Appartenance de la république démocratique du congo à la conférence internationale sur la région des grands lacs: atout ou obstacle pour son émergence ?par Charles Duhanel BILOKO Université de Kinshasa - Sociologie 2019 |
02. PROBLEMATIQUETraiter de l'appartenance de la RDC à la CIRGL apparait dans un premier temps comme une thématique récente en sociologie ; non seulement à cause de l'apparition récemment de cette organisation sous-régionale mais surtout, parce que plusieurs sociologues considèrent très souvent les relations interétatiques comme étant l'apanage exclusif des chercheurs en relations internationales. Du coup, ils ignorent que les relations internationales sont avant tout des faits sociaux, et ne peuvent à cet effet, échapper aux lunettes sociologiques. C'est ici que ressort, rappelons-le, la pertinence d'une sociologie des relations internationales (comme sous branche de la sociologie) qui s'occupe des rapports extérieurs entre Etats et/ou avec les organisations intergouvernementales1(*). Dans le contexte actuel, parler de l'appartenance de la RDC à la CIRGL renvoi au préalable à revisiter quelques situations cruciales et conflits ayant caractérisé cette sous-région. La décennie 1990 a apporté une vague de transformation dans la sous-région des grands lacs. C'est, en effet, pendant cette décennie qu'ont eu lieu entre autres le génocide au Rwanda en 1994, les conflits interethniques et la guerre civile au Burundi, la guerre en RDC où plusieurs Etats Africains se sont affrontés, les turbulences politiques au Congo-Brazzaville, les rébellions de la LRA en Ouganda, etc. Les conséquences de ces conflits sur le développement de cette sous-région ont été sévères en termes de sécurité, de progrès technologique et de la croissance économique2(*). Tous ces éléments dictaient déjà l'impératif de l'élargissement géographique du cadre de recherche de la paix et de la stabilité sous-régionale. Certes, les Onze Etats membres de la CIRGL sont liés soit directement, soit indirectement par voisinage avec les pays concernés par les graves conflits qui ont secoué la sous-région depuis une certaine période. Ayant été victimes de tous ces conflits, il s'avère que ces pays dans leur globalité partagent à ce jour plusieurs défis : la sécurité collective face aux groupes armés et milices, l'insécurité alimentaire des populations, les conflits interethniques entre les populations de la sous-région qui peinent à vivre ensemble etc. Ainsi, conscients de tous ces maux qui rongent la stabilité sous-régionale et s'étant également rendu compte des ressemblances des défis auxquels font-ils face, les Etats de la sous-région se sont associés pour tenter de trouver des solutions communes à ces problèmes désormais communs dans un cadre plus approprié qui est la CIRGL. Les Etats concernés en premier lieu par la recherche des solutions à la crise des grands lacs étaient au départ le Burundi, le Rwanda, la RDC et l'Ouganda. Mais il est vite apparu que la paix et le développement dans cette sous-région dépendaient en grande partie de la RDC comme Etat central et moteur économique de l'intégration sous-régionale. Aussi, comme la pièce centrale de la région, la RDC a une position géopolitique qui lui confère un rôle primordial pour la réussite de la conférence3(*). Raison pour laquelle les conditions prévalant dans tous ces pays voisins notamment le Congo, le Soudan, l'Angola et la RCA avaient tout autant de l'influence sur sa stabilité. Il est apparu nécessaire que la situation congolaise soit abordée comme un cas particulier. Comment pouvait-on arriver, s'interroge Mwilanya Wilondja4(*) à traiter efficacement ces crises dans une perspective sous-régionale de manière à intégrer d'une part, les dimensions aussi bien internes aux Etats qu'externes ; et d'autre part, à parvenir à une paix durable et globale, préalable à l'intégration économique de la sous-région ? C'est dans ce contexte que la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs est apparue à la fois comme cadre idéal d'organisation de la sécurité collective en Afrique des grands lacs; cadre de réconciliation des Etats de la sous-région des grands lacs impliqués dans la guerre en RDC ; et enfin, comme cadre d'examen et de solution de tous les problèmes de la sous-région, qu'ils soient économiques, politiques, sociaux... Dans cette même perspective, les chefs d'Etat s'étaient engagés entre autres à fonder les relations de leurs Etats sur le respect du principe de souveraineté nationale, le principe d'intégrité territoriale, le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats membres, le principe de non-agression et de règlement pacifique des différends5(*). Ils engageaient également les Etats parties, de manière solennelle et non équivoque à renoncer à la menace ou à l'emploi de la force comme politique, moyen ou instrument visant à régler les différends ou litiges, s'abstenir d'envoyer ou de soutenir des oppositions armées ou des groupes armés ou insurgés sur le territoire d'un autre Etat membre, coopérer à tous les niveaux en vue du désarmement et du démantèlement des groupes rebelles armés existants. En principe, la CIRGL se présente dans cette perspective comme une opportunité de renaissance de cette partie de l'Afrique longtemps engouffrée dans de multiples conflits transnationaux, et surtout, comme un atout pertinent à travers lequel la RDC devrait, du moins, renforcer ses liens avec les pays belligérants impliqués dans la situation sécuritaire dans sa partie orientale. Aussi, ajoute Toni Jiménez Luque, les pays des grands lacs sont tous impliqués dans l'instabilité qui prévaut dans cette sous-région et chacun de ces pays a ses propres conflits internes au niveau politique, avec des guérillas à l'intérieur du pays, des économies instables et des niveaux d'injustice qui font que l'instabilité nationale qu'ils présentent s'étend sur toute la sous-région. Ces pays ont tous traversé une période de paix fragile qu'ils avaient tous intérêt à consolider leurs relations et leurs efforts en vue d'éradiquer ces problèmes à travers la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs6(*). Cependant, plus d'une décennie après la ratification par la RDC du texte (pacte de la CIRGL), nous nous interrogeons, à juste titre, sur les implications de cette organisation comme étant l'organe de régulation des différends dans la sous-région et à l'Est de la RDC, et la concrétisation des résolutions contenues dans son pacte. Car en dépit de ces engagements qui, au départ paraissaient comme un atout qu'il faudrait absolument consolider peu importe les écueils, la situation sécuritaire en RDC, plus précisément dans sa partie orientale ne fait que s'empirer au fil des années. Elle traverse depuis plus d'une décennie une longue période d'insécurité faisant obstruction à son émergence que plus d'un observateur attribut à juste titre à ses voisins et frères de la CIRGL, allant jusqu'évoquer les tentatives de balkanisation de cette partie du Congo. Force est de constater que les Etats qui, au départ s'étaient engagés solennellement à éradiquer l'insécurité dans la sous-région toute entière afin de booster son émergence se retrouvent au coeur de l'insécurité, ou tout simplement, créent l'instabilité en RDC. Dans ce sens, on note que la plupart des groupes armés et autres milices, à l'instar des ADF-Nalu, les FDLR, M23 etc. actifs en RDC depuis plusieurs années, sont d'origines étrangères. Les ADF-NALU, nées au milieu des années 1990 de la fusion de deux groupes armés opposés au président Ougandais Yoweri Museveni7(*) au pouvoir depuis 1986 sont, à la surprise générale, plus actifs en RDC qu'en Ouganda. Les FDLR ayant une connotation purement Rwandaise, créées en Juillet 2000 dont la branche politique est essentiellement en Europe, la branche militaire est, contre toute attente, plus active dans le Maniema, au Nord et Sud-Kivu créant à cet effet la psychose dans ces provinces et causant des exactions de toutes sortes. Tout compte fait, la CIRGL créée dans un contexte particulier, avec des missions clairement définies est à ce jour débordée par les dynamiques actuelles entre les Etats qui la composent, caractérisés tous par une certaine velléité vis-à-vis du pacte et finissent par de récrimination, foulant ainsi aux pieds les résolutions contenues dans le pacte. Déborder par les événements, les conflits internes et surtout l'insécurité grandissante sur le territoire congolais, la CIRGL baigne et stagne dans le laxisme, se montrant de plus en plus inactive et transigeant vis-à-vis des autres Etats membres impliqués dans l'insécurité en RDC. Un cas concret pour justifier ce laxisme, c'est le récent différend frontalier entre la RDC et la Zambie. Alors que deux de ses Etats membres sont confrontés à un conflit frontalier manifesté par la présence des militaires zambiens sur le sol congolais ; une situation qui va d'abord à l'encontre du pacte et viole les engagements pris par les chefs d'Etat de la sous-région, la CIRGL en tant qu'organe de résolution de tous les problèmes sous-régionaux est restée indifférente ou tout simplement inactive. Par contre c'est une autre organisation sous-régionale, la SADC qui s'est interposée afin de résoudre ce différend. Ainsi, si l'on s'en tient à ce pacte, dans le contexte congolais, il apparait clairement qu'aucun des engagements pris par les chefs d'Etat dans cette sous-région n'est parvenu jusqu'ici à résoudre de près ou de loin la moindre situation d'insécurité qui sévit la RDC. Il en résulte une situation que l'on peut qualifier d'inadéquation entre d'une part, les engagements solennels pris par les chefs d'Etat de cette sous-région et d'autre part, la réalité sur le terrain en RDC. C'est pourquoi cette étude se veut, à la limite de sa taille, comprendre et expliquer l'inaction de la CIRGL en RDC et à travers cette problématique, nous interroger aussi, à la lumière de la situation sécuritaire actuelle sur le sol congolais, sur les possibilités (chances) de la RDC à émerger tout en étant membre de la CIRGL. Eu égard à ce qui précède, nous nous posons quelques questions de recherche ci-après : ü Pourquoi la CIRGL reste-t-elle parfois inactive face à l'insécurité à l'Est de la RDC ? ü Dans le contexte actuel, la RDC peut-elle émerger tout en étant membre de la CIRGL? * 1 J. EBWEME YONZABA, Non-ingérence contre non-indifférence. Les dynamiques actuelles au sein de la sociologie des relations internationales, Saint-Denis, Connaissance et Savoirs, 2020, p. 23. * 2A. KILOMBA, « La CIRGL face à la résolution des différends dans la sous-région des grands lacs : cas de la rébellion du M23 en RDC », in Revue québécoise de droit international, 2015, pp. 203-218. * 3 CIRGL, Agenda National pour la paix dans la région des grands lacs, Kinshasa CNP, , 2004. p. 10. * 4 N. MWILANYA WILONDJA. « Introduction », in Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la sous-région des grands lacs, CPN/RDC, Kinshasa, 2007, p. 3. * 5 CIRGL, « Déclaration de Dar-es-Salam sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la sous-région des grands lacs », 2004. p. 6. * 6 T.JIMENEZ LUQUE, « La République démocratique du Congo et la région des grands lacs d'Afrique : entre instabilité politique et espoir », in JIMENEZ LUQUE, MBUYI KABUNDA (sous dir.), La RDC : les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l'Etat, Barcelone, Ed. Fundacio solidaritat UB, 2009, pp. 74-89. * 7 J-M. BALENCIE et A. DE LA GRANGE (sous dir.), Les nouveaux mondes rebelles : conflits, terrorismes et consternations, Paris, Ed. Michalon, 2005, p. 237. |
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