II- Des
procédés d'utilisation des plantes médicinales.
2.1- Des plantes
médicinales utilisées dans la cure du paludisme et de la
fièvre jaune
L'utilisation des plantes médicinales requiert un
savoir-faire qui est indissociable de la connaissance même des
espèces. Mais, cela ne suppose pas pour autant que toute connaissance
implique nécessairement un savoir-faire qui relève de la maitrise
pratique des modes ou procédés d'utilisation des espèces
végétales connues dans la cure du paludisme et la fièvre
jaune. Autrement dit, la connaissance des plantes médicinales qui est
l'élément principal des pharmacopées traditionnelles
africaines n'entraine pas forcément leur utilisation qui dépend
de la reconnaissance des valeurs intrinsèques (efficacité et/ou
satisfaction reconnue) ; de l'accessibilité (géographique,
disponibilité et règles codifiant l'accès) ; de la nature
et des représentations de la maladie, mais aussi et surtout du sexe
(selon qu'on est homme ou femme). En effet, nous allons nous appesantir sur
cette variable sexe afin de saisir la variation des plantes les plus ou moins
utilisées par les enquêtés et ce, en fonction des autres
variables qui ne sont que des modalités pratiques de l'utilisation des
plantes. Ainsi, l'utilisation des drogues végétales est à
quelque degré, oeuvre de la volonté collective et qui dit
volonté collective dit choix entre différentes modalités
possible. Il suit de cette nature des similitudes et des dissemblances au
niveau des espèces les plus ou moins employés par les
enquêtés dans la thérapie de ces deux pathologies.
Comme nous allons le constater sur ces tableaux ci-dessous,
relatifs à la variation des fréquences d'utilisation des plantes
par sexe et par maladie ; il convient de noter que cette fréquence est
calculée sur la base du nombre de fois que les espèces ont
été employées suite à la question de savoir celles
que les enquêtés emploient le plus. C'est ainsi qu'on a pu
déterminer le seuil d'utilisation qui se formule comme suit :
- Les plantes ayant une fréquence supérieure ou
égale à 5% sont celles qui sont les plus utilisées.
Soit fi =5%.
- Les plantes ayant une fréquence inférieure
à 5% sont les moins employées soit fi < 5%.
L'examen du tableau 21 ci-dessous relatif aux plantes les plus
ou moins utilisées par les enquêtés dans la thérapie
du paludisme permet de voir une plus grande utilisation variée et
diversifiée de ces plantes en témoignent les 20 plantes
employées par les femmes et les 22 par les hommes sur un total de 31
espèces connues. Ce qui peut s'expliquer par la nature récurrente
et les représentations de cette maladie invalidante face à
laquelle la biomédecine reste impuissante. Ainsi, le constat
révèle que sur les 20 espèces employées par les
femmes, (09) sont les plus utilisées selon leurs fréquences
respectives, à savoir Anofeissus leiocarpa (15,09%),
Azadirachta indica (11,32%), "Bomboromafian" (9,43%),
Cassia sieberiana (8,49%), Carica papaya (7,55%),
Eucalyptus camaldulensis (5,66%), "Cossafina" (5,66%),
Manguifera indica (5,66%) et Nauclea latifolia (5,66%).
Comparativement aux femmes, sur les 22 espèces
employées par les hommes, seulement (08) espèces sont les plus
utilisées selon leur fréquence en l'occurrence guamungu
(12,31%), yriidjan (10,77%), guanguambere (10%),
neem yrii (10%). L'observation de ces fréquences respectives
permet d'y voir une dispersion chez les femmes que chez les hommes. Et, pour
les mêmes espèces employées, les fréquences varient
selon le sexe des enquêtés. Il en résulte que le paludisme
est une affection qui touche toutes les couches sociales les plus
vulnérables notamment, les femmes et leurs progénitures surtout
dans ce milieu rural. Ce qui fait d'eux des soignantes ou utilisateurs
privilégiés.
Tableau20 : Répartition des plantes les
plus ou moins utilisées par sexe dans le traitement du
paludisme.
Sexes
Espèces utilisées
|
Femmes
|
Hommes
|
Espèces les Plus utilisées
|
Noms scientifiques
plus utilisées
|
Noms locaux
|
Parties
|
%
|
Noms scientifiques
|
Noms locaux
|
Parties
|
%
|
Anofeissus leiocarpa
|
Guamungu
|
Feuilles
|
15,09
|
Anofeissus leiocarpa
|
Guamungu
|
Racines Feuilles
S
|
12,31
|
|
Azadirachta indica
|
Neem yrii
|
Feuilles
|
11,32
|
Azadirachta indica
|
Neem yrii
|
Feuilles
|
10
|
Végétal non identifié
Ca
|
Bomboramafian
|
Feuilles
|
9,43
|
Entada africana
|
Guanpamle
|
Racines Ecorces
S
|
6,15
|
Carica papaya L.
|
Papaye yrii
|
Feuilles Fruits
|
7,55
|
Carica papaya L.
|
Papaye yrii
|
Feuilles Fruits
|
6,92
|
Cassia sieberiana
|
Guanguamber e
|
Racines Feuilles
|
8,49
|
Cassia sieberiana
|
Guanguambere
|
Feuilles Ecorces Racines
|
10
|
Eucalyptus camaldulensis
|
Yrii djan
|
Feuilles
|
5,66
|
Eucalyptus camaldulensis
|
Yrii djan
|
Feuilles
|
10,77
|
Végétal non identifié
|
Cossafina
|
Feuilles
|
5,66
|
Végétal non identifié
|
Cossafina
|
Feuilles
|
7,69
|
Manguifera indica
|
Mangoro yrii
|
Feuilles
|
5,66
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Nauclea latifolia
|
Tchofian
|
Racines Feuilles
|
5,66
|
Nauclea latifolia
|
Tchofian
|
Racines Feuilles
|
6,92
|
Espèces les moins utilisées
|
Végétal non identifié
|
Tcholipupu
|
Feuilles Racines
|
3,77
|
Végétal non identifié
|
Sonsolon
|
Racines
|
3,85
|
Tamarindus indica
|
Tomi yrii
|
Feuilles
|
2,83
|
Cassia occidentalis L.
|
Kinkeliba
|
Feuilles
|
3,07
|
Pteeosis suberosa
|
Djumatcholo
|
Tiges
|
2,83
|
Manguifera indica
|
Manguoro yrii
|
Feuilles
|
3,07
|
Ipomea asarifolia
|
Gonkangni
|
Feuilles
|
2,83
|
Végétal non identifié
|
Cohilo
|
Feuilles
|
2,31
|
Végétal non identifié
|
Hienfiandjantan
|
Tiges
|
2,83
|
Sanna siamea
|
Cassia
|
Feuilles
|
2,31
|
Cassia occidentalis L.
Vé
|
Kinkeliba
|
Feuilles
|
2,83
|
Piliostigma resticulatum
|
Yama yrii
|
Feuilles
|
2,31
|
Vitellaria pradoxa
|
Mussungu
|
Feuilles
|
1,89
|
Vitex chrysocarpa
|
Koto yrii
|
Feuilles/Racines
S
|
1,54
|
Mitragyna inermis
|
Anfian/Dun
|
Feuilles
|
1,89
|
Cola cordifolia
|
Sulamangoro
|
Racines
|
1,54
|
Piliostigma resticulatum
|
Yama yrii
|
Feuilles
|
1,89
|
Lannea microcarpa
|
Tantambilan
|
Racines
|
1,54
|
Sanna siamea
|
Cassia
|
Feuilles
|
0,94
|
Guiera senegalensis
|
Tcholipupu
|
Feuilles/racines
|
0,77
|
Végétal non identifié
|
Karognu
|
Feuilles
|
0,94
|
Citrus limon L.
|
lemurukumu
|
Feuilles
|
0,77
|
|
|
Mitragyna inermis
|
Anfian/Dun
|
Feuilles
|
1,54
|
Psidium guajava
|
Goyaki yrii
|
Feuilles
|
0,77
|
Végétal non identifié
|
bomboroma fi an
|
Feuilles
|
0,77
|
TOTAL
|
20 plantes
|
100%
|
22 plantes
|
100%
|
Source : données du terrain, Mars -Avril
2012 à Diarrabakôkô
En outre, la prise en compte des plantes les plus
employées selon que nous considérons leur nature fait percevoir
dans ce tableau (20), qu'à l'exception des plantes comme (Guamungu,
Bomboromafian, guanguambere, Tchofian, et guampanle) qui sont des
espèces locales , l'utilisation des autres espèces (neemier,
papayer, eucalyptus, cossafina, manguier) est universellement
répandue dans cette localité de Diarrabakôkô comme
antipaludéen à cause non seulement de leur plus grande
accessibilité puisqu'elles sont retrouvées dans l'espace
fermé et semi ouvert du village, donc plus proche de la population, mais
aussi et surtout du fait qu'elles sont exempts de tout support rituel. Ce sont
des plantes exotiques à usage courant comme le développe un
enquêté :
Bon... tu sais qu'il y a beaucoup de plantes que les gens
utilisent pour soigner ces maladies. Comme "Anga taga bolokatcha"(nos
connaissances sont variées) par exemple je sais que beaucoup de
personnes utilisent les feuilles de papayer, kinkéliba, accacia pour
soigner le paludisme. (...). Il ya aussi les feuilles de cossafina,
macérer bon pour le sumaya. Mais moi je ne les utilise pas car ce sont
des calmants. C'est comme les comprimés contre le sumaya qu'on vend au
dispensaire. Quand tu prends, tu vois que ça se calme et après
quelque temps, la maladie revient. Tout le monde connait ces plantes,
mêmes les enfants, s'ils sentent que le sumaya veut les attraper, ils
enlèvent. (Entretien avec H.B., le 12/04/2012,
Diarrabakôkô)
Comparativement à ces plantes d'importation de nature
préventive, l'utilisation des espèces locales varie
considérablement avec le sexe excepté le guamungu qui
est beaucoup plus utilisée par les deux sexes.
De plus, les données empiriques révèlent
une pluralité et une diversité de plantes les moins
employées par les enquêtés. La pluralité fait
référence au nombre et la diversité, vient du fait que
certaines espèces locales telles que bomboromafian, mangoro yrii,
sont d'usage courante chez les femmes et le sont moins chez hommes, au
regard de ces fréquences respectives (0,77%), (3,03%). Inversement, nous
observons un emploi plus fréquent de Guampanle chez les hommes
que chez les femmes. De même, on constate que les espèces les
moins utilisées sont plus nombreuses que celles couramment
employées. L'explication vientdu fait que ces plantes sont en
majorité locales, retrouvées dans l'espace ouvert du village,
donc difficile d'accès pris en termes de disponibilité
géographique et règle codifiant leur accès.
Nous pouvons donc, résumant l'analyse qui
précède, dire que l'ensemble du monde végétal est
scindé en deux, selon qu'il appartient à l'espace
socialisé du village (fermé, semi-ouvert) ou à la brousse
que l'homme ne maîtrise pas. Ainsi, l'appartenance à un des deux
espaces induit un type de conditions d'accès.
Par ailleurs, en s'inscrivant dans la logique du tableau 21
suivant relatif à la fréquence d'utilisation des plantes entrant
dans la thérapie de la fièvre jaune, on s'aperçoit d'abord
de l'emploi de peu de plantes dans sa cure vue sa perception par cette
population locale de Diarrabakoko sur un axe de gravité croissante du
paludisme qu'il appelle selon leur état de connaissance sumayaba,
jaunisse, Djokadjo ou Djokadjo guè. En effet, partant de la
perception inhabituelle et mortelle de cette maladie en cas de traitement
biomédical. Ainsi, pour cette population, seules les plantes
médicinales sont à même de combattre efficacement cette
affection mais cela dépend aussi du niveau de connaissance/savoir sur
cette pathologie et les espèces appropriées à y
remédier, donc du statut médical. Ce qui pourrait en être
l'explication du peu d'emploi des plantes par les enquêtés.
Cependant, comme on peut le constater, sur (08) plantes utilisées par
les femmes, (07) sont fréquemment employées en l'occurrence
Bomboromafian (24,24%), Guamungu (21,21%), Neemier
(15,15%), Tchofian (12,12%), N'dribala (9,09%),
Bwaun(Nere) (6,06%), Miminanbwa (6,06%),
Comparativement aux femmes, les hommes utilisent (21) plantes
dans le traitement de cette effrayante affection mais seulement (04)
espèces interviennent le plus selon les fréquences respectives
à savoir : Tchofian (18,18%), Guamungu (15,15)%,
Sonsolon (12,12%) Guanguambere (9,09%). Cette variation et
cette dispersion des fréquences des espèces les plus
employées par les femmes viennent à nouveau confirmer leur statut
de soignantes privilégiées du fait de leur maternité. Par
contre chez les hommes, on observe non seulement une pluralité et une
diversité des espèces utilisées mais aussi une certaine
concentration des fréquences des plantes les plus employées ; ce
qui signifie que les femmes sont plus inscrites dans une logique de «
rationalité en finalité » que les hommes, qui en plus de
cela recherche une certaine efficacité. Mais le nombre
élevé de plantes utilisées par les hommes vient du fait
que la solidarité est absolue en matière de l'utilisation des
plantes dans la cure de cette affection à l'intérieur de la
grande famille, et ces plantes se retrouvent le plus souvent dans la brousse
profonde, donc des espèces locales qui sont habitées par des
esprits ou des forces surnaturelles qui en sont les gardiens. Comparativement
aux plantes médicinales les plus employées par les femmes,
l'observation montre qu'exception fait à des espèces comme
guamungu, tchofian qui sont aussi plus employées par les
hommes, certaines espèces font partie des moins utilisées par ces
derniers comme Parkia biglobosa 4,28%, et d'autres comme
Bomboromafian, Neemier, Miminanbwa, N'dribala ne sont même
d'usage. Il en est de même pour le cas inverse ou des espèces
comme guanguanbere (sindjan), tchofian (bati), sonsonlon qui sont plus
utilisées par les hommes et qui sont absentes des plantes
utilisées par les femmes. Il en résulte de ce fait une variation
des fréquences et une diversité des plantes utilisées
selon le sexe et la connaissance empirique de ces plantes.
En outre, cette variation est aussi perceptible au niveau
même des matériaux botaniques (racines, feuilles, écorces,
tiges...) entrant dans la préparation des recettes médicinales.
En effet, on remarque l'usage récurrent des feuilles chez les
enquêtés et plus chez les femmes surtout dans la cure du paludisme
tandis que chez les hommes, l'usage des organes est diversifié. Mais, il
est à signaler que les feuilles proviennent plus des espèces
exotiques que locales. Par contre, en observant les organes entrant dans la
préparation médicinale de la fièvre jaune, le constat
révèle l'usage récurrent des racines, des écorces
chez les hommes que chez les femmes ou on remarque toujours un usage important
des feuilles. Il suit de cette nature une distinction des organes en fonction
de ces maladies. Autrement dit, l'usage des feuilles, tiges et fruits sont plus
récurrent dans la préparation médicinale du paludisme
tandis que les racines et les écorces le sont plus dans celle de la
fièvre jaune. Et les feuilles se rapporteraient plus au sexe
féminin et les racines et les écorces au sexe masculin;
étant donné que la récolte des racines est proscrite pour
les femmes comme nous pouvons le constaté à travers ces propos
d'une herboriste :
(...) ; souvent aussi on achète avec les "fla bola"
surtout les racines. C'est seulement les feuilles que nous nous pouvons
enlever. Nous achetons un sac de racine de nos plantes à 100 francs.
Mais seule la plante qu'on appelle ``djoro yrii'' qui fait 1500 francs, car
c'est très difficile à avoir à coté si ce n'est pas
en brousse profonde (entretien avec C.A., le 22/04/2012,
Diarrabakôkô).
Tableau 21 : Répartition des plantes les
plus ou moins utilisées par sexe dans le traitement de la fièvre
jaune.
Sexe
Espèces Utilisées
|
FEMMES
|
HOMMES
|
Espèces les plus utilisées
|
Noms scientifiques
|
Noms locaux
|
Parties
|
%
|
Noms scientifiques
|
Noms locaux
|
Parties
|
%
|
Anofeissus leiocarpa
|
Guamungu
|
Feuilles
|
21,21%
|
Anofeissus leiocarpa
|
Guamungu
|
Racines Feuilles
|
15,15
|
Azadirachta indica
|
Neem yrii
|
Feuilles
|
15,15
|
Azadirachta indica
|
Tchofian
|
Racines Feuilles
|
18,18
|
Nauclea latifolia
|
Tchofian
|
Racines
|
12,12
|
Végétal non identifié
|
Sonsolon
|
Racines
|
12,12
|
Cochlospernum planchonii
|
N'dribala
|
Racines
|
9,09
|
Cassia sieberiana
|
Guanguambere
|
Racines Feuilles
|
9,09
|
Parkia biglobosa
|
Bwaun Nere
|
Ecorces Noix
|
6,06
|
|
|
|
|
Végétal non identifié
|
Miminambua
|
Feuilles Ecorces
|
6,06
|
|
|
|
|
Espèces les moins utilisées
|
Piliostigma resticulatum
|
Yama yrii
|
Feuilles
|
3,03
|
Entada africana
|
Guampanle
|
Racines Feuilles
|
4,55
|
Cassia sieberiana
|
Guanguambè rè
|
Feuilles
|
3,03
|
Parkia biglobosa
|
Bwaun Nere
|
Racines Ecorces
Graines
|
4,55
|
|
|
Daniella oliveri
|
Gnanlè
|
Feuilles
|
4,55
|
Tamarindus indica
|
Tomi yrii
|
Feuilles
Tiges
|
3,03
|
Terminalia aviceniodes
|
Wolon yrii
|
Racines
|
3,03
|
Végétal non identifié
|
Kongobarani
|
Racines
|
3,03
|
Mitragyna inermis
|
Dun yrii
|
Feuilles
|
3,03
|
Calotropis procera
|
Daiware
|
Racines
|
3,03
|
Lannea microcarpa
|
Tantanbilan
|
Racines
|
3,03
|
Bombax costatum
|
Bumbun
|
Racines
|
3,03
|
Vitellaria paradoxa
|
Si yrii
|
Ecorces
|
1,51
|
Cola cordifolia
|
Soulamangoro
|
Racines
|
1,51
|
Végétal non identifié
|
Siyèlè
|
Racines
|
1,51
|
Végétal non identifié
|
Tchatèrè
|
Racines
|
1,51
|
Annona senegalensis
|
Tobre
|
Racines
|
1,51
|
Vitellaria paradoxa mâle
|
Si yrii kièma
|
Racines
|
1,51
|
Trichilia emetica
|
Nicorpiele
|
Racines
|
1,51
|
TOTAL
|
08 Plantes
|
100%
|
21 Plantes
|
100 %
|
Source données du terrain, Mars - Avril
2012 à Diarrabakôkô
Poursuivant la lecture comparée des plantes
fréquemment employées dans la cure de ces deux pathologies
perçue par les enquêtés comme "dogo ni koro fadeen"
(petit frère et grand frère de même père), on
s'aperçoit aussi d'une variation selon la maladie. En effet, le constat
révèle l'emploi plus fréquent des espèces exotiques
dans la cure du paludisme contrairement à celle de la fièvre
jaune où l'emploi des espèces locales est plus courant exception
fait aux espèces comme guamungu et neemier qui
interviennent plus dans la thérapie de ces deux affections surtout chez
les femmes. En outre, l'emploi des plantes dans le traitement de la
fièvre jaune varie selon le degré de cette affection qui va de
sumayaba, djokadjo ou mieux de la couleur jaunâtre à la
couleur blanchâtre des yeux, paumes dans la conception de cette
population locale de Diarrabakôkô. Et, généralement,
les plantes les plus utilisées mettent en jeu un système
d'analogie se rapportant au symptôme visible de ce mal (la tendance
jaunâtre) que Mauss appelle des lois de "sympathie".
En plus de cela, il est intéressant de noter que
certaines espèces comme guamungu, bomboromafian, neemier
couramment employées par les femmes dans la thérapie du
paludisme, le sont aussi dans celles de la fièvre jaune et même au
stade avancé vue ces fréquences respectives de 16,12% pour
guamungu et bomboromafian et 12,90% pour le neemier.
A ces espèces viennent s'ajouter d'autres espèces comme
miminanbwa, tchofian employé à 9,67% chacune. Cependant,
il faut noter que 16,12% des enquêtés attestent avoir recours aux
thérapeutes. Quant aux hommes, ils emploient également les
mêmes espèces au stade avancé de cette maladie mais avec
une fréquence beaucoup plus élevée que pendant le
début de la maladie. Soit 14,54% d'emploi pour sonsolon ; 11%
sindjan ; 20% tchofian ; et 9,1% pour guamungu. En
ce sens, nous pouvons dire que les mêmes plantes sont fréquemment
utilisées par les enquêtés dans la thérapie de ces
affections même si lesfréquences de leur emploi varient selon le
sexe, la représentation de ces maladies, leur accessibilité et
leur efficacité reconnue.
Du reste, sur le point relatif aux règles codifiant
l'accès à ces plantes, que ce soit dans la cure du paludisme
comme dans celle de la fièvre jaune, le constat de terrain
révèle que ces drogues végétales, qu'elles soient
plus ou moins employées, sont pour la plupart sans condition
d'accès selon 80,23% des enquêtés. Seulement 19,77% d'entre
eux y voient des règles allant du respect ou la parole donnée
à la plante aux rituels selon la connaissance des enquêtés
et la nature de la plante comme le souligne un enquêté :
L'accès aux plantes nécessite respect et
considération. Ce sont des êtres vivants. Tu sais qu'en Afrique et
dans nos sociétés, la parole est une puissance, la parole soigne.
Pour augmenter l'efficacité des plantes, tu parles pour t'excuser et
c'est ce que moi je fais (entretien avec D.PZ, le 20/04/2012, Banfora).
Cependant, seule une plante appelée guampanle
en langue locale goin et samanere en langue véhiculaire
Jula nécessite la prise en compte de l'orientation Est-Ouest dans la
cueillette de ces racines comme le confirme un guérisseur : «
Bon !il y a une plante qu'on appelle en Jula samanere. Nous on l'appelle dans
notre langue Guampanl e. C'est la seule que je connais qui a une manière
d'enlever les racines. Il faut enlever une racine vers le coucher du soleil et
une autre vers le lever du soleil (entretien H.T, le 11/04/2012)». Ce
qui explique son emploi fréquent par les hommes dans la cure de cette
maladie. En ce lieu, en envisageant de façon interprétative, nous
pouvons dire en dernière instance que l'utilisation plus ou moins des
drogues végétales varie sensiblement selon qu'on est homme ou
femme, selon leur nature, les organes utilisés et les règle
codifiant leur accès ainsi que la représentation locale de ces
pathologies. Il est à signaler également que l'utilisation varie
avec la pluralité et la diversité des plantes médicinales
dans cette localité de Diarrabakôkô ou la
pluviométrie est bonne à l'image de toute la région des
cascades dont elle fait partie. Ce qui démontre que l'espace physique
qui est à l'origine de ces affections est aussi un lieu de pratiques
sociales. Sur la base d'un tel constat, nous pouvons dire que si la maladie se
trouve dans la nature comme l'est le paludisme et la fièvre jaune, il en
est de même de la guérison. Mais cette guérison par les
drogues végétales relève de la croyance qui est capitale
dans la réussite d'un traitement ou dans l'efficacité des plantes
qui sont animées par des esprits surnaturels. Ainsi, à la
question de savoir les raisons de l'emploi plus fréquent de certaines
plantes, l'efficacité est la principale raison avancée à
75% par les enquêtés suivi de l'expérience d'utilisation
à 16,66%. La disponibilité des plantes et la prévention de
la maladie ont été avancées à 04,17% chacune.
Si nous considérons que la maladie n'est pas seulement
un fait éminemment individuel, il en est de même pour
l'utilisation des plantes médicinales qui fait intervenir en sus
l'ensemble de la société.
2.1.1- Personnes
impliquées dans le choix des plantes à utiliser
Le village de Diarrabakôkô comme nous l'avons
précédemment évoqués est une entité
restreinte qui est toujours au stade de la solidarité mécanique.
De ce fait, dès qu'un problème de santé se pose, c'est
toute la famille, voire toute la société qui est
interpelée. De ce fait, concevoir la maladie comme une déviance
sociale suppose également l'implication de la société dans
le choix des plantes médicinales propres à y faire face. Ainsi,
la prise en compte des personnes impliquées dans le choix des plantes
à utiliser selon que nous considérons la maladie et le sexe, fait
percevoir dans le tableau suivant, des éléments d'analyses.
Tableau 22 : Distribution par sexe et par
maladie des personnes impliquées dans le choix des plantes à
utiliser
Personne impliquées
Maladies
|
Sexe
|
Parents
|
Voisinage
|
Expérience
|
TOTAL
|
Paludisme
|
H
|
36,84%
|
11,58%
|
51,58%
|
100%
|
F
|
19,72%
|
38,03%
|
42,25%
|
100%
|
Fièvre jaune
|
H
|
43,75%
|
25%
|
31,25%
|
100%
|
F
|
28%
|
52%
|
20%
|
100%
|
Source : données du terrain Mars- Avril
2012 à Diarabakôkô
L'analyse de la distribution des personnes impliquées
dans le choix des plantes à utiliser par les enquêtés varie
en fonction du sexe et de la maladie. En effet, l'observation des
données statistiques montre que l'expérience intervient plus dans
le choix des enquêtés dans la cure du paludisme soit 51,58% chez
les hommes et 42,25% chez les femmes que dans celle de la fièvre jaune
soit respectivement 31,25% et 20%. Ce qui met une fois de plus en exergue la
nature récurrente du paludisme qui est une maladie dont peu de gens
échappe surtout dans cette localité de Diarrabakôkô
qui est une zone endémique stable toute l'année. En ce sens et
face à l'incapacité immédiate de mobilisation des
ressources monétaires, il suffit d'utiliser une plante et trouver
satisfaction pour en faire une drogue privilégié dans la cure de
cette affection. Autrement dit, « il existe des situations où il
suffit d'avoir été soi-même atteint d'une maladie pour
ainsi se qualifier, voire prétendre pouvoir traiter ce mal (Genest 1978
: 20) ». En outre, ce faible taux d'intervention de l'expérience
dans le choix des plantes à utiliser dans la thérapie de la
fièvre jaune montre que cette affection n'est plus une question d'alarme
depuis la découverte du vaccin anti amaril.
Par ailleurs, le réseau parental intervient plus dans
le choix des espèces utilisées par les hommes quel que soit la
maladie, soit 36,84% dans le traitement du paludisme et 43,75% dans celui de la
fièvre jaune. Par contre, chez les femmes, il intervient avec une
fréquence respective de 19,72% et 28%. Comparativement aux hommes et
suivant ces maladies, on remarque que le choix des plantes employées par
les femmes provient plus de l'environnement social (voisinage), soit 38,03%
dans la cure du paludisme et 52% dans celle de la fièvre jaune que chez
les hommes où il provient moins soit respectivement 11,58% et 25%.
L'explication d'un tel constat ne peut venir que de la position sociale dans ce
milieu rural. Autrement dit, l'analyse de l'espace des réseaux de
relation inscrit autour du choix des plantes médicinales à
utiliser révèle une distinction selon le sexe et le lien social
des enquêtés. De même, lorsqu'on prend en compte ces
maladies, on s'aperçoit que seule l'expérience intervient le plus
dans le choix des plantes employées dans la cure du paludisme, tandis
que le réseau parental et l'environnement social interviennent le plus
dans celle de la fièvre jaune. Ce qui signifie que le choix des plantes
à utiliser dépend également de la représentation de
ces pathologies.
|
|