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Connaissances locales et modes d'utilisation des plantes médicinales dans le traitement du paludisme et de la fièvre jaune dans la région des cascades. Cas du village de Diarrabakoko.

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par Saliou SANOGO
Université de Ouagadougou - Mîtrise 2014
  

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II- Construction populaire du paludisme et de la fièvre jaune

La construction populaire de la maladie va au-delà de l'approche éthique pour s'inscrire dans une approche émique afin d'en déterminer l'étiologie, les symptômes et lui attribue une signification sociale. C'est ce qui relève du vécu subjectif de la maladie (le illnessen anglais). Prise ainsi, la maladie est une catégorie subjective dont l'interprétation dépend de l'expérience subjective, de l'enracinement de l'individu dans une réalité sociale et historique donnée (Charmillot 1997). C'est dans cette perspective que s'inscrit l'analyse de la perception du paludisme et de la fièvre jaune par la population de Diarrabakôkô. En effet dans la pensée des goins de cette localité, le paludisme et la fièvre jaune sont deux formes d'une maladie puisqu'ils conçoivent la fièvre jaune comme le stade suprême de gravité du paludisme, lui-même perçu comme « bana nunu bè bà no fà (le père et la mère de toutes les maladies) ». A cet effet, le tableau étiologique et symptomatologique ci-dessous nous donne un aperçu de la perception « profane » du paludisme.

Tableau 1 : Fréquences des causes et des symptômes du paludisme

Paludisme

Causes

Fréquences%

 

Symptômes

Fréquences%

Moustiques

53,50%

 

Fièvre

34,80%

Aliments

28,66%

 

Céphalées

05,73%

Humidité

7,64%

 

Courbature

14,10%

Saletés

10,19%

 

Troubles digestifs

37,44%

TOTAL

100%

 

Diarrhée

7,92%

 
 
 

TOTAL

100%

Source : données du terrain Mars -- Avril 2012 à Diarrabakôkô

Les catégories étiologiques retenues par les enquêtés s'annoncent ainsi : à l'agent pathogène le moustique (53,50%), s'ajoutent d'autres événements déclencheurs de cette pathologie tels que les aliments (28,66%), l'humidité (7,64%) et la saleté (10,19%). L'examen de ces données statistiques révèle une relative méconnaissance ou la non prise en compte de la

logique biomédicale de la transmission et de la contagiosité de cette maladie dans ce milieu rural dans la mesure où cette étiologie savante, basée sur les effets des moustiques, n'apparait pas dans l'énonciation étiologique de tous les enquêtés. Plus précisément, le lien de causalité entre les moustiques et le paludisme établi par le savoir biomédical, n'est pas toujours perceptible par les profanes. Et même s'il est, il est à signaler qu'ils n'arrivent cependant toujours pas à établir la corrélation entre l'homme, l'agent pathogène et le vecteur. De ce fait, tout en admettant cette conception biomédicale de la transmission, chaque individu en fonction de l'expérience vécue de cette pathologie, du contexte social et du « modelage culturel » va élaborer un paradigme de sa propre maladie afin de la rendre compréhensive et signifiante. En témoignent les propos de K.M:

Bon, les docteurs disent que les moustiques donnent « sumaya1(*)». Mais moi je pense que nos aliments qu'on mange maintenant, les eaux usées peuvent aussi envoyer sumaya. Si le moustique seul donne sumaya il faut dire qu'on allait tous tomber malade à tout moment, car chez nous ici à Diarraba les moustiques sont beaucoup (entretien avec K.M, le 14/04/2012, Diarrabakôkô).

Abondant dans le même sens un guérisseur s'exprime : «Bon selon moi sumaya vient avec les eaux usées. Mais les docteurs disent que si les moustiques te piquent ça amène sumaya. Nos aliments aussi (...) et la fatigue peuvent envoyer sumaya (entretien avec OD, le 09/04/2012, Diarrabakôkô)».

Il en résulte que ces discours populaires correspondent à une sorte de définition hybride associant la conception d'une étiologie médicale grassirienne et une étiologie empirique basée sur l'expérience subjective. Ce qui démontre que la maladie n'est pas seulement un fait biologique, mais aussi un fait social dont les représentations se relient à des conceptions plus générales et diffèrent d'une société à l'autre, d'un individu à l'autre. De plus, certains informateurs écartent la « causalité » moustiques dans leur discours. Dans ce sens deux enquêtés qui s'expriment en ces termes :

Sumaya ! Hum ! Chez moi ce sont les aliments qu'on mange maintenant. Le dolo mal préparé si tu bois et que ça ne te convient pas, ça peut te donner sumaya (entretien avec H.T, le 11/04/2012, Diarrabakôô ».

Bon !moi je pense que c'est notre alimentation de maintenant qui entraine sumaya. (...) Par exemple, les cubes maggi qu'on met dans nos aliments ; qui sait là où on fabrique et avec quoi on fabrique ? (entretien avec B.Z, le 10/04/2012, Diarrabakôkô).

Suivant leurs perceptions, ce n'est plus le moustique mais un déséquilibre alimentaire qui provoque le paludisme. Nous pouvons donc, sur la base de l'analyse qui précède, dire que ces discours relèvent d'une logique de causalité indirecte dans laquelle s'inscrivent les enquêtés pour expliquer la transmission du paludisme, étant donné que l'humidité, la saleté et les eaux usées sont des notions indissociables de cette maladie puisqu'elles contribuent à la prolifération des moustiques comme l'atteste un agent de santé : « (...) il y a énormément de moustiques ici à Diarrabakôkô dû peut être à l'existence du barrage à proximité. En plus de cela, il y a le problème de saleté, la présence des eaux usées et la cohabitation avec les animaux qui se posent (entretien avec M, le 14/04/2012, Diarrabakôkô)». Sur ce, le schéma de la causalité profane se présente comme suit :

Humidité +

Saletés +

Eaux usées +

251659776

Moustiques

251657728

Paludisme

 

251664896251658752251656704

251663872

Ainsi, sur la base d'un tel constat, apparait le rôle de l'espace qui joue un rôle important dans cette compréhension locale de la transmission du paludisme dans le village de Diarrabakôkô. Analysant la fonction de l'espace dans les processus de transmission ou de contagion de la maladie, Samuelsen soutient : « Is a condition agent which sends the sickness, to some extent share the same physical space. (...) if the condition for contagion to be possible includes sharing the same physical space, they also necessarily imply sharing the same social space » (Samuelsen 1999: 60- 61).

Du reste, l'information donnée par la biomédecine à propos de cette pathologie demeure à cet effet un simple « vernis » en dessous duquel persiste un savoir endogène, à partir duquel cette population ajuste leur « réseau sémantique » de cette maladie dont la pluralité, la variabilité et l'hétérogénéité leur permet de structurer constamment leur expérience en fonction des circonstances. Schématisés, ces discours se caractérisent par la confrontation de deux configurations de représentations contrastées : d'un côté la représentation biomédicale, et de l'autre, celle des profanes qui émane de l'univers consensuel. Autrement dit « l'élaboration à laquelle ils se livrent, s'appuie sur des ressources collectives qui sont utilisées et modulées différemment en fonction des expériences de chacun et des contextes dans lesquelles s'effectue le travail interprétatif » (Adam et Herzlich 1994 : 70).

Par ailleurs, l'analyse de l'état nominatif du paludisme dans cette localité permet de voir l'emprunt d'un vocable étranger par les enquêtés. En effet, ils emploient tous le même terme « sumaya » pour désigner le paludisme. C'est dire que la fraicheur de l'humidité est à l'origine de cette pathologie tout comme le terme « waangu » qui veut dire fraicheur en langue goin, mais rarement évoqué pour designer cette affection qui se caractérise selon la logique biomédicale par une manifestation fébrile. La dénomination est de ce fait étiologique étant donné que le mal se réfère à la saison à laquelle se produisent les symptômes même s'ils restent permanents toute l'année. C'est ce que soutient cet enquêté : «Bon... le paludisme nous on l'appelle ici « sumaya » en dioula. Hum ! C'est une maladie vieille et elle est présente maintenant à tout moment. Mais c'est beaucoup en début de saison pluvieuse (entretien avec K.D.P, le 15/04/2012, Diarrabakôkô)». Ce discours sur la récurrence de cette pathologie est soutenu par celui d'un agent de santé : « Le paludisme est présent à tout moment surtout à cause du climat de la région. C'est une zone endémique stable toute l'année. Il est moins fréquent entre cette période de mars-avril et plus fréquent de juin-août et même septembre (entretien avec M, le 14/04/2012, Diarrabakôkô».

De ce fait, la saison hivernale et la période des fruits (mangue, noix de karité...) constituent les contextes d'apparition de cette pathologie comme le note Meunier : « Le Burkina Faso est encore touché par les endemoépidemies, la combinaison environnement /condition climatique favorise le développement du vecteur du paludisme considéré dans les statistiques sanitaires comme la première affection du pays (2000 : 144) ».

Cependant, il est à signaler que le terme « sumaya » est un terme polysémique car un guérisseur nous en donne une autre connotation non pas dans le sens étiologique, mais plutôt dans le sens symptomatologique. Il affirme : « sumaya ne vient pas de l'humidité. C'est comme le rhume. Si tu as ça ton corps est chaud mais tu as froid c'est pourquoi on l'appelle souvent "fariganbana" (maladie du corps chaud) (entretien avec S.D., le 09/04/2012, Diarrabakôkô)». En général, le terme est employé en référence aux multiples fièvres des enfants comme la maladie « cônnô» dont les signes cliniques se rapportent à un oiseau qui aurait survolé la nuit au-dessus d'un bébé, dit un guérisseur :

(...) je soigne la fièvre qu'ont les enfants et qui est transmise par un gros oiseau qu'on appelle cônnô. Quand l'oiseau-là survole au-dessus du bébé la nuit dehors, il peut attraper cette maladie qui le fait trembler et son corps est chaud. Ça c'est aussi très différent de la fièvre de dentition (entretien avec H.T, le 11/04/2012, Diarrabakôkô).

Ce qui vient nous rappeler la réalité empirique de cette maladie étant donné que ses signes cliniques ne sont pas admis par la population locale et l'étiologie se rapporte à un oiseau.

D'ailleurs si les conceptions des enquêtés et les conceptions biomédicale convergent pour appeler le paludisme « sumaya » dans cette localité, c'est au niveau de la description des symptômes que le consensus est le plus manifeste. En effet, la configuration des symptômes énoncés par les enquêtés selon leur expériences subjective et objective de la maladie, se rapporte à la description donnée par un agent de la santé : « Les symptômes du paludisme sont la fièvre, les céphalées, les courbatures, vomissement, perte d'appétit et souvent la diarrhée cela dépend de l'organisme de tout un chacun » (entretien avec M, le 14/04/2012, Diarrabakôkô). En effet, si les éléments centraux de la conception des enquêtés sont les troubles digestifs 37,44%, et la fièvre 34,80% ; celle des tradi-thérapeutes, par contre relève la seule fièvre comme élément central qui accompagne les autres symptômes que cette population rurale appelle « sumaya » ou « faribganbana » en témoigne deux guérisseurs « si tu as le sumaya ton corps devient chaud, tu es fatigué et tu ne peux plus travailler » (entretien avec S.M, le 09/04/2012, Diarrabakôkô), un autre dit ceci : «sumaya, il commence généralement par le corps chaud (fièvre), tu as mal à la tête, si tu as le sumaya, ton corps est chaud alors que tu as froid. Tu vomis et pour d'autres même tu as la diarrhée » (entretien avec K.D.P, le 15/04/2012). Et un agent de santé soutient ce discours : « Au début de la maladie, le malade fait de petites fièvres ; mais comme je l'ai dit, les gens ne sont les mêmes, moi-même, je ne connais pas la fièvre, mais 80% des gens présente d'abord la fièvre » (entretien avec M, le 14/04/2012, Diarrabakôkô). Sur la base d'un tel constat, nous pouvons dire, que les symptômes sont appréhensibles par leur caractère sensible et chaque individu à sa façon particulière de présenter la maladie, dont l'identification des causes passe par l'interprétation des symptômes, variables selon les individus et selon « le modelage culturel qui englobe aussi au-delà de la perception et de l'expression des symptômes, ce qui est défini comme maladie dans une société donnée » (Adam et Herzlich 1994 : 60).

Par ailleurs dans la pensée goin de Diarrabakôkô le paludisme est une maladie évolutive dont les différentes variantes se structurent autour d'un axe classificatoire, variable selon la nature des symptômes dont la description débouche sur la fièvre jaune comme «l'ainé » du paludisme en témoigne un enquêté : « ni sumaya djougouyara, olo bi na ni djokajo ye. Dôgô ni kôrô) (si le paludisme s'aggrave, c'est ça qui entraine djokajo » (entretien avec S.D, le 09/04/2012, Diarrabakôkô). Ce qui est d'autant vérifié par ces données statistiques suivantes. En effet, à la question de savoir qu'est-ce que la fièvre-jaune, les enquêtés la perçoive comme le paludisme sévère à 80,77%, d'autres la connaissent comme la maladie qui change la couleur des yeux, des paumes soit 15,38%. Elle est perçue seulement à 03,85% comme une autre maladie.

Dans cette perspective, nous emprunterons la démarche et le vocabulaire de Dacher tel qu'elle expose ici : « La principale maladie (venue d'ailleurs) n'est pas une entité nosologique isolable, mais un continuum situé sur un axe de gravité croissant : sumaya- sumaya ba-sumaya guè- jakuajo. Cependant, cette gradation n'a rien d'absolu : Si sumaya est souvent plus bénin que sumaya ba (grand sumaya), sumaya guè (sumaya blanc) ou jakuajo, les termes de la série peuvent se chevaucher, se confondre voire s'inverser » (1992 : 165- 166). A cet effet, l'observation du tableau symptomatologique ci-dessous permet de percevoir cette conception de la fièvre jaune dans ce système médical sur un axe de continuum hiérarchique du paludisme.

Tableau 2 : Présentation des fréquences des symptômes de la fièvre jaune

Symptômes

Fréquences%

Fièvre

3,66%

Vomissement (jaune, vert)

39,78%

Tendance jaunâtre

43,55%

Constipation

10,22%

Source : données du terrain Mars Avril 2012 à Diarrabakôkô

Ainsi, en prenant le diagnostic comme point de départ de la sémantique médicale, pour cette population locale, le constat de terrain révèle une assignation du terme djokajo à 70,64% sumaya ba 20,18%, sumaya guè 03,66% et jaunisse 01,33% à des symptômes comme les troubles digestifs les plus importants (vomissement jaune, vert) évoqué à 39,78%, la tendance jaunâtre à 43,55%, la constipation à 10,22%, accompagnée de la fièvre 06,45%. Ce qui est soutenable par ces propos d'une enquêté :

C'est ça qu'on appelle ici jakuajo ou sumaya guè. Quand tu as cette maladie, tes yeux deviennent blanc le corps n'est pas chaud, mais seul le malade sait qu'il a chaud. Les articulations font mal. Mais quand les yeux sont jaunes, c'est ça qu'on appelle jaunisse. D'autre appellent aussi sumaya ba (entretien avec C. A, le 22/04/2012, Banfora).

De ce fait, il en résulte que l'interprétation des symptômes de cette pathologie relève de la «causalité a priori » qui renvoie aux causes premières de la maladie et se rapporte à un accès pernicieux du paludisme évoqué par les enquêtés à (89,7%).

Mais selon la logique biomédicale, la fièvre jaune est une maladie qui n'a pas de lien avec le paludisme. Ce sont deux pathologies différentes dans l'étiologie et dans la manifestation des symptômes, même si elles sont toutes des éco pathogènes. C'est-à-dire, des maladies liées aux facteurs climatiques et environnementaux. Le symptôme le plus manifeste de la fièvre jaune est une hémorragie gencivale. Un agent de santé révèle la confusion faite entre les deux maladies dans les discours populaires :

Bon ici, la population n'a pas de notions sur la fièvre-jaune. Elle la confond toujours avec l'Ictère communément appelé jaunisse, la typhoïde. Pour eux, la fièvre jaune est une aggravation du paludisme mal soigné (...) Souvent même il y a certains tradithérapeutes disent qu'il ya deux types de djokajo : djokajo simple qui fait jaunir les yeux, les paumes et djokajo guè qui assèche le sang et les yeux deviennent pâles (entretien avec M, le 14/04/2012, Diarrabakôkô).

Et pourtant, dans cette conception biomédicale, cela relève d'un état d'anémie sévère. A un autre informateur d'ajouter :

Pour la fièvre jaune, beaucoup de gens n'ont pas de notions la dessus. Que ce soit dans le monde urbain ou dans le monde rural, les gens continuent de confondre le paludisme, la jaunisse et la fièvre jaune. Pour eux l'aggravation du paludisme est la cause de lafièvre jaune que d'autres appellent sumaya ba, sumayaguè, djokajo, selon leur connaissances (entretien avec D.P.Z, le 20/04/2012, Banfora).

Cependant, à l'issue des différentes dénominations de cette pathologie précédemment présentée, il règne une certaine confusion aussi bien dans le domaine « populaire » que dans le domaine « savant » de la médecine traditionnelle, lorsqu'il s'agit de les situer sur un axe de gravité croissante en rapport avec l'évolution des symptômes évoqués.

En effet, les statistiques témoignent d'une perception différentielle chez les enquêtés. Si 12,79% disent ignorer l'évolution des symptômes, et 62,79% les voient non évolutifs, 24,42% les trouvent, par contre, évolutifs. Cette divergence de vue est aussi manifeste chez les guérisseurs.

(...). Elle sort dans les yeux, les mains, la plante des pieds jaune. C'est ce qu'on appelle djokajo ou sumaya ba. Elle se trouve dans le sang. Bon ! Toutes ces appellations c'est pour gagner de l'argent. Sumaya s'il s'aggrave, c'est ça qui amène djokajo ou sumaya ba (...) (entretien avec B.Z, le 10/04/2012, Diarrabakôkô).

Dans ce cas, l'évolution va de :

251660800SUMAYA SUMAYA BA / DJOKAJO / JAUNISSE

D'autres, par contre, disent :

« Hum ! djokajo, c'est une maladie mauvaise tu vois comme ça. Elle rentre dans le corps, dans le sang et même dans les os. En ce moment si tu vois le malade, tu sais rapidement car ses yeux, son urine deviennent jaunes. (...) Il y a deux qualités de djokajo : djokajo simple que je viens d'expliquer et si ça s'aggrave, ça amène djokajo guè. Ça, ça ne sort pas dans les yeux. Quand tu as ça tu es faible, tu ne te supporte plus (entretien avec HB, le 12/04/2012, Diarrabakôkô).

« La fièvre-jaune, nous on l'appelle aussi ici djokujo. S'il devient grave on l'appelle djokajo guè. Ça boit ton sang, les mains, les yeux deviennent blancs. (...) Mais au début, ça sort dans les yeux, les mains jaunes (entretien avec O.D, le 09/04/2012, Diarrabakôkô).

Envisagées de façon interprétative, ces différences de perceptions pourraient être expliquées par la trajectoire géographique différentielle des enquêtés et le degré d'insertion de chacun dans le système culturel local. Mais en essayant de préciser la sémiologie de ces différentes affections, on se rend compte qu'à chaque étape du processus d'évolution du paludisme ou « sumaya » correspond des termes se référant à des symptômes dont la visibilité maximale va de la tendance jaunâtre à la tendance blanchâtre des yeux et de la paume des mains. Ainsi, les termes sumaya ba (grand sumaya) / jaunisse / djokajo se rapportent à la première tendance ; tandis que sumaya guè, djokajo guè se réfère à la seconde tendance. En ce sens, le schéma de la gradation axiale de la maladie va de :

251662848251661824SUMAYA SUMAYA BA/ JAUNISSE/ DJOKAJO SUMAYAGUE/

DJOKAJO GUE

L'analyse de ces différentes terminologies de la nosologie met en lumière la logique de la dénomination et de la classification de cette pathologie dans la culture médicale locale. Ce qui signifie que « Les représentations du mal et de la maladie s'appuient sur une conception extériorisante. Elles renvoient à une interprétation sémantique située hors du malade » (Kalis 1997: 106).

Du reste, si les avis des enquêtés sur cette classification sémantique se contredisent, ils s'accordent en revanche pour reconnaître la gravité de cette pathologie. Aussi, les tradipraticiens sont unanimes à la considérer comme dangereuse car elle expose à l'hallucination, au délire, à la folie, voire à la mort lorsque le malade reçoit des injections dans un centre de santé moderne. Deux tradipraticiens témoignent :

djokajo, si ce n'est pas soigné à temps peut entrainer la folie. Le malade parle seul, il fait des rêves. En ce moment la maladie est entrée dans le sang ; si la personne part au dispensaire et qu'on le pique elle peut mourir (entretien avec K.M, le 14.04/2012, Diarrabakôkô).

Bon ! Si tu as djokajo, le corps n'est pas chaud, mais seul le malade sait qu'il a chaud. Il ne dort pas. Si tu ne meurs pas, c'est la folie ou la surdité. (...) Si tu as le djokajo, quand tu rotes, tu sens une odeur d'oeuf pourri (entretien avec S.M, le 09/04/2012, Diarrabakôkô).

A la lumière de ce qui vient d'être développé, il reste que l'expérience de la maladie englobe aussi les expériences individuelles que collectives, étant donné les perceptions des symptômes sont influencées par l'environnement socioculturel, la sémantique, et le statut social des agents sociaux. Ce qui nous amène à la conclusion selon laquelle « le diagnostic s'inscrit dans un triple espace différentiel (organique, psychologique et socioculturel) et qu'il génère une multiplicité de termes pour qualifier la même réalité pathologique » (Bibeau 1978 : 92).

Par ailleurs, l'examen du vocable djokajo permet de voir l'origine étrangère de cette pathologie dans la mesure où elle n'a pas de correspondances en langue locale goin ; Mais dans la langue véhiculaire (jula), il se rapporte à sumaya ba ou sumayaguè. Autrement dit, le terme djokajo serait à la Côte d'Ivoire ce que sumaya ba est à Diarrabakôkô. Et beaucoup de nos informateurs s'accordent sur le fait que cette maladie serait un effet induit par la dynamique migratoire entre leur localité et la Côte d'Ivoire, dont la frontière (Niangoloko) est située à 37 kilomètres. :

C'est là-bas qu'on voit beaucoup djokajo. Nos frères qui sont partis en côte d'ivoire, ce sont eux qui ont fait que la maladie est rentrée chez nous. Sinon avant, on ne connaissait pas cette maladie. C'est comme « kôkô » (hémorroïde) ; ça aussi, ce n'était pas connu ici (entretien avec H.B, le 12/04/2012, Diarrabakôkô).

Les discours populaires sur l'origine de la maladie confortent les résultats des recherches de Dacher qui datent de plus de deux décennies. À cette époque elle affirmait:

Depuis un demi-siècle, les migrations vers la Côte d'ivoire ont considérablement augmenté. Or l'opinion généralement admise en pays goin est que sumaya --jakuajo, d'apparition récente a été rapporté de la côte d'ivoire par les migrants, point de vue conforté par le fait que ces maladies ne portent pas de noms en langue vernaculaire. Cette manière de voir serait partagée par toutes les ethnies voisines qui connaissent une situation migratoire du même type (Dacher 1992 : 167).

2.1-Des sources de connaissances du paludisme et de la fièvre jaune

Les schémas de pensées générées autour de ces pathologies émanent d'une articulation entre l'approche « étique » et « émique ». En effet, dans la première approche, la maladie s'objective à travers les institutions (éducatives, médiatiques...) tandis que dans la seconde approche, elle s'objective dans le cadre des relations interpersonnelles. Ainsi, pour comprendre cet état de fait, essayons de relier le paludisme et la fièvre jaune à leurs sources de connaissance.

Les statistiques témoignent d'une forte représentation du réseau parental comme source de connaissances des deux pathologies. Mais une lecture détaillée laisse percevoir la prédominance à 42,24% dans le cas de la fièvre jaune contre 32,26% dans celui du paludisme. Le voisinage intervient également à plus de 30,43% dans la connaissance de la fièvre jaune que dans celle du paludisme soit 15,66%. Par contre la connaissance de cette dernière proviendrait plus de l'expérience vécue (28,57%) du fait de sa récurrence que celle de la fièvre jaune (11,18%). Cette situation laisse percevoir la place de choix accordée dans ce monde rural au réseau parental et à l'environnement social dans l'acquisition de connaissances sur ces faits de maladies.

Tableau 3 : Distribution des sources de connaissances par maladie

Maladies

Sources de

Connaissances

Paludisme

Fièvre jaune

Nombre

Fréquence (%)

Nombre

Fréquence (%)

Parents

70

32,26%

68

42,24%

Voisinage

34

15,66%

49

30,24%

Ecole

6

02,76%

0

0

0%

0%

Radio

45

20,74%

0

0%

Expérience

62

28,57%

18

11,18%

Migration

0

0

0

0%

26

16,15%

Total

217

100%

161

100%

Source : données du terrain Mars - Avril 2012 à Diarrabakôkô

En effet, l'imputation des connaissances de la fièvre jaune aux parents et au voisinage pourrait s'expliquer par la perception inhabituelle, c'est-à-dire moins fréquente et son caractère ancien du fait qu'elle aurait marqué l'histoire comme l'atteste un agent de santé : « C'est une maladie rare, nous-mêmes on essaie de chercher des cas de fièvres jaunes pendant nos campagnes de vaccination, car c'est une maladie sous hautesurveillance (entretien avec M, le 14/04/2012, Diarrabakôkô)». Par contre, le caractère à la fois "nouveau" et "ancien" du paludisme fait prévaloir l'expérience comme source de connaissance. Ces caractères en font un problème de santé publique qui le rend plus médiatique, ce qui explique les 20,74% attribués à la source radiophonique qui reste le seul canal de diffusion des informations dans ce milieu rural non électrifié. En outre, les 2,76% imputé à l'école, traduit le faible niveau d'instruction des enquêtés. Comparativement au paludisme où la radio et l'école sont des sources de connaissances, la connaissance de la fièvre jaune provient de la migration, soit 16,15 %. Ce qui permet de voir l'origine étrangère de cette maladie, en témoigne un enquêté : « Bon ! Toutes ces connaissances sur ces maladies, moi je les ai eu avec mes parents et aussi lors de mes voyages à Abidjan (entretien avec H.B, le 12/04/2012, Diarrabakôkô)».

L'examen de ces données permet de mentionner que l'origine différenciée des catégories de pensées profanes témoigne de la perception et de l'articulation différentielle des deux pathologies dans le temps et dans l'espace par la médecine moderne et traditionnelle. En effet, dans le monde rural, le savoir se transmet dans le cadre des relations interpersonnelles et dérive de l'expérience sociale. Cependant, il est à signaler que ces connaissances varient même en fonction de la structure sociale. En ce sens, l'on convient avec Adam et Herzlich que « la maladie et l'expérience qu'elle présente déborde la seule sphère médicale (1994 : 71)». Aussi, les connaissances sur les maladies débordent les sources institutionnelles (école, média) et intègrent les sources sociales (parents, voisinage) qui sont les premiers lieux d'acquisition des connaissances et de construction de ces réalités empiriques. La parentèle et le voisinage apparaissent alors comme des sources de légitimation des connaissances du paludisme et de la fièvre jaune par les populations locales.

Ainsi, c'est à partir de ces connaissances socialement élaborées que les individus vont choisir leurs voies de traitement ou de guérison parmi les gammes de voies disponibles dans le champ thérapeutique.

* 1Sumaya est un mot jula qui signifie la fraicheur ou l'humidité

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus