1.2- La construction
sociale de la maladie
La construction sociale de la maladie peut être
considérée comme l'ensemble des représentations, des
perceptions qu'une société donnée se fait de la maladie,
pour un énoncé étiologique à partir des formes
nosologiques.
L'oeuvre de Fainzang (1986) est considérable en ce sens
qu'elle s'articule autour de deux axes de recherche à savoir les
énoncées étiologiques et les recours thérapeutiques
des malades. Dans la première thématique, elle introduit une
présentation des principales figures de la religion bissa (Dieu,
ancêtres, génies) à l'oeuvre dans l'interprétation
de la maladie ainsi qu'une tentative de mise en forme nosologique
effectuée à partir des" noms de maladies" qui incluent et
examinent de nombreuses maladies à étiologie "naturelle"
appelées "simple" ou "maladie de Dieu" par les populations locales. Dans
son deuxième axe de recherche relatif aux stratégies
thérapeutiques, Fainzang examine le recours aussi bien aux
guérisseurs aux devins qu'aux dispensaires. Elle y fait valoir la "non
exclusivité" de ces différents recours et surtout celles des
diverses représentations que chacun d'entre eux sous-tend. A partir de
l'exemple de l'onchocercose, elle montre que la pensée symbolique
fonctionne par accumulation non exclusive de représentation et non pas
par esprit de synthèse ou une information peut en annuler une autre. A
cet effet, elle signale que la relation entre médecine
"traditionnelle"(guérisseurs, devins) et médecine « moderne
» (infirmiers, médecins) semble parfois s'ajuster dans un rapport
de complémentarité et non de rivalité en fonction des
diverses pathologies.
C'est dans cette perspective que Bibeau (1978) analyse
l'organisation Ngbandi des noms des maladies en examinant le système
médical du point de vue de la nosologie, en faisant ressortir les
principes présidents à la nomination des maladies ainsi
qu'à "l'organisation différentielle" des formes pathologiques
entre elles . Pour lui, les axes fondamentaux de la construction de la
nosologie ngbandis ne peuvent être mis en évidence que par le
biais d'une analyse culturelle centrée sur la réalité de
la maladie dans le vécu physique psychologique de l'individu malade,
dans l'interprétation socioculturelle de l'épisode pathologique
et dans la stratégie thérapeutique mise en oeuvre pour lutter
contre la maladie. Ainsi, il stipule que la maladie chez les A ngbandi ne peut
pas être envisagée en dehors de leur insertion dans l'ensemble de
leur système médical qui, par son caractère
compréhensif, jette un pont entre l'approche biomédicale et
l'approche culturelle. Enfin, le but de Biveau était de montrer qu'il
existe un lien organique entre le model médical propre àune
culture ; la conception que cette culture se fait de la maladie et de la
terminologie qu'elle utilise pour se référer verbalement aux
maladies.
Ce système de représentation est plus
perceptible dans Sociologie de la Maladie et de la Médecine, ou
Adam et Ehrlich (1994) opèrent une rupture avec la conception selon
laquelle la maladie et la mort sont des réalités
décryptables uniquement sur le plan biologique. C'est ainsi que ces
auteurs nous montrent les différentes manières dont la maladie
est dans notre société, liée au social et pour une analyse
objective, on doit en premier lieu s'attacher à sa nature et à sa
distribution car pour eux, les maladies sont différentes selon les
époques et les conditions sociales. De ce fait, pour eux, la
santé et la maladie se définissent donc en fonction des exigences
et des attentes liées à notre environnement, à nos
insertions, à nos relations familiales et professionnelles et
constituent au sens propre, des états sociaux. Par ailleurs, nos deux
auteurs stipulent que tout évènement important dans l'existence
humaine demande une explication et on doit en comprendre la nature et lui
trouver des causes. A cet effet, ils s'appuient sur "l'expérience de
la douleur" développée par Zoboroswki pour dire que le
"modelage culturel" englobe aussi au-delà de la perception et de
l'expression des symptômes ce qui est défini comme maladie dans
une société donnée
Le point de vue dans lequel se situe Freidson (1984), dans son
ouvrage est celui d'appréhender La Profession Médicale
dans la perspective d'une nouvelle compréhension de la maladie car
l'évidence « physique » « naturelle » de la maladie,
de la santé, de la mort est impossible à éluder. De ce
fait, il entend montrer que la maladie et la santé sont aussi des
catégories sociales construites par le savoir et la pratique du
médecin. Avec l'apparition de la médecine comme profession
consultante, la maladie donnera lieu à un diagnostic dans toutes les
sociétés mais les façons de gérer sont très
différentes. Raison pour laquelle on remarque que dans la plupart des
sociétés certains individus passent pour avoir des connaissances
spéciales en matière de la maladie et de traitement ; les malades
ou leur famille ont donc recours à eux. La médecine semble alors
régner l'idée que cette activité est liée au
diagnostic, au traitement des maladies et le terme ainsi compris s'étend
à des pratiques individuelles d'autodiagnostic et
d'auto-thérapeutique que l'on observe dans les sociétés
élémentaires (folk médecine ou médecine
populaire) jusqu'aux recherches les plus ésotériques de la
biochimie. En outre, dans la construction sociale de la maladie, Freidson
analyse cette dernière comme déviance sociale du fait de son
état social. Dans cette condition, le monopole de la médecine
comprend le droit de" créer" la maladie en tant que "rôle" social
"reconnu". Selon lui, le comportement du" malade" diffère d'une culture
à une autre et il est souvent très indépendant de la
maladie et constitue une réalité par lui-même. Il ajoute
aussi que le comportement du guérisseur varie selon les cultures et de
ce que Mechanic appelle le « comportement de maladie » du patient, le
« comportement de diagnostic »et du « comportement
thérapeutique » du médecin. La maladie est dans ces
conditions, toujours une catégorie de déviation ou une
déviance par rapport à un ensemble de normes qui
représente la santé ou la normalité car nous la croyons
indépendante de la culture humaine (bien que la culture puisse avoir de
l'influence sur sa prévalence et son traitement) raison pour laquelle
nous avons l'impression qu'elle est différente, plus "objective" et plus
stable que des formes de déviance visiblement sociale, tel le crime.De
ce point de vue, il souligne que le diagnostic et le traitement sont des actes
sociaux aux hommes du fait qu'il découle de la connaissance humaine.
Prise ainsi, l'étiologie de la maladie n'est pas biologique, mais
sociale et elle provient des idées courantes dans la
société sur ce qu'est la malaise limitée peut être
quelque fois par des faits biologiques. Ainsi, sous sa forme sociale, la
maladie est une signification attribuée au comportement par l'acteur ou
par son entourage et par son entourage et qui commande le comportement de
maladie. Les variations du lieu, d'époque, de perspective signifie que
varie aussi la signification attribuée à tel ou tel comportement.
L'importance relative d'une telle considération sociale pour
définir une maladie à une époque donnée, constitue
une indication importante sur la nature de la société de cette
époque.
Par ailleurs, dans la représentation « profane
» de la maladie, l'auteur défend la thèse selon laquelle les
guérisseurs n'ont pas de problèmes dans une société
élémentaire parce qu'ils se spécialisent uniquement dans
un domaine que tout le monde connait : ils ne sont pas nettement
séparés de leurs patients par leur conception de la maladie et du
traitement, ils ont des chances de traiter tous ceux qu'ils estiment devoir
traiter. Selon lui, les individus diffèrent naturellement entre eux par
leurs réponses à la douleur et ses réponses à la
douleur sont prévisibles à partir de l'appartenance à un
groupe et les significations sociales qui lui sont attribuées sont
communes aux membres d'un même groupe. Cependant l'utilisation des
services médicaux dépendra aussi du niveau culturel des individus
et la définition vulgaire des symptômes de la maladie seront
importantes pour comprendre si les profanes se croient malades et si, se
croyant malades, ils vont consulter un médecin. Cela dit, ils sont
enclin à décrire leurs expériences de la maladie à
l'aide des notions tout à fait "dépassées". Les
connaissances et les attitudes manifestent d'une culture ou d'une "sous
culture" qui a plus de chance de leur donner des conceptions sur la maladie. Il
souligne qu'en imputant unesignification à son expérience, la
personne souffrante n'invente pas par elle-même les significations, mais
utilise celles que sa vie sociale lui fournit. Et c'est ainsi qu'on peut
prévoir le comportement d'une série d'individus sans faire
référence à leurs caractéristiques individuelles,
mais seulement au continu de la vie sociale à laquelle ils
participent.
Cependant, il fait remarquer que la vie sociale n'est pas
seulement faite de son contenu mais aussi d'une structure : Une organisation
des relations interpersonnelles, c'est aussi celle-ci qui soutient, impose,
renforce la conformité à son contenu culturel. Il nous rappelle
qu'un individu dépend des autres pour obtenir les privilèges de
la maladie et le choix d'un médecin, la recherche d'une
psychothérapie qui confirment l'importance de ce processus social.
Ainsi, le « système référentiel » des profanes
sera défini par leur culture, leur savoir en ce qui concerne la
santé et les agents de santé, leur relation entre eux. Le
système a donc un contenu culturel, qu'il soit d'origine ethnique ou
socio-économique, un réseau ou une structure. La culture est
prise ici comme la variable dépendante qui est la clé du
processus social. De manière spécifique, Freidson dit que la
structure ou l'organisation de la communauté locale profane est aussi un
facteur qui joue sur l'utilisation des services médicaux. L'approche
théorique de ces auteurs, dans le cadre de notre travail s'inscrit dans
la perspective d'appréhension des choix thérapeutiques en
fonction des représentations de la maladie liée aux « effets
contextuels ».
Toujours dans la logique représentationnelle de la
maladie, Bonnet (1986), s'inscrivant dans le contexte particulier du Burkina
Faso montre à travers son étude « Représentations
culturelles du paludisme chez les Moosé du Burkina » que la
notion du paludisme dans cette société est assimilée aux
maux de tête et au "corps chaud". A partir d'une analyse
sémantique de cette notion, l'auteur montre la logique binaire opposant
le chaud et le frais. Cette logique selon Bonnet serait commune à de
nombreuses sociétés africaines et serait au fondement de la
nosographie et de la thérapeutique traditionnelle.
Dans le même contexte et dans la même dynamique
représentationnelle, l'étude de Dacher. (1992) sur « les
Représentations de la maladie chez les goins du Burkina Faso »
montre les différents procédés de nomination des
affections ainsi que les énoncés étiologiques. En effet,
à travers la logique binaire chaleur-fraicheur, l'auteur en vient
à la terminologie et aux conditions d'énonciations tout en
montrant que le mode goin de nomination des maladies dépend davantage
des conditions d'énonciation que d'un système nosographique
rigoureux. Selon Dacher, nommer une maladie, c'est souvent poser un diagnostic
et donc prétendre à un savoir. Or, le savoir dit l'auteur, est
fonction du statut social et selon qu'on interroge une femme ou un homme, un
jeune ou un vieux, un villageois ou un citadin, un habitué des
migrations en Côte-d'Ivoire, un scolarisé, etc., on n'obtient pas
la même réponse. En outre, il signale que la dénomination
des maladies part de ce que nous entendons par "maladie", ce que les villageois
considèrent subjectivement comme une maladie qu'eux ou leurs proches ont
subie (illness), à la fois les maladies socialement reconnues
(sickness) sur lesquelles eux-mêmes et les guérisseurs
peuvent fournir des informations.
Par ailleurs, l'analyse de l'auteur portant sur les maladies
à dénomination étrangère insiste sur le
problème du paludisme. En effet, il souligne que « la principale
maladie "venue d'ailleurs" n'est pas une entité nosologique isolable,
mais un continuum situé sur axe de gravité croissante : sumaya
-sumaya ba-jokuajo ». (1992 : 165-166)
De façon générale, l'étude de
Dacher montre le lien entre les conceptions de la maladie et le but ultime
recherché par cette société à savoir la
cohésion sociale.
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