restituer au mieux les émoticônes dans leur support d'origine (à savoir les pages numériques), et surtout de retranscrire les émoticônes dans leur forme de base (à savoir souvent celle de petites images insérées dans les phrases des internautes), notre corpus sera constitué de captures d'écran faites par ordinateur. Ce choix d'un corpus uniquement composé d'images numériques me semble le plus adapté à mon étude ainsi que le plus représentatif de l'utilisation des émoticônes sur internet, puisqu'il est crucial que l'objet de mon étude engage la dimension iconique qui lui correspond.

b) Quels scripteurs ? Quelles plateformes numériques ?

Au début de notre travail, il était question de rechercher un grand nombre de messages numériques de nature professionnelle mais également de nature personnelle, afin de les comparer tout au long de l'analyse du corpus. Il s'est avéré illogique, en relisant notre problématique, de vouloir à tout

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prix présenter une comparaison pour répondre à notre question principale : celle du rapport qu'entretient l'utilisation des émoticônes avec la ponctuation traditionnelle. Afin de répondre à cette question d'ordre général sur l'un des rôles de ces émoticônes, il nous fallait, avant même de penser à débuter des comparaisons, analyser notre corpus et en tirer les conclusions nécessaires à une possible et future comparaison de quelque nature qu'elle soit.

Ce corpus sera donc composé de tweets trouvés sur le réseau social Twitter et de posts trouvés sur le réseaux social Facebook. Les tweets sont des messages très courts limités à 140 caractères que l'on peut poster sur le réseau Twitter, tandis que les posts sont les messages (eux non limités en caractères) que l'on peut poster sur le réseau Facebook. Nous avons décidé de cibler notre étude sur des éléments postés sur des réseaux sociaux, puisqu'ils sont d'une grande accessibilité et que, selon les chiffres Médiamétrie de 2017, il y aurait plus de deux milliards de personnes qui utilisent les réseaux sociaux dans le monde. Cela représente 31 % de la population mondiale, sur un ensemble de près de 3,5 milliards de personnes qui utilisent internet (soit 46 % de la population mondiale). Les réseaux sociaux sont donc un lieu de prédilection pour l'écriture numérique, surtout en France, où plus d'un français sur deux est membre d'au moins un réseau social. Ensuite, le choix des deux plateformes n'est pas aléatoire : ce sont, en France, les deux réseaux sociaux les plus utilisés par les internautes (en excluant ceux qui ciblent les vidéos et les photos comme Youtube et Pinterest), avec 8,4 millions de visiteurs par jour sur Facebook et 600 000 visiteurs par jour sur Twitter. Ces réseaux sont donc les plus propices à nous donner une idée très générale de l'utilisation des émoticônes ; ils sont les plus représentatifs des messages numériques que peut rédiger n'importe quel internaute.

Notre corpus est donc constitué de 120 captures d'écran. Sur ces 120 captures, 60 sont d'origine professionnelle et 60 sont d'origine personnelle. Nous appellerons « message professionnel » tout message numérique rédigé au nom d'une entreprise (souvent par son community manager). Quant aux messages dits « personnels », nous nous intéresserons aux messages Facebook et Twitter rédigés par six internautes bien définis, qui ont entre 19 et 45 ans et dont font partie trois hommes et trois femmes. Cette sélection variée en terme d'âge et de sexe nous permettra une étude et une analyse la plus étendue possible du corpus, en lien avec notre problématique qui cherche à identifier les grandes régularités d'utilisation des émoticônes dans l'écrit numérique d'aujourd'hui.

Tous les messages personnels resteront anonymes pour préserver l'identité des personnes ayant accepté de collaborer à ce mémoire.

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c) Quelles émoticônes comme objet d'étude ?

Pour élaborer ce corpus, il m'a fallu me poser un grand nombre de questions au sujet de ces émoticônes, qui sont présentes dans les écrits numériques sous plusieurs formes. Ainsi ai-je décidé de ne pas faire de différence entre les émoticônes représentées par une suite de signes de ponctuation (les :-), ;-) et autre <3) et les émoticônes représentées par les images communément appelées « émojis », puisque les deux jouent, selon nous, le même rôle et ont la même utilisation, l'un étant l'ancêtre de l'autre (comme vu précédemment dans notre cadre théorique). Afin d'avoir conscience de l'entièreté des émoticônes existantes, j'ai également consulté un grand nombre de « dictionnaires » et claviers d'émoticônes en ligne. En général, ces sites classent les émoticônes par « thème », comme « personnes/visages », « nature/animaux », « nourriture », « loisirs », « paysages », « objets », « symboles »... En voici donc des exemples :

Exemples de claviers d'émoticônes rangées par thèmes (source : http://www.iemoji.com/)

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Il existe également une liste de « définitions » des émoticônes sous forme de signes de ponctuation, sur laquelle nous nous sommes basés pour pouvoir les repérer et les identifier en tant que telles. Cette page internet liste les différentes émoticônes rédigées « manuellement » et les significations sémantiques et émotionnelles auxquelles elles correspondent (selon l'auteur de la page http://chezbluejo.chez.com/trucs/smiley.html).

Liste des émoticônes et leurs définitions (source :
http://chezbluejo.chez.com/trucs/smiley.html)

Tous ces éléments seront donc considérés comme des « émoticônes » et les messages dans lesquels ils apparaîtront seront ainsi relevés comme éléments du corpus.

Nous ferons également parfois la distinction entre les émoticônes à indices émotionnels (notamment les émoticônes représentant un visage) et les émoticônes uniquement iconiques (n'impliquant pas d'indice) pouvant être comparées aux pictogrammes.

2) Les trois catégories d'étude du corpus

Pour débuter notre analyse et amorcer une réflexion sur le lien hypothétique entre la ponctuation et l'utilisation des émoticônes dans les écrits numériques, nous classerons les données du corpus selon trois catégories d'études, catégories qui peuvent être dites « classiques » quant à l'étude des signes de ponctuation (voir CATACH, 1994). Nous analyserons donc les émoticônes selon leur position dans la phrase, puisque l'utilisation de la ponctuation traditionnelle implique de connaître les

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différents placements (et donc les différents rôles syntaxiques) des signes de ponctuation dans la phrase. Nous étudierons ensuite les accumulations et les répétitions d'émoticônes dans les phrases, puisque ce sont deux utilisations que l'on peut retrouver dans le cas de la ponctuation traditionnelle, notamment avec les signes de ponctuation à modalité importante. Enfin, nous nous intéresserons à la substitution des émoticônes à la ponctuation « classique » : il sera alors déterminant de déceler une volonté du scripteur de remplacer la ponctuation traditionnelle par l'usage même d'une émoticône. Ces catégories d'étude sont traditionnellement étudiées pour les signes de ponctuation traditionnels ; si les émoticônes rassemblent ces propriétés considérées comme celles intrinsèques aux signes de ponctuation dits « traditionnels », alors elles peuvent être considérées comme des signes de ponctuation de façon linguistique.

· Le placement des émoticônes dans les phrases

En premier lieu, les émoticônes seront classées et analysées selon leur position dans la phrase. En effet, si l'on rapproche ces nouveaux éléments linguistiques de notre ponctuation traditionnelle, ils devraient alors respecter des règles de positionnement et de respect de l'unité syntaxique. Comme le dit CATACH (1994 : 54) :

« De même que les blancs sont les porteurs (portées) du texte, les signes de ponctuation doivent être regardés comme les porteurs (portées) des segments syntaxiques. Ils les précèdent, les suivent ou les entourent, mais ce sont aussi et toujours des signes de segments (ils sont suprasegmentaux, bornes comprises). »

Les émoticônes devraient donc, selon notre hypothèse, être situées soit en début de phrase, soit en milieu de phrase, soit en fin de phrase. Dans tous les cas, elles sont censées respecter la linéarité de la phrase et ne surtout pas créer une séparation entre deux termes liés ou encore entre deux éléments au sein même d'une proposition.

· La répétition et l'accumulation des émoticônes

En second lieu, nous nous pencherons sur la question de la présence d'une répétition ou d'une accumulation des émoticônes dans les phrases, autrement dit nous essaierons de voir s'il est possible de rencontrer une même émoticône utilisée plusieurs fois à la suite, ou encore s'il est possible de trouver des messages numériques au sein desquels plusieurs émoticônes différentes se

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suivent. Cela se rattache, encore une fois, à ce que propose CATACH (1994 ; 63) au sujet des signes de ponctuation à valeur modale :

Il [le point d'exclamation] peut, comme le point d'interrogation, s'employer seul, double ou triple, pour accentuer la modalité affective. Utilisés ensemble, sans aucun texte, ils ajoutent leurs motivations souvent très proches (théâtre, bandes dessinées).

L'existence de la répétition et de l'accumulation des émoticônes dans les écrits numériques prouveraient alors leur appartenance à une ponctuation, s'il en est, de valeur modale et affective.

· La substitution à la ponctuation traditionnelle

Enfin, l'ensemble des données du corpus fera l'objet de l'étude de la substitution des émoticônes à la ponctuation : nous analyserons les données dans lesquelles l'émoticône remplace la ponctuation traditionnelle ainsi que celles dans lesquelles l'émoticône se cumule à cette ponctuation. Autrement dit, nous ferons la distinction entre l'utilisation de l'émoticône qui « remplace » la ponctuation traditionnelle (pas de présence de point, de point d'exclamation ou encore de virgule mais ponctuation à leur place et aux mêmes positions) et l'utilisation de l'émoticône qui se rajoute à notre ponctuation traditionnelle (présence combinatoire d'une émoticône auprès d'un signe de ponctuation).

S'il s'avère que les émoticônes remplacent bel et bien la ponctuation traditionnelle dans la plupart des phrases, alors nous pourrons dire que ces émoticônes ont une fonction similaire à celle de la ponctuation qu'elles remplacent syntaxiquement.

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III - L'ANALYSE DU CORPUS

Nous allons donc analyser notre corpus au prisme de trois angles d'analyse ciblant l'utilisation des émoticônes : leur placement dans la phrase, leur utilisation en accumulation et en répétition, et enfin le pourcentage de données du corpus qui présentent une substitution des émoticônes à la ponctuation classique. Nous commenterons au fur et à mesure leur lien, pour le moment hypothétique, avec la ponctuation traditionnelle décrite par les linguistes.

1) Analyse du placement des émoticônes dans la phrase

Lors de l'analyse du placement des émoticônes dans la phrases, nous nous attarderons sur la répartition du corpus en trois catégories : les émoticônes en début de phrase, les émoticônes en milieu de phrase et les émoticônes en fin de phrase. Nous considérerons la phrase selon la définition de CATACH (1994:124), c'est-à-dire comme un « ensemble syntaxique comportant une ou plusieurs propositions ». Nous nous pencherons également sur le degré et le type de modalité donnés à ces émoticônes, et leurs liens avec les positions qui leur sont attribuées.

En classant nos 120 données de corpus2 selon le placement des émoticônes dans la phrase, nous obtenons ce tableau de répartition, que nous allons commenter :

Tableau représentatif du placement des émoticônes dans la phrase

· Les émoticônes placées en début de phrase

Sur les 120 éléments du corpus, et surtout sur les 131 éléments classés selon le placement des émoticônes dans les phrases (certaines données apparaissant dans plusieurs catégories puisque utilisant plusieurs émoticônes), nous en trouvons 18 qui contiennent une émoticône placée en début de phrase. Cela représente environ 14 % du corpus. Nous retrouvons plusieurs utilisations et cas de figures de l'émoticône lors de l'étude de ces 18 données.

2 Toutes les données du corpus peuvent être retrouvées dans les annexes.

Nous pouvons remarquer sur les exemples (1), (3), (4), (5) et (6) que l'émoticône placée en début de phrase se reflète à la fin de celle-ci, dans un encadrement en miroir de la phrase.

 
 

Exemple (4)

 
 

Exemple (6)

Cette utilisation des émoticônes n'est pas à relier à notre ponctuation traditionnelle, qui ne fonctionne pas sur un modèle d'encadrement en miroir de la phrase. Bien qu'une phrase à la suite d'une autre pourrait sembler être « encadrée » par deux points, elle ne l'est cependant pas lorsqu'elle est l'unique phrase d'un message. Il existe des signes de ponctuation qui encadre des propositions (comme les parenthèses ou encore le tiret), mais il est rare de les trouver dans un usage d'encadrement d'une phrase entière comme ici, puisque selon CATACH (1994 : 73) « les parenthèses servent à intercaler, à n'importe quel endroit de la phrase, [...] un segment ». Ces signes n'ont pas, de plus, une fonction modale aussi forte que les émoticônes que nous pouvons observer ici (comme nous avons pu le voir précédemment dans le tableau des rôles des signes de ponctuation de DÜRRENMATT). Nous pouvons néanmoins souligner que les phrases modales espagnoles (exclamatives et interrogatives) sont, elles, encadrées par deux signes similaires de ponctuation (le premier étant cependant présenté à l'envers). Puisque nous étudions uniquement le lien des émoticônes avec la ponctuation traditionnelle française, nous nous le prendrons pas en compte.

Sur les exemples (16), (17) ou encore (18), qui proviennent tous de messages numériques écrits à titre professionnel par trois entreprises différentes, nous pouvons noter une utilisation codifiée de l'émoticône représentant une main avec un doigt pointé afin de renvoyer la phrase à un lien URL.

Exemple (18) Exemple (17)

Exemple (16)

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Cette utilisation n'est pas non plus celle que l'on fait de notre ponctuation traditionnelle, ces exemples témoignent donc eux aussi d'une utilisation des émoticônes propres à d'autres codes d'écriture.

Les exemples (2), (7), (12), (17), (44), (46), (91) et (57) témoignent d'une volonté du scripteur à préciser le thème/sujet de sa phrase avant même de l'écrire.

 
 
 

Exemple (2)

 
 

On voit dans l'exemple (2) que l'émoticône placée en début de phrase représente un écouteur, duquel sortent des notes de musique. Le scripteur veut ainsi préciser que le message qui suit cette émoticône sera des paroles de chanson. De même, dans l'exemple (17), l'émoticône en forme de coeur précise bien au lecteur du message que ce qui suit concernera un « coup de coeur » ; ces émoticônes servent donc une « information doublée » : l'information est présente sous la forme iconique mais également sous la forme écrite. Cependant, ce genre d'iconicité sémiotique ne se retrouve pas, en français tout du moins, dans l'utilisation traditionnelle de la ponctuation.

Enfin, certaines phrases débutent par un émoticône qui a le rôle d'indice émotionnel vis-à-vis du message auquel le scripteur répond, ou à sa propre phrase précédent celle-ci. Les exemples (89), (95) et (105) nous montrent une utilisation des émoticônes sous forme d'indices iconique représentant des réactions.

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Exemple (89)

Exemple (105)

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Cela n'est pas sans rappeler certaines tentatives de transcriptions des émotions au XVIIIe siècle, comme en donne l'exemple DÜRRENMATT :

.... ??!!!?::? Qu'ai.-.je... vu ???........ Ciel !!!!! où.. sont :::: ces... échaffff..ffauds ???.....
!!!! Cet... app..pareil... de.. mort. ::., ce.. glai..ve.. ?!!!:. ces.. bourr..reaux... :;.

DÜRRENMATT (2015 : 101) explique que ces signes de ponctuation, notamment les points d'exclamation, ont une valeur autant expressive qu'iconique.

· Les émoticônes placées en milieu de phrase

Sur les 131 données classées selon la position de l'émoticône dans la phrase, seulement 6 contiennent des émoticônes placées au milieu de la phrase. Cela représente moins de 5 % de cette catégorie du corpus. Nous avons dans cette catégorie les exemples (13), (78), (79), (81), (84) et (103).

 
 
 

Exemple (13)

 
 

Nous pouvons très nettement voir deux utilisations différentes de l'émoticône en milieu de phrase.

Dans l'exemple (13), l'émoticône est placée derrière le nom « RedCup » et l'illustre. Nous avons donc aussi l'icône représentant le gobelet dans lequel on boit le café, mais elle est également rouge ; au-delà d'une icône, nous pouvons même penser à une image, une description imagée, fidèle et concrète du mot qui la précède : nous pouvons alors dire qu'il s'agit d'un pictogramme. L'émoticône sert alors une double dénomination de l'objet de la phrase, pour le mettre en relief et insister dessus. Cette utilisation est donc bien loin de celle de la ponctuation française traditionnelle, qui n'est pas utilisée à ces fins.

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Dans l'exemple (84), cependant, il est flagrant que les émoticônes sont utilisées d'une toute autre façon. En effet, elles découpent très nettement les parties de la phrase : « Luna » (le sujet, mis ici en apposition à la phrase), puis la proposition « elle est de plus en plus douce », enfin la proposition « elle s'apprivoise doucement ». Nous pouvons constater que l'émoticône « ;) » permet ici de séparer des parties de phrases sans pour autant briser la chaîne sémantique des parties en question. C'est d'ailleurs la définition que donne CATACH (1980 : 21) des signes de ponctuation : selon elle, ce sont des séparateurs sémantiques qui permettent de créer des pauses dans la lecture des phrases, simples ou complexes. Cet exemple (84) utilise donc bien les émoticônes de la même façon que nous le ferions avec la ponctuation traditionnelle.

· Les émoticônes placées en fin de phrase

Comme nous pouvons le constater sur notre tableau récapitulatif des données classées selon le placement des émoticônes dans la phrase, les émoticônes placées en fin de phrase représentent plus de 80 % de notre corpus, ce qui en fait la position la plus générale et commune de l'émoticône dans notre corpus.

Outre l'utilisation du smiley en encadrement comme nous l'avons vu précédemment dans les exemples (1), (3), (4), (5) et (6), nous pouvons constater que l'utilisation des émoticônes en fin de phrase implique très souvent une émotion, soit une émoticône représentant un visage et donc un ressenti. C'est le cas de beaucoup d'exemples ; nous pouvons prendre les numéros (48), (33), (92) et (117) pour l'illustrer.

Exemple (33)

Exemple (48)

Exemple (117)

Exemple (92)

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Nous pouvons d'ailleurs constater également que cet ajout de l'information émotionnelle en fin de phrase par ces émoticônes est autant présent dans l'utilisation professionnelle de l'émoticône (exemples (48) et (33)) que dans son utilisation personnelle (exemples (92) et (117)).

Il est intéressant de rapprocher cette utilisation des émoticônes en fin de phrase qui semble lié à une certaine « réaction » du scripteur au caractère modal de certains signes de ponctuation. En effet, selon DÜRRENMATT (2015 : 87), « l'omniprésence des phénomènes modalisateurs dans les discours se retrouve dans un certain nombre de spécificités du système ponctuant ». Il dit également que, par exemple, le point d'exclamation a des fonctions de marqueur d'intensité et d'expression (comme la joie, la surprise ou encore la colère); c'est également le cas des points de suspension et de ses fonctions affectives et conatives (2015 : 94).

L'utilisation des émoticônes en fin de phrase peut alors être reliée à l'utilisation des signes de ponctuation qui font l'objet d'une certaine modalisation.

Exemple (18)

Exemple (1)

Pour les autres exemples (ceux qui n'utilisent pas cette fonction expressive), nous pouvons discerner une volonté du scripteur de préciser le thème/sujet de la phrase ou du message, tout comme nous en avons parlé pour les émoticônes placés en début de phrase. Dans l'exemple (1), la phrase fait la promotion d'un téléphone portable et est donc terminée par une émoticône représentant un téléphone portable, tandis que l'exemple (18) propose un programme de documentaires à voir au cinéma et se termine donc par une émoticône représentant un écran. Notons d'ailleurs que cette utilisation des émoticônes est principalement présente dans les messages à but professionnel, afin de simplifier la cible de vente aux potentiels acheteurs/clients.

Ces émoticônes placées en fin de phrase (ainsi que, moins souvent, celles placées au début ou au milieu de la phrase) connaissent également d'autres usages que nous allons commenter : la répétition, l'accumulation, ou encore la substitution des émoticônes à la ponctuation traditionnelle.

2) Analyse de la répétition et de l'accumulation des émoticônes dans la phrase

Lors de cette analyse de la répétition et de l'accumulation des émoticônes dans la phrase, nous nous intéresserons aux pourcentages que ces utilisations représentent dans notre corpus d'étude et nous les commenterons. Nous nous pencherons également sur les types d'émoticônes qui sont mises en répétition et en accumulation, et nous étudierons la répartition des émoticônes expressives et non expressives dans ces utilisations.

En classant nos 120 données de corpus en deux catégories (celle des émoticônes en répétition et celle des émoticônes en accumulation dans la phrase), nous obtenons ce tableau de répartition, que nous allons commenter :

· La répétition des émoticônes dans la phrase

Sur nos 120 données de corpus, nous retrouvons 4 données qui contiennent une répétition des émoticônes présentes dans une des phrases du message. Ces 4 données représentent un peu moins de 5 % du corpus entier, ce qui est très peu.

Encore une fois, cette utilisation de l'émoticône semble être réservée à une certaine catégorie : celle des émoticônes expressives (qui sont des indices émotionnels).

Exemple (12)

Exemple (90)

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Exemple (9)

Exemple (87)

Nous pouvons alors rapprocher cette analyse de la répétition des émoticônes dans les phrases à celles faites précédemment : ces émoticônes à valeurs expressives font écho à la modélisation présente dans nos signes de ponctuation (comme le point d'exclamation ou encore les points de suspension). Cette répétition permet « d'accentuer la modalité affective » selon CATACH (1994 : 63). Ainsi, les émoticônes sourires multipliées à la fin de l'exemple (9) témoignent d'une modalité ironique plus intense et les émoticônes « choquées », les émoticônes coeurs, les émoticônes « diables souriants » et les émoticônes qui pleurent de rire des exemples (12), (87) et (90) augmentent leur intensité émotionnelle en se répétant.

Nous pouvons également constater que cette répétition est présente autant dans les messages professionnels (exemples (9) et (12)) que dans les messages personnels (exemples (87) et (90)).

· L'accumulation des émoticônes dans la phrase

Sur nos 120 données de corpus, 11 données seulement comportent une accumulation d'émoticônes différents dans leurs phrases. Cette accumulation représente un peu moins de 10 % de l'ensemble de notre corpus.

Contrairement au phénomène de répétition précédemment analysé, l'accumulation des émoticônes n'utilise pas uniquement des émoticônes à indice expressif ou émotionnel mais également celles qui sont uniquement iconiques, comme nous l'avons vu lors de notre analyse du placement des émoticônes dans la phrase et leur rôle de précision du sujet de la phrase.

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Exemple (7)

Exemple (8)

Exemple (93) Exemple (81)

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Ces quatre exemples démontrent la diversité de l'utilisation de cette accumulation d'émoticônes dans les phrases des messages numériques sélectionnés. Dans l'exemple (7), les deux émoticônes sont des icônes qui ne sont pas des indices émotionnels puisqu'elles représentent un morceau de chocolat et un paquet cadeau. Dans l'exemple (93) cependant, nous pouvons voir une accumulation de trois émoticônes différentes à valeur expressive et émotionnelle (un visage « blasé », un visage qui blêmit et un visage qui pleure). Enfin, dans les exemples (8) et (81), les émoticônes à valeur expressive et les émoticônes à valeur simplement iconique sont mélangées (un visage qui tire la langue, un chocolat et un sapin pour le (8) et une licorne, un visage avec des coeurs et un coeur dans le (81)). Les différentes catégories d'émoticônes sont donc ici utilisées les unes avec les autres, côte à côte.

Tout comme dans notre analyse de la répétition des émoticônes dans la phrase, nous pouvons constater que cette accumulation d'émoticônes différentes dans les messages numériques se retrouve à la fois dans l'écrit professionnel (exemples (7) et (8)) et dans l'écrit personnel (exemple (93) et (81)).

L'accumulation et la répétition des émoticônes, malgré le fait qu'elles présentent peu de données, attestent d'une utilisation des émoticônes similaire à celle de la ponctuation dite « traditionnelle » et décrite, comme vu précédemment, par CATACH (1994) ou encore DÜRRENMATT (2015).

3) Analyse de la substitution de l'émoticône à la ponctuation traditionnelle

Lors de cette analyse de la substitution de l'émoticône à la ponctuation traditionnelle, nous commenterons le pourcentage de données qui présentent un remplacement d'un signe de ponctuation par une émoticône. Nous nous attarderons également sur le type d'émoticône utilisée lors de ce remplacement, ainsi que sur les types de signes de la ponctuation traditionnelle qui semblent être remplacés ou non.

En classant nos 120 données de corpus selon si les émoticônes se substituaient ou s'ajoutaient à la ponctuation traditionnelle dans la phrase, nous obtenons ce tableau de répartition, que nous allons commenter :

· Substitution de l'émoticône à la ponctuation traditionnelle

Exemple (14)

Exemple (19)

Exemple (97)

Exemple (100)

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Pour analyser nos éléments de corpus sur le critère de la substitution des émoticônes à la ponctuation traditionnelle dans la phrase, nous avons fait le choix de ne pas prendre en compte les données contenant uniquement des émoticônes placées en début de phrase puisqu'elles sont, comme nous avons pu le déterminer plus tôt dans notre analyse, très peu rattachées à l'utilisation des émoticônes comme un signe de ponctuation traditionnel tel que décrit par les linguistes. Il est de plus très rare, en langue française, de rencontrer un signe de ponctuation en début de phrase : nous les plaçons la plupart du temps en fin de phrase ou encore après des propositions, pour agencer, distinguer, hiérarchiser ou encore modaliser les parties du discours (DÜRRENMATT 2015 : 22-25). Néanmoins, les majuscules de phrase sont considérées comme un signe de ponctuation par CATACH (1994 : 85), signe qui se place au débat du premier mot de la phrase et « présente des usages bien codés, délimités et clairs, en général bien respecté ». Cependant, les majuscules sont placées sur les mots, et ne peuvent pas selon nous être comparées à l'utilisation des émoticônes ici. Nous avons donc réduit notre corpus à 114 données pour cette partie de l'analyse afin de rendre notre recherche et notre analyse les plus justes possibles.

Sur ces 114 données, 67 comportent des messages où les émoticônes remplacent les signes de ponctuation traditionnels (comme par exemple le point ou tout simplement le signe utilisé pour marquer la fin de phrase). Ces 67 données représentent près de 60 % du corpus sélectionné et illustrent donc un peu plus de la moitié des éléments qui le constituent.

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Ces trois exemples de messages personnels (exemples (97) et (100)) et professionnels (exemples (14) et (19)) sont des exemples concrets de cette substitution à la ponctuation traditionnelle. Nous pouvons constater que les émoticônes remplacent le signe de ponctuation final de ces trois phrases et que ces signes sont entièrement absents de leur syntaxe. Les émoticônes endossent ici pleinement le rôle de ces signes, soit celui de marquer la fin de la proposition. Elles sont autant uniquement iconiques (représentation d'un poing dans l'exemple (14) et représentation d'un feu dans l'exemple (19) qui nous font penser à des pictogrammes) qu'expressives (visage qui sourit dans l'exemple (97) et visage qui sourit « en trois » dans l'exemple (100)).

Nous remarquons également dans les exemples professionnels et personnels (21), (36), (94) et (112) que certaines propositions sont terminées par une émoticône tandis que d'autres, pourtant dans le même message, ne le sont pas.

Exemple (36)

Exemple (21)

 
 
 

Exemple (94)

 

Dans l'exemple (21), le scripteur a fait le choix de remplacer trois signes de ponctuation de fin de phrase par des émoticônes (un visage clin d'oeil, une paire d'yeux et un visage avec des coeurs) tandis que sa dernière proposition est ponctuée du signe de ponctuation traditionnelle que sont les points de suspension. De même, dans l'exemple (36), les deux premières phrases ainsi que la dernière sont ponctuées de façon traditionnelle, avec des points et un point d'exclamation, contrairement à la proposition « Le jeu est à présent terminé » qui elle est terminée par une émoticône expressive (un visage triste). Dans l'exemple (94), la proposition « Hihihi » est terminée d'une émoticône expressive (un visage avec un grand sourire) et donc séparée d'une seconde phrase qui, elle, est terminée par une proposition entre parenthèses qui se finit avec un signe de ponctuation

traditionnel (un point d'exclamation). Enfin, dans l'exemple (112), la première phrase est terminée par une émoticône « sourire » tandis que la seconde phrase se termine par un point d'interrogation.

Nous constatons alors que cette substitution à la ponctuation traditionnelle des émoticônes se fait de façon pour le moins aléatoire : certaines phrases sont ponctuées traditionnellement, d'autres sont ponctuées par des émoticônes, parfois même dans les mêmes messages numériques.

Cependant, une certaine linéarité peut être remarquée : les émoticônes semblent toujours, presque sans exception, remplacer un signe de ponctuation qui s'utilise en position finale dans la phrase. Nous n'avons pas de données dans ce corpus qui attesterait d'un remplacement d'une virgule par exemple (en milieu de phrase et fin de proposition). Ainsi, nous pouvons établir que ces émoticônes ayant le rôle de la ponctuation remplacent la plupart du temps des signes comme le point, le point d'exclamation, les points de suspension ou encore le point d'interrogation. Ces signes « finaux » font également partie de ceux, comme vu précédemment, ayant la plus grande part de modalisation (notamment les points de suspension, le point d'exclamation et le point d'interrogation). Cela rejoint donc notre observation sur le lien entre ponctuation modale et émoticône.

· Addition de l'émoticône à la ponctuation traditionnelle

Sur nos 114 données d'analyse, 47 éléments comportent des phrases où l'émoticône figure aux côtés d'un signe de ponctuation traditionnel. Cela représente au total un peu plus de 40 % du corpus, soit presque sa moitié. Ce chiffre appuie notre remarque sur le caractère très aléatoire de l'utilisation des émoticônes en remplacement où en addition à la ponctuation traditionnelle, puisque nous avons ici presque autant de données comportant une substitution à cette ponctuation que de données comportant un ajout de l'émoticône à la ponctuation.

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Exemple (39)

 

Exemple (35)

 
 

Exemple (73)

 
 

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Comme nous pouvons le voir dans les quatre exemples ci-dessus, cet ajout des émoticônes aux côtés de signes de ponctuation plus traditionnels semble se faire aux côtés de n'importe quel signe de ponctuation. Dans l'exemple (39), l'émoticône est placée après les points d'exclamation. Dans l'exemple (35), l'émoticône est placée derrière le point d'interrogation. De même, dans l'exemple (73), l'émoticône est placée derrière le point. Enfin, dans l'exemple (81), les émoticônes sont placées devant la virgule.

Le placement de l'émoticône par rapport au signe de ponctuation semble donc aléatoire (même si l'émoticône respecte toujours l'unité de la proposition comme vu précédemment), tout comme les signes auxquels les émoticônes s'ajoutent (on a le cas d'une virgule, d'un point, de points d'exclamation et d'interrogation). L'émoticône serait alors une valeur « ajoutée » à la phrase ici. Elle peut être une ponctuation supplémentaire tout comme elle peut servir au scripteur à ajouter ces informations non-verbales que l'on retrouve d'ordinaire dans les conversations orales, en face à face.

4) Bilan des analyses

Pour récapituler, voici un tableau regroupant l'entièreté des résultats et pourcentages des analyses du corpus :

Toutes ces analyses nous confortent dans notre hypothèse initiale : les émoticônes respectent bien plusieurs règles d'utilisation, qu'elles partagent avec les signes de la ponctuation traditionnelle comme elle peut être décrite par CATACH (1994) ou encore par DÜRRENMATT (2015). Elles ne sont pas placées par hasard dans les phrases ; elles permettent de distinguer et d'agencer les segments syntaxiques tout en leur apportant des informations émotionnelles ou intentionnelles. Les émoticônes peuvent également être doublées, triplées et multipliées pour développer leur intensité modale. Elles peuvent être placées, même si elles sont différentes et si elles comportent différentes sortes d'informations, les unes à côté des autres pour préciser leurs motivations. Enfin, il est

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important de relever que le remplacement de la ponctuation par les émoticônes dans les phrases n'est pas automatique : la moitié de notre corpus présentait des exemples de signes de ponctuation absents et remplacés par des émoticônes, tandis que l'autre moitié présentait des exemples de phrases où l'émoticône était ajoutée auprès du signe de ponctuation déjà présent.

Ce corpus permet aussi de rappeler que l'utilisation de l'émoticône reste pour le moment propre à chacun ; selon que le message était écrit dans un but professionnel ou dans un but personnel, le choix du type d'émoticône, de son placement ou encore de son possible ajout auprès d'un signe de ponctuation ne semble dépendre que d'une chose : les habitudes du scripteur et son usage personnel de l'écriture numérique. Il nous faudrait cependant un corpus bien plus large et bien plus fourni pour tirer des conclusions concrètes à ce sujet.

Même s'ils représentaient parfois un faible pourcentage des données du corpus (comme nous avons pu le constater lors de notre analyse de l'accumulation et de la répétition des émoticônes dans les phrases), les critères proposés pour analyser l'utilisation des émoticônes et leur lien avec la ponctuation traditionnelle ont tous présentés des cohérences et des rapprochements avec cette ponctuation. Il paraît donc pertinent de souligner la ressemblance démontrée de cette utilisation des émoticônes avec celle de la ponctuation. Les émoticônes sont bien, selon l'étude que nous avons menée et ce procédé de reconnaissance des règles qu'elles suivent et qu'elles représentent, des unités se rapprochant de la ponctuation. Nous pouvons affirmer que les émoticônes sont une nouvelle forme de ponctuation propre à l'émergence d'un langage numérique.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein