Paragraphe 2 : La problématique du blanchiment
lié à la protection des comptes des missions diplomatiques
Sans faire une répétition de ce que nous avons
évoqué plus haut, nous ferons un petit rappel des
immunités diplomatiques avant de chuter sur les comptes bancaires des
missions diplomatiques.
L'Etat et ses démembrements sont titulaires des
immunités tant de juridictions que d'exécutions. Ainsi, l'Etat ne
peut pas être, comme nous l'avons vu plus haut, astreint devant la
juridiction d'un Etat étranger et ni même voir se faire
réquisitionner ou saisir les biens dont il est titulaire. Fort de cela,
les ambassades et consulats, qui sont les représentants de l'Etat
à l'étranger, bénéficient eux aussi des
privilèges et inviolabilité empêchant toutes mesures
contraignantes à leur égard. Ces représentations de l'Etat
à l'étranger sont qualifiées des « missions
diplomatiques «.
La diplomatie peut s'entendre comme la pratique, l'action et
la manière de représenter un Etat auprès d'un autre Etat
étranger ou dans les négociations internationales, de concilier
leurs intérêts respectifs ou de régler un problème
international sans recours à la force. C'est aussi l'art des
négociations entre gouvernements et comme telle, elle a
été mise en place pour favoriser la paix internationale.
206 La CIJ en attendant de se prononcer sur le fonds a
suspendu les mesures de confiscation et de saisie prononcée par les
juridictions françaises.
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Pour permettre aux missions diplomatiques de mener à
bien leurs missions, les textes internationaux prévoient les
privilèges et les inviolabilités dont elles
bénéficient en ces termes : « 1) les locaux de la
mission sont inviolables. Il n'est pas permis aux agents de l'Etat
accréditaire d'y pénétrer, sauf avec le consentement du
chef de la mission. 2) l'Etat accréditaire à l'obligation
spéciale de prendre toutes mesures appropriées afin
d'empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou
endommagés, la paix de la mission troublée, ou sa dignité
amoindrie. 3) les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets
qui, s'y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent
faire l'objet d'aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure
d'exécution »207. Ainsi, nous comprenons
aisément que les représentations de l'Etat à
l'étranger jouissent d'un statut particulier qui les protège
contre les éventuelles mesures de contraintes.
L'alinéa 3 de l'article précité mention
l'ensemble des biens qui ne peuvent faire l'objet de perquisition ou de saisie
mais ne mentionne pas de façon expresse la protection du compte
bancaire. Toutefois, l'article 22 de la Convention de 1961 ajoute en son
alinéa 1 que « l'Etat accréditaire accorde toutes
facilités pour l'accomplissement des fonctions de la mission ».
Et la Cour d'Appel de Paris déduit que « la protection des
valeurs inscrites sur les comptes bancaires ouvertes au nom d'une ambassade
pour les besoins de son activité de service public sur le territoire de
l'Etat accréditaire découle des règles du droit des
relations diplomatiques et relève du régime spécifique des
immunités diplomatiques »208. Ces valeurs sont par
conséquent insaisissables, et ne peuvent faire l'objet d'aucune
perquisition.
Allant dans le même sens que la Cour de Paris, un autre
texte international mentionne que « les biens, y compris les comptes
bancaires, utilisés ou destinés à être
utilisés aux fins de la mission diplomatique de l'Etat ou de ses postes
consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès
des organisations internationales ou aux conférences internationales
»209 sont insusceptibles de mesures de contrainte ou de
saisie, car ils jouissent des immunités.
Au vu de ces différents textes, nous comprenons
aisément que les comptes de missions diplomatiques étant
protégés, ne peuvent pas faire l'objet d'une perquisition, d'une
saisie, et encore moins de gel des fonds qui y sont inscrits. Toutes mesures
qui constituent le préalable dans la lutte anti-blanchiment. Et cette
protection met en mal le dispositif tant préventif (puisqu'aucune
déclaration de soupçon ne pourrait être faite et même
si elle l'été, les mesures
207 Cf. art. 22 de la Convention de Vienne de 18 avril 1961 sur
les relations diplomatiques.
208 Cour d'appel de Paris, 1er ch. Sect. A. Aff. Ambassade de
Fédération de Russie en France c/ la société NOGA,
10 août 2000, consulté sur
www.legifrance.gouv.fr le 02
août 2020.
209 Art. 21 de la Convention des Nations Unies sur les
immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 02
décembre 2004.
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concourant à contrer les délinquants se
heurteront aux immunités qui protègent les comptes bancaires) que
répressif. Ceci d'autant que les chefs des missions diplomatiques comme
nous l'avons vu haut sont des PPE et donc des personnes à haut risque de
blanchiment et cette protection accordée aux comptes bancaires dont ils
ont accès est une mine aux pieds du dispositif anti-blanchiment. Ainsi,
ces comptes sont un outil privilégié des blanchisseurs. Soit les
diplomates eux-mêmes initient le blanchiment ou aident les blanchisseurs
à mettre en place des organisations criminelles.
A titre d'illustration des cas de blanchiment liant les chefs
des missions diplomatiques, nous retenons l'affaire de l'ambassadeur de la
Suisse au Luxembourg, qui a été démis de ses fonctions le
08 juillet 2002 du fait de l'accusation de blanchiment aggravé qui
pesait sur lui et a été mis en détention préventive
en cette date210.
Aussi la banque américaine Riggs, réputée
être la banque préférée des ambassadeurs à
Washington, est liée à des affaires louches et aurait
violée de façon délibérée les lois sur le
contrôle de transactions et le blanchiment des capitaux. Elle fut
condamnée à 25 millions de dollars d'amande pour avoir
hébergé le compte de la femme de l'ambassadeur d'Arabie Saoudite
destiné aux bourses des étudiants saoudiens nécessiteux.
Or deux des étudiants accusés d'être piratés de
l'air du 11 septembre 2001 avaient
bénéficiés211.
Tous ces exemples justifient la réticence de certaines
banques à avoir ou à conserver des clients diplomates. C'est
l'exemple de la banque américaine JP Morgan Chase qui a envoyé
des lettres à 150 ambassades auprès de l'ONU, en les informant de
la clôture de leurs comptes bancaires au 31 mars 2011212. Il
en est de même de la banque britannique HSBC213 qui a
annoncé en 2013 que les 40 ambassades et consulats basés à
Londres qui ont des comptes chez elle avait 60 jours pour retirer leur
argent214.
Les instruments juridiques protègent les comptes des
missions diplomatiques pour permettre aux représentants de l'Etat
étranger d'effectuer en toute quiétude leurs missions, mais
malheureusement certains diplomates mal intentionnés profitent de cette
protection pour commettre des actes de blanchiment. Nous pensons que pour
donner, sinon renforcer, l'efficacité de la lutte anti-blanchiment
à l'égard des PPE, dont les chefs des missions
210 V. TCHABO SONTANG (H. M.), Secret
bancaire et lutte contre le blanchiment d'argent en zone CEMAC, Op.cit.,
p. 33.
211 `'L'empire suspecte les comptes de diplomates «
Réseau Voltaire, 17 mars 2004. Cité par TCHABO SONTANG
(H. M.), Secret bancaire et lutte contre le blanchiment d'argent
en zone CEMAC, Op.cit.
212 KARIM (L.), « Les missions
diplomatiques aux Nations Unies privées de comptes bancaires »,
article de presse publié le 04 février 2011 sur
www.rfi.fr. Consulté le 31
juillet 2020.
213 C'est la Hongkong and Shanghai Banking Corporation
Limited.
214
www.latribunene.fr ,
Consulté le 28 juillet 2020.
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diplomatiques font partie, les autorités
internationales, communautaires et nationales se doivent de revoir cette
protection, surtout en cas de soupçon grave de blanchiment des capitaux
et/ou du financement de terrorisme.
Les limites à la lutte anti-blanchiment liées au
système juridique ne sont pas seulement dues à la qualité
de certaines personnes, mais aussi relatives à certaines
opérations.
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