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Quelle place occupe l'intelligence économique dans le déploiement des entreprises marocaines en afrique subsaharienne ?

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par Kenza Slaoui
HEC Paris - Master in Management 2014
  

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Introduction

En 2014, seize millions de foyers disposent d'un revenu équivalent au niveau européen, contre douze millions en Inde2. D'ici une trentaine d'années, l'Afrique sera le nouvel atelier du monde avec deux milliards d'habitants. C'est pourquoi, dans le cadre de son développement, le Maroc a choisi de se tourner vers l'Afrique subsaharienne pour nourrir sa croissance. Le secteur de la consommation et des services devrait en effet croitre de 300 milliards d'euros d'ici à 20203, ce qui éveille l'intérêt des entreprises marocaines telles que les banques, les assurances, l'industrie, l'agroalimentaire et le BTP, car le marché marocain devient trop étroit pour leur permettre de croitre à la mesure de leurs ambitions.

La fermeture persistante de la frontière algéro-marocaine et l'échec de l'UMA explique également la volonté du Maroc de se développer en Afrique. Le Maroc peut en ce sens utiliser son capital immatériel comme outil de communication d'influence : l'excellente image dont jouit le pays sur le continent est un atout non négligeable qui lui permet de renforcer ses liens politiques et économiques avec les pays d'Afrique subsaharienne.

Dans ce contexte, mettre en place une intelligence partagée entre acteurs publics et opérateurs privés est primordial. L'enjeu est de taille pour les entreprises : comment gérer la quantité massive d'informations qui proviennent du marché africain aujourd'hui ? Comment s'assurer de sa fiabilité dans un continent où la rumeur tient lieu d'information ? Comme l'explique Céline Perrotey, journaliste au quotidien marocain L'Economiste, « Les entreprises comprennent que nous ne sommes plus dans le registre de l'offre et de la demande mais dans le marché de la connaissance. Celui qui gagne est celui qui en sait le plus. La donne change4 È.

Ainsi, les outils de veille de l'information sont indispensables pour toute entreprise souhaitant s'implanter en Afrique afin d'appréhender le marché, connaître les consommateurs, repérer des cibles ou des partenaires. De plus, l'intelligence économique permet également de se prémunir contre les nombreuses menaces que présente le continent : l'instabilité politique et

2 Marie Christine Corbier, Les Echos, « Les entrepreneurs africains misent sur un développement solide du

continent, loin des hésitations occidentales », http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0202129301433

3 Selon le McKinsey Global Institute, 2012

4 Céline Perrotey (2005), « Intelligence économique, chefs d'entreprise, pensez aux stratégies d'influence », l'Economiste

9

la question terroriste, les risques de défaut de paiement et la corruption rendent la collecte d'information d'autant plus cruciale pour les acteurs marocains souhaitant réussir leur implantation en Afrique subsaharienne.

L'objectif de ce mémoire de recherche est de déterminer quelle place occupe l'intelligence économique dans la stratégie de développement des acteurs publics et privés marocains sur le continent africain. L'intérêt étant de confronter la vision théorique de cette stratégie relatée par les décideurs politiques et la presse avec la réalité des pratiques managériales.

Ce mémoire de recherche a vocation à aller au delà de littérature académique et journalistique parue sur le sujet et pose les questions suivantes : quelle est la place réelle de l'intelligence économique dans la stratégie de développement des entreprises marocaines en Afrique ? Cette intelligence économique est-elle formalisée et structurée ? Quel est le rôle réel de l'Etat dans la mise en place d'une stratégie nationale devant profiter au secteur privé marocain en Afrique? Quels sont les axes d'amélioration de ces dispositifs aux niveaux public et privé ?

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I. Le continent africain au coeur de la stratégie d'intelligence économique du Maroc

A. Une place à prendre en Afrique

a) La 1ère raison qui explique le déploiement du Maroc en Afrique est d'ordre politique

Le Maroc a historiquement entretenu des liens politiques forts avec les pays d'Afrique subsaharienne. Les premiers pas de cette amitié remontent à janvier 1961 avec la Conférence de Casablanca, initiée par le roi Mohammed V, lors de laquelle a été rédigée « la Charte africaine de Casablanca 5 » donnant un plan d'action pour réaliser les objectifs de l'indépendance africaine. Ce moment fort a inspiré la création de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) en 1963, dont l'objectif était de lutter pour l'indépendance du continent et de créer des liens entre les pays africains.

Néanmoins, le Maroc, pays co-fondateur de l'organisation, a pris le parti de quitter l'OUA en 1984 suite à l'adhésion de la République Arabe Sahraouie Démocratique6 (RASD) ; et ce jusqu'à ce que celle-ci se retire de l'OUA. Le pays s'est ainsi privé d'un droit de vote qui l'empêche de peser sur les décisions de l'organisation. A ceci s'ajoute l'inertie de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) pour les mêmes raisons : celles du différend maroco-algérien.

Le déploiement des entreprises marocaines en Afrique est donc un moyen efficace au service de l'Etat marocain pour mettre en avant ses intérêts politiques. Comme l'explique en effet François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique, « en intervenant à Tombouctou Mohammed VI défend aussi Laâyoune, le Sahara et le Sud du Maroc7 ». Ayant commencé par boycotter les pays qui ont reconnu la RASD dans l'OUA (Bénin, Nigéria, Ghana entre autres), le Maroc a progressivement changé de stratégie pour promouvoir les

5 La Charte africaine de Casablanca, Service des relations arabo-africaines au Ministère de l'économie nationale et des finances, 1962

6 Etat autoproclamé par le Front Polisario en 1976

7 François Soudan cité dans lematin.ma le 16 février 2014, « de Laayoune à Tombouctou »

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intérêts économiques du pays. Cette stratégie a connu une intensification à partir de 1996 avec la signature de 20 accords de coopération. Comme l'explique N. Alaoui M'Hammdi8, la diplomatie économique a pour vocation d'asseoir le positionnement du pays sur le continent et de permettre aux opérateurs privés de s'informer sur les opportunités pour accroître la visibilité du Maroc et servir les intérêts du pays en Afrique.

Brahim Skalli, directeur stratégie et partenariat du fleuron de l'immobilier marocain Alliances, ne cache pas le fait que les grandes entreprises nationales, que l'on appelle aussi « les champions nationaux », ciblent généralement les pays africains qui entretiennent de bonnes relations avec le Maroc et qui soutiennent le pays sur la question du Sahara. Il explique : « La prise de position du pays sur la question du Sahara joue en effet un rôle dans notre décision de nous implanter dans un pays ou non. L'un de nos critères de sélection du pays est sa proximité politique du Maroc : bien sur, si les relations diplomatiques sont importantes et intenses comme avec la Côte d'Ivoire et le Sénégal, c'est plus facile qu'avec le Nigéria ». D'autres chefs d'entreprises tels que Miloud Chaabi (Ynna Holding) se disent prêts à investir dans des pays africains inamicaux et donnent ainsi la priorité à leurs intérêts économiques. C'est le cas de Saham Group, dont l'une des directrices explique que c'est le seul groupe marocain a être implanté dans le pays malgré le fait que l'Angola était très proche de l'Algérie. « Depuis peu les relations se sont améliorées avec le Maroc et il y a même une liaison aérienne directe qui nous relie », explique-t-elle9.

De plus, si le Maroc et l'Algérie sont les mieux placés pour jouer le rôle de puissance régionale, le royaume chérifien a quelques longueurs d'avance sur son rival. A ce titre, le Maroc a en effet accueilli plusieurs conférences sécuritaires internationales ces dernières années ; a été choisi pour accueillir le treizième sommet de la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens et est largement soutenu par les pays occidentaux, qui estiment que le pays peut jouer un rôle dans la stabilisation de la région. Le discours royal de Bamako10 à propos de la reconstruction immatérielle du Mali suite à l'intervention française est à cet égard porteur de sens. Un autre exemple symbolique fort qui illustre ce fait a eu lieu le 31 janvier dernier à la mosquée Koutoubia de Marrakech, lorsque le leader du MNLA et chef touareg malien a fait sa prière quelques pas derrière le roi Mohamed VI avant d'être reçu en audience pour signifier son attachement à la stabilité du régime politique malien. Le Maroc cherche ainsi à se

8 Le Maghreb dans son environnement régional et international, «Politique africaine et positionnement économique des pays du Maghreb en Afrique subsaharienne », IFRI, Centre des Etudes Economiques, 2010

9 Voir interview en annexe

10 Discours de Bamako, 19 septembre 2013

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positionner comme médiateur diplomatique porteur de stabilité pour la région.

Les propos recueillis auprès d'Abdelmalek Alaoui11, président de l'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique (AMIE) et PDG du cabinet d'intelligence économique Global Intelligence Partners, n'abondent pas en ce sens. D'après lui, le Maroc ne peut prétendre à une place de leader régional que s'il s'allie avec l'Algérie, à l'image du couple franco-allemand dans la construction européenne. Il s'explique : « Il y a besoin d'un leadership pour favoriser l'intégration régionale. Il y aura besoin, à un moment ou à un autre, d'une conférence des arrières pensées entre le Maroc et l'Algérie. Quand on parle de moteur, on parle toujours de couple. Il y a besoin d'un couple pour faire marcher l'intégration africaine ». D'après Abdelmalek Alaoui, le pays le plus riche par son sous-sol (l'Algérie) et le plus riche par ses services (le Maroc) sont condamnés à s'entendre et à dépasser leurs différends pour devenir les moteurs de l'intégration régionale. Et cela peut se faire plus vite qu'on ne le pense : « un changement de leadership en Algérie peut changer les choses très rapidement, en quelques mois. Je ne suis absolument pas pessimiste », explique-t-il.

b) La 2ème raison qui explique l'expansion du Maroc en Afrique est d'ordre économique

Outre les considérations politiques qui ont initié la diplomatie économique marocaine, le décollage économique de l'Afrique offre des relais de croissance aux entreprises dans le cadre de la mondialisation. En effet, alors que la croissance économique est atone en Europe, le continent africain s'est démarqué par des taux de croissance moyens de 5.1%12 par an lors de la dernière décennie. La croissance sur le continent est tirée par celle de l'Afrique de l'Ouest, région la plus dynamique avec des taux de croissance de 7% depuis 2011. Les perspectives macroéconomiques sont encourageantes en Afrique subsaharienne, avec des croissances prévues entre 5 et 6%13 d'ici 2015.

L'Afrique se classe ainsi deuxième au classement des régions les plus dynamiques au monde derrière l'Asie du Sud Est : rien d'étonnant, donc, au fait que les projecteurs soient tournés vers ce continent autrefois marginalisé de la mondialisation et aujourd'hui perçu comme un véritable eldorado. Les investissements directs étrangers y sont passés de 9 milliards en 2000

11 Voir interview en annexes

12 McKinsey Global Institute, « Africa at work : job creation and inclusive growth », August 2012

13 Perspectives Macroéconomiques en Afrique, BAD, OCDE, PNUD, 2014

13

à 56 milliards de dollars en 2013.

L'émergence de la classe moyenne est l'une des plus importantes au monde avec près de 350 millions de personnes (soit plus d'un milliard de consommateurs). Ce chiffre est amené à doublier d'ici vingt ans : c'est un cinquième de la population mondiale qui est concerné et qui a des besoins forts en biens d'équipements, en biens de consommation et en services. A titre d'exemple, le marché de la téléphonie en Afrique subsaharienne croit de 30% par an, ce qui représentera un milliard d'abonnés en 2015. D'après le McKinsey Global Institute, le secteur de la consommation et des services devrait croitre de 300 milliards d'euros d'ici à 2020.

C'est sans compter les ressources naturelles que recèle le continent, qui sont également considérables (plus de 30% des réserves minérales mondiales), ou l'agriculture, encore largement sous-exploitée, qui consomme très peu d'engrais et non mécanisée. Le royaume utilise le don d'engrais comme outil diplomatique pour se positionner sur le continent : lors de la tournée royale en février dernier, le roi a fait don de 2 150 tonnes d'engrais à la Guinée Conakry14. L'OCP, fleuron de l'industrie des phosphates, a également lancé un investissement de plus de 600 millions de dollars15 pour la construction d'usine de production d'engrais au Gabon. De plus, certains pays tels que le Nigéria, le Gabon ou la Côte d'Ivoire ont adopté des plans d'émergence qui impliquent d'importants investissements en infrastructures routières, aéroportuaires, portuaires et industrielles qui pourraient profiter aux entreprises marocaines.

Néanmoins, Brahim Skalli16, directeur de la stratégie d'Alliances, nuance cet afro-optimisme en expliquant par exemple que le marché des logements sociaux des pays africains ciblés par l'entreprise ne représentent à l'arrivée qu'une fois le marché marocain en valeur. Ghita Lahlou, directrice générale chez Saham Group, va dans le même sens en expliquant qu'il faut considérer le continent dans son ensemble. Il faut raisonner en réseau d'implantations et ne pas considérer les pays pris séparément afin de mutualiser et de minimiser les risques. « Les 54 pays pris isolément ne représentent rien en termes de marché et les opérateurs qui s'implantent dans un seul pays africain sont peu nombreux. Le risque pays est trop important pour placer toutes ses billes dans le même panier », explique-t-elle. Et pourtant, le besoin est énorme dans les assurances en Afrique : si le marché africain ne représente que 1,5% du

14 Ristel Tchounand, « Le Maroc, nouvel outil diplomatique du Maroc ? », Yabiladi.ma, 11 avril 2014

15 Journal Economie Entreprise, juin 2013

16 Voir interview en annexe

14

marché mondial des assurances avec 72 milliards de dollars17, les taux de croissance sont de 9% sur les dix dernières années, soit le double de la moyenne mondiale.

Abdelmalek Alaoui18, PDG du cabinet de conseil en stratégie et intelligence économique Global Intelligence Partners, tempère lui aussi l'optimisme ambiant concernant l'Afrique subsaharienne : « Beaucoup de gens ont vu de la lumière et pensent qu'il suffit d'entrer ; mais la réalité est beaucoup plus contrastée et complexe. (É) Dans les années 2000 l'une des couvertures de The Economist titrait « the hopeless continent » alors qu'en 2012 le même magasine titrait « Africa rising ». La réalité est que nous ne pouvons pas passer d'un pessimisme endémique à un optimisme béat... ».

Ainsi, si la part de l'Afrique subsaharienne dans le commerce mondial est encore relative, cette « ruée vers l'Afrique19 » se justifie aujourd'hui pour les investisseurs et les entreprises du monde entier qui sont à la recherche de nouveaux relais de croissance. Tous les grands opérateurs mondiaux entendent profiter du décollage du continent, ce qui implique une concurrence féroce entre acteurs économiques locaux et internationaux. Le Maroc cherche à se positionner comme hub vers l'Afrique.

La Chine a été parmi les premiers pays à croire au décollage africain au début des années 2000, et est devenu le premier partenaire commercial du continent : les échanges ont été multipliés par quatre en sept ans, et les investissements chinois en Afrique subsaharienne se sont élevés à 75 milliards de dollars entre 2000 et 2011. Les entreprises américaines sont aussi consciente de ce potentiel : General Electric mise par exemple sur une croissance soutenue à deux chiffres de ses revenus sur le continent subsaharien dans les dix ans à venir.

Dès lors, comment le Maroc peut-il se positionner sur cet échiquier africain ? En 2000, le roi du Maroc a annulé la dette financière des Pays les Moins Avancés et a exonéré leurs exportations de droits de douanes à l'entrée du pays. Les investissements directs étrangers du Maroc en Afrique subsaharienne s'élèvent à 360 millions de dollars en 2013, ce qui en fait le deuxième investisseur africain sur le continent après l'Afrique du Sud.

Le Maroc a par ailleurs intensifié ses exportations vers l'Afrique subsaharienne, qui ont quintuplé en dix ans : elles sont passées de 2 milliards de dirhams en 2002 à 10,4 milliards de

17 Magasine Economie Entreprises, juin 2014

18 Voir interview en annexe

19 Jean-Philippe Rémy, l'Afrique, nouvel eldorado des investisseurs, Le Monde, 01.01.2013

15

dirhams en 201320. Plus de 50% d'entre elles se font avec CEDEAO21 et un tiers avec l'UEMOA. Par ailleurs, Maroc a mis en place en mai 2009 un plan national pour le développement et la promotion des exportations, avec pour ambition de triper la valeur des exportations marocaines d'ici dix ans.

Evolution des exportations du Maroc vers ses principaux marchés en

Afrique subsaharienne
(en millions de dirhams)

2 024

244 207

939 945 933 899 858

751

573

72

213

349

87

545

Senegal Cote d'Ivoire Guinée Nigeria Ghana

2003 2011 2013

Source : Office des Changes, 2014

De plus, le Maroc est l'un des rares pays africains à avoir une offre diversifiée si on le compare aux autres pays, dont les exportations sont concernent principalement les matières premières.

20 « Les exportations du Maroc vers l'Afrique », Office des Changes, 2014

21 CEDEAO (Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest) et UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine)

16

Evolution des exportations du Maroc vers l'Afrique subsaharienne

47,2%

26,6%

6,3% 5,6%

4,6%

10,0%

8,2%

12,1% 11,2% 12,6%

1,8%

0,2%

Métallurgie Fabrication de Industrie Raffinage Industrie Industrie

machines automobile chimique alimentaire
électriques

2009 2013

Source : Office des Changes, 2014

La volonté du Maroc de se développer sur le continent est donc manifeste, et est aussi perceptible dans la stratégie du pays qui a fait le choix d'intensifier ses exportations vers l'Afrique Subsaharienne plutôt que vers l'Afrique du Nord. En effet, l'Afrique du Nord, qui représentait la moitié des exportations du Maroc vers l'Afrique, n'en représente plus qu'un tiers aujourd'hui ; alors que deux tiers des exportations du Maroc vers le continent aujourd'hui ciblent l'Afrique subsaharienne.

Evolution des exportations marocaines en Afrique
(en milliards de dirhams)

10,4

2003 2005 2013

5,8

3,9

2,3

1,9

1,5

Afrique subsaharienne Afrique du nord

Source : Office des Changes, 2014

17

Toutefois, si le royaume cherche à consolider ses relations commerciales avec le continent africain, son poids en croissance rapide reste encore faible dans la région : le Maroc ne représente aujourd'hui que 0,3% des importations africaines, et seul 6,4% des exportations du Maroc sont dirigées vers l'Afrique subsaharienne.

Les États d'Afrique subsaharienne remettent de plus en plus en question aujourd'hui la manière dont sont exploitées leurs ressources naturelles par les entreprises étrangères et attend des retombées positives pour leurs économies. La Chine est en ce sens perçue par les africains comme une puissance coloniale : le Ghana, premier bénéficiaire des investissements étrangers chinois en Afrique, est directement concerné par le pillage des ressources en or du pays qui sont clandestinement exploitées, et cherche à remettre en cause l'hégémonie de la Chine.

Le Maroc joue quant à lui la carte de la confiance et de l'identité africaine pour initier un cercle vertueux et durable de partenariats économiques à travers un modèle de coopération sud-sud unique. C'est ce qu'avance le roi Mohamed VI lors du discours d'ouverture du Forum économique maroco-ivoirien à Abidjan le 24 février dernier : « L'Afrique (É) doit se prendre en charge, (É) l'Afrique doit faire confiance à l'Afrique ».

c) Le Maroc peut mettre à profit son capital immatériel pour peser en tant que puissance régionale en Afrique subsaharienne

Le Maroc peut capitaliser sur six atouts majeurs pour se développer en Afrique.

Le premier est d'ordre historique et géographique : les routes commerciales entre le royaume et l'Afrique subsaharienne remontent à plusieurs siècles, du temps du commerce caravanier qui reliait le Maroc à l'Afrique de l'Ouest. Sijelmassa, dans le Tafilalet, a été par exemple, pendant plusieurs siècles une ville pivot des échanges commerciaux transsahariens ; au même titre que Samarkand vis à vis de la route de la soie.

La dynastie Almoravide est la première à avoir cherché la conquête vers le Sud dès le XIème siècle ; tradition de conquête qui s'est poursuivie jusqu'aux Saadiens au XVIème siècle. Ces dynasties, natives des régions sahariennes, ont étiré le royaume du nord au sud à défaut de pouvoir conquérir l'Orient du fait de la présence ottomane puis française.

Le commerce transsaharien s'essouffle dès le XVIème siècle au profit du développement des

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routes maritimes découvertes par les portugais au XVème et XVIème siècle : la caravelle devient le moyen de transport privilégié pour les marchandises, au détriment de la caravane, ce qui explique la baisse des échanges commerciaux entre les deux régions. Néanmoins, les échanges se revitalisent dès l'indépendance des pays du Maghreb, qui recommencent à manifester leur intérêt pour les pays d'Afrique subsaharienne dans les années 1980. De 1973 à 1987, 73 accords de coopération sont ainsi signés par le Maroc et 17 pays africains, principalement en Afrique de l'Ouest, dans des domaines aussi variés que le commerce, le transport aérien, la culture, les télécommunications, la santé, etc., qui redonnent un second souffle aux échanges régionaux.

Le deuxième atout singulier du Maroc pour développer ses échanges avec l'Afrique subsaharienne est l'autorité religieuse et spirituelle du roi en tant que Commandeur des Croyants. L'Afrique de l'Ouest compte 190 millions de musulmans et les confréries religieuses (Tidjane, Malékite et Mouride) considèrent le roi du Maroc comme leur chef spirituel. Le pays a par exemple signé, en février 2014, un accord pour la formation de cinq cents imams avec le Mali, et pour la construction et la rénovation des nombreuses mosquées au Mali, Guinée, Bénin et Sénégal22.

Toutefois, cette longueur d'avance que confère l'autorité religieuse au Maroc doit être intelligemment utilisée pour transformer cet atout en réalisations économiques. Comme l'explique en effet Vish Sakthivel, spécialiste des pays du Maghreb au Washington Institute for Near East Policy, « cela peut être un outil diplomatique novateur, mais reste à voir comment le Souverain et son État travailleront avec ».

Le troisième atout du Maroc est de parvenir à se positionner comme centre de formation de qualité pour les étudiants africains. Plus de deux mille étudiants23 guinéens font actuellement leurs études supérieures ou suivent une formation professionnelle au Maroc, et des partenariats pour des échanges universitaires sont noués avec des pays tels que le Gabon. L'Agence Marocaine de Coopération Internationale a augmenté en 2012 le nombre annuel de boursiers subsahariens pour le Mali et le Niger. Par ailleurs, l'Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT) est devenu un outil de la diplomatie économique en effectuant des rapprochements entre le Maroc et les pays d'Afrique

22 François Soudan, Jeune Afrique le 19 février 2014 « diplomatie : le Maroc, de Laayoune à Tombouctou »

23 « Mémorable accueil du Roi du Maroc en République de Guinée », 237online.com, 3 mars 2014

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subsaharienne par la formation et le transfert de savoir-faire24. L'Office a ainsi signé un accord avec la Guinée pour la formation de 100 guinéens à l'OFPPT suite à un diagnostic réalisé par des experts marocains sur la formation professionnelle en Guinée ; et des partenariats similaires ont été signés avec le Gabon et le Tchad.

Le quatrième atout du Maroc est la solidarité qu'il déploie en Afrique, puisque le pays est l'un des plus actifs sur le continent en ce qui concerne la construction d'écoles et d'hôpitaux de campagne. Lors de son discours auprès des ambassadeurs marocains le 30 août 2013, Mohammed VI a insisté sur le rôle de l'Agence Marocaine de Coopération Internationale pour servir les « intérêts stratégiques » du pays25.

Le cinquième atout du Maroc est de savoir « raconter une histoire ». D'après Nadia Fettah, directrice des fusions acquisitions chez Saham Group, le Maroc possède par exemple une meilleure image que l'Afrique du Sud sur continent du fait de la proximité culturelle du pays avec l'Afrique. « Les suds africains sont presque prêts à pactiser avec nous pour s'y implanter, ils pensent que notre histoire est intéressante », explique-t-elle. Le branding « Maroc » et le story telling jouent en la faveur du pays pour s'implanter en Afrique.

Le sixième atout Maroc jouit enfin d'une bonne réputation dans les milieux d'affaires en Afrique subsaharienne : d'après une étude réalisée par le cabinet de conseil en intelligence économique Knowdys sur un échantillon de 840 personnes résidant dans 12 pays d'Afrique Subsaharienne, 46% trouvent que le pays est « compétitif », 21% trouvent que le Maroc est un pays « ouvert » et 27% que le Maroc est un pays « conquérant ».

La stratégie diplomatique du Maroc est donc de capitaliser sur ces six atouts immatériels qui lui permettent de se démarquer radicalement dans un environnement qui exige une différenciation et une forte compétitivité pour faire sa place. Le rapport de la Banque Mondiale26 déclare qu'en prenant en compte le capital immatériel du Maroc (soit son capital humain et la qualité de ses institutions) dans le calcul du PIB, celui-ci serait multiplié par 7,

24 « Ce knowledge que le Maroc vend au sud du Sahara », quotidien les Ecos en date du 8 juillet 2014

25 Agence Marocaine de Presse (MAP), « Le Souverain adresse un message à la 1ère conférence des ambassadeurs de SM le Roi », 30 août 2013

26 Worldbank, « Where is the Wealth of Nations? Measuring Capital for the 21st Century ? » https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/7505

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loin devant l'Algérie (au capital immatériel négatif selon cette méthode de calcul27).

Ismail Regragui, doctorant en relations internationales à l'IEP de Paris, parle ainsi de « stratégie de marque religieuse »28 pour le Maroc. Le royaume joue la carte de la coopération solidaire au service de l'intérêt des pays africains, en se positionnant comme puissance stabilisatrice dans la région et comme passerelle vers l'Europe.

d) Le développement économique vers l'Afrique est fortement encouragé par la diplomatie sud-sud promue par le roi du Maroc

Afin de pallier l'isolement du Maroc en Afrique depuis sa sortie de l'UOA, le roi du Maroc a soutenu depuis le début des années 2000 le développement des entreprises marocaines sur le continent. La projection des entreprises marocaines en Afrique subsaharienne est réelle :

-- Les 25 représentations diplomatiques du Maroc en Afrique (dont 21 en Afrique Subsaharienne) sont les principaux relais locaux du pays. Leur capacité d'action et d'intervention permet de promouvoir le Maroc comme partenaire commercial ainsi que son capital immatériel sur place ;

-- Les déplacements du roi du Maroc en voyages officiels initiés il y a une dizaine d'années, accompagnés de délégations officielles de grands chefs d'entreprises, témoignent de la volonté à la tête de l'Etat de participer au développement des affaires sur le continent. Plus de 480 accords bilatéraux ont ainsi été signés entre le Maroc et 40 pays africains depuis le début des années 2000.

-- Les entreprises exportatrices sont soutenues par Maroc Export, organisme étatique sous la tutelle du Ministère délégué auprès du ministre de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie Numérique. Ce partenaire des entreprises réalise des actions promotionnelles pour promouvoir les champions économiques marocains auprès de cibles internationales, telles que le forum « B to B in Africa » organisé au Bénin, en Côte d'Ivoire et au Sénégal en juin 2014.

-- Une commission pilotée par le Ministre des Affaires Etrangères a été créée pour réunir l'ensemble des entreprises qui ont fait partie de la tournée royale en Afrique en 2013. Des réunions mensuelles sont organisées pour faire le suivi des partenariats signés

27 « Pour la première fois, le PIB intègre l'impact du goodwill », L'Economiste, Édition N 4222 du 2014/02/27

28 Ismail Regragui, « La diplomatie publique marocaine : une stratégie de marque religieuse ? », ed. l'Harmattan

21

dans le secteur privé.

-- La volonté du Maroc de créer des liens avec les organisations économiques régionales est également forte : le rapprochement avec l'Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) est lancé grâce à la ratification en cours d'un accord commercial préférentiel pour encourager les investissements, signé en 2008 et soutenu à nouveau par le président sénégalais Macky Sall lors de la visite royale en 2013.

-- L'entrée en vigueur en janvier 2015 d'un tarif extérieur commun entre 15 pays de la CEDEAO devrait profiter aux exportateurs marocains, qui n'auront désormais plus qu'à payer la taxe douanière à l'entrée de la Communauté après quoi leurs produits pourront circuler librement dans toute la zone.

-- Enfin, l'accélération des réformes financières permettra de faire de Casa Finance City29 un hub financier régional pouvant attirer les investissements et les redéployer sur le continent africain. Le Maroc profite du fait que les grandes places financières telles que Londres, Dubaï et Johannesburg ne s'intéressent pas à l'Afrique pour se positionner sur ce marché qui comptera 80% des francophones du monde30 en 2050.

Les tournées royales en Afrique au premier semestre 2014 bénéficient d'un suivi à travers une commission gouvernementale. Une commission mixte a été mise en place pour assurer le suivi des partenariats signés lors de la dernière tournée royale en Guinée, au Mali, au Gabon et en Côte d'Ivoire Comme l'explique Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d'intelligence économique de BMCE Bank, « le soutien diplomatique à notre action est tout primordial. Le roi est le premier des soutiens en termes de politique économique étrangère : les tournées royales accompagnées de délégations d'officielles et de chefs d'entreprises ouvrent la voie à l'implantation du secteur privé marocain en Afrique ». Par ailleurs, le soutien de la Banque Centrale est fondamental pour les entreprises : elle les accompagne et les oriente ; il existe un partage réel avec les entreprises exportatrices.

L'Etat marocain joue ainsi de son influence sur les pays africains pour mettre en avant les intérêts politiques et économiques du pays sur le continent. Cette communication d'influence pratiquée par l'Etat est une composante essentielle de la stratégie d'intelligence économique

29 Casablanca Finance City (CFC) est une initiative publique-privée née en 2010 visant à faire de Casablanca une place financière au service du développement de l'Afrique, et en particulier en Afrique du Nord, de l'Ouest et Centrale. CFC se veut être un hub économique et financier visant à encourager les investissements dans ces régions, partant de Casablanca.

30 Sur un total de 700 millions de francophones dans 77 pays en 2050, d'après www.francophonie.org

22

marocaine : celle-ci valorise les liens historiques, culturels et religieux qui lient le Maroc au pays africains31.

B. Des champions nationaux ayant une capacité de projection continentale

a) L'approche marocaine en Afrique

Le développement des entreprises marocaines en Afrique se fait dans le respect des cultures locales par la valorisation des compétences africaines. Ceci est notamment visible dans la stratégie de BMCE Bank, expliquée Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d'intelligence économique : « notre logique de développement en Afrique se fait avec le souci majeur du respect des identités locales. Ceci implique une adaptation et une déclinaison locale de nos services, et c'est ce qui fait notre force aujourd'hui en Afrique ». BMCE Bank n'est pas dans une logique de transfert de compétences du Maroc vers l'Afrique mais dans une logique de d'apprentissage mutuel de ce qui se fait de mieux au Maroc et en Afrique. La banque réfléchit par exemple actuellement à la mise en place du crédit à la consommation au Sénégal à travers sa filiale Bank of Africa, sur le modèle du succès de sa filiale Salafin au Maroc. D'autre part, la majorité des patrons de filiales de BMCE Bank sur le continent sont des dirigeants des pays en question ; les dirigeants de filiales d'Afrique qui sont marocains sont minoritaires.

Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats chez Alliances, abonde dans le même sens : « Nous sommes convaincus qu'il faut aller en Afrique avec une culture de l'humilité. Il ne faut pas y aller en donneurs de leçons ; il faut avoir confiance en la compétence locale ». Il explique qu'il est très important de recruter en local et réaliser des transferts de savoir-faire entre expatriés marocains formés à la promotion immobilière chez Alliances et cadres locaux. Nadia Fettah, directrice déléguée aux finances et au M&A chez Saham Group, ajoute que Saham n'est pas perçu comme une entreprise marocaine en Afrique car tous ses managers sont subsahariens. L'entreprise a même tendance à être discrète sur la nationalité de son capital pour être un opérateur local pour ses clients.

31 cf. Discours royal d'Abidjan en annexe

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La capacité d'adaptation est également un facteur clé de succès pour les entreprises marocaines sur le continent. D'après Nadia Fettah, la capacité d'adaptation exemplaire de Saham réside dans le fait que l'entreprise a gardé en mémoire ce qu'était le marché marocain des assurances il y a 30 ans et peut donc mieux comprendre le marché africain. Le Maroc a depuis fait un saut qualitatif qui fait penser que Saham peut apporter beaucoup à ses filiales africaines, « mais sans le côté dogmatique allemand, français ou américain (É) », dit-elle.

Un autre point fort des entreprises marocaines réside dans leur rapidité d'exécution : comme l'explique Nadia Fettah, « je pense que nous avons une agilité et une rapidité d'exécution remarquables. Nous avons racheté Colina en trois mois. Je pense que cela peut faire la différence car il y a peu d'opportunités sur le marché. Souvent, nous sommes dans une démarche proactive, c'est à dire que nous n'achetons pas des compagnies à vendre mais des compagnies que nous avons envie d'acheter : il faut déjà les convaincre puis agir rapidement pour être les seuls acheteurs possibles ».

L'humilité, le recours à des ressources humaines locales, l'adaptation et la rapidité d'exécution sont donc des points communs et des facteurs de succès clés pour les grandes entreprises marocaines.

b) Les grandes entreprises publiques sont les premières à se déployer

Le souverain fixe les ambitions à moyen et long terme du Maroc en Afrique ; or, de par sa fonction, il n'a pas vocation à assurer l'exécution de cette stratégie. « Il ne peut pas tirer un penalty et jouer au gardien de but juste après ! C'est antinomique », explique le président de l'AMIE. Dès lors, les entreprises publiques ont pris le relais en se développant en Afrique.

La coopération entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne a été initiée par les grandes entreprises publiques marocaines (ONEE, OCP, RAM32) sur des projets d'infrastructures de grande envergure (barrages, routes, télécommunications, assainissement,...) et sur le secteur bancaire, sous l'impulsion de l'Etat marocain.

L'exemple le plus probant est celui de la Royal Air Maroc, élue meilleure compagnie

32 ONEE : né de la fusion entre l'ONE (Office Nationale de l'Electricité) et de l'ONEP (Office National de l'Eau Potable) ; OCP : Office Chérifien des Phosphates ; RAM : Royal Air Maroc)

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régionale africaine en 201433, qui est l'une des premières entreprises publiques marocaines à s'être déployée en Afrique. Ayant compris le potentiel de développement qu'offrait le continent (seul 2 à 3% du trafic pour près de 15% de la population mondiale), la compagnie a progressivement développé son réseau de vols pour servir aujourd'hui 34 destinations, devenant ainsi la deuxième compagnie aérienne sur le continent après South African Airways. Le nombre de passagers a doublé entre 2007 et 2013 pour atteindre 900 000 passagers annuels, ce qui représente près de 45% du chiffre d'affaires de la compagnie, positionnant ainsi Casablanca comme hub incontournable entre l'Afrique et le monde34.

Citons également l'exemple de Maroc Télécom, leader des télécommunications au Maroc, qui a vu le jour en 1998 lors de la scission de l'Office national des postes et télécommunications (ONPT).

Maroc Telecom est l'une des premières entreprises publiques marocaines (aujourd'hui, 70% de son capital est privé) à s'être déployée en Afrique subsaharienne dans le cadre de la diplomatie sud-sud. L'entreprise possède aujourd'hui quatre filiales en Mauritanie (2001), au Burkina Faso (2006), au Gabon (2007) et au Mali (2009), pour un total de trente millions de clients dans le mobile. Le groupe a déployé la fibre optique sur une distance de près de six mille kms, reliant ainsi le Maroc au Niger pour un investissement total de 220 millions de dirhams (19,6 millions d'euros). Le tronçon malien inauguré par le roi Mohammed VI lors de la tournée royale en février dernier, a symboliquement mis en avant le rapprochement maroco-malien.

L'opérateur marocain joue un rôle important dans la restructuration des entreprises nationales de télécoms (le chiffre d'affaires de Sotelma au Mali a été multiplié par six depuis la prise de participation de Maroc Telecom en 200935). Les investissements (10 millions de dirhams entre 2003 et 2013 et 4 millions pour la période 2013-2015) ainsi que la mise en place de cadres qualifiés à des postes clés de ces entreprises permet de tirer la croissance dans ces pays.

L'Afrique subsaharienne contribue par ailleurs fortement au chiffre d'affaires de Maroc Telecom : si elle ne représentait que 15% du chiffre d'affaires du groupe en 2012, elle en représentait près de 30% en 2013. Les filiales africaines de Maroc Telecom en Afrique ont

33 Classement Skyrax Awards 2014

34 La vie éco, Royal Air Maroc met le paquet sur l'Afrique subsaharienne, 25 janvier 2014

35 Article Financenews du 25 avril 2014, « Maroc Telecom : Champion national à vocation panafricaine »

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l'EBITDA le plus élevé de toutes les filiales d'entreprises de télécoms au monde36.

Ainsi, si Maroc Telecom s'est d'abord déployé sur le continent pour servir les intérêts du pays, l'Afrique subsaharienne constitue aujourd'hui un vivier d'opportunités et de croissance significatif pour l'entreprise. D'autant plus la forte concurrence au Maroc s'est traduite par une baisse significative des prix (- 30% dans le mobile et Ð 10% dans le fixe), qui a conduit à une baisse de 10% de son chiffre d'affaires au Maroc sur l'exercice 2013.

Les entreprises publiques marocaines continuent à se développer en Afrique : la fusion prévue dans le secteur des transports entre l'ONCF (Office National des Chemins de Fer) et la SNTL (Société Nationale de Transport Logistique) a vocation a créer un champion national qui génèrera 400 millions d'euros de CA dans le transport de marchandises depuis la réception du fret au port de Tanger Med jusqu'à leur acheminement par voie terrestre au Sénégal et en Mauritanie.

c) Dans la foulée des entreprises publiques, le secteur privé s'est massivement tourné vers l'Afrique subsaharienne

Dans un second temps, les grands opérateurs privés se sont eux aussi attaqués le marché au vu du potentiel encore inexploité dans les secteurs des transports, de la finance et des médias37 notamment.

On compte en effet 1 640 entreprises marocaines exportatrices en Afrique en 2013 contre 1 040 en 2005 ; et 25 opérateurs réalisent 50% du chiffre d'affaires à l'export (soit plus de 100 millions de dirhams)38. Par ailleurs, les IDE du Maroc en Afrique subsaharienne ont généré 1,9 milliards de dirhams de dividendes rapatriés entre 2008 et 201239.

Si des grandes banques marocaines ont commencé à se déployer en Afrique dès les années 1990 (BMCE Bank au Mali et Banque Centrale Populaire en Guinée et en République Centrafricaine notamment), leurs actions restaient fortement corrélées au jeu politique. Les trois plus grandes banques sont devenues, en quelques années, des leaders incontournables sur le continent :

-- Attijariwafabank prend des participations majoritaires dans des banques locales.

36 D'après l'interview du président de l'AMIE en annexe

37 Hit Radio, la radio des jeunes, opère sur plus de 9 marchés (Burundi, Congo, Centrafrique, Mali, Cote d'Ivoire, Sénégal, Gabon, Togo, Tchad)

38 Les exportations du Maroc vers l'Afrique, Office des Changes, 2014

39 Financenews hebdo, « Rapatriement de dividendes : L'Afrique se révèle juteuse en affaires », 17 avril 2014

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L'entreprise est présente dans huit pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale et est la première banque du Sénégal.

-- La Banque Centrale Populaire (BCP) a pris des participations dans sept banques en 2012 suite à un accord passé avec Atlantic Financial Group (Côte d'Ivoire),

-- BMCE Bank a fait le choix stratégique de se développer en Afrique depuis le début des années 1980. La première coopération de la banque en Afrique a eu lieu avec le redressement de la Banque de Développement du Mali, et s'est poursuivie avec la prise de participation dans La Congolaise de Banque en 2003. Suite à ces deux succès, BMCE Bank a accéléré ses investissements en Afrique en 2008 avec la prise de participation de 72,5% du groupe Bank of Africa (BoA), présente dans 17 pays d'Afrique francophone et anglophone (Kenya, Ghana, Ouganda et Tanzanie). « L'idée, chère au Président de la BMCE Bank, Othman Benjelloun, est d'être présents dans les 54 pays d'Afrique d'ici quinze ans », explique Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d'intelligence économique de BMCE Bank.

Les banques marocaines profitent du repli des banques africaines pour se déployer sur le continent. En effet, les banques africaines traversent une crise de croissance réelle : au Nigeria, la Banque centrale a temporairement interdit aux établissements nationaux de réaliser des acquisitions en dehors des frontières avec des financements locaux. Par ailleurs, la valorisation des banques dans les pays d'Afrique subsaharienne est considérée comme trop élevée pour les investisseurs : le multiple de deux fois les fonds propres est supérieur à celui que l'on observe dans d'autres pays émergents en Amérique Latine ou en Asie (une fois les fonds propres).

Les grandes entreprises privées ont quant à elles véritablement commencé leur offensive africaine en 2010. Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats chez Alliances, explique que le positionnement des grandes entreprises en Afrique répond à une nécessité quand elles atteignent leur masse critique sur le marché local marocain : « les entreprises qui ont atteint la taille de champion national ont besoin de relais de croissance en dehors du territoire si elles veulent voir leur chiffre d'affaires croitre de manière significative dans les années à venir ». L'entreprise est aujourd'hui implantée en Côte d'Ivoire, où elle a signé un accord avec le gouvernement pour la construction de 14 000 logements sociaux ; et est en discussions avec le Sénégal, le Congo et la Guinée pour d'autres projets de promotion immobilière.

Chez Saham, le développement en Afrique s'est aussi fait de manière très rapide. Ghita Lahlou, directrice générale chez Saham Group, explique que jusqu'en 2010, l'entreprise s'est cantonnée au marché marocain. En l'espace de trois ans, le groupe a opéré une mutation significative à travers l'acquisition de la totalité du capital de Colina en 2010, qui opère via 15 filiales d'assurances dans 13 pays ; et de Global Alliance Seguros en 2012 en Angola. Aujourd'hui, 50% du chiffre d'affaires et 70% du résultat net du groupe sont réalisés en Afrique. D'après elle, ce transfert a été salutaire : le management s'est rendu compte que le marché marocain était trop étroit et qu'il ne permettrait pas d'atteindre à lui seul les ambitions du groupe. En effet, entre 2004 et 2010, celui-ci était principalement tourné vers l'Europe ; or Saham était trop petit pour apporter une véritable valeur ajoutée sur le marché européen. Le président Moulay Hafid Elalamy a considéré qu'il fallait alors se déployer dans des pays où le savoir faire du groupe a la légitimité de se développer. « Il se trouve que le continent africain totalise un PIB de 5 000 milliards de dollars à ce jour, et les estimations sont de 29 000 milliards de dollars en 2050. Le continent émerge au même titre que la Chine ou l'Inde il y a dix ans, et est un formidable vecteur de croissance pour nous », explique Ghita Lahlou. Aujourd'hui, le groupe Saham est le premier opérateur d'assurances en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) et est implanté dans 22 pays.

d) Les entreprises marocaines ne sont pas encore perçues comme des concurrentes par les entreprises occidentales, chinoises et suds africaines

Il est intéressant de réfléchir à la manière dont sont perçues les entreprises marocaines par les grands opérateurs étrangers présents en Afrique car force est de constater que des acteurs de taille sont présents sur le continent40 :

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40 BCG Focus: « The African Challengers : Global competitors emerge from the overlooked continent », 2010

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Les entreprises interrogées dans le cadre de ce mémoire sont d'accord pour dire que les opérateurs marocains ne sont pas encore perçus comme de véritables concurrents par les opérateurs « historiques » sur le marché africain. Cela tient tout d'abord au fait que, quand bien même le pays figure parmi les six plus gros exportateurs du continent, il ne pèse que 0,3% de ses importations. La Chine arrive quant à elle en première position (14,2%), devant les Etats-Unis (6%) et la France (5,9%).

D'après Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, les entreprises marocaines se battent sur un continent qu'une bonne partie des entreprises françaises ont quitté car elles n'ont pas su gérer le risque pays en Afrique. Elles ont compris qu'elles devaient passer par des entreprises marocaines, qui ont cette approche différente et qui leur permet d'être plus performants en Afrique. Ghita Lahlou souligne à ce titre qu'Axa, par exemple, se pose des questions quant à sa stratégie africaine car ses coûts de structure sont énormes du fait du nombre élevés d'employés expatriés.

Quant aux leaders suds africains, ils semblent regarder de loin l'implantation des entreprises marocaines en Afrique aujourd'hui. Brahim Skalli d'Alliances explique que leurs marchés de prédilection sont les pays anglophones et que les pays francophones ne font pas véritablement partie de leur stratégie d'expansion. Pour l'instant, il y a peu d'interactions avec ces acteurs, ce qui permet aux opérateurs marocains de prendre de l'avance. Ghita Lahlou explique par

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ailleurs que les suds africains ne sont pas très bien accueillis en Afrique du Nord et de l'Est car ils sont encore perçus comme culturellement très différents.

La Chine, quant à elle, ne considère pas les entreprises marocaines comme concurrents car elles les perçoivent comme complémentaires dans le jeu du commerce mondial. Les entreprises chinoises sont très présentes sur les grands travaux d'infrastructures et l'exploitation de ressources naturelles, alors que les entreprises marocaines exportent principalement des services. Par ailleurs, les fonds souverains chinois veulent aujourd'hui se développer sur tous les secteurs en Afrique. Ils sont encore en retard par rapport aux champions nationaux marocains de services, mais ils commencent à s'y intéresser. Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank explique que les entreprises marocaines se positionnent plutôt comme partenaires des opérateurs chinois. L'objectif de la conférence sino-maroco-africaine « China Africa Investment Meetings » organisée par BMCE Bank41 était en effet de réunir une cinquantaine de personnalités publiques, diplomatiques, gouvernementales, nationales et étrangères pour dessiner une alliance tripartite qui mutualiserait les moyens du Maroc et de la Chine pour le développement de l'Afrique. La chambre chinoise apporte son savoir faire en termes d'infrastructures et de connaissance fine du marché, et BMCE Bank son réseau bancaire en cours de déploiement en Afrique. Le but est à terme de créer des joint ventures maroco-chinoises en Afrique dans le cadre d'une stratégie africaine d'exportation et d'investissement.

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