2.2- Des modes de
préparation
Cette partie présente les différentes techniques
positives d'obtention des recettes médicinales ainsi que leur mode
d'administration dans la cure du paludisme et de la fièvre jaune. A ce
niveau également, le constat de terrain révèle la
présence de deux modes ou formes de préparation des recettes
médicinales selon le statut médical dixit cet
enquêté: « Bon !il y a des conditions comme il peut ne
pas avoir. Cela dépend de comment on t'a appris ». (Entretien
avec O.D., le 09/04/2012, Diarrabakôkô)
En ce sens, on a d'un côté la forme populaire de
préparation des remèdes qui est pratiquée par l'ensemble
de la population de Diarrabakôkô et qui est exempt de tout secret.
Et de l'autre, la forme relevant du secret professionnel qui est l'apanage des
spécialistes de la médecine ancestrale. En effet, tous autant que
ces spécialistes, (guérisseurs pour la plupart) se distinguent de
cette population par leurs connaissances des drogues végétales
entrant dans la thérapie de ces affections, mais aussi entre eux par
leur mode d'acquisition de ces connaissances. Il en est de même de "
l'opération pharmaceutique" dans la démarche curative. Cette
opération pharmaceutique est un processus comportant des étapes
allant de la cueillette à l'administration des remèdes. Et chaque
étape est régie par des règles ou des pratiques
symboliques qui participent non seulement à l'efficacité des
remèdes mais aussi à la légitimation de leur savoir
médical. Un enquêté déclare : « (...) mais
seul les connaisseurs savent les rituels à faire, les conditions
à remplir pour enlever un arbre. C 'est leur métier, ils
connaissent la brousse et les arbres (entretien avec K.D.P, le 15/04/2012,
Diarrabakôkô) »
2.2.1- La cueillette des
matériaux botaniques
Cette étape qui est la première et la plus
importante de l'opération pharmaceutique nécessite
l'accomplissement d'un certain nombre de rituels qui diffèrent selon les
thérapeutes et le végétal. Un enquêté
s'exprime à ce sujet :
Tu sais que les tradipraticiens n'ont pas
hérité de la même connaissance. C'est à leur niveau
qu'on peut avoir les conditions d'accès aux plantes. Par la puissance de
la parole, ils augmentent l'efficacité des remèdes. La parole a
une vertu thérapeutique qui n'est reçue que par héritage
ou par initiation (entretien avec D.P.Z, le 20/04/2012, Banfora).
En ce sens, l'une des règles préliminaires que
tout thérapeute se doit d'exécuter avant toute cueillette est la
parole donnée à travers la salutation, le pardon demandé
aux végétales etles motivations. Ainsi, tout thérapeute
sait que sans cet acte préliminaire, il prépare
inévitablement des remèdes inefficaces dans la mesure où
ils perçoivent dans le végétal une entité vivante
communément appelé génie et qui est doté d'un
pouvoir de guérison ou maléfique. Quelques propos recueillis
rendent compte de cette règle préliminaire qu'exécute tout
thérapeute :
Ilfaut toujours demande, chaque arbre à son
propriétaire homme comme femme. Si tu enlèves une partie de
l'arbre sans lui demander, il peut causer du tort à la famille ou te
rendre même fou (entretien avec S.D, le 09/04/2012,
Diarrabakôkô).
« (...) ni yi yrii bogna afana bi bogna (si tu
respectes l'arbre, lui aussi il va te respecter). Comme je l'ai dit, chaque
arbre à son mode de cueillette. Il faut toujours parler à
l'arbre, lui demander avec respect avant de le toucher. C'est comme la femme
c'est comme ça que nos parents nous ont toujours enseigné car
l'arbre à son propriétaire ». (Entretien avec S.M, le
09/04/2012, Diarrabakôkô)
« Tu sais mon fils, l'arbre que tu vois vit. Il a une
grande utilité donc tu dois le respecter, lui demander pardon avant
d'enlever ce dont tu as besoin. Par exemple tu peux dire : "Abi
hèkètoo ! Uhn macogna ba aka flaburu dora ou bien a lili dora
kata un yèrè flakè "(pardonnez-moi ! J'ai besoin de vos
feuilles ou bien de vos racines pour aller me soigner) ». (Entretien
avec B.Z, le 10/04/2012, Diarrabakôkô).
Il suit de cette nature qu'à travers la parole
donnée les thérapeutes cherchent non seulement à augmenter
l'efficacité des remèdes mais aussi à "domestiquer le
végétal" considéré comme le réceptacle des
génies de la brousse. Outre ce prélude à toute cueillette,
s'adjoint d'autres rituels de domestication ou « d'achat » des
drogues végétales à travers la formule tout
"Bissimilaï" ou des sacrifices de petit mil ou d'argent selon le
thérapeute et le végétal comme on peut le constater
à travers ces propos des enquêtés. Mais il est
intéressant de noter que ces gestes sont souvent exécutés
aux nombres de trois, quatre ou sept fois selon le sexe du malade. Nous
énumérons quelques rituels dont nous avons été
informés :
(...) tu sais qu'un arbre peut résoudre cent
problèmes et un arbre peut aussi causer cent tors, cela dépend de
comment tu enlèves. Par exemple chez moi, il ya des plantes comme Bati,
Keldité, Kèrèkètè, Dounynii et Merlen. Tu
fais "tout bissimilai" trois fois si c'est un homme et sept fois si le malade
est une femme avant d'enlever. Mais si c'est la plante N'kounkinè, il
faut verser trois ou sept fois le petit mil avantd'enlever. Bon ! Si tu vois
qu'on dit trois fois pour l'homme et sept fois pour la femme. C'est parce que
le "le kunadia"(la chance) de l'homme est trois et celle de la femme, quatre.
Sept fois-là, c'est parce que les femmes sont nos mères et elles
peuvent enfanter aussi des jumeaux (entreti en avec O.D., le 09/04/2012,
Diarrabakôkô).
Un dernier exemple illustrant ces rituels de domestication du
végétal porte sur le versement de 25F en contre partie des
feuilles de tomiyrii, karité, Gonkagni et des tiges de
Djumatcholo, Hienfiandjantan employé pour soigner la
fièvre des enfants appelé kotigè (fissure anale)
: « Comme je sais que ces plantes me servent beaucoup, je demande les
propriétaires (génies) avec 25 francs. Mais si j'envoie mes
enfants je donne 100 francs, ils donnent 25F comme si c 'était
moi-même et les 75F comme je les ai envoyé (entretien avec S.I, le
10/04/2012, Diarrabakôkô) ».
Il en résulte de ce fait que « l'amputation
infligée au végétal est contre balancée, la plupart
du temps, par un achat. Tout don appelle un contre don, l'élément
phytothérapeutique est obtenu par l'efficacité qui
légitime l'acte de prélèvement (Kalis 1997 :229) ».
De plus, il convient de mentionner que les végétaux en eux
même font l'objet de « conceptualisation » chez les individus
vu le rôle qu'ils jouent et la place qu'ils occupent dans leur vie et ce,
selon leur source de connaissance. Sur ce sujet un enquêté se
prononce : « (...) l'arbre est bon et précieux car c'est un don
de Dieu. (...). Le premier homme fut créé parmi les arbres et
comme nous dit la bible encore, c'est par l'arbre que le péché
est entré dans le monde. C'est dire que l'arbre peut soigner comme il
peut tuer ». (Entretien avec H.B., le 12/04/2012,
Diarrabakôkô)
Par ailleurs, tous autant que la cueillette des drogues
végétales entrant dans le traitement de ces pathologies
nécessitent des rituels qui varient selon la connaissance des
thérapeutes, il en est de même du temps requis pour cette
cueillette comme on peut le constater à travers ces trois exemples
illustratifs. Le premier relate les moments favorables : « Moi
j'enlève mes arbres (racines de Tobra, Siyèlè,
Tchatèrè, Tantambilan, Sindjan) le matin et le soir car le soleil
n'a pas encore séché leur liquide (entretien avec S.M, le
09/04/2012, Diarrabakôkô)». Le deuxième se
réfère à la tranche horaire d'un autre thérapeute
qui affirme : « chez moi de 00H à 2heures du matin, je ne
rentre pas en brousse (entretient avec S.D, le 09/04/2012,
Diarrabakôkô)». Enfin, le dernier atteste : « chaque
heure on peut enlever les plantes. Mais si tu veux plus d'efficacité, il
faut enlever entre 10h et 12h car c'est le liquide de la plante
quiguérit est en mouvement, donc il contient tous ces
éléments. Par contre, le soir et le matin le liquide est stable
(entretien avec O.D, le 09/04/2012, Diarrabakôkô)
».
De ce qui précède, il reste que l'observance des
différents rituels et des moments requis pour la cueillette
relèvent de la stratégie curative des thérapeutes qui
mettent en articulation deux modes de pensées. La première
étant une accumulation sur un genre empiriste et la seconde, une
pensée symbolique agencée dans laquelle l'invisible s'impose.
Pour le dire autrement, en reprenant la formulation de Kalis : « les trois
règles préliminaires à tout prélèvement
ressortissent : au comput du temps et à la spatialité, à
la salutation et l'achat ainsi qu'au mode de recueil. Cette phase
préliminaire requiert la même attention de la part des praticiens
que celle subséquente de la préparation et de l'administration
» (Kalis 1997 : 230).
Cependant, que la forme de préparation
médicinale soit populaire ou sécrète, le constat de
terrain révèle que les enquêtés utilisent en
général les mêmes procédés
opératoires. En effet, les remèdes sont obtenus selon la
connaissance empirique des plantes et leur efficacité symbolique par
:
- Décoction des feuilles, des racines, des
écorces, des fruits, des tiges fraiches ou séchés.
- Macération des feuilles ;
- Infusion des racines, d'écorces ou tiges ;
- Réduction en poudre des racines, des écorces
préalablement desséchées au soleil.et dans un petit
mortier.
Ce dernier procédé est beaucoup plus du ressort
des thérapeutes comme nous pouvons le constater à travers ce
discours d'un guérisseur qui n'a pas voulu nous montrer les plantes
qu'il emploie dans la thérapie de ces deux affections : « chez
moi, c 'est comme une pharmacie car j'ai aussi des "flamugu" (remèdes en
poudre) de sumaya et Djokadjo à partir des racines car je peux me
déplacer facilement avec et ils sont aussi efficace que les
remèdes liquides(entretien avec S.D., le 09/04/2012,
Diarrabakôkô) ». En outre, les macérations,
les décoctions et les infusions sont des procédés de
préparation plus courants chez les enquêtés, et le solvant
employé est l'eau. L'infusion se fait plus dans une calebasse alors que
la décoction dans un canari en terre appelé "Bogodaga".
Mais il est intéressant de noter que chez les tradi
thérapeutes, c'est le patient qui envoie son" bogo kadaga"(canari
de remède en terre) et c'est le guérisseur qui est
censé mettre les organes car à ce niveau également il
existe des règles présidant à cet acte selon la
propriété fétiche des espèces employées. A
ce titre deux guérisseurs se prononcent :
« (...) pour soigner le Djokadjo moi j'utilise la
plante à condition de cueillette que je t'ai dit samanèrè
yrii (Guampanlè). Tu fais bouillir les racines et les feuilles puis
boire un peu et se laver avec matin soir. Mais il faut mettre d'abord les
racines avant de mettre les feuilles. C'est comme ça que j'ai appris
avec mon papa ». (Entretien avec H.T, le 11/04/2012,
Diarrabakôkô)
Le second relate aussi un ordre de mise en canari de l'organe
des espèces entrant dans la cure du "kotiguè" (fissure
anale) :
Moi j'utilise cinq plantes pour soigner la fièvre
des enfants. Je prépare ces plantes dans un même canari mais si tu
veux mettre dans le canari, il faut mettre d'abord les feuilles de tomiyrii de
siyrii (karité), ensuite les tiges de Djoumatcholo, les feuilles
Gonkagni avant de terminer avec les tiges Hienfiandjantan, si tu ne fais pas
ça ton médicament ne va pas marcher (entretien avec S.I, le
10/04/2012, Diarrabakôkô).
Du reste, tous ces principes concourent non seulement à
rendre les remèdes efficaces mais aussi permettent de mettre en exergue
également le réseau serré de la relation
connaissance/savoir dans la préparation des remèdes. Toutefois,
il faut noter que suivant ces maladies, les remèdes sont
préparés à partir d'une seule espèce
végétale comme ce fut le cas de la quinine en biomédecine,
extrait d'une plante appelée le "quinquina" retrouvée
chez les indiens d'Amérique du Sud et qui est le seul produit
autorisé en monothérapie contre le paludisme. Soit à
partir de l'association de plusieurs espèces à l'image des
médicaments ACT qui sont des combinaisons de médicaments
thérapeutique fait à base de plantes et de molécules que
l'OMS a recommandés pour le traitement du paludisme. En ce sens, nous
pouvons dire que l'association ou non des plantes par les enquêtés
que nous allons aborder ci-dessous témoigne de la connaissance de
l'efficacité intrinsèque de chaque plante dans la thérapie
du paludisme et la fièvre jaune.
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