§2 Le lien entre mauvaises performances et
remplacement des dirigeants
Le ratio Tobin's Q des firmes ayant subi un turnover complet
est 0.734 ce qui est 27% inférieur au ratio moyen des firmes non
rachetées (0.932) (Morck, Shleifer et vishny 1989). D'après ces
auteurs, les cibles des rachats après lesquels les dirigeants de la
cible ne sont pas remplacés ont en moyenne des performances 4.35%
supérieures à la moyenne de leur industrie ; tandis que les
cibles des rachats après lesquels les managers sont remplacés ont
en moyenne des résultats 15.38% inférieurs à la moyenne
de leur industrie . On a donc une mise en évidence du rôle
directement disciplinaire joué par les OPA, qui permettent de remplacer
l'équipe managériale lorsque le conseil d'administration ne veut
pas ou ne peut pas le faire (Martin et Mc Connell 1991) .
Mikkelson et Partch (1997) ont comparé le turnover du
management des firmes industrielles américaines non rachetées
durant une période où les OPA furent nombreuses
(1984 à 1988) et durant une période où les OPA furent
moins nombreuses (1989 à 1993). Ils trouvent que parmi les firmes
appartenant au plus bas quartile de performance (mesurée par le ratio
revenu/actifs), 33% connurent un turnover complet (PDG et président
du conseil) durant la période d'OPA active , alors que seulement 17% des
firmes appartenant au quartile de performance le plus bas connurent un turnover
complet entre 1989 et 1993.
Les auteurs trouvent que parmi les firmes qui n'ont pas
été rachetées, la relation inverse entre la performance et
la probabilité de remplacement des managers disparaît durant la
période où les OPA sont moins nombreuses. Nous serions
tentés d'expliquer cela en disant que c'est la pression disciplinaire
exercée par la menace d'OPA qui aide les conseils d'administration
à se débarrasser des managers inefficaces . Cependant, la
période où les OPA furent moins nombreuses (1989 à
1993) inclue une phase de récession qui peut servir à expliquer
la faiblesse du lien entre les mauvaises performances et le turnover des
managers. En fait les résultats de Mikkelson et Partch sont difficiles
à interpréter car nous n'avons pas de certitudes quand aux causes
de la diminution du nombre d'OPA à la fin des années 80 (une
partie du chapitre 5 sera consacrée à cette question). Si l'on
considère que ce sont les pilules empoisonnées et les lois
anti-OPA qui sont à l'origine de la fin de la vague d'OPA, (Coffe 1991,
Pound 1992 cités par Danielson et Karpoff 1998 ) on peut
considérer qu'elles sont aussi responsables de la baisse du turnover
managérial dans les entreprises en difficulté (les pilules et les
lois isolent les managers de la discipline imposée par le
marché). Cependant d'après Comment et Schwert le déclin
de la vague d'OPA est plus lié à la récession et au
crédit crunch qu'aux pilules empoisonnées et aux lois anti-OPA.
Si l'on s'en tient à ces explications, on aura plutôt tendance
à expliquer la baisse du turnover managérial dans les entreprises
en difficulté par le fait que durant une crise économique, les
managers ne sont pas complètement responsables des mauvaises
performances de leurs entreprises et que les administrateurs en tiennent compte
(Mikkelson et Partch 1997).
Ainsi, l'industrie américaine a été
transformée, adaptée à un nouvel environnement grâce
à l'outil OPA . L'analyse des faits confirme que les OPA ont bien
servi à adapter des entreprises et plus largement des industries
à des changements brutaux qui ont pris au dépourvu les managers.
Ces chocs ont mis en évidence l'incapacité des dirigeants et des
conseils d'administration à restructurer radicalement leurs entreprises
alors que cela était nécessaire. Ainsi des raiders comme Carl
Icahn ou James Goldsmith ont forcé l'industrie américaine
à se restructurer malgré la résistance sociale. Ces
rachats ont permis aux actionnaires de percevoir des primes d'un montant
pouvant aller jusqu'à 50% de la valeur des actions ; ce qui
était inespéré pour eux . Les raiders ont montré
que l'inefficience des firmes n'était pas inéluctable et qu'en
mettant en oeuvre une gestion rigoureuse il était possible de verser des
dividendes colossaux aux actionnaires .
Si les OPA ont été si nombreuses et les primes
si élevées durant les années 80, c'est bien parce que les
offreurs avaient compris que racheter des entreprises pour les restructurer et
les réorganiser constituait une activité très
lucrative . Durant cette vague d'OPA on peut considérer qu'il y a
eu deux types de rachats : les rachats d'une entreprise par une autre qui
conduisent à des restructurations et aboutissent à une fusion et
les rachats LBO (leveraged buy out) lors desquels des financiers
rachètent une entreprise cotée, lui font quitter le marché
, la restructurent et la réorganisent afin de rembourser les prêts
contractés. Dans le chapitre qui va suivre nous verrons plus en
détail, notamment en nous intéressant aux LBO , quelles
sont les sources des gains issus des rachats.
|