L'accès à la justice en milieu ruralpar Bio Marc KORA CHABI Université de Parakou - Bénin - Maîtrise en droit privé 0000 |
1.3 Paragraphe 2 : Les causes exogènesL'exercice du droit de recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux reconnu à toute personne36(*), n'est pas en vogue en milieu rural. Pour cause, la faible taille démographique du milieu conduit à ce que pratiquement tous les habitants se connaissent personnellement. Ce sont des sociétés d'interconnaissance37(*)(A).S'ajoute à cet obstacle la perception erronée de la gendarmerie ou de la police (B). A- L'interconnaissanceDans le monde rural, les relations sociales sont multiples entre deux ou plusieurs personnes. Pour Alioune BADIANE, «dans les sociétés pauvres, les dépendances sont fortes, et l'on ne transgresse pas l'autorité du tutelle pour aller faire une déclaration à la police, à la gendarmerie ou devant un juge. Même si l'on a atteint la majorité légale, on préfère en général être soutenu par le chef de famille, de carré, de quartier, l'imam ou le curé pour engager une action. Si ces autorités refusent, pour une raison ou une autre, en général, la justice ne sera pas saisie»38(*). De même entre cohabitant on entend souvent « mon voisin est aussi un proche parent, nos champs se situent l'un à côté de l'autre, nous faisons partie d'un même groupe d'entraide, il est chef scout dans l'église où je suis diacre, le dimanche matin on se rencontre dans le même cabaret de bière du village, tenu par une cousine commune...»39(*) L'obligation pour les parties de saisir une juridiction dans l'Etat de droit en cas de litige engendre des conséquences en zone rurale compte tenu de la petitesse du milieu. L'ouverture du procès au tribunal est activement suivie et vécue par les voisins et l'entourage. Le camp gagnant suite au procès est objet de représailles. C'est ce qui justifie le constat fait par madame YvesMarie MORISETTE en ces termes, «il se crée ainsi des zones de résistance à la justice. Certaines sectes religieuses, des communautés autochtones, la famille isolent l'individu qui a engagé ou a l'intention d'engager le procès et le privent des moyens effectifs pour exercer sesdroits fondamentaux»40(*). Impopularité des forces de l'ordre expliquent cet état de conduite. B- La perception erronée de la gendarmerie ou de la policeLes populationsrurales craignent les forces de l'ordre dans l'accomplissement des missions régaliennes. En effet, la police ou la gendarmerie est perçue comme un système de répression du fait de ses abus et des exactions de ses agents. «Le policier se perçoit comme celui qui règle tout par la force et qui n'a aucun respect pour le civil. C'est celui qui vous tabasse aveuglement lors des manifestations sans s'inquiéter de votre sexe ou de votre âge avancé»41(*). S'ajoute le traitement réservé aux présumés coupables « dès que vous avez un problème à la police, il n'hésite pas à vous ridiculiser ou à vous terroriser ».42(*).Dans une telle situation, il est évident de croireque le monde rural soupçonne les milieux judiciaires de corruption. Le Professeur KAMTO relève à ce sujet « qu'on comprend alors le désenchantement et la désaffection des justiciables encore enracinés dans la culture traditionnelle, ou peu fortunés, devant cette justice négociable et monnayable, qui accrédite si souvent cette maxime du fabuliste français, selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la Cour vous rendront blanc ou noir. Les justiciables se résolvent donc à se faire justice car vis- à- vis de la justice étatique le doute s'est installé dans l'esprit desjusticiables»43(*). Dans le même champd'idée, la fameuse affaire dite "faux frais de justice"44(*) qui éclata dans le monde judiciaire béninois a mis sur la scène les trucages observés dans cette corporation. Toutefois, les difficultés qu'on peut qualifier comme juridiques dans le cadre de cette étude existent et constituent des raisons à rendre inaccessibles les services juridiques. Il convient de citer à titre d'exemple les difficultés à identifier, à qualifier, à apprécier la portée des délits et même à prévoir les conséquences juridiques matérielles et financières des actes. Face à cette carence juridique, ne revient-il pas de s'interroger comment obtient-on justice en milieu rural ? * 36Cf art 8, DUDH. Op. cit. * 37 Thèse développée par les ethnologues. Il est important de préciser que l'ethnologie est la branche des sciences humaines qui a pour objet d'étude la structure sociale et économique des ethnies, leur langue et leur culture. * 38 A. BADIANE, Op.cit. p.62. * 39 T. Bierschenk, Les pouvoirs au village: Le Bénin rural entre la démocratisation et la décentralisation, éd karthala, 1998, p.40. * 40Y. M. MORISETTE in A.MBEYAP KUTNJEM, Le droit à la justice au Cameroun. Mémoire online disponible sur http://www.memoireonline.com/07/06/177/m_droit-justice-cameroun15.html, consulté le 03 /03/2014 à19h 03 min. op.cit. * 41 A. BADIANE, Op.cit. p.52. * 42 A. BADIANE, Op. cit. p.52. * 43 A.MBEYAP KUTNJEM, Le droit à la justice au Cameroun. Mémoire online disponible sur http://www.memoireonline.com/07/06/177/m_droit-justice-cameroun15.html, consulté le 03 /03/2014 à19h 03 min. Op.cit. * 44 Lire pour plus de détail la thèse de Dr M. ADAMOU, «Les erreurs judiciaires en matière criminelle : contribution à une réforme à la justice criminelle au Bénin et en France», Université de Bourgogne, France, 11 mai 2009, p.79. |
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