Partie 1 / Cadre théorique
CHAPITRE 1 : LE MOUVEMENT DE RÉSISTANCE
La résistance est une réaction observée
depuis des siècles dans le comportement de l'individu. C'est une
réaction commune et naturelle, déjà identifiée dans
de nombreux contextes historiques et sociologiques (E. Remy, 2004). Dans notre
société où les firmes détiennent une place
prédominante et « croient encore possible, bien à tort, de
gouverner le consommateur » (Y. Gabriel et T. Lang, 1995), elles
continuent de développer des offres et des outils encore plus
précis à travers des stratégies de fidélisation
pour satisfaire le consommateur et l'inciter à rester. Pourtant,
à force d'être noyé dans cette multitude d'offres, le
consommateur ne distingue plus les différences entre les marques, la
valeur ajoutée et l'innovation des nouveaux produits. De plus, avec
l'évolution de la société et l'apparition de nouveaux
enjeux éthiques, il y a de nouveaux facteurs qui interfèrent dans
la relation consommateur-entreprise. D'autant plus dans une
société d'information de masse, ultra-connectée, avec des
rythmes toujours plus rapides, le consommateur se sent de plus en plus
dépassé et lassé par les représentations envers qui
il manifeste légitimement son mécontentement. On remarque un
changement notoire dans le comportement de consommation, le consommateur «
traditionnel » recherchait par tous les moyens à consommer les
offres présentées sur le marché pour satisfaire ses
besoins et appartenir aux représentations établies, tandis
qu'aujourd'hui, il est beaucoup plus informé et à même de
décrypter les marques pour consommer en fonction de lui et de ses
valeurs. Malgré tout, les firmes continuent de développer des
outils de fidélisation pour séduire, mais ces derniers mobilisent
différentes ressources pour exprimer leur résistance, car s'il y
a résistance, c'est qu'il n'y a pas de satisfaction.
L'intérêt pour le marketing aujourd'hui est de réussir
à comprendre et à percevoir les raisons et les ressorts de la
résistance, pour ne pas remettre en question son rôle dans notre
société, car la résistance semble être la
conséquence de besoins non traduits dans les offres proposées.
Dans les années 90, la résistance à la consommation a
commencé à être étudiée par les sciences du
marketing, mais c'est un concept difficile à cadrer en raison de la
complexité des informations à interpréter, des variables
impliquées à l'origine de la résistance et la
diversité des actions traduisant cette résistance. Dans cette
première partie, je vais tenter d'apporter un cadre d'analyse au
mouvement de résistance, de définir les ressorts de la
résistance à travers les moyens utilisés par les
consommateurs. Afin d'illustrer les nouveaux profils de consommation, je
définirai dans un dernier temps le « nouveau consommateur »
(D. Roux, 2007) à travers le « consom'acteur ».
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1 - Les fondements théoriques du mouvement de
résistance
Ce mouvement a d'abord été conceptualisé
par M. Poster en 1992 comme la capacité des consommateurs à
employer des « stratégies d'appropriation » en réponse
« à des structures dominantes », puis reprit par Penazola et
Price en 1993. Dès lors de nombreuses recherches se sont
multipliées essentiellement fondées sur des approches
comportementales permettant d'analyser principalement les actes de
résistance.
Le terme résister vient du latin « resistere
» qui signifie « s'arrêter et faire face ». Dans ses
recherches, D. Roux (2007) a définit la résistance à la
consommation comme une forme d'opposition, émanant d'un sentiment de
rejet envers une représentation donnée, et s'exprime au travers
de stratégies d'appropriation, puis, dans la capacité à
manifester sa contestation. Dès lors, pour qu'il y ait
résistance, il faut qu'il y est une relation déjà
établite entre la représentation (firmes, marchés,
institutions) et le consommateur. Il est nécessaire de comprendre cette
double conceptualisation, car dans un premier temps, il faut que le
consommateur ressente une pression s'exercer sur lui en identifiant les
éléments dissonants, et qu'il manifeste son insatisfaction. La
résistance nécessite que le consommateur mobilise
différents mécanismes de défense pour se protéger
dans le but d'atteindre sa cible. La résistance est donc un acte plus ou
moins volontaire de la part du consommateur dans le but de s'opposer à
une force jugée oppressive (Roux D., 2009), mais pas
nécessairement conscient. Dans ce sens Dominique Roux (2004) a
établit un cadre d'analyse de résistance du consommateur et a
définit la résistance comme un ensemble de formes variables
d'opposition face à des situations de pression et d'influence, dans
lesquels les « pratiques et discours marchands sont jugés comme
dissonants. »
Cadre d'analyse de la résistance du
consommateur1
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La résistance du consommateur : proposition d'un
cadre d'analyse - D. Roux, 2007
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La résistance dépend de plusieurs dimensions
variables. Ils peuvent être externes au consommateur, alors
intégrés à la « dimension situationnelle » (D.
Roux, 2007), en effet, les consommateurs s'opposent à des conditions de
marché jugées inacceptables (R.J Moisio et S. Askegaard, 2002),
le consommateur n'a aucune emprise sur ces éléments. A travers le
concept du « coping » (Lazarus, Folkman, 1984), on remarque que le
consommateur a le sentiment de faire constamment des efforts de
compréhension et d'adaptation, ce qui le place dans une situation de
rejet. L'interprétation cognitive de la situation est propre à
chacun, mais dans une société mondialisée où les
informations abondent dans tous les sens, le consommateur a le pouvoir de
prendre du recul sur la situation, s'informer, de comparer les offres et
acteurs pour mieux analyser les discours, ce qui représente autant
d'éléments qui peuvent interférer entre les firmes et le
consommateur. Les firmes, à travers leurs outils ont d'une certaine
manière poussé le consommateur à agir comme tel. L'essor
des Marques de Distributeurs en constitue un exemple pertinent, puisque les
consommateurs se sont retrouvés au coeur d'une bataille des prix entre
marques de distributeurs et marques industrielles. Ainsi, le consommateur a
aujourd'hui une image du rapport qualité/prix qui va le pousser à
regarder et comparer dans chaque situation. En effet, le consommateur
mémorise une série d'expériences plus ou moins positives,
qui sont propres à lui ou à son entourage pour se faire un
jugement. Ce « concept de métacognition » (Friestad et Wright,
1994) influence significativement sa réaction face à une
représentation négative supplémentaire. Le consommateur
compare, associe et recoupe des faits avant de déterminer sa
réaction. Si le consommateur enregistre une accumulation de rejets pour
une même représentation dans différentes situations, il va
alors s'opposer (C. Ficher, 2001).
La résistance varie donc en fonction de facteurs
personnels traduits par la capacité du consommateur à
réagir dans une situation en fonction de sa perception, de ses
émotions et de son état. Sa capacité à
décrypter l'information dépend aussi de facteurs sociaux comme le
niveau d'éducation de l'individu. Si un individu grandit dans une
famille qui est sensible aux enjeux du développement durable, le
consommateur adulte fera plus attention à ces éléments. Le
profil socio-démographique du consommateur détermine
également son niveau d'exigence face aux firmes, sa sensibilité
face à leurs pratiques et à sa position dans la construction de
la société. Dans ce sens, si le consommateur a une situation plus
aisée, il pourra plus facilement s'opposer ou trouver d'autres
solutions. Enfin, le facteur émotionnel joue un rôle essentiel,
auquel on accorde une double dimension, (Knowles et Linn 2004) : d'une part
« l'état motivationnel » du consommateur qui représente
l'état d'un individu à se contrôler face à des
éléments dissonants; d'autre part « les manifestations de
résistance » qui s'apparentent à des forces puisées
favorisant l'action de résistance. Enfin, le consommateur a acquit avec
le temps une liberté précieuse qui lui est très
précieuse comme le droit à l'information, la liberté
d'expression, qu'il cherche à protéger au maximum. Si cette
notion de liberté est remise en question ou bafouée par les
représentations proposées par les firmes, le
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consommateur va naturellement remettre en question sa relation
avec le produit ou son besoin de consommer voire de s'opposer (J. Brehm,
1966).
De manière générale la résistance
peut être classifiée sur trois niveaux, le premier niveau
correspond à une résistance face au contenu de l'offre.
Aujourd'hui, uniformisé et standardisé par la mondialisation, il
est de plus en plus critiqué par le consumérisme. Le second
niveau de résistance porte sur les techniques et actions
utilisées par le marketing dans leurs stratégies d'influence
perçues comme abusives. Enfin, le troisième niveau de
résistance interroge le rôle des acteurs marchands et leur
responsabilité face aux nouveaux enjeux de la mondialisation (D. Roux
2007). Ces différents niveaux de résistance vont
déterminer les changements de comportement et les profils de
consommateurs résistants.
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