La renonciation au recours en annulation en arbitrage OHADApar A. Mariane Fabiola OBROU-ASSIRI Université Catholique de l'Afrique de l'ouest- Unité Universitaire à Abidjan (UCAO-UUA) - Master en droit privé 2020 |
Paragraphe 2 : Absence de protection efficace des intérêts de la partie faibleDeux points permettent de relever que la partie faible en matière d'arbitrage n'est pas véritablement protégée163(*). Le premier point est question du coût élevé de l'arbitrage (A) et le second point est celuide la méconnaissance du domaine de l'arbitrage par l'une des parties (B). A- La partie jugée économiquement faible en raison du coût élevé des procédures arbitrales164(*) La surévaluation du coût de l'arbitrage est une réalité en droit OHADA. Elle ne présente en aucun cas un avantage pour la justice arbitrale. La partie économiquement faible peut être confrontée à un déni de justice165(*) dû à l'absence d'un mode de répartition des frais arbitraux. Le déséquilibre existant entre les parties à l'arbitrage est dû également à l'impécuniosité des parties. L'une des parties peut se trouver parfois dans l'incapacité à engager une procédure arbitrale ou à payer les frais de l'instance arbitrale. Economiquement parlant, cette dernière est considérée comme partie faible à l'arbitrage. En effet, le coût arbitral joue un rôle non négligeable dans le déroulement du procès arbitral. Il peut impacter de façon directe l'issue du procès arbitral. En règle générale, les frais de la procédure arbitrale sont supportés par les parties de façon égale jusqu'au prononcé de la sentence arbitrale. Les parties dans bien des cas supportent 80% des frais de l'arbitrage de manière égalitaire. Mais il arrive parfois que l'une des parties (surtout lorsqu'il s'agit d'une entreprise) augmente le coût de la procédure arbitrale dans le but de soumettre l'autre partie à son autorité. En d'autres termes, la partie économiquement forte augmente le coût de l'arbitrage à des fins déloyales surtout dans le but d'imposer ses décisions à la partie économiquement faible. Dans un tel sillage, la clause de renonciation insérée dans la convention d'arbitrage se présente comme une décision imposée à la partie faible par la partie forte. Tout simplement parce que cette dernière peut se trouver dans l'incapacité de payer les frais de la procédure arbitrale. Plus la procédure arbitrale est courte, plus elle est moins coûteuse. De fait, lorsque la partie faible sait qu'elle n'est pas en mesure d'assurer les frais de la procédure arbitrale jusqu'aux voies de recours, elle se voit dans l'obligation de renoncer au recours en annulation de la sentence arbitrale. Bien évidemment si cela lui a été proposé de quelque manière que ce soit par la partie forte. L'impécuniosité étant une véritable gangrène166(*) pour l'effectivité de la renonciation au recours en annulation, la notion du coût de l'arbitrage doit être définie par le législateur. Autrefois la question du coût élevé des procédures arbitrales ne se posait pas car les procédures étaient peu coûteuses. Ce qui constituait un des avantages de la justice arbitrale. Au cours de ces dernières années le coût de l'arbitrage est devenu sujet à polémique en raison de l'inflation des frais de l'arbitrage. En droit comparé, une étude publiée par le cabinet de PricewaterhouseCoopers a relevé les différentes raisons pour lesquelles les frais de l'arbitrage sont très coûteux. Les raisons sont diverses : le recours à des experts, les échanges entre les parties à l'arbitrage et le tribunal arbitral, l'allongement des audiences en raison de l'examen des témoins et les témoignages écrits, en un mot l'échange des mémoires augmentent les frais de l'arbitrage167(*). Notons aussi que les coûts de l'arbitrage comprennent entre autres les frais administratifs des institutions et les honoraires des arbitres, les frais du conseil. Néanmoins l'arbitrage ad hoc permet de réduire les frais de l'arbitrage en raison du fait qu'il n'y a pas d'institution arbitrale donc absence de frais due à celle-ci. Ainsi pour pouvoir maitriser les frais de l'arbitrage, il existe certains mécanismes auxquels les parties pourraient avoir recours : - Le recours à l'arbitrage ad hoc - Le recours à un arbitre unique au détriment de trois arbitres - Le recours à un mécanisme collectif pour les litiges d'une certaine ampleur - Eviter les demandes surévaluées et les arguments dilatoires Ces mécanismes sont fortement recommandés pour le bon déroulement de l'arbitrage car l'impécuniosité d'une des parties à la renonciation au recours en annulation entrave le plus souvent l'effectivité de celle-ci. Le législateur OHADA gagnerait à définir le coût de l'arbitrage ou à établir un mode de répartition des frais afin de permettre aux parties et à l'arbitre de maitriser de l'instrument arbitral. Il peut aussi fixer un barème d'honoraires de rémunération des arbitres. Cette tâche peut être difficile mais pas impossible. Un autre facteur d'absence de protection est l'inexpérience des justiciables en matière d'arbitrage. B- La partie jugée intellectuellement168(*) faible en raison de la méconnaissance du domaine de l'arbitrage Selon Felix Onana ETOUNDI, le faible taux d'alphabétisme et par ricochet de culture juridique des populations de l'espace OHADA sont des raisons non des moindres pour lesquelles les populations africaines ne parviennent pas à s'approprier la justice arbitrale. Ce qui peut être défectueux pour le droit de l'arbitrage OHADA. L'une des parties peut ne pas connaitre le sens, la portée de l'arbitrage, à plus forte raison celle de la renonciation au recours en annulation de la sentence arbitrale. La faiblesse d'une des parties due à son analphabétisme ou à son manque d'intellectualisme est un avantage pour la partie forte. Car celle-ci peut user de cela pour servir ses intérêts. Ce qui peut aussi entrainer un déni de justice. De plus, le manque d'expérience de la plupart des entreprises de la zone OHADA en matière d'arbitrage peut créer un véritable déséquilibre entre les parties. Car la partie dotée de plus d'expertise en matière d'arbitrage peut l'utiliser à son avantage au détriment de l'autre partie. La partie la moins expérimentée, la moins formée donnera son consentement pour exclure le recours en annulation sans en maitriser la portée. Dès lors qu'il est admis que l'effectivité de la renonciation au recours en annulation de la sentence arbitrale est tributaire de la nature de la relation entre les parties, le juge doit procéder à un examen concret de l'asymétrie intellectuelle et économique existant entre les parties et leur consentement169(*). Il doit s'assurer que le faible a pris la mesure de son engagement. Il revient alors à l'arbitre d'user à bon escient de son pouvoir discrétionnaire afin d'établir une réelle égalité entre les parties en luttant contre toute forme de manoeuvres déloyales usitées par elles. Néanmoins, la remise en cause de la renonciation au recours en annulation n'est pas seulement due au mauvais traitement de l'une des parties à l'arbitrage. Elle peut aussi être l'oeuvre de la pertinence des griefs soulevés par la partie perdante. * 163PHILIPPE (D.), « La protection de la partie faible en droit international », in GHESTIN (J.) et FONTAINE (M.), La protection de la partie dans les rapports contractuels, Comparaisons franco-belges, LGDJ, 1996, p.553. * 164 NIGGEMAN (F.) et JONGLEZ de Ligne (F.), « la liberté contractuelle et l'égalité des parties : une relation difficile », Gaz. Pal., 27 octobre 2009, n°300, p.321. * 165 CLAVEL (J.), Le déni de justice dans l'arbitrage : l'effet négatif du principe compétence-compétence, thèse de doctorat, Université Paris II, Assas, 2011. * 166 MAYER (P.), La protection de la partie faible en droit international privé, in GHESTIN (J) et FONTAINE (M), La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, Comparaisons franco-belge, LGDJ, 1996, p.513. * 167 PricewaterhouseCoopers, International arbitration: Corporate attitudes and practices, 2006. * 168Article 56 al.2 de la loi relative à la consommation : « Constitue un abus de faiblesse, l'exploitation de la vulnérabilité, de l'ignorance ou de l'état de sujétion psychologique ou physique d'une personne afin de la conduire à prendre des engagements dont elle ne peut apprécier la portée ». * 169 STRICKLER (Y.), « La protection de la partie faible en droit civil », PA 25 octobre 2004, n°27, p.6. |
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