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Quelle place occupe l'intelligence économique dans le déploiement des entreprises marocaines en afrique subsaharienne ?

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par Kenza Slaoui
HEC Paris - Master in Management 2014
  

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A. La stratégie « full spectrum approach »

a) La mise en oeuvre d'une stratégie d'intelligence économique au niveau du gouvernement

D'après l'AMIE, l'État a un rôle primordial à jouer dans l'intelligence économique du pays en tant que « catalyseur et disséminateur » pouvant doter le Maroc d'une stratégie économique nationale à la fois défensive et offensive. Il privilégie trois axes d'intelligence économique pour le gouvernement :

i) Mettre en place des plateformes techniques et humaines de surveillance, de collecte et de partage de l'information au sein des différents ministères, en plaçant l'analyse de l'information politique au même niveau que l'information économique et commerciale afin d'éviter tous risques ou menaces ;

ii) Mettre l'accent sur la formation. Certes, celle-ci existe déjà mais elle nécessite d'être normée pour s'adapter aux réalités du pays. Par exemple, la recherche en matière de phosphates et de chimie dans le monde se fait beaucoup en allemand et nécessite la formation de germanophones. Il faut également encourager les migrations des cadres du public vers le privé et vice versa pour mutualiser les bonnes pratiques en intelligence économique ;

iii) Pratiquer la communication d'influence en favorisant le développement d'une dynamique de veille entre les réseaux commerciaux et diplomatiques marocains. Les entreprises marocaines déjà implantées en Afrique peuvent mutualiser des informations précieuses avec l'État en partageant leur expérience et en évitant aux pouvoirs publics de faire des erreurs. L'enjeu du réseau international d'intelligence économique public/privé est essentiel pour placer le pays en position d'influence.

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Pour l'AMIE, le Maroc devrait s'inspirer de la stratégie d'intelligence économique chinoise. La raison principale qu'il évoque est la dimension politique très forte de la stratégie de puissance chinoise de « full spectrum approach » dont le Maroc semble s'être inspiré : « la prééminence du politique et de la doctrine dans la stratégie chinoise se retrouve aussi dans la stratégie marocaine ».

Certaines entreprises, comme BMCE Bank, estiment que la stratégie d'intelligence économique (IE) de l'État et du gouvernement doit se cantonner à des actions précises pour ne pas se disperser et agir efficacement. Mamoun Tahri Joutei, responsable de la cellule d'IE de BMCE Bank, estime que le Maroc doit développer de l'IE dans deux domaines précis :

- Tout d'abord pour défendre les intérêts du pays sur la question du Sahara marocain. Pour lui, c'est dans ce secteur que le Maroc doit développer une approche offensive d'intelligence économique pour défendre l'intégralité territoriale marocaine. Il évoque ici l'intelligence économique dans son aspect d'influence.

- Pour identifier des opportunités d'affaires sur des marchés étrangers : il propose un partenariat d'intelligence économique publique et privée pour aider les entreprises marocaines à trouver des débouchés en Afrique. Il pense néanmoins que la situation n'est pas si tranchée, car les contrats stratégiques de grande envergure ne sont pas concernés par l'intelligence économique mais par le soutien et l'action du roi. Celui-ci dispose d'un think tank dédié, l'IRES54 Il prend ainsi l'exemple de l'usine Renault à Tanger, fondamentale pour l'économie marocaine (les exportations d'automobiles ont dépassé celles des phosphates), dont seul le roi a pu garantir 50% de l'investissement au moment où Renault avait l'intention de se retirer.

D'après lui, l'Etat ne doit pas se disperser et se concentrer sur ces deux points. Il évoque également le sujet de la sécurité informatique, de la culture de la confidentialité que nous n'avons pas au Maroc, du passage d'une culture orale à une culture écrite, qui sont des sujets presque « secondaires » selon lui.

54 L'Institut Royal des Etudes Stratégiques mène des études et analyses stratégiques pour éclairer le roi du Maroc dans ses prises de décisions. L'IRES assure une veille nationale et internationale sur des secteurs stratégiques pour le Maroc.

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b) Une volonté clairement exprimée par le gouvernement dès 2005

Les rencontres de Tétouan en novembre 200555 correspondent à une prise de conscience pour le Maroc : c'est la première fois qu'une entité publique envisage la mise en place d'une stratégie d'intelligence économique qui soit adaptée aux spécificités du pays et qui prenne en compte la richesse culturelle marocaine. L'effet d'annonce est important : le ministre des affaires économiques et générales et maire de Tétouan Rachid Talbi El Alami a déclaré l'intelligence économique comme étant « un outil de performance économique, un facteur de compétitivité et de consolidation du rayonnement du Maroc au sein du concert des nations modernes. (É) Ceci correspond bien à un impératif de premier plan pour les acteurs exposés à la compétition mondiale », ajoute-t-il. Mohamed Mbarki, wali de Tétouan en 2004, a mis en place en ce sens une cellule de recherche sur l'intelligence économique à la mairie de Tétouan ayant pour objectif d'informer sur l'avancement de grands projets, l'innovation, les bonnes pratiques et les publications importantes pour la prise de décision au plus haut niveau au Maroc.

Cette décision de mettre en place une stratégie nationale d'intelligence économique s'accompagne d'une politique d'intelligence territoriale formulée par M. Assouali, vice président de la commune urbaine de Tétouan en 2005 : « l'intelligence économique permet au territoire et aux organisations d'agir efficacement sur l'environnement, d'anticiper les grandes tendances et opportunités, d'alerter sur les menaces de perte d'attractivité, de compétitivité ou d'information ».

En 2006, le Haut Commissariat au Plan s'inscrit dans cette dynamique en organisant la rencontre « L'intelligence économique au profit des entreprises du Maroc dans l'économie mondialisée », lors de laquelle le président de la fédération française des professionnels de l'intelligence économique a partagé l'expérience de la France dans ce domaine.

La première expérience d'intelligence économique du Maroc que l'on peut retracer a été réalisée par le Cabinet Royal à travers l'Institut Royal d'Études Stratégiques (IRES) lors de la rédaction du Rapport du Cinquantenaire, qui dresse un bilan complet et objectif des réalisations du Maroc depuis l'indépendance, de ses forces et de ses faiblesses sur 4 500

55 « L'intelligence économique au Maroc », Regards sur l'IE, n°10

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pages56. Ce document constitue un point de départ important pour la stratégie nationale d'intelligence économique marocaine.

Par ailleurs, les principales initiatives d'intelligence économique dans ses dimensions d'influence et de promotion des exportations viennent du Ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Économie Numérique (MICIEN). Le centre marocain de promotion des exportations « Maroc Export » en est l'exemple le plus frappant. Cet organe créé en 1976 opérationnalise la politique du gouvernement pour l'appui aux PME à l'exportation (industrie, artisanat, agriculture, agroalimentaire notamment). Placé sous la tutelle du MICIEN, chargé du Commerce Extérieur, ses objectifs tels que décrits sur son site internet sont de :

- Assoir la position du pays sur ses marchés traditionnels,

- Développer les exportations à forte valeur ajoutée,

- Encourager la diversification géographique et rechercher de nouveaux débouchés,

- Accroitre la compétitivité des entreprises en capacité d'exporter,

- Véhiculer une image positive du Maroc et faire connaitre son potentiel,

- Être un centre de veille et d'information sur les marchés extérieurs,

- Développer la coopération commerciale avec d'autres pays et opérateurs

économiques.

Cette stratégie se matérialise par l'organisation des « Caravanes de Partenariat en Afrique », qui sont rencontres entre acteurs économiques marocains et étrangers dont l'objectif est de valoir les atouts du Maroc à l'international et sceller des accords commerciaux. La dernière rencontre en date appelée « B to B in Africa » a eu lieu du 9 au 14 juin 2014 au Bénin, en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Maroc Export a contribué à la croissance du chiffre d'affaires des entreprises exportatrices en stimulant des opportunités commerciales. Ces opérations promotionnelles représentent un moment de networking primordial pour les entrepreneurs marocains ; ils font connaitre les marchés africains à fort potentiel et appuient la diplomatie économique du pays.

Le MICIEN cherche aujourd'hui à coordonner de manière plus efficace la promotion des exportations marocaines à travers la création de la « Moroccan Agency for Trade, Investment and Services » (MATIS)57. Son but sera de développer conjointement les investissements directs étrangers au Maroc et de promouvoir les exportations, là où plusieurs agences

56 Le Best Of du «rapport du cinquantenaire», Telquel n°210

57 édition web de Jeune Afrique, 2 juillet 2014, « « Avec Matis, le Maroc veut rationaliser sa stratégie commerciale »

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gouvernementales se marchaient sur les pieds (l'Agence Marocaine pour le Développement des Investissements et Maroc Export). Le MICIEN est actuellement en train de réfléchir au meilleur modèle : soit le maintien des deux agences précitées qui seront placées sous la tutelle de MATIS, soit les fusionner pour créer une entité unique.

Enfin, la dynamique de l'intelligence économique a également gagné les écoles et universités publiques, qui ont commencé à proposer des formations spécifiques en la matière, telles que L'École des Sciences de l'Information (ESI) qui forme en veille de l'information stratégique, en étude des comportements informationnels et en stratégies organisationnelles ; ou l'Institut Marocain de l'Information Scientifique et Technique (IMIST), dont l'ambition est de répertorier toutes les thèses et mémoires rédigées par les marocains (projet « Toubk@l58 »). L'IMIST est également à l'origine d'une étude sur les besoins en information technique et scientifique et sur les pratiques de veille d'entreprises dans cinq secteurs clés59 (textile, habillement et cuir, agroalimentaire notamment), dont les travaux montrent que les entreprises sont conscientes et l'importance de l'intelligence économique dans la prise de décision, et qu'elle passe principalement par la veille stratégique.

c) Le partage de l'information à haute valeur ajoutée entre secteur public et privé est quasi-inexistant

Les initiatives publiques pour l'IE qui se sont enchainées ont laissé penser qu'une véritable dynamique publique pour la mise en place de structures nationales et locales d'intelligence économique était en marche. Néanmoins, les initiatives décrites ont un pour point commun de n'avoir « jamais dépassé le stade de réflexion et d'intention » d'après l'AMIE. Par exemple, le Centre de Veille Stratégique, qui se revendiquait le cerveau de l'intelligence économique au Maroc sous la tutelle de la Direction des Investissements, a été un échec cuisant car ses objectifs n'ont pas été clairement définis : sa seule mission était de faire vaguement « de la veille ». De plus, cette entité était redondante avec d'autres départements crées sous un effet certain de mode de l'intelligence économique.

Au niveau de la direction économique du ministère des affaires étrangères, il n'existe donc aucune structure chargée de la surveillance de l'information. Il n'y a pas d'instance pouvant

58 « Toubk@l : les thèses et les mémoires marocains en ligne », cursus.edu, 11 novembre 2008

59 Association R&D Maroc, « veille stratégique et compétitivité » mars 2005

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éclairer sur les opportunités et les menaces pour les opérateurs économiques. Il n'y a pas non plus de partage d'information stratégique entre secteur public et secteur privé. D'après l'AMIE, le seul niveau de partage d'information structuré se situe au niveau de la DSSI (Direction de la Sécurité et des Systèmes d'Information). Il porte sur un sujet particulier qui est la cyber-sécurité et le risque portant sur les installations critiques de la nation. Il explique également que le Maroc est bon en protection et cela de manière transversale, mais que rien n'est fait pour anticiper. Il va jusqu'à proposer la coercition pour le partage de l'information entre le public et le privé car d'après son expérience, la bonne volonté pour partager les informations s'arrête à la fin des réunions avec les entités publiques. L'une des mesures proposées par l'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique pour obtenir une transversalité de l'information était justement que toutes les études produites par le gouvernement soient plongées dans un intranet gouvernemental, et que les budgets ne soient pas reconduits si un ministère ne partage pas. Or, d'après lui, cela n'a pas été fait. D'après lui, l'inaction est principalement due à un manque de volonté : « un état souverain qui a un PIB de 190 milliards de dollars a de quoi financer un big data qui couterait 5-6 millions de dollars », explique-t-il, surtout que « plusieurs centaines de millions de dirhams ont été payés par le gouvernement aux cabinets de conseils anglo-saxons » avec des résultats mitigés. La Corée du Sud a récemment accordé une subvention de six millions de dollars au Maroc pour renforcer son système d'intelligence économique ; à voir dans quelle mesure ces ressources seront employées.

De même, les réseaux diplomatiques marocains ne jouent pas leur rôle de pourvoyeurs d'information à haute valeur ajoutée alors qu'ils sont présents sur place et pourraient partager cette intelligence économique avec les entreprises marocaines exportatrices. Abdelmalek Alaoui explique en effet que les représentations du Maroc à l'étranger ne font que de la diplomatie et du protocole là où, si elles étaient orientées et en ligne avec les ministères économiques, elle ferait de l'influence pour dénicher des opportunités économiques pour le Maroc.

Les opérateurs économiques partagent cet avis selon lequel le gouvernement n'apporte pas de valeur ajoutée en intelligence économique. L'une des raisons est structurelle : il y a un déficit de partage de l'information au niveau du secteur public60.

60 Ayoub Lahrach, « Le gouvernement revoit sa copie sur le droit d'accès à l'information », lematin.ma, 01/08/2014

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Le projet de loi 31-13 concernant le droit d'accès à l'information ne fait en effet pas référence à la mise en place d'une commission garantissant l'accès à l'information pour tous et l'accès à certaines informations sensibles est limité. Pourtant, le droit d'accès à l'information est une liberté fondamentale inscrite dans la Constitution : les citoyens ont un droit d'accès aux données de toutes les administrations publiques et que « ce droit ne peut être restreint que par la force de la loi en vue de protéger des informations en rapport avec la défense nationale, la sécurité intérieure et extérieure de l'État et des citoyens61 ».

Pour Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, il n'est pas possible de demander au Haut Commissariat au Plan et au Ministère des Finances de mutualiser leurs publications en matière d'intelligence économique. Il insiste néanmoins, comme Abdelmalek Alaoui, sur le fait qu'il serait utile pour les opérateurs privés que le gouvernement mette en place un portail de diffusion et d'agrégation des études en intelligence économique ; d'autant plus que cela est facile à mettre en place selon lui.

Pour Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats d'Alliances, il faut tout de même nuancer le fait qu'il n'y a pas d'information partagée entre le public et le privé : le partage se fait grâce à des réseaux informels. En rencontrant un ambassadeur, ou un ancien ambassadeur d'un pays où Alliances veut s'implanter, l'entreprise a accès à une quantité d'informations considérable et à une connaissance très pointue de ces marchés. Néanmoins, il insiste sur le fait que cette intelligence économique n'est pas formalisée et se partage surtout grâce aux contacts. Le Maroc devrait s'inspirer selon lui du Ministère des Affaires Etrangères français, qui a formalisé de nombreuses études en intelligence économique à travers des rapports disponibles en ligne sur les risques pays notamment.

Pour Ghita Lahlou, directrice générale chez Saham et dont l'actionnaire principale dirige le MICIEN62 il n'y a aucune mutualisation ni partage d'information avec le gouvernement.

Ainsi, le Maroc souffre aujourd'hui de ses réseaux d'appui au développement limités. Ces organisations (centres techniques, chambres de commerce et d'industrie, etc.) qui sont les supports de l'intelligence économique et qui doivent se renforcer avec l'appui de ministères comme le MICIEN.

61 Dahir d'application n° 1.11.91 du 29 juillet 2011, article 27

62 Ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'Innovation et de l'Economie Numérique

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Les décideurs marocains, qu'ils soient publics ou privés, doivent à présent passer de la réflexion à l'action afin de concrétiser leurs engagements, aussi bien au niveau des techniques de veille que des techniques d'influence.

Note : Il faut savoir que Global Intelligence Partners a pour client le MICIEN (dirigé par Moulay Hafid Elalamy) mais que ce marché a été lancé du temps de son prédécesseur Amara63. Moulay Hafid Elalamy est aussi le fondateur du groupe Saham. Dès lors, le président de l'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique (aussi PDG de Global Intelligence Partners) et les personnes interviewées chez Saham dans le cadre de ce mémoire sont à la fois juges et parties lorsqu'ils donnent leur avis sur la politique de l'Etat marocain en termes d'intelligence économique.

B. Des institutions privées cherchent à développer l'intelligence économique au Maroc

Les think tanks et les cabinets de conseil spécialisés ont fleuri à partir de 2005 pour pallier les insuffisances du gouvernement en matière d'intelligence économique.

a) Les think tanks cherchent à fixer le cap de l'intelligence économique au Maroc

L'Association Marocaine pour l'Intelligence Économique (AMIE), cercle de réflexion à but non lucratif créé en 2006, a pour objectif de promouvoir et de développer l'intelligence économique à travers des réflexions ayant vocation à être partagées avec tous les opérateurs publics, privés et académiques. L'AMIE a présenté une feuille de route le 24 juin 2013 pour une stratégie nationale d'intelligence économique64 réunissant 16 propositions pour placer le Maroc aux standards internationaux.

Celle-ci repose sur quatre axes majeurs :

i) La convergence de l'action publique pour surveiller l'information,

ii) Le traitement et l'analyse de l'information de manière coordonnée entre les différents

63 cf. Brève l'Economiste du 21/10/13

64 Voir la feuille de route de l'AMIE en annexe

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départements et échelons du gouvernement,

iii) Le partage de l'information stratégique entre les différentes parties prenantes,

iv) La mise en place d'une politique d'influence servant les intérêts du pays et ce notamment quand il s'agit de conquérir des marchés étrangers.

D'après Abdelmalek Alaoui, président exécutif de l'AMIE, cette dynamique permettrait au Maroc d'avoir une croissance à deux chiffres dans un horizon de dix ans65.

Un an après, le bilan de l'application de la feuille de route de l'AMIE, ainsi que le bilan de l'intelligence économique au Maroc, est décevant. L'une des convictions du président du think tank est que le Maroc est un acteur inexistant en matière de production de connaissance ; il en a fait sa mission à la tête de l'AMIE en faisant du cercle de réflexion un précurseur en produisant de la connaissance à caractère stratégique. Sa deuxième conviction est que le Maroc produit beaucoup de documents qui ont l'apparence de documents de stratégie, mais qui sont en réalité des documents qui reflètent une doctrine teintée de politique.

De plus, le Maroc n'est pas en mesure d'analyser et d'utiliser les publications produites par les acteurs majeurs de l'intelligence économique (Etats Unis, Allemagne et Angleterre). En effet, les pouvoirs publics sont par exemple dans l'incapacité de traiter l'information stratégique qui est produite en allemand car cette langue n'est parlée par aucun fonctionnaire. De même, en ce qui concerne les pays africains, il explique que deux pays produisent de la connaissance intéressante, ont des think tanks et des centres de recherche axés sur l'intelligence économique : l'Afrique du Sud et le Nigéria. En effet, trois des cinq premiers think tanks les plus puissants66 sont sud africains, le deuxième est sénégalais et le cinquième est ghanéen. Or, le Maroc n'est pas en position de se nourri de leur intelligence économique.

Certes, certaines propositions de la feuille de route de l'AMIE67 paraissent éloignées des considérations quotidiennes du gouvernement. Toutefois, la faiblesse de la réflexion stratégique du pays fait que les acteurs se pencheront sur l'installation d'un big data

65 « La feuille de route L'AMIE pour une démarche nationale d'Intelligence économique », Info-express.ma, 24 juin 2013

66 Selon la 4ème édition du classement international The Global « go-to think tanks » établi par L'université de Pennsylvanie. Ce classement porte sur une enquête auprès de 1500 universitaires, politiciens, et journalistes à propos de 6 480 think tanks dans 169 pays.

67 Voir en annexe

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gouvernemental68 quand cette proposition sera déjà obsolète. Le Maroc ne fait qu'accumuler du retard en la matière.

La feuille de route avait pour objectif d'organiser la rupture en matière de production de connaissance. Le Conseil Economique et Social a officiellement auditionné l'AMIE et certaines propositions ont, d'après le président du think tank, été reprises dans le dernier document qui a été fait par la Commission de la Stratégie. Toutefois, le Conseil Economique et Social reste un organe à caractère strictement consultatif. « Les acteurs sont en général tous d'accord sur le principe d'une stratégie nationale d'intelligence économique ; mais à partir du moment où le sujet de son opérationnalisation est abordé, le gouvernement ne réagit plus », explique Abdelmalek Alaoui. L'AMIE ne remet pas en question l'Etat et certaines de ses fonctions régaliennes car aujourd'hui l'armée, les services de sécurité et les services de renseignement sont aux standards internationaux. Il déplore néanmoins l'absence de partage de l'information entre le militaire et l'économique.

Pour Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d'intelligence économique de BMCE Bank, l'échec de l'action de l'AMIE vient principalement du fait qu'elle n'a pas été suffisamment précisée et ciblée car nous considérons au Maroc que l'intelligence économique est tout et rien à la fois. « Considérons-nous par exemple qu'une étude de marché, une analyse pays ou de comportements de consommateurs constitue de l'intelligence économique ? La Direction Générale des Etudes et de la Documentation 69 existe : considérons-nous cela comme de l'intelligence économique ? L'intelligence économique au niveau de l'Etat et du gouvernement doit-elle être défensive ou offensive ? Les deux ? Devons-nous y intégrer le renseignement ? ». Ainsi, d'après lui, Il y a toute une réflexion à mener en amont de la charte pour une stratégie nationale d'intelligence économique. « Celle proposée par l'AMIE est très orientée « public », alors que je pense que l'action de l'Etat et du gouvernement en matière d'intelligence économique doit être très ciblée », ajoute-t-il.

D'après Abdelmalek Alaoui, les cercles de réflexion marocains « constituent la force de proposition la plus faible de toute l'Afrique du Nord ». Seul un seul des neuf cercles de réflexion marocains figure en effet dans le dernier classement de l'Université de Pennsylvanie sur les think tanks les plus puissants au Monde (le Centre des Etudes et Recherches en Sciences Sociales), qui se classe 22ème dans la région MENA).

D'après le président de l'AMIE, « la plupart des think tanks marocains sont des coquilles

68 proposée dans la feuille de route de l'AMIE

69 Service de renseignements et de contre-espionnage marocain, directement rattaché au roi du Maroc

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vides et ne peuvent se targuer de contribuer au Maroc de la connaissance » qui est une étape indispensable pour mettre en place une stratégie d'intelligence économique. Ceci est principalement dû aux difficultés de financement qu'ils rencontrent : les subventions publiques sont faibles et les donations privées rares, ce qui ne leur donne pas la latitude nécessaire pour embaucher des experts et publier leurs recherches. Or, les think tanks sont importants pour impulser les réflexions sur le sujet et ils pourraient être une manne d'innovation et d'intelligence sans précédent sur le continent. Ils pourraient jouer un rôle de lobbying au service des intérêts de l'État et positionner le pays comme « producteur de connaissance » sur des problématiques que l'État lui même ne traite pas. S'ils étaient soutenus, les think tanks pourraient détecter les tendances ou proposer des améliorations pour les politiques publiques.

b) L'apport des cabinets de conseil en intelligence économique est significatif

Les cabinets de conseil en intelligence économique se sont développés au Maroc pour appuyer les entreprises marocaines publiques et privées dans leur déploiement en Afrique. La rencontre avec l'associé-fondateur de Global Intelligence Partners, Abdelmalek Alaoui, permet de mieux comprendre le métier de ces cabinets. Global Intelligence Partners exerce trois activités qui sont la veille stratégique, le conseil en stratégie et la communication d'influence. Il explique : « Chaque activité correspond à une brique industrielle définie : la veille permet de surveiller, d'analyser et de transmettre ; le conseil en stratégie permet d'approfondir et la communication d'influence arrive en bout de chaine pour gérer son image. Aujourd'hui c'est la communication d'influence qui est en croissance rapide ».

La question des sources d'information de ces cabinets de conseil se pose dans un environnement où l'information n'est pas structure, fiable et mise à jour régulièrement. Etudions l'exemple de Global Intelligence Partners (GIP) procède afin de comprendre comment un cabinet de conseil en stratégie et en intelligence économique structure sa recherche d'information.

i) L'information disponible en open source

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Tout d'abord, GIP structure les informations dites « ouvertes » sur la presse papier en en ligne. Une grosse partie travail du travail concerne la mise à jour fréquente des informations pour se structurer car généralement, les pourvoyeurs d'information en Afrique émettent pendant quelques mois puis disparaissent : il est rare qu'ils aient un modèle économique viable. En effet, l'intelligence économique au niveau panafricain est marquée par une « hyper politisation des centres de décisions70 » : d'après une étude réalisée par le cabinet en intelligence économique Knowdys en 2010, moins de 45% des informations utiles aux opérateurs économiques est disponible en open source. Parmi ces 45%, deux tiers ont un niveau de fiabilité de 3,5/5. Dans la majorité des pays africains, l'intelligence économique se limite à la veille dont les sources principales sont les réseaux humains.

ii) Les réseaux informels et les diasporas

GIP fait aussi appel à des réseaux locaux de correspondants et de contacts issus de la diaspora africaine pour récolter de l'information à forte valeur ajoutée. Celle-ci permet d'après lui d'accéder à des interlocuteurs de premier plan car ils sont au contact du terrain. Il ajoute qu'une grande partie de l'information récoltée en Afrique provient de réseaux informels : certains contacts viennent d'associations d'anciens élèves des grandes écoles françaises. Les anciens de Sciences Po Paris représentent à ce titre la plus grande proportion de ministres en Afrique de l'Ouest par rapport à toutes les écoles confondues71. Le président d eGlobal Intelligence Partners explique également qu'être producteur de connaissance est un avantage pour attirer des clients, car ils estiment que le cabinet est pertinent sur ce sujet.

70 Guy Gweth, fondateur du cabinet de conseil en stratégie Knowdys

71 Conférence organisée à l'IEP de Paris, « Le Maroc : moteur possible de la convergence financière en Afrique ? »

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c) Le rôle de la diaspora marocaine dans l'intelligence économique au Maroc

L'association R&D Maroc, qui entretient des liens aves les chercheurs marocains d'une part et les marocains résidents à l'étranger d'autre part, place l'intelligence économique au coeur de ses préoccupations. L'association crée des réseaux de R&D pour encourager les milieux universitaires, scientifiques et milieux d'affaires à « produire de la connaissance » en intelligence économique grâce aux diasporas, dont les réunions de l'association sont des occasions de rencontres et de mises en commun.

De nombreuses autres initiatives de ce type existent : l'association Savoir et Développement rassemble des enseignants et hommes d'affaires issus de la diaspora marocaine en France ; le Forum International des Compétences Marocaines à l'Etranger participe à la mise en place d'une stratégie nationale d'intelligence économique à travers la mobilisation de compétences de la diaspora sur plusieurs sujets (soutien à la R&D et à la formation, transfert de technologies, apport d'expertise sur des secteurs précis, etc.).

C. Les entreprises doivent mettre en place leurs propres systèmes d'IE pour se développer en Afrique

Face à la faiblesse des réseaux publics d'intelligence économique et au déficit d'organisation et de partage formalisé d'intelligence économique dans le secteur privé, les champions nationaux marocains ont compris qu'ils devaient compter sur leurs propres ressources pour trouver de l'information à forte valeur ajoutée qui dictera leur stratégie africaine et qui les différenciera de leurs concurrents à l'échelle internationale.

a) Les outils d'intelligence économique utilisés par les grandes entreprises marocaines

Si les grandes entreprises marocaines concèdent toutes l'importance de l'intelligence économique dans la prise de décision stratégique et ont pris conscience de la nécessité de mettre en place un système structuré de collecte, de traitement et de partage de l'information, le niveau de sophistication des systèmes utilisés varient significativement. Analysons

50

l'intelligence économique chez trois grandes entreprises marocaines qui utilisent des méthodes différentes et représentatives du panorama marocain en intelligence économique :

i) BMCE Bank : l'un des champions nationaux les plus avancés en termes

d'intelligence économique

BMCE Bank possède un département d'intelligence économique dédié au sein de la banque, qui emploie une vingtaine de personnes et qui est à l'origine de publications annuelles partagées avec de nombreux acteurs économiques marocains. La rencontre avec Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d'intelligence économique de la banque, apporte à ce titre de nombreux éclairages. Ce département a été créé en 1959 par Dahir Royal en même temps que la création de la banque. L'une des premières missions de la banque est d'inscrire l'intelligence économique au coeur de ses préoccupations, en citant dans le Dahir de sa création « la collecte, le traitement et la diffusion gracieuse d'information économique et financière à l'ensemble des opérateurs » (ambassades, ministères, universitaires, étudiants). Lorsque la banque a été privatisée en 1995, son président a demandé à ce que la mission de collecte et de diffusion de l'information continue. Ce n'est que dans les années 2000 que le centre d'intelligence économique à proprement parler a été créé. Le département fonctionne de deux manières :

- De manière itérative et récurrente en fonction des besoins exprimés en intelligence économique par les différents départements de la banque ;

- De manière plus ponctuelle sur des demandes nouvelles et spécifiques des différents départements.

D'après Mamoun Tahri Joutei, le département d'intelligence économique de BMCE Bank est structuré autour de quatre activités bien définies :

- La veille stratégique : Le but de cette entité est de devenir un gestionnaire de données économiques et financières, et pas seulement de données de presse papier. Lorsqu'il a intégré la banque en 2005, près de la moitié des travaux était consacrée à des traitements de journaux papiers, contre 5 à 10% aujourd'hui. Forte de 55 ans d'expertise, BMCE Bank a recours à un outil automatisé de collecte et d'agrégation qui envoie quotidiennement des veilles ciblées aux départements concernés. Pour Mamoun Tahri Joutei, la veille ne consiste pas uniquement en la détection et l'analyse de signaux forts et de signaux faibles. Il considère qu'un autre aspect fondamental de l'intelligence économique tient à la gestion des bases de données. Il prend l'exemple du risque pays et de la notation des pays africains, qui correspondent à du

51

traitement de données à forte valeur ajoutée qui donne une bonne visibilité sur le continent. C'est aussi de la veille car cela permet de voir les pays évoluer : au bout de deux ou trois ans, il devient possible alerter sur un pays qui s'améliore grandement ou un pays qui se dégrade fortement. Cela permet à BMCE Bank d'identifier des opportunités dans un pays ou chez un client ; d'où la nécessité de maitriser le traitement de ce type d'informations à travers des logiciels statistiques notamment.

- L'analyse sectorielle et économique : l'analyse sectorielle est une analyse que la banque a toujours menée dans l'objectif d'analyser les risques d'une cinquantaine de secteurs de l'économie marocaine et d'accompagner sa politique commerciale. Au niveau de l'analyse économique, le département fait de la modélisation et du suivi de conjoncture au Maroc et en Afrique. L'idée aujourd'hui, d'après Mamoun Tahri Joutei, est d'avoir un suivi économique, politique, culturel et financier de l'ensemble des pays africains et des meilleures cibles. Le département suit actuellement environ 20-25 pays de très près sur le continent. Une partie de la collecte se fait déjà de manière automatique, et ses équipes sont en train de développer un axe important d'analyse de ces informations en Afrique.

- La connaissance territoriale : elle concerne exclusivement les régions marocaines. Le département a mis en place un observatoire des régions qui réunit un ensemble d'informations régionales : les points d'intérêts autour d'une ville, la structuration du réseau BMCE et de ceux de la concurrence, etc.

- La connaissance de la clientèle : le département analyse principalement leurs comportements et fait du profiling.

ii) Alliances : la « sous-traitance » de l'intelligence économique à des cabinets

externes

Alliances n'a pas mis en place une structure d'intelligence économique interne à proprement parler et fait appel à des cabinets de conseil externes. Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats, confie que si l'entreprise n'a pas de département d'intelligence économique formalisé en interne, il existe trois niveaux informels d'intelligence économique chez Alliances à ce jour. En interne, Alliances suit de près ce que font ses concurrents marocains en Afrique ; en externe, l'entreprise fait appel à des cabinets de conseil externes pour réaliser les études de marchés :

-- Avec des grands cabinets immobiliers (CBRE, JLL, Colliers notamment) qui ont des bureaux sur place et qui peuvent fournir des études de marché précises et détaillées ;

-- Avec des cabinets de conseil en stratégie qui réalisent des études de marché afin de renseigner l'entreprise sur les types de produits qu'attendent les consommateurs, les principaux opérateurs locaux, les coûts de construction...

Enfin, l'équipe de développement en Afrique, qui est constamment en déplacement, origine quant à elle les partenariats et les deals d'une part et fait de l'intelligence économique d'autre part : elle suit les marchés, les opérations qui sont réalisées, les principaux acteurs... Leurs sources d'informations proviennent principalement d'internet, de la presse, des rapports annuels, des assemblées générales et des présentations investisseurs de leurs concurrents.

iii) Saham Group : une intelligence économique qui repose principalement sur des

réseaux locaux

Pour Ghita Lahlou et Nadia Fettah, directrices générales chez Saham, leader africain72 des assurances, les bonnes opportunités d'affaires en Afrique sont peu nombreuses et il faut être présents sur le terrain pour obtenir l'information. Celles-ci proviennent du bouche à oreille, par les réseaux, des courtiers, des banquiers, des coactionnaires (les fonds d'investissement SFI, filiale de la Banque Mondiale, et Abraaj Capital qui sont très présents en Afrique). A titre d'exemple, Saham a racheté l'assureur rwandais Corar-AG à l'Eglise Catholique. De même, les réseaux ismaïliens sont très puissants en Afrique de l'Est, au même titre que les réseaux libanais en Afrique de l'Ouest. « Ce sont des microcosmes où il faut avoir ses entrées et c'est là que ce situe le coeur de notre intelligence économique, si nous pouvons l'appeler comme cela », déclare Nadia Fettah. Les deux directrices ont insisté sur le fait que la stratégie de Saham est très différente de la stratégie « artillerie lourde » des entreprises occidentales. Celles-ci payent très cher des cabinets de conseil pour réaliser des études de marché alors que les primes d'assurances dans certains pays africains sont faibles (dix millions de dollars au Kenya par exemple), ce qui ne permet pas de rentabiliser leur investissement.

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72 Hors Afrique du Sud

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b) L'IE au coeur de leur stratégie d'expansion en Afrique

En analysant les stratégies africaines de ces trois champions nationaux dans la banque, la promotion immobilière et les assurances, il apparaît que l'intelligence économique, formalisée ou principalement informelle, est très logiquement une source décisive pour la prise de décision dans ces grandes entreprises.

Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats d'Alliances, explique que l'intelligence économique est cruciale dans leur stratégie de développement. Alliances étudie en effet trois conditions indispensables au succès de la promotion immobilière en Afrique :

- Le financement doit être possible (crédits hypothécaires, crédits promoteurs notamment) ; - l'écosystème du foncier doit exister (cadastre, enregistrement, hypothèque, système juridique relatif au foncier, etc) ;

- La fiscalité doit être avantageuse.

Après analyse de la carte de l'Afrique à la lumière de ces critères, Alliances effectue ses recherches en interne ou en externe pour identifier les pays qui remplissent les trois conditions suivantes :

- Les pays africains où sont implantées des banques marocaines car elles connaissent bien l'entreprise et son fonctionnement et permet de mettre en place rapidement un plan de financement si besoin ;

- Les pays francophones principalement ;

- Les pays qui ne présentent pas de risque politique : Alliances s'appuie sur les informations du Ministère des Affaires Etrangères français et marocain, la Coface, la garantie MIGA (dédiée à l'Afrique), les ambassades et les contacts à haut niveau sur place.

Sur ces pays, Alliances a identifié trois types de marchés : les marchés étroits (où le nombre de ménages solvables et la consommation de ciment sont faibles) ; les marchés prometteurs (ceux que l'entreprise va analyser de plus près et qui sont très porteurs) ; et les marchés complexes (Tunisie et Nigéria : même si ce sont des marchés importants, les risques le sont tout autant). « Au terme de ces recherches, en excluant la Tunisie et le Nigéria, nous réalisons que le marché potentiel dont on parle ne représente qu'une fois le marché marocain uniquement ! », conclue-t-il.

La stratégie de Saham Group en Afrique est quant à elle dictée par l'identification d'opportunités à maximiser et de menaces à minimiser. D'après Ghita Lahlou, il est

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primordial d'avoir un réseau d'implantations, car considérer les pays africains pris séparément est trop risqué. Réfléchir en « réseau » permet de mutualiser et de minimiser les risques. Elle préconise d'identifier des « grappes », c'est à dire des compagnies africaines implantées dans plusieurs pays et dans qui pourraient être des cibles potentielles. Saham en a identifié trois, mais qui n'étaient pas vendeuses. Une opportunité exceptionnelle s'est présentée avec l'une d'elles (Colina) car l'entreprise a pu racheter les parts d'un actionnaire (personne physique) grâce à la mise en relation par un contact. Une fois un réseau constitué sur le continent, il devient plus facile d'acquérir des compagnies d'assurances isolées car elles peuvent être rattachées au réseau régional. Cette stratégie permet à Saham d'être en avance sur ses concurrents marocains sur le continent notamment, car il y a très peu de réseaux d'assureurs en vente.

c) Une intelligence économique stratégique et confidentielle

L'intelligence économique est, dans la majorité des cas, strictement confidentielle et partagée avec très peu de collaborateurs : étant donné qu'elle sert à la prise de décision stratégique à très haut niveau, elle ne concerne dans la plupart des cas que les directions générales.

A l'exception près de BMCE Bank, qui partage une grande partie de ses travaux en intelligence économique avec le secteur privé marocain. BMCE Bank en effet un nombre important de travaux d'intelligence économique avec les opérateurs marocains. Tout d'abord, la banque publie annuellement la revue « Le Maroc en chiffres », qui consolide des données sur près de cinquante secteurs d'activité du Maroc. Cette revue est conçue en partenariat avec le Haut Commissariat au Plan, et est publiée et financée par BMCE Bank depuis 1963. Il y a également les publications de l'Observatoire de l'Entrepreneuriat ( www.ode.ma) dans lequel BMCE Bank partage de l'information sectorielle sur le Maroc. La banque organise également des conférences dans le but d'apporter de l'expertise aux entrepreneurs en leur offrant des espaces d'échanges pour qu'ils puissent dialoguer, apprendre et partager. A titre d'exemple, les deux dernières conférences organisées ont accueilli Daniel Cohen à Casablanca et Edgar Morin à Marrakech. En ce qui concerne l'Afrique, BMCE Bank partage ses publications annuelles « African Outlook ». Toutefois, l'entreprise ne partage ses veilles sur l'Afrique qu'avec ses partenaires africains et non pas avec l'ensemble des opérateurs marocains car elle considère que c'est de la connaissance stratégique. « Ce sont des outils puissants au travers desquels toute l'information à haute valeur ajoutée remonte », explique-t-il.

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Pour Alliances et Saham Group, il n'est pas question de partager l'intelligence économique avec d'autres opérateurs : d'après Brahim Skalli, cette information est destinée à la direction générale et à l'équipe Afrique uniquement. Elle n'est pas partagée car considérée stratégique. Ghita Lahlou de Saham Group va plus loin encore : « nous ne partageons rien avec les autres opérateurs car ils sont potentiellement des concurrents. Nos recherches et notre stratégie sont classées secret défense ! ».

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote