La transition durable dans les petites villes : le cas de Barcelonnettepar Charly Muziotti Université du Mans - Master Gestion des Territoires et Développement Local 2019 |
III. Un territoire divisé en plusieurs
Barcelonnette bénéficie d'un espace urbanisé conséquent et pour lesquels il faut maintenant trouver une utilité. Il s'agit du secteur des casernes, un secteur qui a 41 abrité le 11ème BCA puis le CIECM de 1948 à 2009. Ces bâtiments, propriété de la mairie, doivent maintenant être réutilisés par et pour la population. De fait, de nombreuses hypothèses ont été émises, telle que le déplacement de la cité scolaire sur les lieux ou la caserne de pompiers. La réutilisation intelligente de ces édifices permet de limiter l'étalement urbain en réutilisant l'existant déjà urbanisé (Élu au conseil communautaire de la CCVUSP, juillet 2019). La réutilisation de l'existant est aussi à l'oeuvre en vue de la production d'énergies renouvelables. De fait, il est possible d'utiliser le réseau de distribution du gaz naturel ou d'électricité pour transporter les énergies renouvelables. Des projets d'EnR concrets émanant d'initiatives citoyenne ou publique EMU, pour Énergies Modernes Ubaye, est une société coopérative d'intérêt collectif. Créée en 2018, la SCIC faisait écho à la réponse du Pays S.U.D. à l'appel à projet pour des « Territoires à Énergie Positive ». En effet, Barcelonnette et le Pays S.U.D. ont mandaté Energ'éthique 04, une SCIC basée sur Digne-les-Bains afin de créer une structure équivalente à Barcelonnette. C'est comme ça qu'a vu le jour EMU. La réflexion de la SCIC s'est faite conjointement avec le mouvement Énergies Partagées et l'association Les Centrales Villageoises. Selon Claude GOURON, son actuel président : « Le but est d'équiper des toits de la Vallée de l'Ubaye, qu'ils soient privés ou publics. Mais aussi de réfléchir à l'organisation des énergies hydrauliques et plus globalement aux EnR en général ». Le système de gouvernance est simple : une voix est égale à un sociétaire et le but recherché est purement citoyen, il n'y a pas de notions de bénéfices. Aujourd'hui, EMU compte une cinquantaine de personnes pour un capital de 8000€. Parmi eux, 3 communes ont participé à hauteur de 500€ (Barcelonnette, Enchastrayes, Ubaye/Serre-Ponçon). Claude GOURON et les sociétaires se sont vite rendu compte qu'il était plus facile de raisonner en termes de « grappe de chantiers », plutôt que de prendre chaque projet individuellement. A ce titre, le premier projet comportait 3 toits : ? Le toit du garage d'un particulier ; ? Le toit d'une maison individuelle d'un particulier ; ? Le toit de l'école communale. Le Maire de Barcelonnette était très intéressé par l'idée et a spontanément proposé le toit de l'école car ce dernier aurait pu servir un double objectif : produire de l'énergie verte et faire office de support éducatif afin de sensibiliser les enfants de l'école aux enjeux du développement durable. A côté de cela, Barcelonnette est doté d'un deuxième projet abouti d'énergie renouvelable sur sa commune. Un réseau de chaleur au bois d'une puissance de 1 000KW a été créé à Barcelonnette dans le quartier Craplet en 2003. A la base, il devait permettre de chauffer le quartier Craplet, avec ses 23 bâtiments, les Allaris, la gendarmerie et le centre Jean Chaix. Si techniquement la chaufferie fonctionne correctement, le modèle économique peine à trouver sa rentabilité. Les habitants ne se retrouvent pas dans la formule de paiement qui comprend une grande partie fixe en guise d'abonnement et une partie variable pour la consommation. La partie 42 abonnement est trop importante et la mairie essaie de faire baisser ce prix pour que cette technologie devienne intéressante pour les habitants qui en bénéficient. 3. Des freins liés à des problématiques locales propres aux petites villes Malgré l'existence de nombreux projets, des plus concrets aux plus ambitieux, force est de constater qu'il y a de nombreuses contraintes qui peuvent grever la réalisation des objectifs. Certains projets sont aujourd'hui à l'arrêt, faute de moyens et de compétences. Un manque de moyens et de compétences grève les projets de DD EMU est un bon exemple de ce qui peut bloquer en termes de moyens. En effet, cette SCIC n'a pas pour vocation d'aller vers la réalisation de bénéfices, ce qui la libère de cette pression économique. Cependant, malgré le fait que le projet soit citoyen et n'impacte pas les finances publiques, il est intéressant de souligner que les considérations économiques entrent tout de même en compte dans l'étude de faisabilité. Le projet des 3 toits a commencé à bloquer lorsque l'Architecte des Bâtiments de France a revu le projet et émis des réserves. Compte tenu de la proximité de l'école communale avec des sites classés (Tour Cardinalis, Monument aux Morts), il a fallu adapter le projet aux exigences de l'Architecte de France et cela a eu pour conséquence d'impacter le retour sur investissement. Nous pouvons voir ici l'importance que revêt la rentabilité dans les projets. En effet, les budgets alloués ne sont pas suffisants, les associations et pouvoirs publics comptent beaucoup sur le retour sur investissement pour permettre la rentabilité du projet. Or, nous le voyons ici, le moindre imprévu peut mettre le projet en péril voire empêcher sa concrétisation. La loi du 31 juillet 2014 sur l'économie sociale et solidaire (ESS) a fait passer le plafond de participation des collectivités territoriales de 20% à 50% de la totalité des fonds. Cela est intéressant mais bloquant pour EMU. En effet, la SCIC peine à lever de fonds citoyens, de fait cela limite l'amplitude de la participation publique. Dans l'hypothèse où ils récolteraient 100 000€ de fonds publics, il faudrait trouver une somme équivalente en fonds citoyens (Président de EMU, juillet 2019). A cela s'ajoute la temporalité de ce genre de projets. Le retour sur investissement intervient des années après l'investissement lui-même et cela peut avoir de graves conséquences sur la SCIC. En effet, en admettant qu'EMU ait la capacité de mener un projet à son terme, le retour sur investissement arrive longtemps après la mise en place du projet. De fait, réaliser une installation bloquerait la société dans sa capacité à repartir sur un autre chantier et donc à avoir un réel impact sur la production d'énergie renouvelable. Barcelonnette a manqué de moyens pour certains de ses projets. Il aurait été plus facile de lever des fonds dans une ville plus importante car les fonds citoyens auraient été proportionnellement plus conséquents (Président de EMU, juillet 2019). Enfin, les compétences et le temps alloués à ces activités freinent aussi les avancées. La gestion bénévole est compliquée sur des projets qui demandent du 43 temps car les bénévoles n'ont pas la possibilité d'accorder plus de temps pour s'occuper de EMU. De plus, l'aspect saisonnier de Barcelonnette met la SCIC au ralenti l'été lorsque la saison touristique bat son plein. L'administratif a constitué un autre problème. La lourdeur des démarches contrastait avec le caractère bénévole de la SCIC. Ainsi, les membres de la SCIC n'ont pas pu s'occuper pleinement de ces démarches étant donné leurs métiers respectifs au-delà de ce projet. Le manque de relations avec Les Centrales Villageoises, qui auraient pu leur apporter des compétences supplémentaires dans la gestion, a aussi grevé les démarches (Président de EMU, juillet 2019). Ces manques de moyens et de compétences ne concernent pas qu'EMU, mais aussi les autres services, notamment le Pays SUD. Par exemple, l'ADEME finance un poste de conseiller en énergie partagé qui doit gérer seul de très nombreux dossiers du fait de ses compétences. Bastien EVON, l'actuel technicien, met donc ses compétences au service des différentes communes du Pays S.U.D. Bien que primordiale, cette subvention reste insuffisante puisqu'une seule personne se retrouve à gérer une quantité importante et transversale de dossiers à l'échelle de plusieurs communes. Cette personne va apporter ses compétences sur divers sujets mais ne pourra pas avoir une expertise transversale sur tous les domaines du développement durable. Cela limite donc la capacité de la ville de mener des projets d'un bout à l'autre en interne. Le manque de personnel se fait ressentir et il faudrait une personne supplémentaire à mi-temps afin de gérer la partie administrative qui occupe une grande part des projets (Directrice du Pays S.U.D., juillet 2019). Malheureusement, le manque de moyens ne permet pas à l'association l'embauche d'une nouvelle personne. Le maire, lui, regrette qu'aucun cadastre solaire n'ait été réalisé sur Barcelonnette afin de dresser un panorama des potentialités en termes de photovoltaïque. Cela est dû au manque de moyens et de compétences pour réaliser un tel diagnostic, le conseiller du Pays S.U.D. ne pouvant réunir toutes les compétences sur un sujet aussi vaste que le développement durable. Monsieur le maire rappelle aussi que le manque de moyens est aussi prépondérant à l'échelle de la ville. En effet, dans un rapport daté de 31/08/2010, la Cour des Comptes fait état des difficultés financières de Barcelonnette. En 2008 - et en admettant que Barcelonnette consacre l'intégralité de son épargne brute à cela - la ville mettrait 16 ans à rembourser sa dette. Or ces considérations limitent considérablement la capacité de la ville à injecter de l'argent public dans des projets de transition durable. De fait, à l'heure actuelle, les efforts sont concentrés sur les manières de résorber cette dette à court terme ce qui entre en contradiction avec la temporalité des projets d'énergie renouvelable et empêche tout investissement significatif en ce sens. Aujourd'hui, les objectifs en matière de développement durable sont au point mort et la mairie se concentre davantage sur le redressement financier de la commune afin de libérer les mains du prochain maire. Cela témoigne de la réalité des choses du fait que les projets écologiques sont des investissements souvent lourds et avec des retours sur investissements lointains, chevauchant par conséquent plusieurs mandats. Ce problème, évoqué par de nombreux auteurs, confronte les échelles du développement durable avec les échéances politiques, deux échelles de temps complètement différentes. Certains évoquent aussi le fait que la majeure partie des investissements se font dans le secteur du tourisme (aux alentours de 60% selon J.-M. PAYOT). 44 Enfin, les compétences mobilisées se limitent à celles que les pouvoirs publics peuvent se permettre d'engager au travers des subventions. La directrice du Pays S.U.D. souligne l'importance que revêt la démocratie participative et regrette que cette dernière ne soit pas plus exploitée sur le territoire : « Les questions de démocratie participative ne sont pas assez développées sur le territoire alors qu'il s'agit d'un aspect durable de la ville. En effet, se concentrer sur la gestion de l'environnement est une chose mais il est aussi nécessaire que les habitants se réapproprient la ville et puissent influer sur son développement à travers des outils de démocratie participative » (juillet 2019). Des politiques publiques insuffisamment incitatives Nos entretiens auprès des acteurs investis dans le territoire ont aussi mis en exergue l'insuffisance des politiques publiques : celles-ci ne sont pas assez incitatives concernant les projets de développement durable. Au-delà des considérations de l'Architecte des Bâtiments de France qui ont obligé le projet à s'adapter, l'autre problème majeur que rencontrait EMU pour la réalisation de son projet concernait le prix du KWh. En effet, ce dernier n'a cessé de baisser pour atteindre aujourd'hui les 0.18€ alors qu'il était de 0.60€ en 200915. De plus, les seules subventions dont ils peuvent bénéficier à l'échelle régionale sont des subventions à maitrise d'ouvrage (Président de EMU, juillet 2019). Il déplore ainsi le manque d'aides pour des projets qui vont dans le sens de la transition durable. Le Pays S.U.D. fait face aux mêmes limites. En effet, l'ADEME ne finance qu'un seul poste de conseiller permettant de monter en compétences (Directrice du Pays S.U.D., juillet 2019). Mais un autre problème est particulièrement intéressant dans le cadre des projets du Pays S.U.D. En effet, ce dernier est en mesure d'obtenir des subventions via le programme FEDER. Le Fond Européen de Développement Régional alloue des subventions pour des projets de développement durable régionaux. Cependant, ces subventions ont des planchers très élevés et le Pays S.U.D. se retrouve avec le problème inverse. Ils ont la possibilité de demander ces subventions, mais ils n'arrivent pas à réunir suffisamment de projets au même moment pour atteindre le montant du seuil. De fait, ce n'est pas ici le manque de subventions qui bloque les projets mais plutôt l'incohérence du montant de la subvention compte tenu de l'ampleur et du coût des projets locaux. Il serait intéressant ici de prendre en compte les spécificités territoriales locales pour proposer des aides en cohérence avec les besoins. La législation aussi peut parfois bloquer les projets de petite envergure. Pour cela, nous pouvons prendre l'exemple des projets de centrales hydroélectriques. Tous les projets ayant un impact direct ou indirect sur le milieu aquatique se doivent de respecter les conditions de la Loi sur l'eau et ce, à l'échelle européenne. Il est ainsi obligatoire de réaliser une étude de faisabilité du projet et ce, peu importe sa taille. Cela peut être bloquant pour une petite ville car cela engage des moyens financiers et des compétences techniques qu'elle n'a pas forcément (Maire de Barcelonnette, 15 https://www.fournisseur-energie.com/tarifs-rachat-electricite-photovoltaique/ 45 juillet 2019). Bien qu'il soit conscient de l'importance de ces études afin de ne pas impacter les milieux aquatiques, il évoque cette loi comme une des raisons pour laquelle il est difficile d'envisager la réalisation de ces pico centrales hydrauliques. Finalement, quelle échelle s'avère la plus pertinente pour des projets de transition ? Pour finir, il convient de s'attarder un moment sur les questions d'échelles. En effet, il est difficile d'évaluer quelle échelle est la plus pertinente pour mener à bien des projets d'envergure et ambitieux. Il est nécessaire ici de mettre en contexte la situation actuelle de la communauté des communes dans son ensemble pour mieux comprendre la situation de Barcelonnette (Élu au conseil communautaire de la CCVUSP, juillet 2019). Barcelonnette apparaît comme une ville suréquipée par rapport à la totalité de sa population. Ces équipements sont utilisés par les barcelonnettes16, mais aussi par les habitants de toutes les communes environnantes. La concentration des équipements dans le bourg-centre pose la question de l'intercommunalité. Afin d'harmoniser la situation, J.-M. PAYOT pense qu'il est possible d'envisager la création d'une « super commune » en lissant la fiscalité au niveau des 13 communes avec, par exemple, un président intercommunal élu au suffrage universel. Cela fait écho aux propos du précédent maire de Barcelonnette, Jean-Pierre AUBERT dans une lettre ouverte du 29 mars 2010 en réponse au rapport de la Cour des Comptes. En effet, Barcelonnette, en tant que bourg-centre apparaît correctement équipée pour l'intégralité de ses habitants et de ses communes voisines qui, elles, n'ont pas d'équipements tels qu'un musée, une salle omnisport ou une salle de spectacle. Cela peut paraître éloigné des considérations du développement durable, et pour autant il n'est pas possible de dissocier aussi nettement les postes de dépenses comme cela pourrait être fait dans une ville de plus grande envergure. Au-delà des équipements, nous constatons que Barcelonnette supporte aussi le poids du tourisme qui a pourtant des retombées économiques dans l'intégralité de la Vallée de l'Ubaye (Élu au conseil communautaire de la CCVUSP, juillet 2019). Si aujourd'hui Barcelonnette bénéficie d'une bonification bourg-centre qui allège un peu ce poids, force est de constater que les décisions prises à l'échelon supérieur sont en mesure de grever le budget de la ville qui supporte une charge allant au-delà de ses limites géographiques, l'empêchant par conséquent de diversifier ses investissements, notamment dans la transition durable (Maire de Barcelonnette, juillet 2019). J.-M. PAYOT rappelle que la multiplication des strates politiques, bien que nécessaire, est de nature à ralentir voire rendre impossible tout projet unifié. Sur le territoire, si les énergies renouvelables relèvent de la compétence de la CCVUSP, certaines villes telles que Saint Pons (pour le projet de champs de panneaux solaires) s'accaparent les projets. Cette mésentente peut être à l'origine d'un ralentissement des dits projets. La première question essentielle et qui préfigure la tenue de toutes les initiatives est la question de l'échelle. Quelle échelle est la plus pertinente pour gouverner le territoire ? Cette problématique se retrouve dans l'utilisation des équipements, mais aussi avec l'exemple de la future centrale photovoltaïque de Saint-Pons. Il s'agit 16 Les habitants de Barcelonnette sont appelés les barcelonnettes 46 d'une commune limitrophe de Barcelonnette et qui fait partie des communes disposant de peu d'équipements. Le projet de centrale photovoltaïque se situe sur son territoire. Il s'agit alors de réfléchir à l'endroit où sera stockée l'énergie produite (actuellement, la solution semble se trouver sur Barcelonnette). De plus, l'énergie produite ne profitera-t-elle qu'à la commune de Saint-Pons ou peut-il être envisageable de partager les profits et les frais liés à la gestion de cette centrale ? Ces problématiques rejoignent en substance celles relatives à la mise en place de la taxe professionnelle unique. 4. Différents outils peuvent être mis en oeuvre à l'échelle des petites villes pour exploiter les potentialités locales Le détail des projets actuels et des freins à leur mise en oeuvre montre à quel point il est difficile de mettre en place des projets d'envergure dans un territoire relativement peu étendu. Ainsi, et malgré toute la bonne volonté des pouvoirs publics locaux et des associations citoyennes, les obstacles rendent difficile le passage de la théorie à la pratique et le territoire peine à trouver des ouvertures afin de démarrer la réalisation des objectifs. Les élus doivent faire preuve d'inventivité pour voir l'aboutissement de leurs projets. De nombreux outils sont mis en l'oeuvre pour perpétrer cette idée d'une transition durable. Des outils à leur portée, qui doivent allier une certaine efficience avec un coût global limité, loin du marketing territorial et des enveloppes de plusieurs millions d'euros, Barcelonnette doit maximiser la gestion de ses ressources pour donner un souffle nouveau et continuer sa démarche en faveur d'une transition durable. Multiplier les acteurs pour décupler les compétences Face au manque de compétences sur certains sujets, nous avons pu remarquer que tous les acteurs interrogés faisaient appel à des compétences extérieures via des cabinets d'études ou des experts dans leur domaine. Cela est primordial car il faut souligner une chose : les compétences nécessaires sont transversales et ne peuvent être maitrisées par une seule ou un petit groupe de personnes. De fait, deux possibilités s'offrent au territoire pour bénéficier de ces expertises. Soit, ils embauchent une personne capable de répondre à leurs besoins à l'instant T, soit ils font appel à des cabinets d'études qui factureront une opération et réaliseront l'étude demandée. La deuxième solution semble présenter un avantage dans le sens où un projet nécessite des compétences dans des domaines très variés (diagnostic, réglementation, faisabilité) nécessitant de fait l'embauche de plusieurs personnes tout au long de la réalisation et donc, finalement, un coût supérieur. Cependant, il n'est pas sans fondement de faire monter en compétences le personnel public afin de rapatrier certaines facultés en interne. Comme le souligne J.-M. PAYOT : « Pour permettre à Barcelonnette d'évoluer au travers de projets ambitieux, il semble nécessaire d'opérer une professionnalisation du pilotage des services publics » (juillet 2019). Toutes les compétences ne sont évidemment pas à rechercher dans un premier temps, mais il rappelle que beaucoup de projets n'aboutissent pas car la ville n'a pas su lever les subventions nécessaires. Pour lui, se doter d'une personne capable d'aller chercher ses subventions est nécessaire afin 47 de ne pas connaître de tels problèmes à l'avenir. Il déplore le fait qu'à cause d'une méconnaissance des démarches administratives dans ce secteur, Barcelonnette passe à côté de fonds importants qui pourraient lui permettre d'accélérer sa transition. Il arrive aussi parfois que les études faites par des experts ne soient pas exploitables en l'état. Nous prenons l'exemple ici d'une étude du CSTB à destination du Pays S.U.D, réalisée en 2017, afin d'étudier la stratégie énergétique à mettre en place sur ces territoires. Il a notamment mis en évidence l'existence de nombreuses passoires énergétiques à l'échelle du territoire. Ce document, très complet et très détaillé, a un niveau de technicité tel qu'il n'est pas exploitable en l'état. De fait, la présence de Bastien EVON, conseiller en énergie partagé, est primordiale afin que ce dernier effectue un travail de vulgarisation du document pour que les autres services soient en mesure de l'exploiter (Directrice du Pays S.U.D., juillet 2019). Nous avons ici un exemple de complémentarité des compétences qui est intéressant à analyser. Le CSTB, comme de nombreux cabinets d'études, livrent des données très techniques et non exploitables si personne dans la commune n'est en mesure de les interpréter correctement. Concernant EMU, le projet est malheureusement aujourd'hui mis en pause suite aux difficultés rencontrées. Cela fait écho au paragraphe ci-dessus, EMU n'a pas pu lever les fonds nécessaires par manque de temps et de compétences dans ce domaine et n'a pas pu s'adapter à la baisse de rentabilité prévue de sa grappe de chantiers. Cependant, EMU a encore un rôle important à jouer : en effet, la SCIC va concentrer ses efforts afin de faire de la pédagogie sur ces projets en informant les citoyens et en débattant sur leur expérience et sur les difficultés rencontrées. Le Pays S.U.D. voit EMU comme ayant un rôle d'information citoyenne plus développé que le leur, c'est en partie pour cela qu'ils ne font pas d'informations eux-mêmes. Le volet de la sensibilisation est primordial afin de permettre à la population de prendre la mesure des enjeux d'une ville telle que Barcelonnette en matière de transition durable. De plus, la sensibilisation des citoyens peut leur permettre de s'investir personnellement dans des projets, soit en donnant de leur temps soit en investissant dans des projets tels que les grappes de chantiers de EMU. Le fait qu'une seule personne soit à temps plein dans l'association nécessite de se concentrer sur certains volets en laissant d'autres aspects à d'autres acteurs. De fait, ces acteurs peuvent trouver une nouvelle articulation entre eux pour réorganiser l'organigramme et mutualiser leurs forces. Enfin, Sabine BLATTMANN rappelle l'importance de la communication entre les associations citoyennes et les élus locaux. Elle estime que, comparé à de plus grandes villes, il est plus facile de s'adresser aux élus dans une ville de la taille de Barcelonnette qu'une ville plus grande, avec un organigramme politique plus dense. Les associations ont plus de facilités pour parler avec le maire et les pouvoirs communaux des projets, il est plus facile pour elles d'exister et elles peuvent mettre leurs compétences au profit de la commune via un canal direct avec les élus. C'est le cas par exemple avec EMU : le maire de Barcelonnette a bien accueilli cette initiative et a tenté de les aider, malgré le peu de moyens dont il dispose. De plus, Pierre MARTIN-CHARPENEL voit en ces projets des moyens très efficaces de faire de la sensibilisation, notamment auprès des élèves de l'école communale. Nous pouvons voir ici qu'une organisation efficiente de toutes ces entités serait de nature à 48 véhiculer plus facilement des idées de transition durable auprès de toute la population. La proximité des citoyens avec les pouvoirs publics est quelque chose de propre à une petite ville. Ainsi, cette possibilité existante offre des potentialités qu'il faut mettre en oeuvre afin de développer de multiples initiatives. Transfert de compétences et veille territoriale Les outils énoncés précédemment sont une bonne manière de monter en compétence mais ils ne sont pas les seuls à être pertinents pour des territoires dont les moyens financiers sont limités. Le transfert de compétences et le retour d'expériences de territoires relativement similaires à Barcelonnette permet de limiter la possibilité de faire fausse route. Comme nous l'avons vu, certains élus de Barcelonnette ont effectué un voyage à travers trois pays alpins afin d'emmagasiner de l'expérience auprès d'acteurs ayant entrepris ce genre de projets bien avant Barcelonnette. La démarche est intelligente car elle se fait à moindre coût. De nombreux organismes, comme ici la CIPRA, facilitent la tenue de ces évènements pour harmoniser le développement d'un territoire en particulier (ici, le territoire alpin). Cependant, il est intéressant de préciser qu'effectuer un transfert de compétences, c'est aussi savoir mettre en évidence les différences entre deux territoires voisins. En prenant par exemple les différences entre les intercommunalités de Barcelonnette et de Serre-Ponçon. En effet, certains projets fonctionnent bien d'un côté mais pas de l'autre, ce qui laisse à penser qu'un découpage du territoire est une chose complexe qui nécessite de prendre en compte les spécificités de chaque territoire, même si ces derniers sont proches comme c'est le cas ici (Directrice du Pays S.U.D., juillet 2019). Des projets à venir, en prenant en compte les échecs passés et l'expérience acquise Si certains projets semblent aujourd'hui difficiles à mettre en oeuvre compte tenu des raisons précédemment évoquées, ce n'est pas pour autant un échec complet. De nombreux enseignements permettront d'adapter les projets de manière plus réaliste à l'avenir. Les changements n'en sont qu'aux balbutiements et de nombreux dossiers, pour certains historiques, continueront d'être discutés jusqu'à leur mise en oeuvre concrète. Lors de l'entretien, une conseillère municipale nous a cité quelques-uns de ces dossiers les plus pertinents à l'échelle de Barcelonnette. Un des dossiers les plus importants de la ville concerne la création de d'un axe cyclable Jausiers/Les Thuiles. Cela est discuté depuis des décennies car c'est un projet primordial pour le développement des mobilités douces, son problème majeur est le coût car il va nécessiter le rachat de terrains par la commune. Le coût est élevé à cause des expropriations à prévoir et des travaux en eux-mêmes. Ce projet s'inscrit comme un axe primordial et prioritaire. Barcelonnette ne peut prétendre à développer les mobilités douces sans une réelle voie traversant la vallée de part en part. La route est dangereuse a été le témoin de multiples accidents par le passé. Il est obligatoire de travailler sur cette piste cyclable afin de pouvoir amorcer un véritable changement dans les comportements de mobilité. Ensuite, un autre projet activement discuté dépend de la nécessité de développer les transports en commun avec les villes limitrophes pour permettre aux potentiels 49 collégiens et lycéens de venir suivre leurs cours à la cité scolaire de Barcelonnette. Cela est doublement intéressant car cela revêt deux aspects très importants pour la ville. Premièrement, il y a une connotation écologique à densifier l'offre de transports en commun. Deuxièmement, cela pourrait sauver la cité scolaire dont l'avenir est menacé par manque d'élèves. De plus, d'autres lycées aux alentours sont en situation de surcharge. A cela vient se greffer la volonté de mettre en place et valoriser le co-voiturage. Cela pourrait permettre de limiter le nombre de véhicules en circulation à Barcelonnette. En effet, beaucoup d'habitants n'utilisent leur voiture que pour les sorties hors de la vallée. Si une alternative fiable et efficace existait, ils pourraient envisager de se séparer de leur véhicule. Enfin, la piétonisation d'une partie de Barcelonnette (notamment la place de la Mairie), est un souhait politique fort mais qui nécessite d'être discuté car il rencontre de fortes résistances par les commerçants et les citoyens. Les discussions se concentrent autour de la place de la Mairie qui a fait l'objet d'une expérimentation par le passé mai qui est, aujourd'hui, rouverte à la circulation. Deux projets de parcs de panneaux photovoltaïques sont à l'étude sur les communes de Saint-Pons et de Jausiers. Ces deux projets sont portés par ENERCOOP, qui se charge de la mise en oeuvre et de l'exploitation. Cela dénote avec la volonté d'EMU de produire de l'énergie locale par des acteurs locaux, pour les citoyens. Cependant, l'intervention d'un acteur important du secteur est une bonne chose afin que ces projets aient plus de chances de voir le jour. En effet, selon le maire de Barcelonnette, les projets photovoltaïques sont complexes car ils ne peuvent être réalisés sur n'importe quel terrain ; à Barcelonnette, les bonnes parcelles sont des parcelles privées, ce qui bloque la réalisation d'infrastructures sans passer par un processus préalable d'expropriation. Or ici, les terrains de Saint-Pons appartiennent à la commune et ceux de Jausiers appartiennent à l'association Syndicale Libre du Planet. Grâce à l'expertise et aux moyens de ENERCOOP, les études de faisabilité se sont faites plus facilement et sans engager de moyens des communes. Cela était d'autant plus important car, rappelle Pierre MARTIN-CHARPENEL : « Le projet de panneaux photovoltaïques de Saint Pons est situé sur un terrain communal qui a la particularité d'être dans le cône de déjection du Riou Bourdoux, un torrent de montagne qui peut se montrer particulièrement virulent en cas de fortes pluies. Si aujourd'hui son cône alluvial est entièrement boisé, la situation paraît précaire pour installer un champ de panneaux ». Il a fallu donc engager des moyens significatifs afin de s'assurer de la viabilité d'un tel projet sur une parcelle telle que celle-ci. De plus, l'émergence de ce projet a été possible car la commune a exigé que ce projet soit un projet citoyen avec la participation de la commune, des collectivités locales et des habitants (Communiqué de presse d'ENERCOOP du 13 juin 2018)17. Concernant EMU, la SCIC va devoir s'adapter, mais l'annulation du chantier n'est que partie remise. Une réunion sera faite d'ici la fin de l'année afin de donner une nouvelle orientation à EMU, en attendant que la possibilité de poser des panneaux photovoltaïques se présente. Barcelonnette s'est concentrée sur la réalisation de projets ambitieux, mais l'information aux citoyens est primordiale et n'a peut-être pas été assez développée. EMU, du fait de l'échec de ce premier projet, revient ainsi aux fondamentaux en commençant par sensibiliser les citoyens aux problématiques des 17 https://paca.enercoop.fr/sites/default/files/CP%20-%20Lancement ProjetPV StPons.pdf 50 énergies renouvelables. Par conséquent, EMU fera de l'information et de la sensibilisation auprès des citoyens, en leur apportant l'expertise qu'ils ont glanée au travers de leurs expériences. Le manque de moyens et de volonté politique pour accompagner ces initiatives obligent la SCIC à élargir son champ d'actions. De fait, EMU discute aujourd'hui des possibilités futures d'accompagnement et s'intéresse à l'autoconsommation. Ceci peut, selon eux, arriver plus facilement à l'équilibre financier. Cependant, l'investissement de départ est pour l'instant au-delà de ce qu'EMU peut financer, bloquant les projets par manque de moyens. Il n'empêche qu'elle peut accompagner les particuliers qui envisagent cette solution, elle travaille même à une possibilité de financement via le mouvement « Énergies Partagées » (Président de EMU, juillet 2019). Un projet est aussi en discussion sur l'ancienne caserne militaire du 11ème BCA. Cette caserne, fermée le 10 juin 2009 suite à la nouvelle carte militaire voulue par le gouvernement Fillon, constitue un espace d'ex bâtiments publics intéressantes, compte tenu de l'importance de la surface. Ce projet se ferait sur le toit de la nouvelle caserne des pompiers qui s'est installées dans les lieux récemment. Enfin, EMU réfléchit à la possibilité d'effectuer une levée de fonds citoyenne qu'elle injecterait dans deux projets de photovoltaïques aujourd'hui en passe d'être réalisés : ? Un projet à Saint Pons d'une centrale de 1 hectare, soutenu par la mairie et géré par Enercoop ; ? Un projet sur un terrain qui appartient à une association à Jausiers. Investir des fonds citoyens dans ces projets permettrait aux investisseurs locaux d'avoir des voix et une possibilité d'influer à leur échelle. Les initiatives citoyennes des petites villes peuvent ainsi trouver intéressant de se greffer à des projets de grands groupes tels que celui d'Enercoop. La rentabilité, les compétences et la réalisation sont effectuées par Enercoop et EMU, via ses fonds citoyens, peut entrer au capital et avoir un pouvoir de décision. Certes celui-ci sera moins important que si elle avait mené le projet d'un bout à l'autre, mais c'est un compromis nécessaire à la poursuite des projets d'énergies renouvelables, en attendant de pouvoir débloquer des aides ou plus de fonds citoyens. J.-M. PAYOT, au niveau de la CCVUSP, s'attarde davantage sur les documents directeurs qui pourraient harmoniser le développement et le rendre par conséquent plus fluide, plus efficient. Il observe que les gros projets du territoire sont de plus en plus portés par la CCVUSP au détriment des communes. Il n'est pas rare que la mairie fasse appel aux compétences de la CCVUSP, comme par exemple avec la GEMAPI (Gestion des Milieux Aquatiques et la Prévention des Inondations), pour laquelle la mairie consulte la CCVUSP. Il se peut aussi que des projets situés dans des communes différentes s'entrechoquent. Cela est contreproductif et nécessiterait la mise en place d'un document directeur qui permettrait de planifier le territoire de manière plus intégrée (Élu au conseil communautaire de la CCVUSP, juillet 2019). Dans le cadre de l'AVAP, un tel document directeur a été réalisé concernant la pose de panneau photovoltaïque dans la Vallée de l'Ubaye. Appelé « Étude d'approfondissement pour l'intégration des panneaux solaires photovoltaïque dans le secteur S2 » (2017), il fait des simulations visuelles en édictant quelques règles pour que la pose de panneaux solaires n'aille pas à l'encontre de la protection du 51 patrimoine. L'important est d'éviter l'effet de « surépaisseur » en les intégrant au toit et en choisissant des teintes sombres et identiques à celle des panneaux solaires. De plus, il est rappelé l'interdiction totale de panneaux solaires sur les bâtiments d'intérêt patrimonial. Ainsi, cela rappelle les difficultés rencontrées par EMU qui voulait équiper le toit de l'école communale. Cependant, l'AVAP a fait des simulations visuelles allant dans le sens d'une acceptation des panneaux photovoltaïques sur de nombreux bâtiments de Barcelonnette. Étant donné qu'aucune interdiction n'a été émise, l'AVAP soutient la pose de panneaux solaires et émet même des recommandations afin d'harmoniser leur développement. Figure 9 - BARCELONNETTE, DEPUIS LA ROUTE COMMUNALE RELIANT LE MAS FABRE AU PRA SOUBEYRAN Figure 10 - VUE SIMILAIRE AVEC POSE DE PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES SUR CERTAINS BATIMENTS Source : Étude d'approfondissement pour l'intégration des panneaux solaires photovoltaïque dans le secteur S2, 2017 Le constat est qu'aujourd'hui, Barcelonnette ne peut pas vivre et se développer sans les autres communes du territoire. De fait, la commune doit articuler ses projets de 52 transitions durables entre tous les acteurs et les différentes strates politiques. La commune, la CCVUSP et le Pays SUD sont trois entités qui peuvent se coordonner dans le but d'oeuvrer dans une même direction. Pour cela, il est important de définir le jeu et le rôle des acteurs. Le développement territorial nécessite d'avoir une vision collective du territoire. De fait, l'intégration des communes dans un bourg-centre en regroupant les communes semble une option intéressante (Élu au conseil communautaire de la CCVUSP, juillet 2019). Il est persuadé de la pertinence de l'échelle intercommunale. Coralie SEWERYN abonde dans ce sens, en émettant tout de même des réserves. La discussion sur l'échelle à laquelle les équipements doivent être gérés est allée dans le même sens que la CCVUSP, à savoir la possibilité de passer les équipements à l'échelle communale. Cependant, cela peut générer de nouvelles problématiques. Par exemple, Saint-Pons est une commune qui a un réseau d'eau et d'assainissement bien entretenu. Cependant, en admettant que ces équipements soient gérés collectivement par l'intercommunalité, Saint-Pons se retrouverait dans l'obligation de financer les travaux de certaines communes voisines comme Enchastrayes qui ont pris du retard dans la rénovation de leur réseau. De fait, l'idée d'imposer une mise à niveau à l'échelle communale avant de prendre ces mesures à l'échelle intercommunale a été émise, notamment par le Pays S.U.D., afin de ne pas faire porter le coût de ces aménagements à tout le monde. Ces discussions concernant la pertinence de l'échelle se heurtent à de nombreux questionnements concrets comme ce dernier, et doivent être mûrement réfléchis afin de permettre au territoire d'évoluer d'une manière harmonieuse vers des objectifs communs. 53 |
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