Chapitre Iv
Reconnaissance des juridictions marocaines des
sentences arbitrales étrangères
L
es sentences arbitrales internationales sont reconnues au
Maroc si leur existence est établie par celui qui s'en prévaut et
si cette reconnaissance n'est pas contraire à l'ordre public. C'est le
président de la juridiction commerciale qui reconnaît et rend
exécutoire ces sentences. Pour la détermination des règles
de procédure et le droit applicable sur le fond, la liberté est
laissée aux parties, toutefois en cas de silence de la convention
d'arbitrage ce sont les arbitres qui déterminent les règles de
procédure et le droit applicable tout en observant les règles
issues de la pratique internationale auxquelles la doctrine et la jurisprudence
font référence pour régler les conflits du commerce
international.
L'un des défis majeurs de l'arbitrage notamment
international demeure la reconnaissance par les juridictions marocaines des
sentences arbitrales étrangères. Nous allons exposer quelques cas
de jurisprudence aussi bien dans le domaine commercial (Section
1) que celui des marchés publics (Section
2).
SECTION 1 | Jurisprudence en matière d'Exequatur
des sentences arbitrales étrangères dans le domaine
commercial
§ .1) litige opposant la Banque Arabe
Espagnol SA (ARESBANK) à la Caisse Centrale de Garantie (CCG) et la
Société pour la Pêche et le Traitement Industriel du
Poisson SA (SOPIP)
Dans cette affaire, la Société pour la
Pêche et le Traitement Industriel du Poisson SA (SOPIP) a, en avril 1985,
commandé au chantier naval espagnol ASTILLEROS DEL ATLANTCO, la
construction et la livraison de six chalutiers congélateurs dont le
financement partiel a été accordé par la Banque Arabe
Espagnol SA (ARESBANK). La Caisse Centrale de Garantie (CCG) a donné la
garantie étatique pour le prêt souscrit par SOPIP.
Les parties s'étaient engagées à
soumettre à l'arbitrage de la Cour Internationale d'Arbitrage de Paris
(CCI) tous les litiges qui surgiraient entre elles en raison des
crédits.
Usant de la clause compromissoire, l'ARESBANK a saisi la
CCI en date du 14 mars 1994 pour condamner la SOPIP au remboursement des
prêts non payés et mettre en jeu la garantie de la CCG au motif
que la SOPIP n'a pas honoré ses engagements alors que les six chalutiers
ont été livrés sans aucune réserve. Le montant
total des impayés s'élève à15.759.130, 96 dollars
USA.
Dans sa réponse du 24 mai 1994, la CCG demande
à être mise hors de cause au motif que la garantie qu'elle avait
donnée était caduque du fait des agissements de ARESBANK.
Quant à la SOPIP, elle reproche au chantier naval
espagnol le retard dans la livraison des quatre (4) chalutiers et que ces
chalutiers étaient dépourvus de la quasi-totalité des
pièces de rechange et fournitures d'usage et présentaient de
graves anomalies par rapport au cahier des spécifications techniques.
A la fin de la procédure, la CCI a condamné
le 5 mars 1997 la SOPIP à payer à ARESBANK les sommes non
remboursées issues du crédit et des intérêts
correspondants soit 15.759.130,96 dollars USA , amortissement du principal,
intérêts et intérêts de retard jusqu'au 31
décembre 1993, auxquelles s'ajoutent les intérêts au
même taux que les intérêts de retard à courir
jusqu'au jour du paiement effectif.
La Cour a également condamné la CCG
à payer solidairement avec SOPIP à ARESBANK les sommes non
remboursées issues du crédit et les intérêts
correspondant jusqu'à la date du 26 janvier 1988 soit 9.527.827,40 USA
auxquelles s'ajoutent les intérêts au même taux que les
intérêts de retard à courir jusqu'au jour du paiement
effectif.
Saisie par un recours en annulation de la sentence
arbitrale de la CCI, présenté par les parties marocaines, la Cour
d'appel de Paris a, le 14 décembre 1999, rejeté ce recours et a
ordonné l'exequatur de la sentence arbitrale.
§ .2) litige opposant une entreprise Britannique
à une entreprise marocaine
Une entreprise marocaine spécialisée dans
le commerce de produits de base semi finis avait signé un contrat
commercial avec un fournisseur de Grande Bretagne contenant une clause
compromissoire qui donne attribution de compétence à un Centre
d'Arbitrage Londonien spécialisé dans les litiges relatifs au
commerce des produits de base. Les parties avaient convenu que c'est le droit
anglais qui était applicable en cas de litige.
Pour des raisons économiques et
financières, l'entreprise marocaine s'est rétractée au
cours de la phase d'exécution du contrat juste avant la date de
livraison de la marchandise.
Devant l'impossibilité de l'entreprise marocaine
d'honorer ses engagements, le fournisseur anglais a eu recours à
l'arbitrage institutionnel de la cour londonienne conformément à
la clause compromissoire.
La cour d'arbitrage a procédé à la
convocation régulière de la partie marocaine qui a refusé
de se constituer en qualité de défendeur avançant que le
contrat dont se prévalait le demandeur anglais n'a jamais
été accepté ni signé par elle-même et que de
ce fait, le tribunal ne pouvait statuer sur un contrat sans cause ni objet et
donc en l'absence de clause compromissoire établie devant consacrer
l'incompétence dudit tribunal arbitral.
Le tribunal londonien a rendu en défaut de
représentation de la partie marocaine trois sentences aux termes
desquelles il a décidé ce qui suit :
ü La reconnaissance de l'existence de relations
commerciales et de la validité du contrat commercial qui stipule une
clause compromissoire donnant compétence au tribunal arbitral.
ü Le calcul et le paiement des indemnisations et du
manque à gagner dues à la partie anglaise.
ü Le paiement des frais de la procédure
d'arbitrage par la partie marocaine.
Au vu de cette décision, la partie britannique a
demandé l'exequatur de la sentence arbitrale en produisant l'original
desdites sentences dûment traduites en langue arabe et de l'ensemble des
documents authentiques requis pour autoriser le tribunal marocain à
statuer sur la demande.
La partie marocaine a maintenu les moyens sur lesquels
elle a construit sa défense pendant la procédure d'arbitrage et
au cours de la procédure d'exequatur arguant l'absence d'un contrat
écrit et de ce fait l'absence d'une clause compromissoire; ce qui
écarterait l'application de la convention de New York du 10 juin 1958
qui ne peut s'appliquer que pour des sentences arbitrales
étrangères valablement rendues et conformes aux règles de
droit public marocain.
Le tribunal de Commerce de Casablanca a rendu en
début de l'année 2012, un jugement d'exequatur des trois
sentences arbitrales étrangères précitées sur les
motifs de la validité du contrat commercial qui a connu un début
d'exécution comme les correspondances entre les parties l'ont
démontré. Le tribunal a motivé sa décision par
l'application des dispositions de l'article 327-44 du code de procédures
civile et des dispositions de la convention de New York de 1958.
§ .3) litige opposant une entreprise
française à une entreprise marocaine
En juillet 2008, la société Ynna Asment
filiale de la holding Ynna Holding a signé avec un prestataire
français, la société française Fives FCB
(société d'ingénierie basée à Paris) un
contrat portant sur la réalisation d'une unité de production de
ciment d'une capacité de production d'environ 2 millions de tonnes par
an à livrer clés en main dans la région de Settat.
Le montant total de l'investissement
s'élève à 1,75 milliard de DH (environ 162 millions
d'Euros). Une partie de ce financement devait être réglée
en devises au profit du prestataire français, soit 132 millions d'Euros.
Il a été convenu que l'exécution du contrat se
déroulera en deux étapes. Une première phase dite de
«Préparation» qui s'étale
jusqu'à l'entrée en vigueur du contrat, qualifiée de
«principale» et une 2e phase de l'engagement qui porte plutôt
sur la réalisation du projet.
La filiale d'Ynna Holding versera un acompte de 10% sur
la part en Euros du contrat Le projet a finalement été
abandonné en 2009. La société Fives FCB reproche à
la société Ynna Asment d'avoir retiré sans préavis
un cautionnement de plus de 13 millions d'euros qu'Ynna Holding a refusé
de payer.
Usant de la clause compromissoire, la
société Fives FCB se sentant lésée, demande
réparation au tribunal arbitral à Genève (Suisse)
compétent en la matière qui a prononcé une sentence
arbitrale en faveur de la société Fives FCB.
La sentence rendue à Genève a donné
raison à la demanderesse et a condamné la société
Ynna Asment à payer solidairement avec la société
mère la holding Ynna Holding la somme de 19,5 millions d'Euros avec
intérêt de 5% à compter de fin juillet 2009 et
«jusqu'au paiement complet».
Le tribunal commercial de Casablanca, saisi pour
l'exequatur de la sentence arbitrale, a reconnu par Ordonnance n°3921 du
28 décembre 2012, dossier n°2426/1/2011) le bienfondé de la
sentence arbitrale mais en ne déclarant pas la solidarité entre
la société Ynna Asment et sa société mère
Ynna Holding comme l'avait jugé le tribunal arbitral
helvétique.
La Cour d'appel commerciale de Casablanca saisie par
l'appel de la société Ynna Asment ordonne par arrêt du 15
janvier 2015, dossier n°2013/8224/2669 l'0uatur et la reconnaissance de
la sentence arbitrable telle qu'elle a été prononcée par
le tribunal arbitral de Genève qui avait déclaré la
solidarité de la société Ynna Asment avec sa maison
mère Ynna Holding.
Le groupe Fives, a obtenu du Tribunal de commerce de
Casablanca le 25 février 2015 la saisie conservatoire de 65% des actions
de la Société nationale d'électrolyse et de
pétrochimie marocaine (SNEP) et le 6 mars 2015 la
saisie-exécution des 3 499 912 actions détenues par Ynna Holding
dans le capital de la chaîne de supermarchés Aswak Assalam( les
deux sociétés sont des filiales de Ynna Holding).
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