PARTIE I : L'INSTITUTION D'UN DISPOSITIF
ANTI- BLANCHIMENT À L'ÉGARD DES PERSONNES POLITIQUEMENT
EXPOSÉES DANS LA ZONE CEMAC : UN GAGE D'EFFICACITÉ
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Comme nous l'avons souligné plus haut, la
criminalité financière a pris de l'ampleur dans le monde, car les
criminels de tous genres développent et utilisent des moyens divers pour
échapper aux autorités. Les délinquants utilisent leur
connaissance et se servent des progrès technologiques pour parvenir
à leur fin, contournant ainsi les moyens de prévention et
échappent à toute punition. Cette criminalité
financière ainsi développée sévit au-delà
des frontières d'un seul Etat et acquière un caractère
transfrontalier. De ce fait, elle utilise des moyens divers pour parvenir
à ses fins. Pour lutter efficacement contre cette dernière, les
Etats doivent utiliser des moyens similaires pour non seulement la
prévenir, mais aussi pour l'éradiquer.
Des biens ou de l'argent provenant de la vente des drogues,
des traites d'êtres humains, de la corruption et du détournement
pourrait être introduit dans le système financier légal ou
utilisé à des fins terroristes.
La corruption et le détournement de deniers publics
sont des maux qui minent les Etats en développement. La fuite des
capitaux vers l'extérieur est un véritable frein au
développement car, les fonds provenant de la corruption ou du
détournement ne pouvant pas être directement investis dans
l'économie légale, font l'objet de blanchiment, et dans la
plupart des cas, ils vont en direction de l'occident.
Les PPE étant des personnes à risque
élevé de corruption, de détournement et par là de
blanchiment, pour lutter efficacement contre les agissements dont elles
pourraient se rendre coupables et dans un souci d'assainissement de la vie
public21, le législateur communautaire CEMAC a
institué un dispositif qui impose aux professionnels assujettis des
obligations spécifiques qu'ils doivent observer à l'égard
des clients PPE (Chapitre 2). L'édiction des mesures de vigilance
renforcée à l'égard des clients PPE ne fait pas
préjudice aux obligations générales de vigilance (Chapitre
1) en matière de lutte anti-blanchiment dont les assujettis sont
également tenus d'observer à l'égard de tout client.
21 Egalement, dans un souci d'intégrer et
d'adhérer aux normes et standards internationaux en matière de
lutte contre le blanchiment des capitaux et financement du terrorisme liant les
PPE.
CHAPITRE I : L'ASSUJETTISSEMENT DES PROFESSIONNELS
AUX OBLIGATIONS GÉNÉRALES DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES
CAPITAUX ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME
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Le blanchiment des capitaux est une infraction de
conséquence, qui, pour être constituée nécessite
l'exigence d'une infraction « en amont » qui peut être entre
autres, le trafic illégal des drogues, d'organes humains, la
prostitution, le proxénétisme, la corruption et le
détournement.
Ainsi, l'efficacité de la lutte contre le blanchiment
des capitaux et le financement du terrorisme repose sur les instruments
juridiques. Le législateur communautaire ne voulant pas faire de la zone
CEMAC l'apanage de ces fléaux, a édicté une
règlementation sévère à l'égard des
professionnels assujettis.
À cet effet, à la lecture des textes
communautaires relatifs à la lutte contre le blanchiment des capitaux et
le financement du terrorisme et de la prolifération, nous nous rendons
compte que les professionnels sont soumis à une obligation
générale de vigilance (Section 1) qui se solde par une obligation
de déclaration (Section 2) en cas de suspicion sur les opérations
de leur clientèle.
SECTION I : L'obligation générale de
vigilance
Les obligations de vigilance et de diligence consistent
« pour le professionnel assujetti à identifier ses clients et
à bien les connaître tout au long de leur relation, à
suivre les opérations qu'ils conduisent pour apprécier leur
cohérence et leur logique économique, à procéder
à un examen particulier des opérations douteuses, à
demander des renseignements sur ces opérations quant à leurs
origine et finalité et à garder ces informations écrites
à la seule disposition »22 des autorités
judiciaires.
Dans le souci de minimiser les risques d'utilisation des
facilités de la globalisation par les criminels, les autorités de
poursuite doivent alors compter sur la diligence des professionnels
22 MATSOPOULOU (H.) et MASCALA (C.)
(Dir.), Droit pénal des affaires, Lamy, 2014, n°
1261, cité par NGAPA (T), La lutte contre le
blanchiment d'argent dans la sous-région de l'Afrique central CEMAC :
analyse à la lumière des normes et standards européens et
internationaux, Op. Cit. p. 248.
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assujettis à la lutte contre le blanchiment des
capitaux qui en constituent l'un des maillons essentiels et interviennent
à différentes étapes23.
C'est ainsi que ces professionnels sont soumis aux mesures
préventives de la lutte contre la criminalité financière
organisée. Ils ont à cet effet, l'obligation de connaissance de
la clientèle (Paragraphe 1) et l'obligation de surveillance
particulière à l'égard de certaines opérations
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'obligation de connaissance de la
clientèle
Les assujettis doivent connaitre leur client pour pouvoir s'il
en était besoin d'être à même de produire aux
autorités compétentes des informations nécessaires sur ce
dernier. Pour cela, les assujettis doivent les identifier (A) et en conserver
les documents ou pièces (B).
A - L'obligation d'identification des clients
« Know your Customer » en anglais
signifiant « connais ton client » est le sens de
l'obligation d'identification des clients24. Car, les organismes
assujettis à la vigilance financière doivent s'assurer, avant de
nouer une relation d'affaire25 ou d'assister un client habituel ou
occasionnel dans la préparation ou la réalisation d'une
transaction, de l'identité de leurs cocontractants26. Cette
obligation contenue dans la recommandation 10 du GAFI de février 2012
concerne tant le client que le bénéficiaire
économique27. Elle est posée par les articles 4
à 16 du Règlement COBAC de 2005 et 29 à 34 du
Règlement CEMAC de 2016.
À la lecture de ces dispositions communautaires, il est
prévu deux méthodes d'identification : des méthodes
générales (1) et des méthodes particulières
d'identification (2).
23 NGAPA (T), La lutte contre
le blanchiment d'argent dans la sous-région de l'Afrique central CEMAC :
analyse à la lumière des normes et standards européens et
internationaux, Op. Cit. p. 235.
24 Ce contrôle d'identité des clients
a, selon certains auteurs, été le premier instrument juridique
mis en place dans le cadre de la lutte anti-blanchiment. En ceci qu'il permet
d'empêcher l'anonymat des financiers du crime en bloquant leurs
opérations.
25 La relation d'affaires est « une situation
dans laquelle une personne visée à l'article 7 du présent
Règlement, engage une relation professionnelle ou commerciale qui est
censée, au moment où le contact est établi, s'inscrire
dans une certaine durée » (Cf. point 60 de l'art.
1er du Règlement CEMAC de 2016).
26 NGUIFFEU TAJOUO EDDY L., «
La réforme du système de détection et de prévention
de la criminalité financière en zone CEMAC à la
lumière du Règlement numéro 01/CEMAC/UMAC/CM du 11 avril
2016 portant prévention et répression du blanchiment des capitaux
et financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique Centrale
», In Juridis Périodique N°108, pp 133-144.
27 Ce dernier, du fait du lien étroit qu'il
pourrait avoir avec les PPE, sera évoqué dans le chapitre
suivant.
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1- Les méthodes générales
d'identification des clients
Pour ce qui est des méthodes générales
d'identification, la vérification se fait par l'exigence de la
présentation d'un document ou d'une pièce officielle originale et
valide et la conservation d'une copie de ladite pièce28.
Lorsque le client est une personne physique, la
présentation d'un document officiel original en cours de validité
comportant sa photographie est exigée puis il sera pris
photocopie29.
Quant au client personne morale, l'identification est
effectuée par la production des statuts et de tout documents
établissant qu'elle a été légalement
constituée et qu'elle a une existence réelle au moment de
l'identification et il en sera pris photocopie30. En plus, la
personne morale doit présenter l'original ou la copie certifiée
conforme de tout acte ou extrait du registre officiel constatant sa
dénomination, sa forme juridique, son siège social et les
pouvoirs des personnes agissant en son nom.
A côté de ces méthodes dites
générales d'identification des clients, il faut relever les
méthodes particulières d'identification.
2- Les méthodes particulières
d'identification des clients
Parlant des méthodes dites « particulières
» d'identification, elles concernent entre autre ; les clients
occasionnels, les clients non-résidents, les clients PPE31,
la clientèle recommandée et les personnes listées.
Les « clients occasionnels » sont ceux qui
n'ont pas de liens durables avec l'organisme, car il n'existe pas entre eux une
relation d'affaires établie. Leur identification se fait dans les
mêmes conditions évoquées haut pour toute transaction
portant sur une somme supérieure au montant définis par le
comité ministériel ou, à défaut, par l'Etat partie.
Cette identification est requise même si le montant de l'opération
est égal au seuil fixé32 ou lorsque la provenance
licite des capitaux n'est pas certaine33.
28 Cf. art. 4-(1) du Règlement COBAC du
1er avril 2005 et art. 29 du Règlement CEMAC du 11 avril
2016.
29 Cf. art. 30 du Règlement CEMAC de 2016.
30 Cf. art. 5-(2) du Règlement COBAC de 2005 et
art. 31 du Règlement CEMAC de 2016.
31 Les mesures spécifiques aux PPE feront
l'objet du développement du chapitre suivant.
32 10.000.000 FCFA pour les personnes autres que
les changeurs manuels ou les représentants légaux et directeurs
responsables des opérations de jeux ; 5.000.000 FCFA pour les changeurs
manuels.
33 Cf. art. 32 du Règlement CEMAC de 2016.
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Quant aux « clients
non-résidents34», en plus de conditions
générales d'identification, les organismes assujettis peuvent, au
besoin, recourir à une personne de réputation confirmée
pour procéder à l'identification du client ou exiger que des
documents requis soient soumis à d'autres formalités
(authentification, complément par pièce jointe etc.). En plus, la
relation d'affaires ne peut être établie qu'avec l'approbation
d'une personne habilitée35.
En ce qui concerne la « clientèle
recommandée36», à la lumière de
l'article 10 du Règlement COBAC, il ressort que, les personnes
assujetties doivent évaluer soigneusement la compétence et
l'honorabilité des intermédiaires ayant recommandé le
client et vérifier qu'ils accomplissent normalement leur devoir de
diligence, en procédant si nécessaire à des examens
périodiques de conformité et de fiabilité.
Aussi, les « personnes
listées37 » font également l'objet d'un
traitement spécial. Conformément aux articles 35 et 36 du
Règlement COBAC, les organismes assujettis doivent déclarer
à l'ANIF, les opérations et avoir des personnes listées
qu'ils examinent de façon particulière.
Les professionnels assujettis peuvent procéder à
nouveau à l'identification du client, lorsqu'ils ont des bonnes raisons
de penser que l'identité de leur client et les éléments
d'identification précédemment obtenus ne sont plus exacts ou
pertinents38.
L'obligation d'identification ainsi posée par le
législateur communautaire à la charge des professionnels
assujettis n'est pas exempte de toutes critiques. En effet, les assujettis
à cette obligation sont juste tenus d'exiger la présentation d'un
document officiel original en cours de validité et en conserver une
photocopie mais, pas de vérifier l'authenticité et encore moins
d'exiger une copie authentifiée du document qui, il faut le dire,
pourrait être un document falsifié. Nous pensons que le
législateur devrait imposer que des documents ou pièces soient
authentifiées lorsque l'opération en question atteint ou
excède le montant seuil ou tout autre montant raisonnable qui sera
fixé à cet effet.
34 Aux termes de l'article 3 alinéa e) du
Règlement COBAC, Un `'client non résident» est une personne
physique ou morale implantée dans un Etat tiers et sollicitant
l'ouverture d'un compte ou la réalisation d'une opération dans un
établissement assujetti sis dans un Etat membre.
35 TSOBGNI DJOUMETIO (N.L.),
Prévention et Répression du blanchiment des capitaux
en zone CEMAC, mémoire de DEA, Op.cit. P. 67 ; V. également
à cet effet l'article 9 du Règlement COBAC de 2005.
36 Selon l'article 3 al. d) c'est la
clientèle dont la relation d'affaires avec un établissement
assujetti procède de l'initiative d'un tiers, intermédiaire
pouvant être un établissement de crédit ou toute autre
personne physique ou morale.
37 Le Règlement COBAC de 2005 définit
en son article 3 al. v) comme étant, une personne physique ou morale ou
une organisation figurant sur la liste établie par le comité des
sanctions conformément aux résolutions des Nation Unies relatives
à la prévention et à la répression du financement
du terrorisme. Ces personnes doivent faire l'objet de restrictions comme de
terroristes...
38 Cf. art. 34 du Règlement CEMAC du 11 avril
2016.
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Ces difficultés ainsi relevées sur l'obligation
d'identification sont de nature à impacter la conservation des
documents.
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