La résistance au marketing dans le secteur agro-alimentaire.( Télécharger le fichier original )par Aliénor Miroudot INSEEC Lyon - Master 2 Marketing, Communication et Stratégies commerciales 2016 |
CHAPITRE 2 : CONSOMMATION LOCALE & LOCAVORISME : FIGURE DECONSOM'ACTION DANS LE SECTEUR AGRO-ALIMENTAIRE Dans le cadre du secteur agro-alimentaire, les notions de mondialisation et de surconsommation ont complètement modifié nos codes. Nos parents et nos grands-parents ne connaissaient pas toutes les denrées que nous avons aujourd'hui. L'apparition des circuits de grande distribution tels que les supermarchés, réunissent tous les produits alimentaire sdans un même point de vente. Le développement industriel permet le développement d'une offre plus globalisée, avec des produits uniformisés présentés à des prix souvent très bas, ont poussé les consommateurs à s'engouffrer dans une sur-consommation alimentaire. Le développement de ce modèle et des techniques industrielles a eu des conséquences sur notre Terre, sur nos valeurs et relations sociales et sur notre propre identité, qui sont à l'origine de critique au consumérisme. Pour simplement diffuser l'information et réunir des consommateurs autour de valeurs communes éthiques, les « consom'acteurs » résistants ont fait émerger de nouveaux mouvements militants comme le Slow Food et les locavores, mais aussi dans le but d'affecter les firmes et de tendre à des changements. Agissant à la fois comme client et citoyen, il est intéressant d'évaluer le rôle qu'ils jouent dans nos modes de 17 18 consommations alimentaires et l'impact de leur résistance. Dans ce chapitre, je vais définir le concept de locavorisme à travers son origine et ses conséquences sur les marchés, à travers son profil de résistance au consumérisme alimentaire. Enfin je donnerai un cadre à ce nouvel écosystème généré. 1- Origine et concept du locavore Le « Locavorisme » est un mouvement apparu il y a dizaine d'années aux Etats-Unis. En s'appuyant sur la notion de « Food Miles » définit par T. Lang dans les années 1980 (A.S. Novel 2010), il consiste à s'interroger sur les kilomètres que parcourent nos produits alimentaires. Le terme a été employé pour la première fois par J. Prentice, étudiante à San Francisco, qui, lors de la journée mondiale sur l'environnement, a mis au défi les habitants de sa ville de ne consommer des aliments exclusivement produits à moins de 160 km de chez eux. Depuis, le mouvement est né et a rapidement connut un franc succès. D'un point de vue étymologique, en latin, le terme locavore est la fusion de deux termes « locus » qui signifie local, et « vorare » le fait d'avaler quelque chose. Les locavores sont des consommateurs qui favorisent une alimentation locale. Ils se définissent comme « un groupe d'aventuriers culinaires qui tend à consommer des aliments produits à moins de 160 km de leur ville » (A.S. Novel,2010). Le locavorisme a pour objectifs principaux de réduire l'impact de notre consommation alimentaire sur l'écologie et de maîtriser la traçabilité des produits alimentaires. Pour devenir locavore, les consommateurs doivent respecter trois principes : S'alimenter de produits ayant une distance limitée à 200km maximum entre le lieu de production et celui de consommation: consommer uniquement des produits frais; et de saison, et enfin consommer des produits issus d'une production raisonnée, durable, écologique (A.S. Novel, 2010). Le site officiel des locavores les classifie selon 3 profils de consommation qui ont chacun leur propre « dimension alimentaire » (A.S. Novel, 2010). De ce fait, on distingue les « ultra-stricts » qui ne consomment que des produits locaux, les « Marco Polo6 » (profil le plus courant) qui consomment essentiellement des produits locaux, mais qui accordent des exceptions pour certaines denrées telles que les épices (thé, café, etc). Dans ce cas précis, ils favorisent des produits issus du commerce équitable. Enfin, les consommateurs qui consomment local, sans que ce soit une « obligation », et qui ne s'inscrivent pas nécessairement dans le mouvement locavore. 6 Marco Polo : eatlocalchallenge.com 19 Le locavorisme tire son origine dans le concept du « localisme », un mouvement d'actualité, alors que cette pratique correspond à celles de nos grands-parents vivant dans des milieux ruraux qui ne consommaient quasiment que des produits locaux. Dans les années 80, le Slow food a revalorisé ces pratiques en sensibilisant les citoyens à « l'éco-gastronomie » soucieuse de l'état de nos assiettes et des problématiques environnementales7. Le mouvement a très rapidement connu un succès aux Etats-Unis où la « Junk Food » est de plus en plus critiquée. Au regard de sa notoriété, en 2008, le terme « Locavore » a fait son apparition dans le New Oxford American Dictionnary comme une « personne qui recherche de la nourriture produite localement » et est nommé « mot de l'année » dans la foulée par l'Oxford University Press. Le mouvement s'est très vite répandu au Canada et en Europe. En France, il a pris du temps à s'installer, en effet comme le souligne Alexis Botaya, ingénieur agronome et président du mouvement « Vraiment durable » en France, on n'a pas le même rapport aux distances, aux transports (É) La notion de terroir est encore très présente. Il existe des labels, des garanties d'origine et la traçabilité des aliments sont meilleures.» Mais pour protéger un patrimoine alimentaire classé à l'UNESCO depuis 2010 8, les Français ont vite adopté les principes de ce mouvement. En quelques années, le mouvement s'est installé durablement dans nos modes de consommation. Des essais tels « The 100 miles Diet » d'Alisa Smith et James McKinnon et des romans comme celui de Barbara Kingsolver ne cessent de valoriser le concept à travers le récit de leurs expériences afÞchées dans tous les médias. Le mouvement a connu une telle notoriété, qu'on voit émerger des restaurants locaphiles qui proposent des produits locaux, 9 comme le restaurant Notre Maison approvisionné quotidiennement par le marché de la Croix-Rousse à Lyon. En France, des chefs cuisinier se sont appropriés le concept en valorisant les produits locaux dans nos assiettes. La grande distribution s'est même emparée du concept et propose des produits locaux et régionaux aux Etats-Unis et en Europe, comme on peut le voir avec E. Leclerc. Cette enseigne a développé une stratégie de partenariats et d'alliances locales, qui fonde sa communication uniquement sur cette gamme de produits. On constate un développement en croissance comme les marchés de producteurs, des AMAP (Association pour le maintien de l'agriculture paysanne), qui recensent 270 000 consommateurs en 2012 , ou le développement de fermes et de coopératives. 10 7 Rapport Ecoconso E.Leclerc 9 http://www.locaphonic.org/Definitions.html 10 http://www.alliancepec-rhonealpes.org/ 20 2 - Le locavorisme : résultat de la critique consumériste La consommation locale comme « un acte politique, écologique, éthique et un acte de résistance pacifique à tous les systèmes qui tirent leur puissance économique de la confiscation du droit des peuples à se nourrir par eux-mêmes » (P. Rabhi, 2012). Les pratiques employées par les industries agroalimentaires et la grande distribution apparaissent comme un « non-sens » (E. Birlouez, 2015) pour les consommateurs qui s'interrogent sur des problématiques sociétales et de développement durable. Ils font preuve de « Résistance ouverte et avouée aux pratiques du marketing institutionnalisé » (Austin, Plouffe, Peter, 2005) qui remettent en question la confiance du consommateur. Ils adoptent alors des attitudes sceptiques définies comme le fait de « ne pas croire le contenu de l'offre » (Oberillier et Spangenberg, 2010), ou cyniques, soulignées comme le fait d'avoir des « soupçons sur les intentions, la fidélité et la bienveillance » (Kanter et Wortzel, 1985) à l'égard de l'environnement et de lui-même. Malgré un pouvoir d'achat revu à la baisse plusieurs fois ces dernières années, le consommateur fait le choix de « consommer moins, mais consommer plus malin » (Vidal/Sipa, 2014). Il va consommer de manière plus responsable, en intégrant les conséquences de ses actes sur d'autres facteurs. Le locavore recherche donc un moyen pour s'alimenter de manière « saine, juste et durable. » En revalorisant des circuits oubliés par les grandes firmes, le consommateur s'oppose à un modèle de consommation alimentaire ancré. La logique marchande des entreprises est pointée du doigt, ces représentations sonnent comme dissonantes auprès du consommateur qui se recentre dès lors sur des valeurs collectives et éthiques. 3- Les nouveaux enjeux de la consommation locale En favorisant une consommation locale, les consommateurs locaux font acte de résistance face à un modèle de consommation définit, que ce soit volontairement ou non, par le choix de solutions alternatives qui affectent nos représentations. La mondialisation a façonné nos marchés avec des offres standardisées et uniformisées. On retrouve aux quatre coins du monde les mêmes marques, les mêmes restaurants, et les mêmes produits alimentaires. Les offres globalisées favorisent un « nivellement des goûts » (A.S. Novel, 2010) qui n'apparait pas comme la meilleure solution au locavorisme. En consommant local, les consom'acteurs ont la sensation d'agir positivement sur plusieurs dimensions, de contribuer au développement durable, et d'être à nouveau maître de leur consommation. Le locavore puise son idéologie dans des valeurs éthiques. 21 L'enjeu écologique En France « la conscience environnementale » influence 51% des achats en 2011 , et ce 11 phénomène va s'accroître. En consommant local, le locavore agit directement sur le développement durable de son environnement. D'un point de vue écologique, le locavore consomme des aliments produits dans un périmètre restreint. Il s'interroge sur l'empreinte carbone de ses aliments et favorise alors des alternatives écologiquement plus responsables, limitant ainsi les transports des produits. En consommant local, il limite aussi la multitude d'étapes des chaînes alimentaires. Le modèle alimentaire des grandes marques implique l'utilisation de beaucoup d'énergie et autres ressources naturelles limitées, et dégagent énormément de gaz à effets de serre, s'ils ne sont pas encadrés. Un repas composé de produits industriels émettrait jusqu'à 3kg de Co2 . De plus, en favorisant une consommation 12 locale, le locavore préserve la biodiversité et valorise le patrimoine de sa région, car en consommant essentiellement des produits du terroir, il remet au goût du jour des produits délaissés par les industriels. (J. Labaronne, 2015). Le locavore s'oppose aussi aux pratiques de gaspillages alimentaires pratiquées par les grands groupes du secteur alimentaire. Par exemple, les fournisseurs des AMAP ne livrent que les quantités commandées, ce qui permet de ne pas gâcher la nourriture, « valeur trop souvent oubliée ». (C. Fischler, 2011). Les enjeux sociaux D'un point de vue social, dans les circuits de distribution traditionnels, il n'existe aucun lien et aucun échange direct entre le vendeur ou producteur et le consommateur13. A travers la démarche de consommer local, le consommateur rencontre les producteurs et agriculteurs avec qui il peut directement échanger. L'individu se retrouve à nouer une relation avec eux et cette expérience sociale est enrichissante pour lui (1ère motivation pour 51,5% des acheteurs, selon le CERD). Il fait ainsi la « promotion de liens sociaux de proximité » (A.S. Novel, 2010). Ce lien social est retrouvé aussi entre producteurs et même producteurs/ marques de distributeur. L'évolution des marchés de producteurs en France, ainsi que les AMAP, valorisent la capacité des acteurs à se réunir autour de valeurs communes, à développer leur réseau professionnel pouvant servir leurs activités, mais aussi d'un point de vue personnel. 11 Etude Green Brands, 2011 : http://www.marketingdurable.net/les-resultats-de-letude-green-brands-2011 12Réseau Action-climat France, 2015 : http://www.rac-f.org/ 13 Etude Ethicity, 2012 : http://www.greenflex.com/etudes/consommation-responsable/ 22 Les enjeux économiques D'autre part, on relève en France 5 442 500 chômeurs en novembre 2015, en consommant 14 local, le consommateur favorise la production et la création d'emplois locaux (D. CAPT et A.M DUSSOL, 2004). Ainsi, il re-dynamise des territoires en perte de vitesse : zones périurbaines, zones fragiles touristiques ou non, en particulier zones de montagne. La consommation locale réduit aussi drastiquement les intermédiaires et permet d'améliorer les revenus du producteur, plutôt que d'en reverser dans les marges intermédiaires. Lorsqu'un consommateur achète un produit alimentaire en grande distribution, il a du mal à savoir à qui et comment sera reversé son argent. Si cela est fait de manière réfléchie, le fait de consommer local permet de réaliser des bénéfices économiques. Un consommateur qui achète des produits de saison va profiter d'un prix bas car le produit sera abondant à cette période (A.S. Novel, 2010). Tandis que de consommer des produits importés hors-saison engendre des coûts supplémentaires. Selon Jean-Louis Cazaubon, « le locavore ne doit pas coûter plus cher, c'est un gage de qualité et d'authenticité ». Les enjeux de santé et nutrition Le locavore est soucieux de sa santé et de ce que contient son assiette. Le modèle d'hyper-alimentation que nous connaissons a été trop souvent remis en question dans sa responsabilité face à l'évolution de notre alimentation. 46% des Français sont en surpoids, en 2014 . Ces chiffres alarment l'institut de santé publique ainsi que l'opinion, surtout lorsqu'on 15 sait que 80% des aliments industriels sont trop gras, trop sucrés, trop salés, trop chimiques16. Les consommateurs ne font plus attention à la composition des produits qu'ils mangent. Les firmes ont recours à des « appâts gustatifs » (conservateurs, colorants, etc). Ainsi le Dr Chevallier indique que notre assiette peut contenir 357 additifs (A.S Novel, 2010). Dans une logique économique, les firmes ont recourt à des procédés peu sains pour « contrôler » le cycle de vie de l'aliment. Tous ces éléments sont néfastes pour la santé du consommateur. La « malbouffe » (A.S. Novel, 2010) détériore notre niveau de vie et de santé. Cette « malbouffe » critiquée par les actions publiques devient aujourd'hui un vrai casse-tête pour les consommateurs, car dissimulée derrière des éléments marketing. La consommation locale, combat cet état de fait, car le consommateur connaît la traçabilité de ses produits. 14 Chiffres INSEE, 2015 : http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=14 15Etude INSEE - Evolution et tendances de la consommation alimentaire, 2013 - Annexe
23 L'enjeu identitaire S'inscrivant dans le mouvement du Slow Food, le locavore recherche aussi un plaisir hédoniste dans son alimentation. Contrairement aux Etats-Unis, les français passent 135 minutes à tables par jour (C. Fischler, 2011). S'alimenter signifie un moment de « convivialité » et de « plaisir ». Pour 94% d'entre eux, cuisiner est un plaisir (TNS Sofres 2010). Malgré la notoriété des produits transformés, les locavores sont vigilants, quant à ce qu'ils mangent. Ils recherchent des produits leur correspondant, d'une qualité supérieure et surtout authentiques. En consommant des produits locaux, ils cherchent à ré-affirmer leur identité. Au-delà des avantages que cela procure aux consommateurs, le fait de consommer local permet aussi de redécouvrir les produits de son terroir, de favoriser l'héritage des savoirs et ainsi de retrouver une identité. Le consommateur a besoin de se démarquer en défendant sa culture. Cette approche permet de participer à la protection des différences de chaque communauté et d'en apprécier d'autant plus l'exotisme quand il se doit. En France, on note plus largement que la tendance s'est développée pour le « Made in France » et les produits régionaux. Ces pratiques prouvent la volonté des individus à affirmer leur identité à travers leur alimentation. Film documentaire - « Solutions locales pour une démarche globale », C. Serreau, 2010.) 4- Essor de circuits de distribution alternatifs et durables Les notions de circuits-courts sont apparues dans les années 60 au Japon (Tikei) et aux États-Unis (CSA - Community Supported Agriculture.) Le principe permet à des consommateurs de se regrouper entre eux et d'acheter auprès d'un producteur, sa production en fixant un prix en commun à l'avance. Ces méthodes sont utilisées pour se protéger des produits transformés des industries agro-alimentaires, mais aussi pour « valoriser des méthodes de production naturelles, le respect de l'environnement et l'équité. » Les agriculteurs et producteurs ont su mettre à profit les différentes crises alimentaires, afin de valoriser à la fois leur savoir-faire et leurs produits. Ainsi, les circuits courts se sont développés et démocratisés auprès de consommateurs-citoyen. Ils sont définis comme des circuits permettant une grande proximité entre consommateurs et producteurs , mais B. 17 Redlingshöffer valorise aussi dans son approche la réduction « d'opérateurs ». La proximité peut-être appréciée de manière géographique, c'est-à-dire la distance concernée entre production et consommation, puis de manière organisationnelle, incluant le nombre d'intermédiaires.
24 Le ministère de l'agriculture a définit la typologie suivante pour classifier les circuits alternatifs : - Les circuits ultra-courts (ventes directes) : - Vente à la ferme (vente en panier) - Vente en tournées ou à domicile (par point relais) - Vente par correspondance (Internet, etc) - Vente sur le marché - Les circuits courts (ventes indirectes) : - Vente à des commerçants détaillants (traiteurs, bouchers, etc) - Vente aux restaurations collectives (Cantine d'écoles ou de travail, etc) Schéma : La diversité des circuits courts de commercialisation 18 Les circuits courts représentent une opportunité pour de nombreux agriculteurs en matière d'installation ou de développement de démarches commerciales alternatives plus en lien avec les consommateurs. La connaissance de l'offre en circuits courts permettra d'apprécier l'impact économique et territorial en termes de création de valeur ajoutée, et permettra aux consommateurs d'évaluer les coûts d'une consommation locale souvent réfrénée pour cette raison. Dans les circuits-courts, on relève un autre frein à la consommation. Les producteurs en circuit-court ont parfois du mal à assurer l'approvisionnement. Cela s'explique par le fait qu'un exploitant doit aujourd'hui maîtriser plusieurs compétences en étant à la fois
25 producteur, commerçant et si l'activité le nécessite, transformer les produits en respectant les nouvelles normes d'hygiène, adaptées à leurs circuits. Malgré ces freins, on note une augmentation accrue de ces circuits de distribution alternatifs et durables. La progression des Associations de maintient de l'agriculture (AMAP) reflète cette évolution. En France, en 2012, on comptait 1600 AMAP qui réunissent près de 200 000 consommateurs, pour un chiffre d'affaire annuel estimé à 48 millions d'euros. Ainsi, 6% 19 des Français disent avoir déjà adhéré à une AMAP, et 38% sont intéressés . 20 |
|