Appartenance de la république démocratique du congo à la conférence internationale sur la région des grands lacs: atout ou obstacle pour son émergence ?par Charles Duhanel BILOKO Université de Kinshasa - Sociologie 2019 |
03. HYPOTHESESDans le processus de la systématisation de la démarche scientifique, la formulation des hypothèses constitue une étape décisive. D'elles (hypothèses) dépendent l'issue de la recherche. La qualité des idées émises à ce moment déterminera la valeur des résultats obtenus. C'est à ce stade que se font les découvertes. C'est à ce niveau, dans le processus mystérieux qui fait surgir les idées neuves, que peut se manifester le talent du chercheur, parfois son génie. La capacité d'invention du chercheur est ici déterminante et rien ne peut la remplacer8(*). Ainsi, en guises d'hypothèses aux questions de recherche soulevées par la problématique, nous pensons principalement que l'inefficacité de la CIRGL s'expliquerait par le fait que l'insécurité à l'Est est complexe et présente plusieurs enjeux. Complexe, par le fait que certains pays membres de la CIRGL soutenus par leurs alliés Occidentaux seraient directement impliqués dans cette situation. Plusieurs enjeux pour ces pays parce que cette insécurité serait une occasion pour eux de piller systématiquement les ressources naturelles de la RDC. C'est pourquoi la paix et la sécurité dont pouvait espérer la RDC en étant membre de la CIRGL ne seraient pas possibles. Bien au contraire, elle s'est fait lier. Quant à son émergence, il est hors de question de l'envisager si et seulement si, le même jeu d'acteurs persiste au sein de cette organisation. 04. LECTURE SPECIALISEEDans un travail scientifique sérieux, la lecture spécialisée comprend deux points essentiels : l'état de la question et la revue de la littérature. Dans son ouvrage intitulé Construction de l'objectivité en sciences sociales9(*), EBWEME YONZABA affirme que, contrairement à l'opinion scientifique devenue classique depuis quelques décennies, constituant ainsi un paradigme incontournable en sociologie, il existe une grande différence entre état de la question et revue de la littérature. En effet, souligne-t-il, il y a « état de la question », ce qu'il appelle aussi « état des lieux » dans un travail scientifique, lorsque le chercheur fouille essentiellement, à l'aide de la technique documentaire, surtout les documents écrits, sur son objet d'étude. Autrement dit, l'état de la question ou l'état des lieux s'effectue sur l'objet d'étude, sur la problématique, sur le problème de la recherche et non sur la question ou les questions de recherche. Par contre, il y a revue de la littérature (état de connaissances) dans une même étude, lorsque le chercheur met plutôt en exergue un concept clé. Dès lors, il s'emploiera à travers la lecture, une fois de plus, à retracer l'origine du concept, présenter les repères chronologiques y afférents et situer le niveau du débat atteint, étayé par des analyses et des documents précis (spécifiques)10(*). Ayant jugé ce modèle très pédagogique, nous l'avons adopté. Ainsi, nous présentons d'abord l'état de la question dans cette introduction et la revue de la littérature sera présentée dans le chapitre premier de ce travail. En effet, prétendre que nous sommes le premier à traiter cette problématique (inaction de la CIRGL) serait malhonnête car plusieurs chercheurs, politologues, sociologues, juristes etc. s'y sont déjà intéressés et continuent jusqu'à nos jours à l'étudier. Loin de nous engouffrer dans une énumération exhaustive des auteurs, nous avons jugé utile de n'en retenir que quelques-uns dont les travaux se rapportent au nôtre. Il s'agit de Kilomba, Lagrange et Nkodia. Dans sa publication intitulée « La CIRGL et le règlement des différends sur la sous-région des grands lacs : cas de la rébellion du M23 », Adolphe KILOMBA11(*) s'est appesanti sur l'analyse et le bilan des interventions menées par la CIRGL pour résoudre l'insécurité créée par les miliciens du M23 à l'Est de la RDC. D'entrée de jeu, l'auteur soutient que la CIRGL a constitué un cadre de concertation interétatique dans la sous-région des grands lacs au sujet de conflit qui avait secoué l'Est de la RDC. Cependant, les défis dans le domaine de la sécurisation collective demeurent énormes dans cette sous-région et la CIRGL a encore du chemin à parcourir pour se faire entendre davantage. En ces jours, renchérit-il, elle demeure une organisation sous-régionale plutôt timide, inactive, sans réelle capacité d'adopter des sanctions, si moindres soient-elles, à l'endroit de ses Etats membres qui violent son traité fondateur. Tel que présenté, l'étude de Kilomba est très rapprochée de la nôtre dans la mesure où l'auteur s'est efforcé à revisiter les actions menées par la CIRGL en vue d'éradiquer la rébellion du M23 qui a secoué l'Est de la RDC. Il conclut que la CIRGL baigne dans un laxisme qui ne lui permet pas de rencontrer les attentes suscitées par son texte fondateur. Dans les mécanismes de paix régionaux dans les grands lacs : des outils incapables de promouvoir la démocratie12(*), Marc-André LAGRANGE analyse les différentes tentatives des réponses mises en place par les pays de la sous-région des grands lacs ainsi que les nations unies et l'union Africaine afin de résoudre les conflits qui déchirent cette partie de l'Afrique. Initiée en 2002 avant d'être pleinement installée en 2006, la CIRGL fut le premier mécanisme, rappelle-t-il, mis en place pour réguler ces conflits. En second lieu le bureau de l'envoyé spécial du secrétaire général des nations pour les grands lacs, fut mis en place en 2013 à la suite de la crise de Goma... En effet, souligne-t-il, bien que la restauration de la paix et la promotion de la démocratie fassent partie des missions de ces deux entités sous-régionales, les crises électorales au Congo-Brazzaville, en RCA, en RDC et en Ouganda imposent un constat d'échec. Première entité mise en place pour réguler les conflits, la CIRGL se révèle, soutient l'auteur, peu capable d'accomplir sa mission lorsqu'elle est confrontée à sa première crise régionale. Face à son incapacité, les nations unies essayent de revitaliser les dynamiques de paix au moyen de l'accord cadre d'Addis-Abeba signé en 2013. Certes, après un premier succès militaire conjoint en RDC et des nations unies, indépendant de l'action de l'envoyé spécial, la CIRGL a échoué à apaiser la crise Burundaise qui a éclaté en 2015, la première crise institutionnelle ouverte à laquelle a-t-elle été confrontée. Outre la fragilité du régime en RDC, poursuit-il, la crise du M23 en 2012 a consacré l'incapacité de la CIRGL à jouer son rôle de régulateur des conflits. Alors que plusieurs de ses Etats membres entre autres l'Ouganda et le Rwanda sont accusés de soutenir une nouvelle rébellion dans l'Est de la RDC, la CIRGL ne peut proposer comme solution que le déploiement d'une force internationale neutre composée des troupes ougandaises et Rwandaises... Cette flagrance de partialité en défaveur d'un de ses Etats membres (la RDC) finit par discréditer un organisme mis en place afin de prévenir et résoudre les conflits armés dans l'Est de la RDC et entre pays de la sous-région des grands lacs. Organe de régulation des conflits et de la promotion de la démocratie, souligne Lagrange, la CIRGL regroupe principalement des pays dirigés par les hommes forts qui se sont imposés dans la violence et qui s'affrontent indirectement ; en ces jours, sans gros budget ou carrément sans budget, ni poids politique, la CIRGL se cantonne à la lutte contre les violences sexuelles et l'émission des certificats d'origine de minerais, enjeu majeur des crises et de l'insécurité à l'Est de la RDC. Au final, conclut-il, la CIRGL et tous ses partenaires impliqués dans la résolution des différends sur la sous-région des grands lacs en général, et l'insécurité à l'Est de la RDC en particulier, n'ont finalement qu'un maigre bilan à présenter. Vu d'un oeil sociologique, son étude présente certes des similarités avec la nôtre dans la mesure où Marc-André Lagrange présente tout d'abord la raison d'être de la CIRGL comme étant à la fois organe régulateur et tentative de réponse aux problèmes de la sous-région. Il présente également d'autres initiatives mises en place pour soutenir et pallier aux insuffisances de la CIRGL afin de la rendre plus active. Néanmoins, il aborde l'inaction de la CIRGL sous une autre approche, en tant que premier mécanisme sous-régional de paix, souvent inactive dans le contexte de crise entre autres l'insécurité à l'Est de la RDC, la crise burundaise etc. Il fustige également la flagrance de partialité en RDC vis-à-vis de l'insécurité à l'Est créée et entretenue par ses voisins de l'Est qui se positionnent en juges et parties. Pour terminer, dans son mémoire de licence intitulé La CIRGL et la résolution de la crise Burundaise. Portée et limite13(*), Yannick NKODIA analyse les écueils aux multiples tentatives de résolution de la crise Burundaise par la CIRGL. Il souligne avant tout que la CIRGL a eu des portées face à la crise Burundaise. Ces portées ne sont que les éléments qui ont été fixés comme étant les objectifs spécifiques de la CIRGL dans la déclaration de Dar-es-Salam contenue dans le pacte. S'agissant des limites, elle a également connu d'énormes difficultés face à la résolution des conflits dans la sous-région en général et au Burundi en particulier. Celles-ci sont en majeure partie liées, selon lui, à la faible capacité d'action dans la mise en oeuvre des solutions issues du pacte, à la grande faiblesse des infrastructures (la CIRGL ne disposant pas d'infrastructures), l'instabilité et l'incertitude concernant la zone de Kivu et surtout, ses compétences d'action sont largement limitées car elle dépendait de l'ONU et de l'UA. Cet auteur conclut son étude en relevant quelques graves violations de droits de l'homme pendant la crise Burundaise que la CIRGL n'a pas été en mesure de sanctionner et statuer sur cette affaire, bien qu'elle préconise dans le pacte la promotion de droits de l'homme, et enfin l'incapacité de la CIRGL à pouvoir éradiquer cette crise sans l'intervention et l'implication de l'ONU et l'UA alors qu'elle se veut un cadre de réconciliation, de résolution des différends et crises sur toute la sous-région des grands lacs. De ce point de vue, son étude présente certes des similitudes avec la nôtre dans la mesure où il s'est appesanti dans un premier temps à la recherche des limites dans les actions déjà menées par la CIRGL, les contradictions découlant de la déclaration de Dar-es-Salam et ses actions sur le terrain et finalement, il est parvenu à présenter les limites et quelques inadéquations qui en découlent dans la tentative de résolution des crises par la CIRGL sur la sous-région des grands lacs en général et dans la crise. Dans son étude, l'inaction de la CIRGL se fait surtout remarquer par l'inadéquation entre les résolutions contenues dans le pacte et les relations entre ses Etats membres. Compte tenu de ce qui précède, nous pouvons affirmer que tous ces travaux ont abordé chacun dans un contexte précis, la question de faiblesse, limites ou inefficacité, le laxisme ou l'inaction de la CIRGL selon le cas, face à la résolution des différends, des crises et conflits interétatiques et de l'insécurité sur la sous-région des grands lacs, chacun met l'accent sur la nécessité pour la CIRGL d'être plus active afin de concrétiser effectivement les engagements pris par les chefs d'Etat ayant conduit à sa création... Chacun l'ayant abordé certes dans un contexte particulier, avec des approches différentes, mais tous sont arrivés à des conclusions quasiment similaires sur les limites de la CIRGL face à la résolution des maux qui rongent la stabilité de cette sous-région. En ce qui nous concerne, en nous inscrivant dans la suite de ces prédécesseurs, nous abordons cette problématique dans une démarche purement sociologique, en cherchant à comprendre et à expliquer l'inaction de la CIRGL face à l'insécurité à l'est de la RDC. A travers celle-ci, nous rendons également compte des acteurs et facteurs qui s'interposent dans les dynamiques actuelles entre les Etats de la sous-région des grands lacs et l'insécurité persistante à l'Est de la RDC. * 8 J-L. LOUBET DEL BAYLE, Initiation aux méthodes des sciences sociales, Paris, Harmattan, 2000, p.177. * 9 J. EBWEME YONZABA, Construction de l'objectivité en sciences sociales, Saint-Denis, Connaissances et Savoirs, 2017, p. 20. * 10 Idem, p. 21. * 11 A. KILOMBA., art. cit. pp. 203-218. * 12 M-A LAGRANGE, « Les mécanismes de paix régionaux dans les grands lacs : des outils incapables de promouvoir la démocratie », in Revue tiers Monde, 2016/4 (No228), p. 143-161. * 13 Y. NKODIA, La CIRGL et la résolution de la crise Burundaise. Portée et Limites, Mémoire de licence en sciences des Relations Internationales, Université de Lubumbashi, (inédit), 2015. |
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