3.4- L'influences des
caractéristiques des services médicaux sur les recours
thérapeutiques.
Dans le champ médical où la médecine
moderne et la médecine traditionnelle sont tantôt en
compétition, tantôt complémentaires, le choix d'une
thérapie dépend également de certaines
caractéristiques des services médicaux telles que la
qualité ou l'efficacité, et l'accessibilité
géographique et financière des actes médicaux. En effet,
en plus des praticiens traditionnels (pour la plupart guérisseurs), le
village de Diarrabakôkô dispose depuis 1984 d'un CSPS du fait de sa
position géographique sur l'axe Banfora-Niangoloko. La raison
géographique dans l'implantation des structures sanitaires
périphériques est soutenue par Meunier: « En effet, si les
CSPS sont placés dans les villages les plus peuplés, ils sont
tous situés le long des voies de communications pour permettre, selon
les considérations de l'Etat, une utilisation maximum des services
offerts (2000 :250)».
Le CSPS, en tant que premier échelon de soin, est une
structure sanitaire de base du système de santé qui a un effectif
de 5 personnes dont le Major qui est un infirmier diplômé d'Etat
(IDE). De plus, le CSPS dispose de 3 bâtiments dont une maternité,
un bâtiment pour la consultation, les soins et la mise en observation et
enfin une pharmacie. La salle de mise en observation dispose seulement de 5
lits pour toute cette population de Diarrabakôkô et les villages
environnants. Des statistiques témoignent de la forte
fréquentation du CSPS par les enquêtés, soit 100%, or que
le taux de fréquentation dans la localité est de 75%. Mais, il
est à signaler que ce fort taux de fréquentation n'a rien
d'absolu car si tous les enquêtés fréquentent le CSPS,
seulement 56,98% la fréquentent régulièrement, 11,63% au
début de la maladie, et 31,39% irrégulièrement.
Concernant les raisons de la fréquentation, le
paludisme est la première affection qui amène la population au
CSPS. Selon un agent de santé que nous avons enquêté, il
représente 93,02% des causes de consultation et de mise en observation
à Diarrabakôkô. Dans le même sens, le tableau de bord
(2009) dévoile que : « au cours des cinq dernières
années, plus du tiers des consultations, des hospitalisations et des
décès (hôpitaux y compris) est attribuable au paludisme
dans les structures de santé ».
Par ailleurs, le fort taux de fréquentation du CSPS par
les enquêtés se justifie à travers les propos d'un agent de
santé :
Je l'ai dit tantôt, nous organisons souvent des
causeries-débats afin de les inciter à fréquenter le CSPS,
surtout les femmes et les enfants qui sont les plus vulnérables. Nous
les faisons d'ailleurs de concert avec les tradipraticiens qui sont à
mon avis bien écoutés et respectés ici puis que les gens
les connaissent tous (entretien avec M, le 14/04/2012,
Diarrabakôkô).
Au travers de ces discours apparait la collaboration entre ces
deux médecines qui sont utilisées de façon
alternées selon la perception que cette population a de la
qualité et/ou l'efficacité des services. En effet, la comparaison
entre CSPS et les praticiens traditionnels témoigne de l'importance que
les enquêtés accordent aux services modernes du fait de la
crédibilité dans leurs diagnostics, en témoigne un
enquêté : « (...) Alors qu'au dispensaire le diagnostic
est précis, tandis que celui de la médecine traditionnelle est
imprécis et peut entrainer des dommages (entretien avec H.B.P,
le15/04/2012, Diarrabakôkô)».
Une herboriste ajoute : « (...),les gens partent
d'abord au dispensaire avant de venir nous voir. [... ] Si quelqu'un vient nous
voir pour une maladie, nous lui disons d'aller d'abord au dispensaire voir ce
qui ne va pas et ce qui pose problème avant de venir ».
(Entretien avec C.A, le 22/04/2012, Banfora).
Il ressort de ces discours que le recours direct au CSPS
témoigne d'une recherche de soignant compétent, mais
l'insuffisance de lit pour la mise en observation contraint les agents de
santé à libérer des malades parfois non guéris et
évacuent d'autres sur Banfora. Le tableau 11 donne un aperçu de
la distribution de la perception locale du traitement biomédical du
paludisme et la fièvre jaune en termes
d'efficacité/inefficacité.
3.4.1- Perception locale du
traitement biomédical du paludisme et de la fièvre jaune
Tableau 10 : Perception par maladie du
traitement biomédical
Perception traitement
Maladie
|
Efficace
|
Pas trop efficace
|
Inefficace
|
Ne sait pas
|
Total
|
Effectifs
|
0%
|
Paludisme
|
58,1%
|
40,7%
|
1,2%
|
0%
|
86
|
100%
|
Fièvre jaune
|
2,3%
|
25,6%
|
12,8%
|
59,3%
|
86
|
100%
|
Source: données du
terrain, Mars -Avril 2012 à Diarrabakôkô.
Ce tableau est important car il montre en premier lieu, que le
traitement biomédical du paludisme est efficace comparativement au
traitement de la fièvre jaune. En effet, 58,1% des enquêtés
trouve le traitement du paludisme efficace, seulement 2,3% le trouvent en cas
de fièvre jaune. L'efficacité, entendue en termes de diagnostic
précis et de disponibilité des médicaments
antipaludéens au début de la maladie du fait de la forte
consommation d'aliments sucrés comme l'atteste ce discours d'un
enquêté : « Le traitement du paludisme est bien surtout
avec les aliments que nous mangions aujourd'hui » (entretien avec
S.M, le 09/04/2012, Diarrabakôkô). Ce qui sous-tend que le
traitement au CSPS se résume à la prévention. Le terme
« pas trop efficace » fait allusion à la capacité de
cette médecine à calmer rapidement le mal (pourtant la
médecine traditionnelle guérie). Un enquêté avoue :
« (...)c'est comme les comprimés du paludisme qu'on vend au
dispensaire. Quand tu prends, ça ce calme et après tu vois, la
maladie revient (entretien avec H.B, le 12/04/2012,
Diarrabakôkô)».
En outre, le traitement biomédical de la fièvre
jaune est perçu inefficace par 12,8%, des enquêtés, contre
1,2% pour le paludisme. L'explication qui se dégage est que la
fièvre jaune est perçue comme une maladie dangereuse dont le
traitement par la médecine moderne peut conduire à la mort. Selon
des enquêtés notamment les tradi-thérapeutes, la
médecine traditionnelle est plus habilitée à traiter cette
pathologie. Deux praticiens témoignent :
« C'est une maladie qui n'aime pas la piqure. C'est
très dangereux de la traiter au dispensaire. ' 'Bana mi lo a ti
toubabou fia Je" (c'est une maladie qui n'aime pas médicament de blancs)
(entretien avec H.B, le 12/04/2012, Diarrabakôkô).
« Quand tu as à cette maladie, c'est mieux de
faire le traitement traditionnel car il est efficace. Au dispensaire, si on te
fait la piqure, tu peux mourir. Les docteurs (infirmiers) savent maintenant
c'est pourquoi, c'est si tu as le sumaya, ils te mettent l'eau (perfusion) ;
ils ne te piquent plus (entretien H.T, le 11/04/2012,
Diarrabakôkô).
Il ressort que, la représentation que l'on fait d'une
thérapie sur sa capacité à traiter telle ou telle
affection influence beaucoup sur son choix.
Par ailleurs, le constat de terrain révèle une
bonne qualité relationnelle soignants/soignés, entre praticiens
modernes et praticiens traditionnels en témoigne les
causeries-débats organisées par les agents de santé en
collaboration avec les praticiens traditionnels en vue d'inciter la population
à fréquenter le CSPS comme le note un agent de santé :
« Nous collaborons très bien avec eux. Ce sont eux-mêmes
qu'on met au-devant de nos sensibilisations surtout les femmes et les enfants
à fréquenter le CSPS en cas de maladies (entretien avec M,
le 14/04/2012, Diarrabakôkô) ». S'agissant de la
complémentarité entre ces deux médecines un informateur
atteste :« (...)«cunsigui challiani ti ce ka li a kelen
» (une tête touffue ne peut pas se raser seule
(entretien avec S.D., le 09/04/2012, Diarrabakôkô) ».
Mais, même si cela témoigne de la bonne qualité de
leur relation avec les infirmiers, il est à signaler que ces derniers
s'alarment à juste titre devant les retards de consultations, ce qui
justifie du même coup cette fréquentation accrue du CSPS comme
nous pouvons le constater à travers ces propos d'un agent de
santé :
(...) ils laissent quand la maladie s'aggrave avant de
venir ici. Donc pour éviter cela nous les exhortons à venir
consulter dès le début de la maladie surtout que le CSPS est
à côté. Ben ! Je peux dire que le message est passé
puisque la population fréquente maintenant (entretien avec M., le
14/04/2012, Diarrabakôkô) ».
De ce qui précède, il reste que la relation
prescriptrice-malade qui est une relation sociale construite diversement
à la fois selon le contexte dans lequel elle se déroule mais
aussi selon les protagonistes de cette relation. La caractéristique de
cette relation dans le cadre de notre étude a été
observée sur le rapport des enquêtés aux services
médicaux (consultation, hospitalisation) du CSPS.
Cependant, le recours immédiat des
enquêtés au CSPS s'inscrit non pas dans une logique de confiance
dans le traitement mais dans une logique de réduction du coût
d'utilisation comme l'attestent ces enquêtés :
« Mais, l'ordonnance du dispensaire est cher surtout
quand on laisse la maladie s'aggraver. On peut même t'envoyer au grand
hôpital de Banfora. C'est ce que les gens évitent raison pour
laquelle au début de la maladie ils se rendent là-bas avant de
venir continuer le traitement avec pour nous (entretien S. S, le
10/04/2012, Diarrabakôkô».
« Bon ! Ça dépend, si tu pars tôt
au dispensaire, le traitement du paludisme ne dépasse pas 1000F CFA. Ce
sont les comprimés que tu vas payer (entretien avec H.T, le
11/04/2012, Diarrabakôkô) ».
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