1.3-La biomédecine
et son système de soin
Dans La médecine coloniale : mythes et
réalité, Lapeysonnie (1988), commence d'abord par nous faire
savoir que : la sagesse des nations, à défaut de la logique
formelle, nous enseigne qu'il faut, lorsqu'on prend la parole, savoir de quoi
l'on parle. De ce fait, il nous invite à s'entendre sur le sens des mots
qui sont employés. Partant de là, il présente une analyse
des facteurs qui ont permis, l'utilisation optimale des ressources humaines et
financière mise en jeu et dont les plus visibles étaient
l'unité de doctrine, la cohésion dans l'exécution et le
suivi, autrement dit la persévérance dans l'effort. Ainsi, il est
question de la médecine coloniale, mais que faut-il entendre par
médecine colonial ? Pour l'auteur, c'est l'ensemble des
procédures techniques associées aux actions administrées
correspondantes qui ont donné à l'exercice de la médecine
aux colonies son caractère bien particulier et qui ont produit de bons
résultats dans beaucoup de domaines.
Cette médecine n'a duré qu'un demi-siècle
; c'est donc une époque, c'est aussi une des multiples facettes de l'art
médical. Selon lui, il n'y a certes, qu'une seule médecine en
tout temps et en tout lieu, celle qui associe la compétence technique et
la compassion. Les termes sont nécessaires et indissociables ce qui fait
de la médecine un métier pas comme les autres ; ce qui fait toute
la différence, dit l'auteur, ce sont les conditions dans lesquelles il
s'exerce et qui lui donne sa spécificité, pour ne pas dire sa
spécialisation. Il souligne que contrairement à ce que l'on
entend dire parfois et surtout écrire, la différence de niveau
sanitaire est plus grande de nos jours entre le Nord et le Sud (pays
développés et pays en développement) qu'elle ne
l'était jadis entre la métropole et les colonies. Il impute deux
causes à cette inégalité : le facteur technique et les
conditions socio-économiques. De plus, Lapaysonnie aborde la question
des fièvres en Afrique pour ne parler que d'elle, débilitante ou
mortelles, elles étaient les sources de tous les maux, la cause de tous
les décès. Il continue en disant que la fièvre est
considérée de nos jours toujours comme un symptôme d'alarme
et peut-être comme réaction de défense de l'organisme
infecté. Le paludisme, selon lui est au moins aussi vieux que l'histoire
écrite, puisque les textes assyriens, chaldéens,
égyptiens, védiques et chinois le mentionnent sans
ambiguïté et il n'a pas toujours été l'apanage des
tropiques : les Grecs l'ont connu, Hippocrate en donne la première
description clinique 400 ans avant notre ère ; on lui attribue la
décadence de Rome et il fut jusqu'à une période
récente un problème important de santé publique pour
beaucoup de pays occidentale. L'auteur ajoute en disant que la maladie se
développe alors sur fond de « médiocrité sociale
», voire de misère et sape les forces des Hommes, les
empêchant d'en sortir ; car la fièvre en elle-même n'est pas
toute la maladie. Elle fait son apparition, dit-il, chez le sujet
agressé et piqué par les anophèles femelles.
En ce qui concerne la fièvre jaune, l'auteur signale
que le virus amaril (de amarillo, « jaune » en espagnole) est
véhiculé par d'autres moustiques, les aèdes (ou stegomyia)
d'un « jauneux » à un sujet sain, déterminait chez les
malheureux une hépatonéphrite le plus souvent mortel. A
l'origine, elle était appelé le « mal de siam » en
1492. Il note que de toutes les « maladies pestilentielles » comme on
a longtemps appelé la peste, la variole, le choléra, le typhus et
la fièvre jaune, cette dernière est celle qui présente le
potentiel le plus élevé de diffusion et de transfert à
distance. Le danger d'implantation de la fièvre jaune existe partout
où l'aède est présent, et notamment dans les zone
intertropicale. Son vecteur préférentiel, Aèdes
aegypti, est un insecte casanier qui vit dans et autour de la maison.
Au-delà de ce constat, il ajoute que les
autorités sanitaires sont mal informées de ce qui se passe en
brousse profonde. En outre, selon lui, les dispensaires sont des sentinelles
aveugles qui ne voient qu'un petit nombre de patients, souvent à un
stade avancé de leur maladie. Pour ce faire, il stipule que
l'orientation actuelle consiste donc à agir sur ce qui coûte cher
et neprofite qu'à une minorité, en multipliant les formations
sanitaires rurales (dispensaires et infirmeries) et en facilitant de toutes les
manières la mobilité des médecins.
Dans une perspective de collaboration entre les
médecines, Saint -Savin (1960) dans son ouvrage Magnétisme et
votre santé (1960) expose sa thèse qu'il a toujours
prônés et défendu, et en premier lieu la collaboration
entre les guérisseurs et les médecins. Il commence d'abord par
admirer ces grands médecine et ces grands chirurgiens tout en les
faisant comprendre qu'il croit tout de même aussi aux empiriques. Pour
lui lorsqu'une science ne connait pas son déterminisme total, il y a
toujours une place réservée à l'empirisme. Et il faut bien
reconnaître que la médecine ne connait pas totalité du
biologique. De ce fait, il doit donc y avoir une place réservée
à l'empirisme et aux empiriques. Selon l'auteur, ces empiriques, ce sont
eux que la vox populi appelle les guérisseurs. Et c'est un fait
que les guérisseurs existent depuis toujours et qu'il y en aura encore
toujours ou tout au moins jusqu'au jour où la médecine n'aura
plus de progrès à faire. De plus, il signale que depuis des
années, la question des guérisseurs a suscité des
polémiques car il y a ceux qui « y croient » aveuglement et
ceux qui « n'y croient pas». Mais croire aveuglement, comme il le
dit, est une position enfantine si elle n'est pas basée sur des
constatations sérieuses. Par contre la négation
systématique, a priori, n'est point non plus la marque d'un esprit
scientifique.
Ainsi à défaut de la logique formelle Saint
Savin commence par définir le guérisseur comme étant un
nomme ou une ferme qui soigne des malades sans être diplôme docteur
en médecine et autorisé à exercer. Et il y a toute une
variété de guérisseurs qui emploient les moyens les plus
divers. Pour ce faire, il est indiscutable que les guérisseurs soulagent
et même guérissent des malades. Sans cela, ils n'auraient point de
clientèle puisque cette clientèle se recrute le plus souvent par
une publicité de bouche à oreille, un malade satisfait en
envoyant d'autres. L'action du guérisseur est donc un fait social.
Cependant, il reconnait que seul, le médecin qui dispose de toutes les
ressources de la science peut et doit faire le diagnostic. En répondant
une fois de plus à cette objection selon laquelle « les
guérisseurs sont des charlatans » Saint Savin fait savoir que le
charlatanstisme est abord une forme d'esprit. Qu'il y ait des charlatans parmi
les guérisseurs, il en est bien d'accord, mais ils sont loin d'avoir le
monopole, car il n'y a guère de profession, et même parmi les plus
nobles qui puissent compter des charlatans dans ses rangs. Pour lui, le
charlatan, c'est celui qui prétend posséder, seul, la
vérité et l'omnipotence. C'est lui qui s'en tient à un
dogme qu'il soit médical ou empirique et qui ne veut connaître que
ce dogme. Et il rappelle à cet effet que le malade n'est pas fait pour
le médecin, mais c'est plutôt le médecin qui est fait pour
le malade. Bien des malades qui viennent chez le guérisseur ont aussi
besoin d'un traitement médical principal ou accessoire. Il faut
évidemment que la médecine officielle reconnaisse l'aide
puissante que peuvent lui apporter tous ces auxiliaires que sont les
acupuncteurs, les magnétiseurs, phytothérapeutes.... De ce fait,
non seulement, la collaboration entre le médecin et le
guérisseur, loin de nuire au médecin, ne fait qu'augmenter la
confiance du malade.
En résumé, l'auteur demande la liberté
d'exercer leur art, mais une liberté contrôlée pour le bien
de tous, guérisseurs et médecins, et surtout de ceux qui seuls,
doivent nous intéresser : les malades.
S'inscrivant dans la perspective des inégalités
de soins dans le contexte européen, Fassin (2000) dans le chapitre
« qualifier les inégalités », les présente non
plus dans le langage des chiffres comme ce fut le cas dans l'approche
quantitative, mais bien plutôt dans une approche qualitative dans
laquelle il aborde trois aspects : la définition de l'objet des
inégalités de santé, la prise en considération des
dynamiques qui les sous-tendent et la démarche d'interprétation
qui en rend compte. Mais avant, il souligne que dans la perspective d'une
étude des inégalités sociales et particulièrement
de santé, les disparités ne peuvent donc être
appréhendées en tant que telles, puisque l'on méconnait
les représentations et les pratiques des classes moyennes ou
aisées.Selon Fassin, dans les sciences sociales il s'agit en revanche
d'appréhender des processus par lequel le social s'inscrit dans le
corps. Le raisonnement porte sur l'éventualité que les faits
observés soient liés entre eux par des enchaînements et des
mécanismes. Selon cette démarche sociologique de l'auteur, le
monde social est représenté comme un espace de relations dans
lequel s'inscrivent les expériences individuelles même si des
sociologues et des anthropologues sont loin d'être consensuelles sur ce
point. En termes d'inégalités de santé, il s'agit
assurément plus d'un problème de qualité de vie que de
quantité de survie, encore que l'on ignore les effets du diagnostic
retardé des médicaments pas achetés, de la nourriture
insuffisante, de l'état de profond découragement.
Les travaux de Ridde (2007) constituent un exemple de la
première approche. Cet auteur, dans « Equité et mise en
oeuvre de politiques de santé au Burkina Faso » s'inscrit dans
d'une perspective d'analyse des processus de mise en oeuvre de l'Initiative de
Bamako, le rôle et la rencontre des acteurs sociaux dans l'organisation
de la politique et le choix de ses instruments ainsi que la
représentation du concept d'équité (justice sociale) chez
les acteurs burkinabé. En effet, il stipule que depuis 30 ans en
Afrique, de nombreuses politiquespubliques de santé ont
été formulées dans le but équitable
d'améliorer l'accès aux soins des plus pauvres, et ce, suivant la
stratégie des soins de santé primaires de l'OMS adopté
à Alma-Ata en 1978 qui voulait instaurer plus d'équité en
matière de santé. Cependant, l'auteur note que les
inégalités d'accès aux services de santé perdurent,
les indigents sont toujours exclus et les bénéfices tirés
du paiement des services et des médicaments ne sont pas employés
en faveur de l'équité d'accès.Ainsi, Ridde tente de rendre
intelligible cette occultation de la composante équitable des politiques
de santé traduite dans le concept de soins de santé primaires
(SSP) énoncé pour la première fois en 1977. Partant de
là, il signale que la question de l'équité semblait en
effet diviser la communauté internationale de santé publique
d'autant plus que les rapports entre la santé et l'argent (rythme de
dépenses, circonstances, montants) sont bien différents selon le
choix du mode de soins (moderne contre traditionnel) de la part de la
population. Sans pour autant croire que la définition de
l'efficacité est simple, pour l'auteur, celle de l'équité
est beaucoup plus subjective car sa définition correspond à des
valeurs propres à chaque société. De ce fait , il propose
une définition de l'équité non pas applicable à
l'état de santé de la population mais plutôt au
système de santé (l'utilisation des services et l'accès
aux services de santé) qui doit exclusivement se fonder sur les besoins
des individus et non des considérations ethniques, économiques,
politiques ou sociales dans la mesure où les déterminants de
l'utilisation sont nombreux (géographique, culture,...) et les
capacités économiques des ménages ne sont pas les seuls
influençant l'accès aux soins.
S'agissant des causes des inégalités sociales et
d'accès aux soins il les considère sous l'angle de l'existence
des « inégalités d'accès aux soins de santé
» car les problèmes de ce que les économistes nomment les
coûts indirects sont donc résolus, mais pas ceux des coûts
directs. De ce fait, l'équation « argent-accès » semble
très souvent mise en avant que ce soit dans des termes profanes ou
experts même s'il peut exister quelques exceptions. Outre, cet impossible
accès aux soins pour certains, il subsiste des inégalités
d'accès relatives au délai entre la survenue d'une maladie et le
premier contact avec une formation sanitaire. Pour lui, il faut prendre en
considération le temps requis par les plus pauvres lorsqu'ils le peuvent
pour mobiliser des ressources, par une vente de biens ou un emprunt. L'auteur
continue en disant qu'habituellement, outre les services de santé dits
modernes, deux autres recours aux soins existent : l'automédication et
les tradipraticiens, même si cela peut être encore plus complexe
que cette simple dichotomie.Ainsi l'inégalité se constate dans le
fait que les plus pauvres s'orienteront en premier lieu vers l'une ou l'autre
solution pour contrebalancer le coût prohibitif des services publics.
Pour lui, le système de santé et les inégalités
d'accès aux soins est relatif à la qualité des soins et
l'inégal accès est aussi causé par le paiement des soins
qui impose un fardeau financier supplémentaire aux plus pauvres et
grève l'économie familiale.
La seconde tendance, centrée sur l'analyse de la
disparité géographique des structures de soins est
illustrée à travers les travaux de Meunier (2000) qui a fait le
constat d'une couverture en structures de soins assez dense mais marquée
par des disparités. Les établissements de soins et
équipements publics répondent à une politique menée
par l'Etat et sont ainsi le reflet des considérations des
autorités politiques et donc de l'organisation territoriale du pays. De
ce fait, elle souligne que l'implantation des formations sanitaires n'est pas
guidée par des problèmes sanitaires mais par les densités
de personnes susceptibles d'utiliser ces services. Ainsi, elle note que le
pouvoir fonctionne sur un modèle hiérarchique et
centralisé donc sur une forme pyramidale. Et le réseau sanitaire,
accompagné d'un contrôle de l'espace par l'Etat, se justifie par
les préférences spatiales observées dans la localisation
des établissements. C'est en ce sens que l'offre de soins est
l'expression de la vision de l'espace par le pouvoir politique tout comme la
politique sanitaire du pays est l'expression de la vision des problèmes
par les organismes internationaux (exemple de l'OMS). Elle ajoute que le
système de soin est un marqueur de l'espace et l'étude de son
évolution dans le temps est indispensable pour montrer que l'offre de
soin est héritière du passé.La priorité, dit
l'auteure, semble d'abord l'équipement avant la lutte contre les
maladies ceci se retrouve à travers les activités des services
que confirme leur localisation. Depuis quelques années, elle souligne
que la politique de santé se réoriente vers les soins de
santé primaires par une redistribution des structures de soins en faveur
des zones rurales et consacre la santé publique. Ceci se
concrétise par une redéfinition des échelons à la
base du système sanitaire de sorte que ce dernier s'accorde avec la
déclaration d'Alma Ata dont l'ambition était « la
santé pour tous d'ici l'an 2000 ».
Dans la deuxième partie de son ouvrage, Meunier aborde
la question de l'impossible rencontre entre une offre en hausse et une
fréquentation en baisse. En effet, elle affirme que malgré les
disparités observées en périphérie de la province,
l'offre de soins paraît dans l'ensemble assez proche des populations. Or
les milieux humains changent et les pathologies qui sévissent sont
très variables, elles créent un ensemble de maladies naturelles
ou liées à un environnement magico-religieux qui ne peuvent
être soignées dans le cadre d'un système de santé
public. Dans ce cas, l'auteure se demande comment des normes de santé
internationales peuvent- elles justifier une telle situation ? Selon Meunier,
si la carte sanitaire est soumise à des contraintes imposées par
l'Etat, les choix thérapeutiques suivent d'autres contraintes,
généralement financières. Ce qui fait que le recours
à la médecine moderne n'est pas systématique pout tous les
individus et beaucoup d'éléments entre jeu : le type de malade,
les relations établies avec l'infirmier, la distance par rapport au
CSPS, les disponibilités financières, l'âge du malade. Les
comportements sont donc différents face à la maladie et il est
difficile d'établir des itinéraires types suivis par les
villageois. L'échec du traitement par automédication et
l'aggravation du mal incitent dans le cas échéant à
recourir à la médicine moderne. Le choix de consulter ou non au
CSPS sont motivés par différents éléments : d'une
part, l'habitude, la perception du mal par chaque individu est très
importante, d'autre part, le CSPS est choisi en premier recours soit par
crainte de l'infirmier qui souvent réprimande le malade parce qu'il a
trop attendu pour venir le consulter soit par peur du mal. Pour Meunier les
disponibilités financières seront un élément
décisif de la non fréquentation du CSPS pour certaines familles
trop pauvres, pour d'autres, si les médicaments ne sont pas
donnés gratuitement lors de la consultation elles
préfèrent recourir aux guérisseurs. Selon les travaux de
Meunier, la médecine moderne existe en parallèle à la
médecine traditionnelle beaucoup plus ancienne et employée en
premier recours par les 3/4 des populations dans les villages. Pour elle donc,
la politique sanitaire burkinabè est calquée sur une conception
théorique de l'espace privée de sa composante sociale. Et
même si le rythme de croissance des structures n'est pas égale
à celui de la population, un paradoxe apparaît car plus ces
structures de soins se développent, moins elles sont utilisées
alors que la population continue de croître.
Nos ouvrages de référence s'inscrivent dans une
perspective analytique de la biomédecine et de ses corollaires comme les
inégalités du système de santé (de type vertical)
qui est organisé suivant les principes de l'initiative de Bamako(IB).
Cette structuration de l'offre sanitaire étatique ne tient pas toujours
compte de la variation de la demande sanitaire tout comme des conditions
socioéconomiques et culturelles des agents sociaux.
En nous inspirant des différentes thèses
soutenues par nos auteurs de référence, la question qui servira
de fil conducteur à cette réflexion peut être
formulée comme suit : quelles sont les connaissances locales et
les modes d'utilisation des plantes médicinales entrant dans le
traitement du paludisme et de la fièvre jaune dans la région des
cascades ?
|
|