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La réglementation CEMAC relative à  la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Etude du cas des personnes politiquement exposées.


par HINASSOU MAHAMAT
Université de Dschang - Master 2 recherche en Droit des Affaires et de l'Entreprise. 2020
  

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CHAPITRE 2 : LES LIMITES JURIDIQUES A LA LUTTE
CONTRE LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX ET LE
FINANCEMENT DU TERRORISME LIÉS AUX PPE

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Nous avons évoqué plus haut le dispositif auquel les établissements assujettis sont tenus. Sans y revenir dessus, nous soulignons que son respect garantit, dans une large mesure, la prévention et la répression effectives des actes délictueux. Cependant, sa défaillance impacte très négativement l'efficacité de la lutte contre les malversations financières des PPE.

Un certain nombre des dispositions contenues dans les textes internationaux et nationaux sont des natures à faire écran à l'applicabilité des mesures tant préventives que répressives en matière de blanchiment. Nous notons ainsi que l'efficacité du système préventif et répressif de la criminalité financière, pour ce qui est des PPE, se trouve amoindrie par certaines dispositions légales. Ces dispositions sont tantôt inhérentes à la qualité des certaines personnes (Section 1), et tantôt relatives à certaines opérations (Section 2).

SECTION I : Les limites à la lutte anti-blanchiment rattachées à la qualité de certaines PPE

L'idée de limites juridiques à la LBC/FT rattachées à la qualité des certaines personnes politiquement exposées (PPE) s'appréhende ici comme étant les immunités et privilèges dont les PPE disposent et font obstacles à la lutte. En effet, les PPE telles que nous les avons évoquées plus haut, bénéficient dans une certaine mesure des immunités.

La notion d'immunité est une des plus complexes en droit. Pourtant, la doctrine et la jurisprudence l'emploient comme si elle relevait de l'évidence jouant sur le registre de la connivence : tout le monde sait ou sent ce que signifie une immunité188. Le monde juridique consacre la summa divisio entre immunité de fonds et immunité de procédure, entre irresponsabilité et inviolabilité, parfois concurrencée par la distinction entre immunité absolue et immunité relative.

En faisant abstraction de tout débat sur la notion d'immunité, elle s'entend au sens strict comme une « cause d'impunité qui, tenant à la situation particulière de l'auteur de l'infraction au moment où il commet celle-ci, s'oppose définitivement à toute poursuite, alors que la

188 BOUDON (J.), « Le privilège de juridiction de l'article 68-1 de la Constitution s'apparente-t-il à une immunité ? Au tour de l'affaire Clearstream », In CLEMENT (G.) et LEFEBRE (J.) (Dir.), Les immunités pénales. Actualités d'une question ancienne, CEPRISCA, Collection Colloques, Paris, P.U.F, 2010, p. 31.

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situation créant ce privilège a pris fin »189. Ainsi, nous comprenons aisément qu'une immunité est un privilège qui, accordé à une personne, fait obstacle aux mesures de poursuite. Allant dans ce sens, le Professeur Julien BOUDON affirme que tous les auteurs « s'accordent pour affirmer qu'une immunité est synonyme d'exemption de charge, en vertu de l'étymologie latine : le terme « munis » (« charge ») est précédé d'un « i » privatif »190.

La notion d'immunité étant clarifiée, nous nous intéressons à certaines immunités accordées à certaines PPE (Paragraphe 1) et accorderons un intérêt particulier à la problématique du blanchiment lié aux comptes des missions diplomatiques (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les immunités attachées à la qualité de certaines PPE : un
obstacle majeur à l'effectivité de la lutte anti-blanchiment

Il serait judicieux de jeter un regard sur la typologie des immunités dont bénéficient les PPE (A) avant d'évoquer les effets qu'elles pourront avoir sur les mesures des poursuites en matière de blanchiment notamment au niveau international(B).

A - La typologie des immunités des PPE

Les difficultés procédurales lors des poursuites impliquant une PPE tiennent couramment aux immunités dont elles se prévalent qu'elle soit parlementaire (1), membre de l'exécutif (2) ou diplomate étranger (3).

1- L'immunité parlementaire

L'immunité parlementaire est régie par les dispositions législatives de chaque Etat. Ainsi, pour le cas du Tchad par exemple, l'article 117 de la Constitution du 04 mai 2018 dispose à cet effet que « les membres de l'Assemblée Nationale bénéficient de l'immunité parlementaire.

Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté ou jugé pour des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.

Aucun député ne peut, pendant la durée de session, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de l'Assemblée Nationale, sauf cas de flagrant délit.

189 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, association Henri Capitant, Quadrige, 7ème édition, Paris, PUF, 2005, p. 457.

190 BOUDON (J.), « Le privilège de juridiction de l'article 68-1 de la Constitution s'apparente-t-il à une immunité ? Au tour de l'affaire Clearstream », Op.cit., p. 33.

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Aucun député ne peut, hors session, être arrêté sans l'autorisation du Bureau de l'Assemblée Nationale, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnations définitives.

En cas de crime ou délit établi, l'immunité peut être levée par l'Assemblée Nationale lors des sessions ou par le Bureau de ladite Assemblée Nationale hors session.

En cas de flagrant délit, le bureau de l'Assemblée Nationale est immédiatement informé de son arrestation ».

Pour le cas du Gabon, l'article 38 de la Constitution du 12 janvier 2018 à pratiquement le même contenu que les dispositions de la loi tchadienne précipitée, à la différence que le parlement Gabonais est bicaméral. Il en est de même du Cameroun191.

Il résulte des dispositions des différentes législations que la définition de l'immunité parlementaire et ses conditions de mise en oeuvre protègent largement les parlementaires dans l'exercice de leurs fonctions électives. Par voie de conséquence, la levée de l'immunité reste assez exceptionnelle.

Au Cameroun par exemple, le 07 août 2009, le bureau de l'Assemblée Nationale a procédé à la levée de l'immunité parlementaire du député Dieudonné AMBASSA à la demande du ministère de la justice. Il était accusé d'un préjudice financier subi par l'Etat notamment de détournement de fonds publics d'un montant de 7 milliards de Francs CFA. Avant lui, trois (3) autres parlementaires ont vu leur immunité levée. Il s'agit de FON DOH GAH GWANYIN III en 2005, Edouard ETONDE EKOTTO et André BOTO'O A NGON en 2006192.

L'immunité parlementaire protège, dans les Etats de la CEMAC, les députés et sénateurs, d'éventuelles pressions et intimidations venant du pouvoir politique, et garantit leur indépendance ainsi que celle du parlement dans sa totalité. Son utilité est démontrée, même si elle retarde plus qu'elle n'empêche de conduire à bien certaines enquêtes en matière d'attente à la probité. Il en est de même pour les immunités du président et des membres du gouvernement.

2- L'immunité de l'exécutif

Nous étudierons successivement l'immunité du président (a) et celle des membres du gouvernement (b).

191 V. l'art. 14 al. 6 de la Constitution camerounaise de 18 janvier 1996 qui dispose que la loi détermine les immunités des membres du parlement (députés et Sénateurs). A cet effet, l'ordonnance N°72 du 26 août 1972 qui contient pratiquement le même contenu que la Constitution tchadienne en son article 1er traite de cette immunité parlementaire.

192 GAINGNE (S.), « Assemblée Nationale : l'immunité parlementaire du député AMBASSA ZANG levée », article de presse, publié le 11 août 2009 à 00h 00min sur www.journalducameroun.com, consulté le 20 juillet 2020 à 15h 22min.

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a- L'immunité présidentielle

À la lecture de la Constitution camerounaise de 16 janvier 1996, la Haute Cour de justice est la juridiction compétente pour juger le Président de la République en cas de haute trahison193. Il est ainsi mis en accusation par l'Assemblée Nationale et le Senat réunis en Congrès qui procède par un vote public à la majorité de 4/5 des membres le composant194.

Cette même Constitution de 1996 dispose en son article 53 al. 3 que « les actes accomplis par le président de la République sont couverts par l'immunité et ne sauraient engager sa responsabilité à l'issue de son mandat ». Il découle de ces dispositions que le Président de la République au Cameroun n'est pas responsable des actes commis dans l'exercice de ses fonctions et même après celles-ci, sauf en cas de haute trahison. Et son immunité empêche de le poursuivre, même pour des infractions commises dans sa vie privée, tant qu'il exerce ses fonctions de chef d'Etat.

Allant dans le même sens, l'article 83 de la Constitution de la République du Tchad dispose que « le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison prévue à l'article 157 ». Et aux termes de l'article 157, le Chef de l'Etat est dans ce cas, justiciable de la Cour suprême qui est la haute juridiction au Tchad.

Pour le cas du Gabon, nous retrouvons le même processus qu'au Cameroun aux termes de l'article 78 de la Constitution. Et l'alinéa 5 du même article mentionne que le Président de la République qui a cessé d'exercer ses fonctions ne pourrait être jugé, ni poursuivi par devant la Haute Cour.

L'on notera que, si cette immunité présidentielle existe sur le plan national, celle-ci est de plus en plus méconnue par le droit et les procédures pénales internationales notamment pour des actes de crimes de guerres ou crimes contre l'humanité. Ainsi, la Cour Pénale Internationale est compétente, pour juger les actes d'un Chef de l'Etat, tant pendant le mandat qu'après. L'on comprend aisément que si on admet que la Haute Cour sanctionne une responsabilité politique et non pénale car la seule peine prévue dans cette procédure étant la destitution. Tandis que la Cour Pénale Internationale vise la responsabilité pénale qui ne cesse pas avec la fin du mandat ou d'une fonction195.

193 Cf. article 53 alinéa 1 paragraphe 1er de la Constitution camerounaise de 1996.

194 Cf. alinéa 2 de l'art. 53 de la Constitution camerounaise de 1996.

195 BOUDON (J.), « Le privilège de juridiction de l'article 68-1 de la Constitution s'apparente-t-il à une immunité ? Au tour de l'affaire Clearstream », Op.cit., p. 37.

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Toutefois, le Président de la République bénéficie auprès des autres Etats de l'immunité de juridiction et de l'immunité d'exécution196. L'immunité présidentielle ainsi posée, est un obstacle à la manifestation de la vérité, et à l'obtention de la preuve pour délits de corruption, détournement et blanchiment. Et dans une certaine mesure, il en est de même de celle des membres du Gouvernement.

b- L'immunité des membres du gouvernement

La base légale de l'immunité des membres du Gouvernement au Cameroun est l'article 53 alinéa (1) de la Constitution qui dispose en son paragraphe 1er que la Haute Cour de justice est compétente pour juger les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions par « le Premier Ministre, les autres membres du Gouvernement et assimilés, les hauts responsables de l'administration ayant reçu délégation de pouvoirs en application des articles 10 et 12 ci-dessus, en cas de complot contre la sûreté de l'Etat ». Ces dispositions donnent l'impression que les membres du gouvernement ne sont pas responsables des actes commis par eux en dehors de leurs fonctions. Bien au contraire, les membres du Gouvernement sont juste bénéficiaires de privilège de juridiction pour ce qui est des actes inhérents à leurs fonctions197.

La Constitution Gabonaise est plus explicite quant à la question de la responsabilité pénale des membres du gouvernement. Contrairement à son homologue camerounais, le législateur gabonais dispose à travers l'article 33 de la Constitution que « les membres du Gouvernement sont politiquement solidaires. Ils sont pénalement responsables des crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions ». À l'interpréter, l'on comprend que les membres du Gouvernement sont justiciables des juridictions ordinaires pour répondre des actes posés par eux, même dans l'exercice de leurs fonctions. Cette disposition est de nature à permettre l'engagement de poursuites pénales des membres du Gouvernement auteurs de BC/FT.

Empruntant les mêmes pas que son homologue gabonais, le législateur tchadien dispose à travers l'article 108 al. 2 de Constitution de 2018 que « les membres du Gouvernement sont justiciables devant les juridictions de droit commun pour les crimes et délits économiques et financiers commis par eux dans l'exercice de leurs fonctions ». Cette disposition constitutionnelle est plus qu'explicite pour ce qui est de poursuites d'un membre du Gouvernement pour des malversations financières tel que le BC/FT.

196 Nous verrons dans le développement suivant les effets de ces immunités sur les poursuites engagées à l'international.

197 BOUDON (J.), « Le privilège de juridiction de l'article 68-1 de la Constitution s'apparente-t-il à une immunité ? Au tour de l'affaire Clearstream », Op.cit. p. 36.

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Comme les autres immunités, l'immunité diplomatique n'est pas un avantage pour la lutte anti-blanchiment.

3- L'immunité diplomatique

A l'origine coutumière, l'immunité des agents diplomatiques (ambassadeurs, conseillers et attachés d'ambassade) a été codifiée par la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, et celle des agents consulaires, par la Convention de vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires. La Convention des Nations Unies du 02 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens procède à la même entreprise de codification à l'égard de hauts représentants de l'Etat.

L'immunité des représentants des Etats a été, par analogie, étendue aux fonctionnaires des organisations internationales installées sur le territoire et aux membres des délégations étrangères auprès de ces organisations198.

Comme pour les autres bénéficiaires, l'immunité du personnel diplomatique ne couvre, en principe que les délits ou erreurs commises dans l'exercice de ses fonctions. Autrement dit, le diplomate ne saurait invoquer son immunité fonctionnelle dans des affaires privées. Toutefois, cette immunité permet, dans certaines circonstances à certaines personnes ayant des comportements répréhensibles, d'échapper à toute sanction judiciaire199.

L'immunité diplomatique est un ensemble de privilège qu'un Etat hôte accorde aux membres du corps diplomatiques d'un pays tiers durant leur séjour. Cette immunité comprend principalement des exonérations fiscales, des exonérations de contrôle des effets personnels aux frontières (l'inviolabilité de la valise diplomatique par exemple), l'inviolabilité des ambassades et des résidences... En matière pénale, aucune poursuite ne peut être engagée à l'encontre d'une personne bénéficiant de l'immunité diplomatique. Cependant, l'immunité diplomatique peut être levée, en cas de crime grave (à l'exemple du blanchiment) avec preuves et l'autorisation du pays dont l'agent diplomatique ou consulaire assure la représentation, par accord écrit du Chef de l'exécutif et contresigné par le Ministre des affaires étrangères de son pays d'origine. Lorsque le pays du diplomate s'oppose à la levée de cette protection, le seul moyen d'agir pour le pays hôte reste de le déclarer « persona non grata » et de l'expulser. Le

198SINKONDO (M.), « Crime et immunités diplomatiques : le droit international peut-il à la fois souffler le chaud et le froid ? » In CLEMENT (G.) et LEFEBRE (J.) (Dir.), Les immunités pénales. Actualités d'une question ancienne, CEPRISCA, Collection colloques, Paris, PUF, 2010, p. 172.

199 SUSEC (S.), Le secteur bancaire et financier français face à la corruption : un système d'intégrité en construction, Op.cit., p. 213.

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diplomate considéré comme tel retournera, dans la plupart de cas, dans son Etat d'origine, avec une mise à pied de ses fonctions, mais sans poursuites.

Les immunités posent des véritables difficultés à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux liant les PPE. Et nous pensons que revoir le régime de levée des immunités de façon exceptionnelle dans les cas de détournement, de corruption et éventuellement de blanchiment serait une avancée considérable dans la lutte contre les malversations financières des PPE.

Il ressort ainsi de l'analyse que les immunités quelles qu'elles soient, constituent autant d'obstacles à la lutte contre le blanchiment des capitaux liant les hautes personnalités, car elles produisent des effets dans la mise en oeuvre des procédures de poursuites à l'égard des PPE tant nationales qu'étrangères.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams