2- LA PROBLEMATIQUE DE
RECHERCHE
Un examen sociologique de la maladie (en tant que
déviance d'une norme "positive" et "active" qu'est la santé
optimale) et de son traitement requiert une analyse profonde de ses
représentations sociales tout comme des stratégies
thérapeutiques des populations d'étude. En effet, le diagnostic
et le traitement ne sont pas des actes biologiques communs, mais des actes
sociaux particuliers aux Hommes suivant que la maladie relève d'une
cause sociale ou individuelle, "naturelle" ou "surnaturelle". De ce fait, les
malades auront d'une manière générale, en vertu d'un
principe fondamental de la législation sanitaire, le libre choix de leur
thérapie, de leurs praticiens et de leurs systèmes
médicaux. Cette question qui a longtemps suscitée une certaine
concurrence entre les pratiques traditionnelles "empiristes" et "symbolistes"
de soins d'une part, et d'autre part, les pratiques traditionnelles et
pratiques biomédicales demeurent toujours une réalité dans
la société. Au-delà de cet antagonisme,
l'intérêt de cette étude est de comprendre et d'expliquer
les connaissances locales, les modes d'utilisation et les conditions
d'accès liés aux plantes médicinales dans le traitement du
paludisme et de la fièvre jaune dans la région des cascades.
Cette interrogation, pour être féconde, doit
tenir compte de la manière dont les catégories cognitives qui
caractérisent le savoir émanant des « univers consensuels
» (Schurmans, 1990) prennent sens pour l'action. Les connaissances locales
et les modes d'utilisation des différentes catégories de plantes
médicinales entrant dans la thérapie de ces pathologies sont
définies suivant la nature des plantes, les caractéristiques
socioculturelles des usagers et un système de représentation
touchant en particulier ces maladies et leurs symptômes dans la mesure
où ils ne sont pas des faits "objectifs" car, toujours commandés
par des jugements de valeurs et un système de croyances dans lequel
l'individu est impliqué.
Cependant, les difficultés objectives à prendre
en compte toutes les différentes plantes médicinales dans le
traitement des maladies nous paraissent évidentes. Pour ce faire, la
présente recherche se bornera à investiguer les connaissances
locales et les modes d'utilisation des plantes entrant dans le traitement du
paludisme et de la fièvre jaune. Nous savons pourtant que ces
connaissances et processus d'utilisation ne peuvent s'élaborer en dehors
de la structure sociale et du schéma de pensée sur la maladie
étant donné qu'ils sont produits et marqueurs de nos
systèmes sociaux de classement. C'est dans cette même
configuration que Durkheim et Mauss analysent :
« La classification comme étant un ensemble
d'habitudes mentales en vertu desquelles nous nous représentons les
êtres, les faits sous la forme de groupes coordonnés et
subordonnés des uns aux autres ; même des idées aussi
abstraites que celles de temps ou de l'espace sont à chaque moment de
leur histoire, en rapport avec l'organisation sociale correspondante (1903
: 229) ».
Ce qui démontre que la réalité sociale
telle que l'action thérapeutique n'est pas une réalité
physique ou mathématique comme le souligne Genest en ces termes : «
Le système de croyances est un tout qui a sa logique propre selon chaque
société et qu'il conditionne l'ensemble des comportements en
matière médicale comme ailleurs (1978 : 12)».
Ainsi, la démythification de la médecine
traditionnelle, occasionnée par la découverte scientifique et les
progrès sanitaires qui accompagnent la mise en oeuvre d'un
système médical moderne pour le traitement des maladies, entraine
une utilisation corrélative des institutions de santé suivant
"une interprétation socioculturelle de l'épisode pathologique".
C'est en ce sens que Freidson constate que « naturellement, les individus
diffèrent entre eux par leurs réponses à la douleur, les
réponses à la douleur sont prévisibles à partir de
l'appartenance à un groupe et les significations sociales
attribuées à la douleur sont communes aux membres d'un même
groupe (1984 : 279)». Ces différentes constructions sociales de la
maladie et des stratégies thérapeutiques découlent
essentiellement d'un niveau de connaissances et d'expériences
socioculturelles et environnementales de la population locale. Et comme nous
pouvons le soutenir, ces "liens de signification" ont simplement
enseigné « la connaissance des maladies - pathologie externe,
pathologie interne - et celle des espèces végétaux propre
à assurer la guérison » (Kerharo et Bouquet : 1950 : 94).
Dans cette société médicale au model
"holistique" où tout devient thérapie, le corps devient "corps
social" et la médecine "médecine de la société",
les connaissances et les expériences produisent ce que Freidson (1984)
appelle "une culture ou une "sous culture" qui a plus de chance de donner des
conceptions sur la maladie". C'est ainsi que la population locale manifeste un
intérêt particulier aux plantes médicinales, plus proches
et faisant partie de leur environnement immédiat. A ce titre, une place
de choix leur est accordée et l'on pourrait ainsi dire que l'ensemble de
la communauté est investie de la mission curative même si certains
en sont des spécialistes.
La juxtaposition de la nouvelle forme "technocratique" de
soins de santé primaire, se révèle sélective
d'autant qu'elle s'article non pas à une approche "emic" mais à
une approche"etic" de la maladie, non pas au geste symbolique, mais au pouvoir
d'achat, non pas à la satisfaction morale, mais à
l'efficacité. Ce dispositif fonctionnel et hiérarchique pour
être admis, établit une collaboration opératoire entre les
médecines à travers une "une causalité en chaine"
conceptualisée des états de santé.
Cependant, les "chances" d'accès et d'utilisation de
cette institution médicale dépendent des ressources
monétaires immédiatement mobilisables des ménages.
Autrement dit, le recours à la biomédecine est
déterminé par les conditions socio-économiques de la
population locale. D'où "le modelage de la santé par la position
sociale".
Cette survivance des inégalités d'accès
aux soins pourrait entrainer une désaffection relative du système
sanitaire moderne et générer du même coup une forme
d'altérité médicale dans un contexte de pluralisme
thérapeutique. L'explication sociologique de cette réalité
sociale (exemple de la sous-utilisation des services de santé, ou l'acte
empiriste et symboliste de soin) nous invite ainsi à revisiter la
"sémiologie" du paludisme, de la fièvre jaune et leurs
correspondances avec le diagnostic médical tout comme les
catégories sociales des utilisateurs et leurs représentations
sociales de la biomédecine. En outre, il s'agira d'examiner les modes de
tarification réels et les inégalités des services
médicaux ainsi que la qualité des soins et des équipements
qui informent la trame relationnelle entre soignants/soignés.
En somme, nous analysons les connaissances et les modes
d'utilisation des plantes médicinales en tant qu'objet de production
sociale dans les configurations sociales de Diarrabakôkô.
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