La résistance au marketing dans le secteur agro-alimentaire.( Télécharger le fichier original )par Aliénor Miroudot INSEEC Lyon - Master 2 Marketing, Communication et Stratégies commerciales 2016 |
CHAPITRE 3 : L'ART DES ENTREPRISES DE S'ADAPTERFace à ces mutations comportementales, il apparaît donc que le consommateur détient un pouvoir grandissant de moins en moins contrôlable par les firmes et les industries agroalimentaires et surtout le marketing. Ils doivent s'interroger sur leur rôle et revoir leur « capital marque » (Aaker, E. Roux, 2007) pour ne pas se retrouver définitivement exclu ou très mal perçus dans ces nouveaux modes de consommation. Le marketing doit prendre en compte les évolutions sociétales, même s'il n'est pas en mesure d'identifier et de quantifier tous les changements pour favoriser le progrès dans notre société. Ainsi on s'aperçoit que ces acteurs utilisent les notions d'éthiques au coeur de leur stratégie. On voit ainsi partout des refontes de stratégies d'entreprise, marketing, de communication, des entreprises qui développent de nouvelles marques avec de nouvelles offres. La dimension de développement durable est aussi définie par le cadre législatif. En effet, à propos de la consommation locale en Janvier 2016, l'Etat Français a réagi face à « l'attente citoyenne » des consommateurs. Après des études sur l'impact des pratiques de l'industrie agro-alimentaire sur notre santé, la députée EELV B. Allain cherche à introduire considérablement la notion de « manger local » dans les restaurations collectives publiques 21 qui devront à partir de 2020 proposer 40% de produits locaux dans leurs offres. Ce cadre législatif contraint les entreprises à revoir leurs stratégies et à adopter de plus en plus un comportement éthique. Le fait de devoir les obliger à agir interroge sur leur rôle social dans la société. Est-ce que la valeur marchande est-elle plus importante que la valeur éthique ? 19 Miramap : http://miramap.org/ 20 http://www.ademe.fr/ 21 Rapport Ç Manger local È : https://brigitteallain.eelv.fr/wp-content/blogs.dir/736/files/2015/07/Synth%C3%A8se-du-rapport-Et-si-on-mangeait- local.pdf 26 1- Le marketing en pleine mutation A travers son influence sur la consommation, le marketing joue aussi un rôle « politique » dans notre société, dans le sens où il s'est propagé à toutes les organisations pour tendre à couvrir l'intégralité du marché (E. Remy, 2007). D'ailleurs, dans un système capitaliste, le marketing transparaît comme « le spécialiste de la médiation marchande (F. Cochoy, 1999), dont l'objet est « d'élaborer des relations d'échanges satisfaisantes » (J.L. Baker, 2000). Ainsi, le consommateur est définit comme une « source de valeur » pour les entreprises (Roux D. 2014). Néanmoins ces évolutions poussent les individus à remettre en question plus régulièrement le rôle des firmes et des offres, ou à faire acte de résistance volontaire. Le marketing rencontre de nouvelles problématiques où son rôle social et politique est à repenser dans l'organisation des marchés. Aujourd'hui, il s'appuie fortement sur « la subjectivité » (E. Remy, 2007) faisant appel à l'affecte et à l'émotion pour séduire et valoriser la relation avec le consommateur. Le marketing est de plus en plus interrogé dans la pertinence de son rôle vis-à-vis des consommateurs. L'évolution des comportements de consommation change avec l'évolution idéologique du marketing (E. Remy, 2004) Le marketing est une forme de recherche expérimentale, de tout temps, il a renouvelé et amélioré ses pratiques, pour être sûr de satisfaire. On aperçoit que « les réactions d'insatisfaction des consommateurs » à l'égard des firmes ont permis au marketing de les « récupérer dans un espace marchand » (O. Hirschman 1983, E. Remy 2007). Après avoir abondé le marché d'offres et d'informations autour d'un marketing conventionnaliste « construire des sujets, des objets et des énoncés conformément à ses intérêts » (G. Marion, 1992), il a laissé place aujourd'hui a une nécessité de tout connaître, contrôler et modifier. Cependant, cette ère où le marketing « cadrait l'interaction » (S. Barrey, 2002) et sa position dominante a laissé transparaître ses limites et est à l'origine de nouvelles interrogations. Les outils utilisés par le marketing pour mesurer la satisfaction, la fidélité et la confiance dans une vision positive, pour capter les consommateurs en permanence, etc sont d'autant plus limités qu'ils ne prennent pas en compte leurs opposés, ou des éléments externes à la relation comme le rôle citoyen du consommateur. Le marketing est face à un consommateur informé, responsable et équipé pour choisir et s'exprimer (T. Mallard, 2000), capable à présent, de passer au travers des techniques de récupération. Il est alors nécessaire que le marketing intègre « la sociologie de la traduction » (D. Roux, E. Remy 2008), car face à ces nouvelles problématiques, les consommateurs « font l'objet de multiples enjeux » au sein d'un réseau (Callon, 1986 ; Latour, 1989 ; Latour et Woolgar, 1979 ; Akrich, Callon et Latour, 2006), avant de s'opposer à une offre. Le marketing doit intégrer cette traduction qui met en lumière les variables et les contextes à l'origine des mutations sociales, pour que le marketing permette à nouveau un « échange de valeur fructueux pour les deux parties » (D. Roux, 2012). Pour 27 cela, il se doit d'impliquer réellement le consommateur (dans une démarche sociale et non financière) dans la définition de l'offre (M.A. Dujarier, 2008), pour favoriser par exemple le marketing collaboratif. Le rôle du marketing est avant tout de créer des représentations qui permettent aux consommateurs de s'identifier. Le marketing doit s'émanciper de cette image dominante pour ne pas générer de résistance et élargir son champ de vision à un « réseau » dans lequel il convient d'intégrer ces autres éléments (E. Remy, D. Roux, 2008). Il apparaît comme plus efficace d'impliquer le consommateur et ses actions dans des démarches plus globales et de réseau des firmes, au regard de leur « intégration naturelle dans des pratiques existantes » (B. Latour, 1999). Ainsi, le consommateur aura plus de difficulté à mettre le doigt sur les éléments dissonants. En endossant le rôle d'acteurs « responsables », les firmes s'inscrivent dans une logique de compréhension des problématiques sociétales au coeur d'un réseau mondial qui permet de déstabiliser le consommateur, et de présenter leurs engagements comme valeur ajoutée, utilisée à bon ou à mauvais escient. Bien que les consommateurs soient impliqués dans ces nouveaux enjeux, les contestations prennent source généralement face aux stratégies et tactiques employées par les firmes (M. Certeau, 1990). Le marketing collaboratif peut-être une solution pour créer de la valeur en l'impliquant directement dans la stratégie pour faire évoluer l'offre. Dans le cadre du secteur de l'alimentaire, la résistance des consommateurs cause « la marginalisation de la consommation et des modes de vie » (Hivet 2012) et poussent les consommateurs à se replier sur des circuits alternatifs. Les nombreuses crises et les évolutions sociétales ont favorisé l'émergence d'un consommateur-citoyen pour qui la « conscience éthique » est primordiale et peut-être source de « non-adhésion » en faveur d'une marque ou d'un modèle (M. Micheletti, 2003). Ainsi, les entreprises doivent intégrer ces nouvelles dimensions, apparues sous forme de marketing durable ou éthique, pour ne pas encore plus exclure le consommateur de ce système, mais pour l'intégrer afin qu'ensemble ils favorisent un progrès. Cependant est-ce simplement une technique de récupération des consommateurs pour les entreprises, ou est-ce une réelle stratégie de fond visant à améliorer les structures existantes des marchés ? D'autant plus que cette nécessité de changer, et les mutations des comportements de consommation apportent de nouvelles opportunités aux firmes d'un point de vue à la fois économique, ou sociétal. La résistance des consommateurs porte sur les techniques jugées abusives des la part des consommateurs, il apparaît tout à leur honneur de ne pas délaisser les avis des consommateurs en pensant trop simplement pouvoir les influencer, car aujourd'hui ils détiennent tout de même le pouvoir d'achat, ce qui assure la survie de l'entreprise. Il est bien connu que les entreprises mettent beaucoup de temps à construire une image de marque différenciante et pérenne, mais elle peut être anéantie en quelques minutes. Le marketing se doit d'intégrer les nouveaux enjeux de consommation et de s'en accommoder parce qu'à long terme la logique marchande finira 28 peut-être par céder. En attendant, les firmes réagissent en développant de nouvelles offres plus ou moins adaptées. 2- La RSE (Responsabilité Sociétale de l'Entreprise), une réponse à la critique consumériste éthique L'utilisation du marketing éthique apparaît aujourd'hui comme « un sujet d'intérêt cyclique » (C. Szocs, 2013) conformément aux vagues cycliques de réappropriation des marques (O. Hirschman, E. Remy, 2007). Si les démarches RSE des firmes peuvent paraître dérisoires dans la sphère marchande, il n'en est pas moins qu'elles ont compris le pouvoir de leurs diffusions comme stratégie de récupération des consommateurs pour certains, ou comme apport de valeur pour d'autres. La RSE ou plutôt responsabilité sociétale de l'entreprise est un concept dans lequel les entreprises intègrent des préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et dans leur interaction avec leurs parties prenantes . Les entreprises sont conscientes des effets d'une communication durable sur 22 les consommateurs. Selon l'étude Green Brands, en 2011, 30% des Français affirment que l'intérêt de l'entreprise pour l'environnement est un critère très important, 58% trouvent cela « assez important». 41% des interrogés étaient prêts à dépenser plus que l'année précédente pour ces marques engagées23. Ainsi, « dans un univers concurrentiel où les batailles commerciales gagnent sur le terrain de l'image » (G. Lipovetski, 1992) les firmes valorisent ou dissimulent de nouvelles caractéristiques aux produits pour se démarquer. Mc Donald's par exemple, grand acteur sur le marché des fast-food, à entièrement changé sa politique RSE. On a pu percevoir ce changement à travers la refonte de la communication axée sur l'écologie, changement de couleur du logo en vert, traçabilité et origine des produits affichées, alors qu'il reste un acteur de fast-food, extrêmement pointé du doigt dans les problèmes de « malbouffe ». Dans le secteur agro-alimentaire, des études ont révélé qu'il existe un réel lien entre ces nouvelles pratiques et des évolutions comportementales réceptives (Aouina, Benhallam, 2010) En cherchant à capter le consommateur, les entreprises ont introduit la notion de développement durable, entrainant l'accroissement de l'intérêt public pour ces enjeux (E. Remy, 2007). Par exemple, l'individu a du mal à faire la différence entre « responsable », « éthique », et « durable.» Cette prise de conscience reflétant 22 Définition RSE : http://audit-rse.com/definition-rse/ 23 Etude Green Brands 2011 : http://www.marketingdurable.net/les-resultats-de-letude-green-brands-2011 29 l'attente citoyenne des consommateurs, ont a amené les firmes à utiliser d'autant plus d'outils marketing pour valoriser au mieux leurs points de différenciation... L'essor de signes de qualité dans les rayons des magasins alimentaires a pour objectif de mieux informer le consommateur, mais qui au final l'a noyé dans une multitude d'informations, d'étiquettes, d'appellations qui cumulées s'avèrent de plus en plus complexes à déchiffrer et qui perd le consommateur. Pour les labels alimentaires, par exemple, on dénote les labels nationaux, régionaux, industriels, gouvernementaux, etc. En effet, les entreprises ont tenté de développer des symboles pour rassurer le consommateur, qui l'ont plongé dans une « cacophonie diététique » (C. Fischler, 1995). Ces stratégies incitent le consommateur à revoir sa perception du produit parmi un ensemble de facteurs cognitifs qui évaluent la satisfaction par l'usage du produit, mais aussi dans sa plus-value (Pontier, Faddy, 1999.) Aujourd'hui 48% des français pensent qu'il y a trop de communication autour du produit alimentaire durable . 24 Le marketing « durable » est perçu comme un outil supplémentaire par les entreprises à 25 travers des certifications, répondant à des normes, favorisant l'éco-conception, utilisant une multitude d'ingrédients aux bénéfices nutritionnels, tant d'éléments qui au lieu de rassurer le consommateur, le renvoie à des besoins de sécurité et d'authenticité qui le pousse à favoriser des solutions alternatives. Face à l'engouement pour les produits locaux et régionaux, tout le secteur alimentaire dispose d'un nouveau marché de niche impliquant de belles opportunités. Les mouvements associatifs régionaux ont poussé les industries agro-alimentaires à développer des marques régionales et locales, qui peuvent permettre à des petites structures d'intégrer les linéaires de la grande distribution. Bien que cette offre soit pour l'instant très peu développée, elle tend à s'accroître. La notoriété du localisme sert d'autant plus aux distributeurs, qui 10 ans, après le lancement de leurs marques de distributeurs, comme la marque « Nos régions ont du talent » de E. Leclerc profitent pleinement de cette tendance et de pouvoir développer des partenariats avec des structures locales favorisant leur bonne image auprès des consommateurs. Néanmoins, il est plus facile de pouvoir adapter son offre et son approvisionnement sur des groupements d'indépendants, comme Système U qui propose un assortiment de produits régionaux depuis 2009. Ce tournant est plus délicat pour les distributeurs intégrés comme Carrefour, qui revoit intégralement leur structure pour s'adapter. Mais leurs engagements, qu'is soit dans un but purement marchand ou non, ont permis tout de même d'améliorer leurs performances en développement durable. 24 Les Chiffres de la consommation responsable 2013 - Annexe
www.mercator-publicitor.fr/IMG/pdf/Mercator Debat developpement durable.pdf 30 Infographie de la Distribution responsable en 2014 par rapport à 201226 26 Etude Essec 2014 : http://www.grandprix-distributionresponsable.com/ 31 |
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