La gestion de la dette publique dans les états membres de UEMOA et de la CEMAC( Télécharger le fichier original )par Aïcha Ndiaye Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master II recherche droit et gouvernance des systèmes financiers publics 2017 |
Principales Abréviations :BEAC : Banque des Etats de l'Afrique Centrale CCEG : Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement CM : Conseil des Ministres CNDP : Comité National de la Dette Publique CNPE : Comité National de Politique Economique CNSM : Comité National de la Surveillance Multilatérale CEMAC : Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale FERDI : Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International FMI : Fonds Monétaire International IPSAS : International Public Sector Accounting Standards LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Finances PCSCS : Pacte de Convergence de Stabilité de Croissance et de Solidarité PEFA : Dépenses Publiques et Responsabilité Financière PIB : Produit Intérieur Brut PPC : Programme Pluriannuel de Convergence SDMT : Stratégie D'endettement à Moyen Terme S.M : Surveillance Multilatérale TOFE : Tableau des Opérations Financières de l'Etat UEAC : Union Economique de l'Afrique Centrale UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine Introduction :L'importance de la construction d'organisations d'intégration n'est plus à démontrer. Plus qu'une utilité, les organisations d'intégration sont devenues une nécessité. En effet, « le développement et le progrès économique, social, scientifique et technique ne sont plus à la portée d'un seul Etat »1(*). Bien au contraire, l'intégration est considérée comme l'ultime solution capable de promouvoir l'émergence des pays en développement. Les organisations d'intégration occupent une place de plus en plus importante en Afrique Subsaharienne francophone. L'instabilité économique mondiale a renforcé la vulnérabilité des petites économies de la région. La solution revient donc à renforcer les liens interafricains et la solidarité afin de mieux faire face aux chocs extérieurs. C'est dans ce cas de figure que sont nées au milieu des années 90, deux grandes organisations d'intégration2(*) à savoir l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (U.E.M.OA.) et la Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale (C.E.M.A.C). L'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C sont préoccupées par la promotion de la croissance économique. Mais la faiblesse économique des Etats impose que la croissance soit financée sur la base d'emprunts. Ce qui soulève un autre impératif : celui d'assurer une bonne gestion de la dette publique. L'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (U.E.M.O.A) a été fondée par un traité signé à Dakar (Sénégal) le 10 janvier 1994 par sept Etats que sont le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Le 2 mai 1996, la Guinée Bissau devient le huitième Etat membre de l'Union. L'U.E.M.O.A. est le fruit d'expériences d'intégrations régionales qui ont débuté bien avant les indépendances3(*). Elle poursuit et élargit l'intégration entamée par l'Union Monétaire Ouest Africaine (U.M.O.A). Celle-ci a été créée le 02 mai 1962 à Paris par un Traité signé par huit Etats4(*). Toutefois, la crise économique et financière des années 80 a montré les limites d'une intégration cantonnée dans une dimension monétaire (le franc CFA) malgré la stabilité qu'elle avait conférée. Deux mois après la création de l'U.E.M.O.A, le 16 mars à N'diamena (Tchad), la Communauté Economique et Monétaire des Etats d'Afrique Centrale (C.E.M.A.C) voit le jour. Elle regroupe six Etats à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad. La C.E.M.A.C a connu un parcours historique moins dynamique que celui de l'U.E.M.O.A. A croire que les Etats de cette dernière sont plus conscients des avantages que procure une intégration. La C.E.M.A.C est l'héritière de l'Union Douanière et Economique de l'Afrique Centrale (U.D.E.A.C) qui a été créée le 08 décembre 1964. Celle-ci, a été, elle-même, précédée par l'Union Douanière Equatoriale (U.D.E) fondée en 19595(*). Perçues comme des soeurs ou des frères jumeaux6(*), l'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C ont, en effet, beaucoup de points en commun. Du point de vue de leurs statuts juridiques, l'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C constituent, toutes les deux, des organisations d'intégration.7(*) Il s'agit d'un type d'organisation internationale qui regroupe plusieurs Etats et qui visent à terme une harmonisation ou une fusion des législations entres Etas membres. A ce propos, les traités constitutifs des deux unions précisent, dans leurs préambules, qu'il est nécessaire de favoriser le développement harmonieux de leurs Etats membres grâce à l'harmonisation de leurs législations8(*). Elles sont donc dotées d'une personnalité juridique. Et comme leurs noms l'indiquent, elles sont compétentes en matière économique et monétaire. Elles tirent ces compétences d'un transfert de souveraineté de la part des Etats membres. De même, les deux Unions ont la particularité d'avoir été précédées d'une union monétaire. En principe, l'Union monétaire est l'aboutissement de l'union économique. Mais pour les cas de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C, c'est le contraire qui s'est produit. Du point de vue monétaire, les Etats des deux organisations font partie de la zone Franc9(*). Leurs monnaies sont donc attachées à l'euro et bénéficient d'un taux de change fixe. Sur le plan historique, à quelques exceptions près10(*), les Etats étaient des anciennes colonies françaises. Ils partagent donc la même langue et éprouvent beaucoup d'attachements par rapport aux pratiques françaises. Sur le plan économique, les Etats de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C font partie des pays à faibles revenus. L'économie de la C.E.M.A.C a la particularité de dépendre en grande partie des recettes pétrolières. Elle est donc très vulnérable car les prix du pétrole sont volatiles. D'ailleurs, les Etats connaissent des difficultés du fait de la baisse des prix du pétrole11(*).Les pays de l'U.E.M.O.A concentrent leurs activités économiques dans le secteur primaire, en particulier l'agriculture. Celle-ci est confrontée à des difficultés liées au dérèglement climatique et à la concurrence. Les économies des Etats ne sont pas diversifiées et sont sensibles aux fluctuations du marché mondial et à la concurrence internationale. Aucun pays de l'U.E.M.O.A ou de la C.E.M.A.C n'est donc en mesure de propulser une croissance économique en se basant uniquement sur ses ressources propres. Cette faiblesse économique les pousse à contracter des dettes. La dette publique, est un stock issu des emprunts de l'Etat et de ses démembrements auprès d'entités résidentes ou non. A l'époque, l'emprunt servait le plus souvent à financer les guerres.12(*) Mais de nos jours, il est utilisé pour financer en principe des dépenses d'investissement : c'est la règle d'or. La dette publique est à distinguer du solde budgétaire qui est le résultat de la différence entre les recettes et les dépenses. Lorsque le solde budgétaire est excédentaire, alors il n'est pas besoin d'emprunter vu que les recettes sont supérieures aux dépenses. Mais dans le cas d'un solde déficitaire, l'Etat emprunte pour combler le déficit. Et si l'on additionne les emprunts contractés, on obtient la dette publique. La dette représente l'ensemble des déficits cumulés des années où le budget a été déficitaire. La gestion de la dette publique dans les Etats membres de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C répond au souci de maintenir les finances publiques à un rythme soutenable. Cela veut dire que puisque les Etats sont obligés d'emprunter, il faut qu'ils soient toujours en mesure de rembourser la dette en même temps la dette doit servir à accélérer la croissance économique. Et pour cela, les finances publiques doivent être équilibrées, au pire des cas, connaître un déséquilibre raisonnable. De la soutenabilité, dépend la solvabilité c'est-à-dire la capacité à rembourser ses dettes. L'utilité de la dette publique a fait couler beaucoup d'encre chez les économistes13(*). Mais de nos jours, elle est plus perçue comme une nécessité car le déficit budgétaire est devenu la règle a fortiori dans des pays en voie de développement comme ceux de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C. La dette peut être intérieure et/ou extérieure. Elle est intérieure lorsque l'Etat emprunte à des agents économiques qui se trouvent sur son territoire. Cette possibilité est assujettie à une forte épargne de la part des ménages. Or, dans les Etats de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C, plus de de la moitié de la population se trouve en dessous du seuil de la pauvreté14(*). De ce fait, ce sont les bailleurs de fonds internationaux, bilatéraux15(*) et multilatéraux16(*), qui leur octroient des prêts. Cette dépendance à l'aide extérieure n'est pas récente. Elle date de l'accession à l'indépendance des Etats vers les années 60. A ce moment-là, ils avaient besoin de ressources pour un nouveau départ. Mais la crise financière des années 80 a aggravé les déficits des Etats. Après les programmes d'ajustements structurels qui n'ont pas connu un grand succès, les Etats ont finalement bénéficié d'importantes mesures d'allégement de leurs dettes extérieures, bilatérales comme multilatérales dans le cadre du Club de Paris, de l'Initiative des Pays Pauvres Très Endettés (I.P.P.T.E) et de l'Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (I.A.D.M)17(*). Cela leur a permis de recouvrer une soutenabilité de leurs finances publiques. Les Etats doivent maintenant tout faire pour maintenir cette soutenabilité. Il s'agit d'un défi car ils n'ont pas droit à l'erreur. Il est peu probable qu'un autre projet d'allègement de la dette soit encore mis en oeuvre s'ils n'arrivent pas à bien réguler leurs finances. Le contexte économique mondial actuel n'y est pas favorable. La dépendance à l'aide extérieure a fait qu'au-delà des intervenants communautaires et étatiques, les bailleurs de fonds sont devenus les troisièmes acteurs de la gestion de la dette publique au sein de la C.E.M.A.C et de l'.U.E.M.O.A. Déjà, la création de ces deux organisations suite à la dévaluation du Franc CFA n'est pas survenue ex-nihilo. Les institutions de Breton Woods et la France ont pressé les Etats à former des organisations d'intégration plus poussées18(*). La gestion de la dette publique a donc été au coeur de la formation de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C. C'est ainsi qu'elles se fixent comme objectif d'assurer « la convergence des performances et des politiques économiques des Etats membres à travers une procédure de surveillance multilatérale » (S.M)19(*). Et suivant les pas de l'U.E.M.O.A, la C.E.M.A.C a adopté les mêmes critères de convergence dans le cadre de la S.M. Parce qu'elles sont motivées par les mêmes bailleurs de fonds, les deux organisations ont tendance à utiliser les mêmes outils de gestion de l'endettement au sein des Etats membres. Mais en 2015, l'U.E.M.O.A a révisé son dispositif de S.M et, pour la première fois, la C.E.M.A.C a choisi de prendre un autre chemin. C'est donc l'occasion de revoir le dispositif de S.M qui a été mis en place jusqu'ici. Il ne s'agit pas de dire que la S.M n'a jamais connu de succès. Bien au contraire, elle a permis, tant soit peu, de discipliner les politiques économiques des Etats. Grâce à la S.M des institutions ad-hoc ont été créées aussi bien au sein des Unions qu'aux niveaux nationaux. Des procédures ont été mises en place. Des rapports périodiques sur l'état de la convergence ont été rédigés. Mais après des années d'application, la convergence n'était toujours pas encore atteinte. D'où l'idée de réformer les critères afin de les rendre plus compatibles aux économies des Etats. Les réformes introduites dans les dispositifs de S.M sont un prétexte pour refaire le tour de la question de la gestion de la dette au sein des Etats membres de l'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C. Un deuxième instrument, impulsé par le Fonds Monétaire International, a été également mis en place par l'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C. Il n'a pas beaucoup attiré l'attention. Mais il est tout aussi important. Durant nos recherches, le constat qui a été fait c'est qu'il n'existe pratiquement aucun commentaire scientifique sur ce dispositif. Pourtant, c'est un instrument qui responsabilise les Etats. Il les pousse à justifier les raisons de leur endettement qui doivent être des dépenses d'investissements. En plus, il permet de maîtriser les risques relatifs à la contraction des dettes car le dispositif encourage à effectuer des prévisions sur le long terme qui peuvent aller jusqu'à quinze ans. Il conduit à la rédaction de projets élaborés et réfléchis. Ce dispositif, appelé cadre de référence de la politique d'endettement public, ne devrait donc pas être minimisé. Il existe depuis 200720(*) et malgré ses dix années d'ancienneté, il n'a pas fait l'objet de beaucoup de littératures. Il mérite d'être connu. Le phénomène de la dette publique préoccupe beaucoup les économistes. Il est, en effet, basé sur l'utilisation de formules mathématiques qui, souvent, ne sont pas à la portée d'un grand nombre de lecteurs. Il interpelle aussi les historiens car il est utile de connaître les origines de la dette publique et les mutations qu'elle a subie. Cependant, la dette publique ne se limite pas à une simple question de formules, de calculs de taux et de chiffres. Si tel était le cas, les traités des deux Unions n'auraient pas prévu une harmonisation des législations budgétaires pour les synchroniser avec la procédure de S.M. Et cela concerne aussi bien les lois de finances que les comptabilités budgétaires21(*). Dès lors, ne faudrait-il pas partir au-delà des préoccupations purement mathématiques ? Par ailleurs, dans nombre de travaux, il est reproché aux Etats de ne pas diversifier leurs ressources et de ne pas moderniser le système fiscal. Il est vrai que la mobilisation des recettes pourrait permettre de faire face aux dépenses par des moyens nationaux et donc de ne recourir à l'emprunt qu'à titre exceptionnel. Cependant, la dimension la plus importante qui est négligée est celle de la maîtrise même des dépenses publiques. Il serait vain, en effet, de réussir le pari de la mobilisation des recettes sans maîtriser les dépenses publiques. Si la gestion publique n'est pas rationalisée, toutes les recettes obtenues seront mal utilisées et ne produiront pas l'effet voulu. Beaucoup de lacunes dans l'utilisation des recettes et dans la procédure budgétaire ont été relevées par des études22(*). Ce qui prouve que les Etats doivent faire des efforts allant dans ce sens. Cette exigence ne peut être respectée que lorsque le circuit budgétaire et comptable est clarifié. Il est clair donc qu'il y a une dimension essentielle qui est plus ou moins banalisée à savoir la transparence dans les finances publiques. Les vertus de la transparence dans un Etat de droit ne sont plus discutées. Elle est même devenue une exigence des citoyens qui se sentent de plus en plus impliqués dans la gestion des deniers publics de leur pays. La transparence permettra à coup sûr d'effectuer une gestion plus optimale de la dette publique car elle va rendre limpides les comptes publics. Il faut reconnaître, en effet, que « les finances publiques africainessouffrent de maladies infantiles »23(*). Ces maladies sont dites infantiles car elles ont atteint les Etats depuis leur accession à l'indépendance. Elles sont aussi « contagieuses » vu qu'elles se sont rapidement propagées sur le continent. Donc, les Etats membres de l'U.E.M.O.A et de la C.E.MA.C n'ont pas été épargnés. La première maladie est la corruption. La corruption est souvent analysée sous l'angle de la déontologie ou de la répression. Mais si elle est perçue sous l'angle de la gestion, ses conséquences en matière financière seront rapidement remarquées. La corruption est révélatrice d'un dysfonctionnement politique aux conséquences économiques néfastes. Selon le Centre Africain de formation et de recherche administrative pour le développement, 150 milliards d'euros ont été perdus en Afrique en 2011 à cause de la corruption. Et dans le rapport de 2015 de Transparency International sur la corruption dans le monde24(*),les Etats membres de la C.E.M.A.C ont été classés parmi les pays les plus corrompus, et dans une moindre mesure, ceux de l'U.E.M.O.A. La corruption provoque des manques à gagner qui auraient dû servir à des investissements publics. L'Etat perd de l'argent à cause d'une mauvaise gestion et se trouve obligé d'emprunter. La deuxième maladie, qui comporte même des liens avec la corruption, est le détournement des deniers publics. Il est très présent et il est inutile de le commenter. Les actualités en disent long tous les jours. Bref, ce qui caractérise les Etats de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C est une mauvaise gouvernance des finances publiques. Le circuit budgétaire et comptable n'est pas sécurisé. C'est donc conscient d'une telle préoccupation que le FMI a adopté un « code de bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques » en 200725(*). Il est normal que les bailleurs de fonds soient préoccupés par la solvabilité des Etats débiteurs. Dès lors, ils font tout pour s'assurer que l'argent prêté est utilisé à des fins utiles. Il est logique que si la dette a servi à des dépenses d'investissement, elle permettra de booster la croissance et facilitera le remboursement. Mais toutes ses obligations qui incombent aux Etats ne seront respectées que si la transparence est garantie aussi bien dans le processus budgétaire que dans la sauvegarde des données comptables. Dès lors, la première question sur laquelle les Etats doivent se concentrer est celle d'une gestion saine des finances publiques. C'est une saine gestion des finances publiques qui permettra de maîtriser les dépenses publiques. Elle mettra à découvert les dépenses inutiles et injustifiées qui amplifient le déficit budgétaire des Etats et les pousse à emprunter davantage. Il s'agit d'une chaîne de conséquences et, pour nous, tant que le circuit budgétaire et comptable n'est pas fiabilisé, la maîtrise de la dette publique n'en demeurera que plus difficile. L'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C ont donc repris les bonnes pratiques dégagées par le F.M.I. Elles ont adopté chacune une directive portant code de transparence et de bonne gouvernance des finances publiques26(*). Ensuite, elles ont élaboré des règles budgétaires et comptables compatibles avec les pratiques internationales en matière de gouvernance financière publique. Il s'agit de règles qui introduisent l'exigence de résultats de l'action publique.Nous verrons que cette logique de gestion n'est pas nouvelle chez les Etats. Mais les directives communautaires ont eu la vertu de la systématiser et d'en uniformiser la règlementation au sein de l'ensemble des Etats membres. La gestion efficace et efficiente des deniers publics est un impératif car les ressources financières se font de plus en plus rares. Cependant, les Etats peinent à internaliser les nouvelles règles de la gestion publique. Les systèmes des Etats de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C tels que conçus ne se prêtent pas à une gestion efficiente des finances publiques. Or une réforme de la gestion publique nécessite une refonte du processus décisionnel. Il ne s'agit pas de déplacer un pion mais de remodeler tout le système administratif et politique. Les rôles et pouvoirs doivent être redistribués entre les différents acteurs. La nouvelle gestion nécessite une refonte systémique de l'appareil étatique. En même temps, cette refonte est problématique. Les Etats sont trop encrés dans un système traditionnel vétuste qui existe, pour la plupart, depuis les indépendances et qui a été rarement révisé. On a l'impression que les Etats appréhendent difficilement les changements qualitatifs. Le redressement devient pénibleaprès un demi-siècle de gestion lacunaire. Et « rien n'est plus difficile que de modifier les habitudes surtout quand elles sont anciennes et mauvaises »27(*). Nous verrons que parce que les Etats peinent à assurer une saine gestion de leurs finances publiques, la gestion de la dette publique reste une préoccupation difficile à résoudre. En même temps, dans leurs tentatives, les Etats éprouvent de plus en plus des difficultés pour réformer leurs systèmes budgétaires et comptables. En tant que pays sous-développés, le deuxième obstacle qu'ils rencontrent est celui du manque de moyens. Les moyens matériels, humains et financiers n'existent pas en quantité suffisante. Une méthode précise pour internaliser les réformes demeure inconnue des Etats. Les difficultés dans la gestion de la dette proviennent de différents niveaux. Si ce ne sont pas les Etats, ce sont les organisations communautaires ou encore les bailleurs de fonds internationaux. Les problèmes sont nombreux et variés. Si on se concentre sur les seuls critères de convergence tout en négligeant les bonnes pratiques financières que doivent respecter les Etats, on en restera au statut quo. Le dispositif de S.M sera modifié, les directives financière et comptable revues. Mais le résultat restera mitigé. Les instruments communautaires et nationaux se multiplieront. Et cette inflation compliquera davantage la situation actuelle. Le volet communautaire constitue le deuxième niveau de difficulté. On ne peut nier la volonté de réformer et d'aller de l'avant au sein de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C. Les dispositifs communautaires s'empilent. Si ce ne sont pas des directives, ce sont des règlements qui sont adoptés en vue d'une meilleure maîtrise des finances publiques. Mais les deux Unions se heurtent à une carence de modèles. L'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C n'ont pas de modèles qui leurs sont propres. Un modèle doit non seulement être compatible avec la réalité des Etats mais aussi être le fruit du vécu et des leçons tirées des échecs. Faute de modèle, c'est le mimétisme qui est mis en avant. S'inspirer de ce qui se passe dans les autres organisations permet d'être en phase avec le mouvement mondial. Mais il n'existe aucun modèle qui peut être importé et appliqué tel quel dans un système donné. Les réalités économiques, politiques et sociales différent d'une sphère à une autre. Et une règlementation qui ne tient pas compte de ces impératifs est vouée à l'inapplicabilité. Donc non seulement les Unions doivent être authentiques en soi mais en plus les dispositifs communautaires doivent être formulés de telle sorte qu'ils puissent supporter les variations nationales de chaque Etat. Le troisième et dernier niveau de difficulté réside au sein des bailleurs de fonds. A l'échelle communautaire, le constat qui a été fait est une participation forte des bailleurs de fonds dans la construction de deux ensembles sous régionaux. L'U.E.M.O.A et la C.E.M.A.C sont poussées, dans leurs décisions, par les bailleurs de fonds. Dès lors, elles sont obligées de se soumettre aux règles universelles de bonne gestion qui, dès fois, ne sont pas compatibles avec les réalités des Etats. A l'échelle nationale, les bailleurs bilatéraux ont tendance à établir des normes de gestion distinctes de celles retenues au niveau communautaire. Et les exigences peuvent même différer d'un bailleur à un autre. Le résultat c'est que les Etats développent autant de techniques de gestion que de bailleurs. Ce qui renforce l'illisibilité budgétaire et sape leur capacité de maîtriser les dépenses auxquelles ils font face. La gestion de la dette publique devient problématique avec la prise en compte de tous ces paramètres. Les dispositifs de gestion de la dette sont présents mais les écueils sont plus profonds. Le noeud du problème se trouve dans la sécurisation du circuit budgétaire et financier des Etats, dans le réalisme des instruments communautaires et dans une coordination entre les bailleurs de fonds et les destinataires des conditionnalités qui accompagnent les prêts. Ainsi seront successivement développés le double dispositif communautaire de gestion de l'endettement des Etats (première partie) et les difficultés qui sapent une bonne gestion de la dette publique au sein des Etats membres de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C (deuxième partie). Première Partie : Un double dispositif communautaire de gestion de la dette publique : La gestion de la dette est assurée par des dispositifs communautaires. L'idée est d'harmoniser la réglementation afin de faciliter l'atteinte des objectifs communs. Il est vrai que la gestion de la dette est une préoccupation pour toute organisation internationale à vocation économique et/ou monétaire. Mais elle est plus cruciale pour les pays de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C car ils sont en voie de développement. Par conséquent, une mauvaise gestion de l'endettement public pourrait constituer une entrave sérieuse à l'émergence des Etats. Deux instruments principaux ont été décelés. Ce sont des dispositifs qui créent des rapports directs entre les Etats et l'organisation communautaire. La surveillance multilatérale (S.M) constitue le premier instrument qui permet d'apprécier l'endettement d'un Etat et de proposer des mesures correctrices le cas échéant. Elle ne peut donc être contournée. Elle a une vocation générale car elle s'attache à l'ensemble des politiques macroéconomiques. Mais les critères dont elle est chargée d'assurer le respect entretiennent des liens étroits avec la dette des Etats. Ces critères informent à la fois sur le taux du déficit budgétaire et la part de la dette publique dans le PIB des Etats membres. Le deuxième dispositif, moins connu, est le règlement sur la politique d'endettement public. Il n'aborde que la question relative à la dette publique. Il est très détaillé et pousse les Etats à ne contracter des dettes qu'en cas de nécessité. Comme il a été affirmé tantôt, il n'a pas fait l'objet de beaucoup de réflexions ; d'où l'idée de lui consacrer une partie afin qu'il soit plus connu. Seront donc successivement développées la surveillance multilatérale (Chapitre I) et la politique d'endettement public (Chapitre II) * 1GUEYE Thiamba, « L'incidence de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine sur les finances publiques de ses Etats membres », Panthéon-Assas, Avril 2011, p.14 * 2 Elles regroupent 14 des 23 pays d'Afrique subsaharienne francophone ; Elles représentent à elles seules plus de la moitié de la superficie de la zone. * 3Il y a eu, en effet, des expériences d'intégration douanière et économique avant la création de l'U.E.M.O.A. Le 09 juin 1959, une première convention créant l'Union Douanière de l'Afrique Occidentale est signée. Elle deviendra, en 1966, l'Union Douanière des Etats d'Afrique de l'Ouest (U.D.E.A.O). Le terme « Etats » était devenu déterminant à ce moment-là pour marquer l'accession à la souveraineté. Dans le désir de renforcer l'intégration, le 17 avril 1973 la Communauté Economique de l'Afrique de l'Ouest est fondée grâce à un traité signé à Abidjan par six Etats. La CEAO sera dissoute au moment de la création de l'UEMOA. Il existe également une autre organisation appelée Communauté Economique des Etats de l'Afrique Occidentale qui a été fondée le 28 mai 1975 à Lagos * 4Il s'agissait du Dahomey (actuel Bénin), du Mali, du Sénégal, de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), de la Côte d'Ivoire, du Niger, de la Mauritanie et du Togo. La Mauritanie a quitté l'Union en 1973 et a créé sa propre monnaie. Le Mali avait fait pareil mais a ensuite réintégré l'Union. * 5 En Juin 1959 est signée la convention portant création de l'UDE par quatre Etats membres. En 1961, le Cameroun rejoint l'organisation. Le 8 mars 1964 à Brazzaville est signé l'accord portant création de l'UDEAC. Et la Guinée Equatoriale adhère à l'UDEAC en 1983. * 6 Ce sont des termes journalistiques que les médias utilisent lorsqu'ils comparent ces deux organisations. * 7 Les organisations d'intégration sont généralement distinguées des organisations de coopération. Celles-ci poursuivent des intérêts communs aux Etats membres mais chaque Etat conserve sa liberté d'action et de décision * 8 2ème alinéa du préambule du traité de la C.E.M.A.C ; 4ème alinéa du préambule du traité de L'U.E.M.O.A * 9 La zone Franc regroupe, en plus des Etats de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C, les îles Comores et la France. * 10 La Guinée Equatoriale était une colonie espagnole et la Guinée Bissau était une colonie portugaise. Elles sont donc lusophones. Le Cameroun et le Togo étaient des colonies allemandes avant de devenir des protectorats français. * 11Tous les pays de la C.E.M.A.C, excepté la Centrafrique, sont pétrolifères. Les ressources pétrolières représentent plus de 50% des recettes budgétaires des Etats. Et selon le rapport du FMI de 2016, les recettes d'exportations pétrolières ont baissé de 32% par rapport à 2015 * 12 Dès le XVIème siècle, des cités italiennes comme Florence inventent la dette publique pour financer les incessantes guerres. En France, à partir de 1522, le Roi François Ier reproduit cette technique. * 13On peut citer par exemple John Maynard Keynes qui, après la crise de 1929, plaidait en faveur d'un endettement de l'Etat pour relancer l'économie nationale. En 1974, l'économiste Barro s'est opposé à sa thèse. Celui-ci a estimé que les agents économiques sont capables d'anticiper les effets d'une augmentation des dépenses publiques par l'endettement de l'Etat. Dès lors, lorsque l'Etat envisagera d'augmenter les impôts pour rembourser les dettes, les agents économiques auront déjà épargné leur argent et l'Etat sera donc faussé dans ses prévisions. * 14 Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, « Rapport sur la situation de la pauvreté dans les pays de l'U.E.M.O.A », 2012, pp.3 * 15Un bailleur de fonds bilatéral est généralement une personne morale à savoir l'Etat qui prête à un autre Etat. Il existe beaucoup de bailleurs de fonds bilatéraux. Ce sont la plus part du temps les Etats du Nord. on peut citer entre autres la France, l'Allemagne, le Canada, le Japon... * 16 Les bailleurs de fonds multilatéraux sont des organisations internationales qui regroupent plusieurs Etats et qui fonctionnent sur la base d'un capital financé par ces Etats par le biais de quotes-parts. Les principaux bailleurs de fonds multilatéraux sont la Banque Africaine de Développement (BAD) et les institutions de Breton Woods à savoir le FMI et la Banque Mondiale. La BAD a été créée le 04 Août 1963. Elle regroupe 80 Etats membres dont 54 sont africains. Au départ, elle n'était réservée que pour les Etats africains. Mais elle a dû accepter l'adhésion de pays occidentaux car elle était en manque de ressources.Au sein de la Banque Mondiale, il y a une structure appelée Association Internationale de Développement ou IDA. En 2016, l'Association a consacré 50% de ses ressources à 39 pays africains dont ceux l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C (sauf Cameroun et Gabon). Ces informations sont disponibles sur http://ida.banquemondiale.org/ . Enfin, l'Union Européenne est liée aux pays africains en général par l'Accord de l'Afrique-Caraïbe-Pacifique. * 17 L'IPPTE a été lancée en 1996 par le FMI et la Banque Mondiale. Pour être admissibles, les pays devaient s'engager à lutter contre la pauvreté. Les pays parvenus au bout du processus de l'IPPTE pouvaient aussi bénéficier de l'IADM. Les dettes des Etats ont été diminuées à hauteur de 90%. Parmi les Etats de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C, le Tchad est le dernier à y avoir bénéficié. Initiée en 2005, l'IADM est une continuité de l'IPPTE. Les pays qui ont atteint le point d'achèvement dans le cadre de l'IPPTE, ont bénéficié d'une annulation intégrale de leurs dettes au titre de l'IADM. En septembre 2012, tous les pays de l'U.E.M.O.A et de la C.E.M.A.C ont pu en bénéficier sauf le Tchad qui était admissible. Ces deux initiatives ont permis d'alléger les dettes multilatérales des Etats. Pour les dettes bilatérales, il y a eu principalement le Club de Paris. Composé de 21 Etats membres créanciers, le Club a participé à l'IPPTE. En 2015, il a accordé au Tchad l'annulation totale de ses dettes dans le cadre de l'IPPTE. * 18 Les Etats membres de la C.E.M.A.C se regroupent rapidement à N'diamena le 16 mars et un texte fondateur composé de sept articles est rédigé. Ceci témoigne de l'empressement durant la création de C.E.M.A.C * 19 Article 4 du traité révisé de l'U.E.M.O.A * 20Règlement n°12/07-UEAC-186-CM-15 du 19 mars 2007 portant cadre de référence de la politique d'endettement public et de gestion de la dette publique dans les Etats membres de la C.E.M.A.C ;Règlement n°09/2007/CM/UEMOA du 04 juillet 2007 portant cadre de référence de la politique d'endettement public et de gestion de la dette publique dans les Etats membres de l'U.E.M.O.A * 21Article 67 du traité de l'U.E.M.O.A ; Article 56 du traité de l'U.E.A.C * 22Direction Générale de la Coopération Internationale et du développement, « La gestion de la dépense publique dans les pays de l'Afrique francophone subsaharienne », 2004, Etude dirigée par BOUVIER Michel * 23 DIARRA Eloi, « Pour une Observatoire des Finances Publiques Africaines (OFIPAF) », in Afrilex, juin 2012, p.2 * 24 Le rapport est disponible en ligne sur http://news.abamako.com/documents/docs/Classement-pays-2015.pdf * 25Il a été précédé d'un autre code adopté en 2003. Le code de 2007 a été adopté pour être en phase avec la nouvelle gestion publique c'est-à-dire la gestion axée sur les résultats. Le code est disponible en ligne : https://www.imf.org/external/np/fad/trans/fre/codef.pdf * 26Directive n° 01/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 portant code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques pour l'U.E.M.O.A; directive n°06/11-UEAC-190-CM-22 portant code de transparence et de bonne gouvernance de la gestion des finances publiques pour la C.E.M.A.C * 27 LAMBERT Alain, « Quel bilan 10 ans après », in RFFP n°136, p.20 |
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