La dépénalisation des délits de presse et la protection des droits de la personnalité au Burkina Faso( Télécharger le fichier original )par Yacouba GORO Institut des Sciences et Techniques de l'Information et de la Communication - Bac+5 en Science et technique de l'information et de la communication 2016 |
INTRODUCTION GENERALEAujourd'hui, en Afrique, la quasi-totalité des organisations professionnelles des médias et des associations des droits de l'homme réclame la dépénalisation, à croire les différentes revendications mises en avant, le 10 mai 2006, lors de la Journée mondiale dédiée à la liberté de la presse. Des chercheurs, à l'instar du professeur Guy Berger de l'Université de Rhodes d'Afrique du Sud, se sont engagés en faveur de deux défis majeurs pour les médias africains: "renforcer la diffusion d'Internet et en finir avec la criminalisation du délit de presse et l'emprisonnement des journalistes". Le Tchad, lui, a dépénalisé les infractions commises par voie de presse, le 20 août 2010.Le délit d'offense au chef de l'État figurant dans l'ancienne loi est aussi supprimé. Des peines d'emprisonnement de 6 mois à un an, des amendes de 100 000 à 1 million de francs CFA (150 à 1 500 euros), ainsi que des suspensions de parution de six mois, sont toutefois introduites dans la nouvelle loi pour les délits comme l'incitation à la haine raciale, ethnique ou l'apologie de la violence. Le 31 mars 2014, Benno Bokk Yakaar1(*), a mis en échec la dépénalisation des délits de presse, en votant contre le nouveau code de la presse du Sénégal. Pour ce groupe, «Enlever le caractère pénal des infractions au bénéfice des seuls journalistes reviendrait à engendrer d'inacceptables inégalités des citoyens devant la loi ». Pour le président de ce groupe qui va plus loin dans sa conviction, «l'insulte et la diffamation, ce ne sont pas des opinions, elles doivent être punies par la loi2(*)».Et au Président Macky Sall de clarifier sa position, lors de la table ronde du Forum des leaders des médias africains, en ces termes : «Je suis pour une dépénalisation des délits de presse, mais il faut qu'en face, on voit la contrepartie civile3(*)». En République centrafricaine (RCA), les journalistes ne courent plus le risque d'être incarcérés pour des délits de presse, suite à l'adoption d'une loi qui dépénalise la diffamation et la publication de fausses nouvelles», selon Reporters sans frontières (RSF). Cette loi vient modifier la loi controversée sur la presse entrée en vigueur en 1998, et qui contenait des dispositions, aux termes desquelles les journalistes pouvaient être emprisonnés, s'ils contrevenaient à la loi par voie de presse. En 2006, selon les critiques d'un journaliste ivoirien, "l'idée de substituer des amendes, des peines pécuniaires aux peines privatives de liberté peut être, si l'on n'y prenait garde, hautement dommageable pour la presse et pour le public". Au Niger, la question de l'opportunité de la dépénalisation a aussi opposé différents acteurs du pays. Si certains ont épousé cette idée qui donne plus de liberté et de pouvoir, aux journalistes, pour mieux informer la population, d'autres pensent au contraire qu'elle présente plus de risque de violation des droits de la personnalité. Le Bénin aussi, n'a pas échappé à ce débat. Le pays du Président Yayi Boni qui, au nom de la liberté d'expression et de la presse, promue par la démocratie, a mis en exergue la problématique de la dépénalisation des délits de presse face à l'obligation de protection des droits de la personnalité. Aussi, les attentats de Charlie Hebdo4(*) dont la France a été le théâtre, entre le 7 et le 9 janvier 2015, ont ouvert à nouveau le débat sur la liberté de la presse. Au regard des causes motivant le projet d'attentat des terroristes (La caricature du prophète Mahomet), peut-on autoriser à la presse de tout dire, tout montrer, tout moquer ou tout caricaturer? Au Togo, l'Assemblée nationale avait déjà adopté, en août 2004, à l'unanimité, le projet de loi modifiant le code de la presse et de la communication, en expurgeant les infractions de presse des sanctions pénales. Puis, le 4 novembre 2015, elle fait un retour controversé, en adoptant un nouveau code pénal qui reconduit la pénalisation des délits de presse en son article 4975(*). Le Burkina Faso aussi, n'est pas resté en marge de cette question de la dépénalisation des délits de presse, qui a fait l'objet de débat. Dans notre travail de recherche, nous allons nous focaliser sur la problématique de la dépénalisation des délits de presse au Burkina Faso, tout en la mettant en rapport avec la question de la protection des droits de la personnalité. Au Burkina Faso, le besoin de dépénaliser les délits de presse, en vue de mieux professionnaliser les médias est ressorti dans les communications du Docteur Seydou Dramé, Maître Salifou Dembélé et du directeur de publication Germain Bitiou Nama du journal `'L'Evènement'' à l'occasion des 5es Universités africaines de la communication (UACO), tenues du 2 au 5 décembre 2008 à Ouagadougou6(*). Cet appel à la dépénalisation des délits de presse a été suivi par le "Centre de presse Norbert Zongo"7(*), qui, à travers un forum sur l'amélioration des textes de loi en matière de presse, a publié un document de plaidoyer en faveur de la dépénalisation des infractions par voie de presse8(*), en vue d'offrir plus de liberté aux médias dans le traitement de l'information et de renforcer leur professionnalisme. Cependant, des réticences demeuraient toujours du côté des autorités politiques et du législateur. Les violations répétées de certains droits de la personnalité par voie de presse, notamment la diffamation, l'injure, les atteintes à l'honneur et à la vie privée des personnes et les atteintes aux droits à l'image, expliquent ces réticences. Des atteintes énumérées par le directeur de publication du journal `'L'Evènement'', Germain Bitiou Nama, dans sa communication aux UACO 2008, où lorsqu'il a fait de la responsabilité des journalistes, un corolaire de la dépénalisation9(*). Dans ce sens, le législateur burkinabè a adopté trois textes dépénalisant ainsi, les délits de presse au Burkina Faso, le 4 septembre 2015.10(*). Ces textes ont été, par la suite, relus pour revoir en baisse les sanctions pécuniaires entre 500 000 et 3 millions de F CFA, le 17 décembre 201511(*). Ces textes régissent désormais, la vie des organes de presse écrite, audiovisuelle et en ligne, en gardant les journalistes loin des peines de prison pour leurs éventuels délits de presse. Cela ne représente-t-il pas de risque de violation des droits de la personnalité? On se demande alors, si le législateur a tenu compte de l'obligation de respecter les droits de la personnalité du public de ces médias, dans cet Etat de droit. Si pour les mordus de la liberté, au nom des exigences démocratiques, il faut dépénaliser les délits de presse à tout prix, pour offrir un environnement juridique favorable à la libération de la parole dans la presse, qu'en est-il de la question du respect des droits de la personnalité opposé aux médias ? Interdire d'emprisonner un journaliste pour des infractions commises par voie de presse, peut-il assurer une réelle protection des droits de la personnalité au Burkina Faso? Ou encore, exiger à un journaliste uniquement le paiement d'une amende en réparation d'un délit de presse est-il suffisant pour protéger les droits de la personnalité ? Cette question de la dépénalisation des délits de presse ne présente-t-elle pas des opportunités de renforcement de la liberté de la presse? Comment protéger au mieux les droits de la personnalité, quand on est en face de la dépénalisation des infractions commises par voie de presse ? Notre étude va, de ce fait, s'articuler autour de 3 parties essentielles. La première partie porte sur le cadre théorique et l'approche méthodologique (Première partie). La deuxième mettra l'accent sur la dépénalisation des délits de presse en rapport avec la question de la protection des droits de la personnalité (Deuxième partie). Quant à la troisième partie, elle va présenter les résultats de l'analyse et les suggestions à prendre en compte, pour une meilleure protection des droits de la personnalité, dans le contexte de la dépénalisation des délits de presse (Troisième partie). * 1C'est un groupe majoritaire à l'Assemblée nationale sénégalaise. * 2http://www.rfi.fr/afrique/20140401-senegal-pas-depenalisation-delits-presse-majorite-macky-sall-synpics. * 3http://www.xibar.net/Macky%E2%80%88Sall-se-prononce-devant-la-presse-et-les-Forces-armees-Une-journee-obese-d-annonces-Delits-de-presse-Latif_a47078.html. * 4C'est le nom d'un journal français qui a été victime d'attaques terroristes en 2015 * 5http://fr.africatime.com/togo/communiques/adoption-du-nouveau-code-penalpenalisation-des-delits-de-presse-des-organisations-de * 6Germain Bitiou Nama, Maître Salifou Dembélé, Docteur Seydou Dramé in Professionnalisme et médias: Enjeux et défis. Actes des cinquièmes Universités Africaines de la Communication, Ouagadougou, 2 au 5 décembre 2008, Imprimé sous les Presses de Altesse Burkina SARL, Fin novembre 2009, P.34, 67,75. * 7Initié par l'Association des Journalistes du Burkina (AJB), la Société des Editeurs de la Presse Privée (SEP) et le Syndicat Autonome des Travailleurs de l'Information et de la Culture (SYNATIC), le Centre National de Presse (CNP) a vu le jour grâce au Programme "Médias pour la démocratie en Afrique" exécuté par la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) sur financement de l'Union Européenne. Il a été inauguré le 03 mai 1998, à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Suite à l'assassinat le 13 décembre 1998, du confrère Norbert Zongo, directeur de publication du journal L'Indépendant et membre fondateur du CNP, l'ensemble de la presse burkinabè a décidé, le 28 janvier 1999, de dédier cette maison à sa mémoire, en lui donnant son nom, d'où l'appellation actuelle: Centre National de Presse Norbert Zongo (CNP-NZ). * 8CNP-NZ, Pour une amélioration des textes de loi en matière de presse au Burkina Faso, Document de plaidoyer, Décembre 2010, P.35-52 * 9Germain Nama Bitiou in Professionnalisme et médias: enjeux et défis. Actes des cinquièmes Universités Africaines de la Communication. Ouagadougou, 2 au 5 décembre 2008, Imprimé sous les Presse Burkina SARL. 2009. P 34 à 48 * 10Loi n°057-2015/CNT portant régime juridique de la presse écrite au Burkina Faso, loi n°059-2015/CNT portant régime juridique de la radiodiffusion sonore et télévisuelle au Burkina Faso, loi n°058-2015/CNT portant régime juridique de la presse en ligne au Burkina Faso * 11Les lois N°085-2015/CNT, portant modification de la loi n°057-2015/CNT, portant régime juridique de la presse écrite au Burkina Faso, N°086-2015/CNT, portant modification de la loi N°058-2015/CNT, portant régime juridique de la presse en ligne au Burkina Faso et N°087-2015/CNT, portant modification de la loi N°059-2015/CNT |
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