La gestion durable de la filière cacao dans la région du centre du Cameroun : le cas du bassin de production de la Lékié.( Télécharger le fichier original )par Dieudonné MBARGA Intitut des Relations Internationales duCameroun-IRIC/Yaoundé 2 - Master 2 « Coopération internationale, Action humanitaire et Développement Durable » 2011 |
Section 2 : Les potentialités de l'activité cacaoyère dans la LékiéDe nombreuses études ont abouti à la conclusion que le Cameroun tant au plan pédologique, humain, climatique qu'environnemental (flore et faune) est « une Afrique en miniature « ; l'on peut aussi indiquer qu'une application de ces mêmes études à petites échelles, convie en retour au constat que la Lékié est véritablement un Cameroun en miniature, car en son seul sein, se retrouvent les éléments humains, pédologiques et environnementaux de tous les autres départements de la République. Par potentialités, nous entendons un ensemble d'éléments ou de facteurs qui, pris en compte, permettent de développer ou de « booster « une activité. Pour ce qui est justement de l'activité cacaoyère dans le bassin de production de la Lékié, ces potentialités sont identifiables autour de deux axes à savoir : naturel et social d'une part (paragraphe 1) et économique d'autre part (paragraphe 2), objets des développements qui suivent. Paragraphe 1 : Les potentialités naturelles et sociales de l'activité cacaoyère dans la LekiéPoint 1 : Les potentialités naturelles de la cacaoculture Elles se rapportent à l'ensemble des facteurs offerts par l'environnement ou dame nature, indépendamment de l'action de l'homme et qui sont susceptibles de favoriser le déploiement et le développement de l'activité cacaoyère dans la Lekié. Il s'agit notamment du climat, des sols et de l'hydrographie. Le climat de la Lékié est de type équatorial à quatre saisons réparties comme suit : une grande saison des pluies, qui va de mi-août à mi-novembre, une petite saison des pluies, allant d'avril à mi-juin, une grande saison sèche qui va de mi-novembre à mars et une petite saison sèche allant de mi-juin à mi-août. Le cacao est une plante tropicale cultivée sous des climats chauds et humides, caractéristiques qui correspondent de manière précise au climat de ce bassin de production et qui présente de manière sommaire des températures oscillant entre 14°c et 45°c29(*). Les sols dans la Lekié varient selon les localités. Dans certaines, ils sont ferralitiques c'est-à-dire rouges (Okola, Elig Mfomo), dans d'autres, ils sont ferrugineux, donc riches en fer et en argile (Sa'a - Ebebda) et enfin, ils sont sablonneux par endroits (Monatélé - Batchenga-Lobo). Ceux-ci sont alors propices à une cacaoculture féconde (productive), à l'entretien facile, car ne favorisant pas une poussée rapide et encombrante (touffue) des mauvaises herbes. Situation avantageuse qui permet un meilleur épanouissement des plants et un refoulement naturel de certaines maladies et parasites. En plus de son climat de type équatorial, la Lékié a une hydrographie riche. Son territoire est traversé par de nombreux et importants cours d'eau (la Lékié, l'Afamba, la Ngobo...) dont la Sanaga, le plus long fleuve du Cameroun qui fait 918 km, et ses sols sont arrosés par des précipitations annuelles d'une moyenne de 1300 à 1500 millimètres. Cette hydrographie présente un équilibre propice à l'épanouissement des plants dans les champs et à une expansion limitée de certains parasites et maladies des végétaux comme la pourriture brune. Cette eau abondante et disponible fait en sorte que la dévastation des récoltes pour cause de sécheresse constitue une menace maîtrisable. Point 2 : Les Potentialités socioculturelles de l'activité cacaoyere dans la Lékié Ce sont les éléments favorables à la cacaoculture dans la Lékié, découlant et dépendant des représentations sociales (perceptions) et des pratiques (dimensions purement culturelles) de l'être humain. - Du point de vue des représentations sociales : Selon ABRIC (1987), la représentation sociale est le produit et le processus d'une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe, reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique. Mais c'est à JODELET (1989) qu'il faut se référer pour une bonne assimilation de cette notion. Pour cet auteur, les représentations sociales sont des systèmes d'interprétation régissant notre relation au monde et aux autres qui orientent et organisent les conduites et les communications sociales. Elles sont alors des phénomènes cognitifs engageant l'appartenance sociale des individus par l'intériorisation de pratiques et d'expériences, de modèles de conduite et de pensée. Ainsi, les potentialités de la cacao culture dans la Lékié relèvent, sous cet aspect, de ce que : Le cacaoyer et la cacaoyère se présentent comme des marqueurs fonciers. A l'heure où le droit coutumier et le droit positif s'affrontent dans la définition du régime foncier au Cameroun, le cacaoyer et la cacaoyère servent à la fois de borne et d'indice de propriété foncière. L'acuité de cette dimension du cacao nous a été exposée par M. MINTOLO du village Efok, une localité de l'arrondissement d'Obala qui nous a confié que, n'eut été l'existence de la plantation que lui a léguée son feu père, il perdait sa propriété foncière et se retrouvait de fait, exproprié de son héritage et expulsé de ses racines, du fait d'un acharnement malveillant de ses cousins et voisins du village. La cacaoculture fondatrice d'un statut social : le cultivateur de cacao, un emblème. Du fait de la cacaoculture, son titulaire n'est plus un vulgaire paysan ou un planteur ordinaire à l'image d'un cultivateur de piment ou de maïs. Désormais il est un véritable et important citoyen, un VIP du cru : « Mpan môd », comme cela se dit en langues locales (Eton, Manguissa...). Aussi, ceux qui se consacrent à cette activité et ont des exploitations de plus d'un hectare, auraient, semble t-il, aux dires de Madame MESSINA Thérèse de la localité d'Elig Zogo à Sa'a, un train de vie plutôt au-dessus de la moyenne de la localité, perceptible à travers le confort de leurs maisons (car les leurs sont en «dure« et pour les autres en terre battue). D'une manière générale ils possèdent entre autres, un téléviseur, un groupe électrogène ainsi qu'une moto ; des commodités et d'autres qui constituent des signes patents d'une aisance qui tranche avec le dénuement des villages et des habitants de l'arrière pays. La sédimentarisation des populations est une potentialité indéniable pour la cacaoculture dans la Lékié. Avec plus de 700 villages et une densité de 100 à 500 habitants au km/2, la Lékié a une population de près de 600 000 âmes comportant en son sein, des autochtones dont les Eton et Manguissa sont majoritaires, et de nombreux allogènes venus de tous les horizons de la République, attirés par le dynamisme et l'hospitalité des populations autochtones. Ce visage de la Lékié offre ainsi des statistiques impressionnantes en termes d'intérêt pour l'agriculture en général et la cacaoculture en particulier : une population d'agriculteurs à 95%. M. ONDOMBO Jean de Dieu habitant la localité d'Evodoula qui semble parfaitement connaitre son département de naissance et de travail puisqu'il y exerce comme «coxeurs« à temps partiel (c'est-à-dire seulement au moment des campagnes de commercialisation du cacao) affirme que dans la Lékié, on est agriculteur dès sa naissance avant de devenir chauffeur, mécanicien, maçon, menuisier, magistrat, médecin ou ministre, et qu'on retourne toujours dans l'agriculture. - D'un point de vue purement culturel : Les potentialités sous ce point de vue sont constituées par tout ce qui, tiré de la tradition et des façons de vivre des populations de la Lékié (autochtones comme allogènes), est porteur de germes de promotion et d'épanouissement de l'activité cacaoyère. A ce titre, il est opportun de citer : Le dynamisme des populations. C'est un caractère que lui reconnaît l'histoire qui révèle un peuple venu d'ailleurs, des confins de l'Adamaoua peut-être, fuyant un danger (épopée de la traversée de la Sanaga). Dans tous les cas, un peuple en quête permanente de terres fertiles afin d'assouvir sa passion pour l'agriculture. De même, ce dynamisme se traduit par l'esprit d'émulation qui prévaut ici plus qu'ailleurs entre les populations de cette localité et s'exprime en termes de : « comme tu as déjà un hectare de plantation, rassures-toi, je vais me mettre à fond au travail pour en avoir deux voire plus », tel que nous l'a confié Monsieur Mani, assesseur à la chefferie de 3è dégré Mvog Ezok à Monatélé, lui-même propriétaire de 03 hectares «pour l'instant«. L'ancrage traditionnel symbolisé par deux rites majeurs : So'o et Anagsama. Le So'o, réservé aux jeunes hommes, a pour objectif d'éprouver leur bravoure au terme d'un parcours du combattant semé de moult épreuves à braver dans la forêt, au sortir duquel ils seront dorénavant aptes à tout entreprendre notamment, se marier, se lancer dans la cacaoculture... Rare, exceptionnel et mystérieux, l'Anagsama est un rite très réservé qui se pratique soit pour chasser les mauvais esprits, soit pour garantir et accroitre la production agricole ; il vise la prospérité et la paix. Cet ancrage traditionnel conforte la vocation agricole des populations de la Lékie qui, de ce fait peuvent décider de s'investir dans l'activité cacaoyère sans avoir à craindre les désagréments d'une mauvaise récolte, les aléas naturels liés aux caprices du climat ou aux forces occultes. Et l'instauration d'une Journée Départementale du Cacao depuis 2009 et d'un Festival national du Cacao en 2012 ; deux initiatives qui sont de nature à conforter l'intérêt pour l'activité cacaoyère dans les moeurs nationales en général et de la Lékié en particulier. C'est d'ailleurs cet argumentaire que développe Monsieur le Ministre du Commerce Luc Magloire MBARGA ATANGANA, co-promoteur de cette deuxième initiative, lors d'une interview à la Télévision nationale. * 29 TSALA MESSI, André ; « Géographie de la Lékié », www.ntsongon.org |
|