CHAPITRE III DU REGLEMENT DES LITIGES DU CONTRAT ENTRE
PERSONNES NON PRESENTES PAR VOIE ELECTRONIQUE : ELEMENTS DE SECURISATION
En même temps que le contrat est une source des
obligations, il peut également être une source de litiges entre
sujets de droit. Et en cas de litige, surtout pour le contrat à
distance, l'on se pose la question de la loi applicable et de la juridiction
compétente (section I). Et puis, en justice, les
parties seront appelées à produire les preuves ; il est alors
important que celui qui contracte par voie électronique sache dans
quelle mesure pourra-t-il produire la preuve du contrat électronique
(section II) ; et enfin quelques cas pratiques
(section III) viendront par la suite appuyer les points de vue
que l'on aura à émettre.
Section I Loi applicable et juridiction
compétente en matière de contrat à distance
Paragraphe 1 Notion de conflit de lois
Il est d'abord important que l'on définisse la notion
de conflit de lois, bien avant que l'on ne s'étale sur le
règlement du conflit de lois.
Comme le dit le professeur Yav Katshung, il y a conflit de
lois au sens du Droit International Privé, quand au moins deux lois
devant des systèmes juridiques différents ont vocation à
régir une même situation juridique individuelle et ce, quelque
soit le contenu de ces lois. Un conflit de lois se déclenche lorsqu'une
situation déterminée comporte un élément
d'extranéité, le rattachant à des ordres
juridiques différents102.
Le présent travail, ayant un aspect de Droit
international privé, il est donc légitime que l'on soit
intéressé par la question. Le contrat à distance conclu
par voie électronique, peut mettre en relation deux ou plusieurs
personnes n'ayant pas la même nationalité, ou n'étant pas
sur le même territoire.
102 YAV KATSHUNG, op.-cit., p.24
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La question que l'on se pose en général et dans
le cadre de ce travail en cas de conflit de lois, est celle de savoir
quelle loi allons-nous appliquer ?
Paragraphe 2 Règlement de conflit de lois
Le Droit international privé propose les solutions en
matière de conflit des lois ; on en distingue deux, d'après ce
qu'affirment certains doctrinaires. Ainsi le professeur Fréderic Leclerc
renseigne-t-il qu'il existe comme solution au conflit des lois ; la
règle matérielle de droit international privé ainsi que la
règle de conflit des lois103.
Les règles matérielles de Droit
international privé ou règle substantielles, sont
des règles qui énoncent des droits et des obligations constituant
l'ossature des droits subjectifs reconnus aux individus dans leurs rapports
réciproques (droit de propriété, droit de créance
d'origine contractuelle ou extra contractuelle). Elles définissent ainsi
la substance des rapports de Droit, d'où l'appellation des règles
matérielles substantielles.104
Le professeur Yav ajoute en disant que ces règles
matérielles se présentent souvent sous forme des
traités105.
Les auteurs ci-haut cités, disent que les conventions
ont l'avantage de donner directement la solution au conflit, contrairement
à la règle de conflit des lois ; qui permet seulement de
déterminer la loi qui peut être appliquée.
Mais disons que si l'on constate que des traités se
concluent en grand nombre en Droit international public, il n'en est pas de
même en Droit international privé ; les matières civiles
sont en général de la compétence des Etats eux
même.
Disons aussi que lorsque le contrat est conclu entre des
personnes étant en présence les unes des autres, on cherchera
dans ce cas directement à opter pour l'une ou l'autre de ces solutions.
Mais en cas de contrat entre personnes non présentes,
particulièrement celui conclu par voie
103 FREDERIC LECLERC, cours de Droit international
privé, master I Droit privé, Université des Antilles
et de
la Guyane UFR des sciences juridiques et économiques de
Guadeloupe, p.6
104 ibidem
105 YAV KATSHUNG, op.-cit., p.25
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électronique, l'on pense qu'il faudra d'abord localiser
le contrat ; et pour y arriver, l'on a besoin des éléments de
rattachement106.
C'est ce que dit Shandi Yousef lorsqu'il écrit : la
détermination de la loi applicable au contrat à distance exige au
préalable de trouver un élément de rattachement à
partir duquel le contrat en cause sera localisé au territoire d'un ou
plusieurs pays. Et suite à cette localisation, le juge saisi du litige
procède à la désignation de la loi applicable au
contrat107.
Rappelons que le contrat par voie électronique peut se
former en ligne et s'exécuter dans le monde réel108,
tout comme il peut se former et s'exécuter en ligne. Citons par exemple
le contrat consistant à télécharger de la musique ou des
fichiers. Et c'est là justement qu'il se pose une difficulté de
localisation de ce contrat, vu que le lieu de formation et d'exécution
du contrat surviennent dans un monde virtuel et non
réel.
Pour la localisation du contrat entre personne non
présente conclu par voie électronique, Shandi distingue deux
critères qu'il qualifie de contradictoires : l'un s'articulant sur une
localisation subjective du contrat en se
référant à la volonté expresse ou implicite des
parties, l'autre consistant au contraire, à localiser
objectivement le contrat109.
Pour ce qui est de la localisation subjective du contrat
à distance ou l'autonomie de la volonté, l'auteur écrit
que la localisation du contrat à distance se fait souvent selon la
règle de l'autonomie de la volonté par laquelle les parties
désignent par une clause particulière la loi applicable au
contrat et s'accordent à soumettre leur éventuel litige à
la loi d'un ou plusieurs pays.
Disons que cette règle est l'aspect majeur des rapports
contractuels et constitue un principe général universellement
reconnu. Ainsi, dans notre pays, elle découle de l'article 33 du code
civil livre III, au
106 Le lieu de la conclusion du contrat, la nationalité
des parties, ...
107 YOUSEF SHANDI, op.-cit., p.212
108 Philippe le Tourneau pense, et nous partageons son avis,
que le critère déterminant est le mode de conclusion et non son
exécution. Voir PHILIPPE le TOURNEAU, op.-cit., p.368
109 YOUSEF SHANDI, op.cit., p.213
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terme duquel « les conventions légalement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites
».
Le contrat est la loi des parties dit-on en Droit, celles-ci,
peuvent déterminer dans leur contrat la loi qui régirait leur
convention. Comme on peut le voir, la règle de l'autonomie constitue la
solution idéale en matière de conflit des lois pour les contrats
à distance.
Ainsi, la désignation de la loi applicable peut
résulter d'une simple clause inscrite parmi les conditions
générales du contrat et acceptée au moment de
l'échange des consentements. Elle peut également provenir d'un
accord distinct entre les parties et postérieur à la formation du
contrat110.
Disons alors, qu'au cas où une clause formelle de la
loi applicable fait défaut, les tribunaux cherchent, selon des
données subjectives, à déduire des certaines
manifestations des volontés, une référence implicite
à la loi adoptée.
YOUSEF affirme que la loi applicable pourrait alors dans
pareil cas être déduite des termes même du contrat
« d'après l'économie de la convention et les
circonstances de la cause »111.
Pour ce qui est de la localisation objective du contrat
à distance c'est-à-dire lorsque le contrat à distance
ne comporte pas de référence explicite ou implicite à la
loi applicable, SHANDI poursuit en disant qu'il sera localisé selon des
données objectives par lesquelles les tribunaux tiennent compte des
certaines circonstances qui entourent la formation ou l'exécution du
contrat ; de la nationalité commune des parties ; de leur lieu de
résidence ou leur domicile.112113
110 Ibidem, p.213
111 Ainsi, la référence à un texte d'un
ordre juridique déterminé pour régler un point
spécial de la convention, pourrait révéler l'intention des
parties de soumettre le contrat dans son ensemble à cet ordre
juridique.
Il en va de même pour l'emploi d'une clause attributive
de juridiction qui donne compétence aux juridictions d'un pays
déterminé et qui pourrait permettre de déduire une
intention tacite mais effective de rattacher le contrat à la loi de cet
Etat.
Il est également admis que lorsque les parties
emploient la formule d'un contrat type, conformément à la
législation d'un pays déterminé, une forte
présomption en faveur de la loi de ce dernier l'emporte.
112 YOUSEF SHANDI, op.-cit., p.216
113 Le lieu d'exécution du contrat, peut être
retenu comme critère de localisation à notre avis, mais seulement
lorsqu'il est déterminé ou néanmoins déterminable,
c'est-à-dire que le rattachement aux lieux d'exécution du
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Par contre, ces mêmes règles ne peuvent
être applicables à un contrat conclu par voie électronique,
par essence, immatériel et souvent international qui rend les lieux de
conclusion et d'exécution incertains114 !
Cette spécificité dit SHANDI, est commune
à tous les contrats conclus à distance et exige alors une
solution unique115. Ainsi considère-t-on à ce sujet,
comme cela fut bien dit supra, que le contrat sera considéré
comme étant conclu soit dans le pays de l'offrant qui a initié la
proposition de conclure par voie électronique, soit dans le pays de
l'acceptant qui a reçu cette pollicitation.
Leur localisation se limite donc à un choix entre le
pays du pollicitant ou celui de l'acceptant. Cette solution est commune
à tous les contrats conclus à distance et ne soulève selon
YOUSEF, plus, que la question de la preuve « de la présence
d'une personne en un endroit donné, à un moment donné
».116
Mais quelle est la loi qui devrait être
privilégiée : celle du pollicitant ou celle de l'acceptant? Sur
quel(s) critère(s) ce choix doit-il se faire ?
Les Conventions de Rome du 19 juin 1980 et de La Haye du 15
juin 1955 portant respectivement loi applicable aux obligations contractuelles
et loi applicable aux ventes à caractère international d'objets
mobiliers corporels, prévoient des solutions proches en matière
de conflit des lois applicables aux contrats à distance. Elles adoptent
en effet, comme
contrat ne peut localiser un contrat à distance que
dans le cas où l'exécution du contrat se réalisent dans le
monde réel.
Le lieu d'exécution de ce contrat devient incertain
à partir du moment où il s'exécute en ligne faute d'une
réelle dissociation dans l'espace entre le lieu de mise à
disposition du bien dématérialisé et celui de son
téléchargement.
114 En réalité, cette incertitude ne trouve pas
sa source dans le fait que le contrat est conclu sur un support
immatériel tel qu'Internet mais plutôt dans l'absence de contact
physique entre les parties au moment de l'échange des consentements.
115 YOUSEF SHANDI, op.-cit, p.217
116 Ibidem. S'il faut se loger dans la logique de SHANDI, l'on
peut dire que la localisation du contrat électronique, par essence,
immatériel, ne dépend plus des lieux de formation et
d'exécution du contrat mais à partir de la localisation des
parties au moment de la formation du contrat, on déduit la loi
applicable
~ 62 ~
élément de rattachement principal, la loi
d'autonomie qui reconnaît aux parties une très grande
liberté dans le choix de la loi applicable.117
En outre le juge peut écarter une loi choisie par les
parties en évoquant l'ordre public ou la fraude à la
loi118.
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