CHAPITRE I. LA NOTION D'INVESTISSEMENT AU REGARD DE LA
JURISPRUDENCE ARBITRALE INTERNATIONALE
Définir l'investissement est tout d'abord question
d'approches : économique, fiscale, comptable, financière,
juridique etc. Dans le dernier cas, elle est marquée d'une inflation de
définitions, causée par la multiplicité de sources qui le
régit. Celles-ci sont nationales (les codes d'investissements et autres
lois particulières de protection d'investissement) et internationales
(les accords internationaux d'investissement).
En droit international, ce désordre normatif est
dû d'une part, à l'existence de définitions au contenu
différent, fondées sur les actifs, l'entreprise, l'exercice d'une
activité commerciale, les apports... et d'autre part, par l'absence d'un
traité multilatéral contraignant comportant une définition
générale de l'investissement.
Par ailleurs, certaines conventions multilatérales
comme celle de Washington du 18 Mars 1965 sur le règlement des
différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants
d'autres Etat, ne définissent pas le concept « investissement
». A cet égard, le rapport des administrateurs de la Banque
mondiale qui, sont les rédacteurs de ce texte estimèrent qu' :
« Il n'a pas été jugé
nécessaire de définir le terme investissement, compte tenu du
fait que le consentement des parties constitue une condition,
essentielle et compte tenu du mécanisme par lequel les
Etas contractants
peuvent s'ils désirent, indiquer à l'avance
les catégories de différends qu'ils ne seraient pas prêts
à soumettre au centre »47.
Cette raison se justifiait du fait que « le
caractère évolutif de cette notion ne rendait pas pertinente
l'adoption d'une définition figée »48.
Pourtant, l'article 30 de l'avant-projet de la convention
instituant le CIRDI donnait bel et bien une définition de
l'investissement. Il a été retenu ce qui suit: «
Investment means any contribution of money or other assets of economic value
for an indefinite period or, if the period be defined, for not less then five
years ».49
47 Rapport des administrateurs de la Banque mondiale sur la
convention du CIRDI, §.27.
48 CLAVEL S. et DERAINS Y., op.cit, p.5.
49Ibidem.
17
Ce manque de clarté pour les unes, et le mutisme pour
les autres, poussent certains auteurs à traiter la notion
d'investissement d'introuvable50, de sans état
d'âme51, et qui n'a pas réussi à ce jour,
à se dégager de sa nébulosité
originelle52.
Face à cette absence de cohérence et
d'homogénéité, la jurisprudence arbitrale internationale a
essayé de déterminer les contours et les limites de la notion
d'investissement mais tout en étant contradictoire. Les tribunaux
arbitraux sont de ce fait tiraillés entre plusieurs conceptions.
Section.1. Multiplicité de conceptions
Qualifier un investissement au sens de la jurisprudence
arbitrale internationale est une affaire de conceptions : l'une subjective,
l'autre objective, à côté desquelles se trouve une
conception mixte résultant de la combinaison de deux.
Une telle voie empêche de bien définir un
investissement et est loin de faire une adhésion consensuelle.
En somme, cette section sera subdivisée en trois
paragraphes :
- La conception subjective (§1);
- La conception objective (§2) ;
- La conception hybride ou mixte (§3).
§.1. La conception subjective de l'investissement
La conception subjective consiste à définir un
investissement au sens du TBI conclu entre l'Etat récepteur et l'Etat de
nationalité de l'investisseur ou dans un autre accord international
d'investissement conclu par le premier.
Cette approche est appliquée par certains tribunaux
CIRDI (§1.) et majoritairement par les tribunaux statuant hors du cadre du
CIRDI (§.2.). Tel sera le cheminement de ce paragraphe.
50JUILLARD P., « investissement
», chronique du Droit international économique, s.l ,
p.773. Sur la même question, il convient de lire BEN HAMIDA W.,
« les contrats BOT à l'heure du Droit international des
investissements »,Martinus Nijhoff, s.l, 2007, n°31,
p.290.
51 BENSCHENEB A., «L'évolution de la
notion d'investissement », in
souveraineté et marchés internationaux à la fin du
XXème siècle, mélanges en l'honneur de KAHN
P., 2000, p.196.
52 LAVIEC J-P., op.cit, p.13.
18
A. Pour les tribunaux CIRDI
A la lumière du CIRDI, la conception subjective
consiste à déduire l'existence d'un investissement du seul fait
de l'accord des parties.53Une thèse favorisée par le
rapport des administrateurs de la Banque mondiale précédemment
évoqué.
Par conséquent, la définition du terme «
investissement » contenu dans le traité est déterminante
pour qualifier une opération ou une activité de l'investisseur
étranger54. Donc, si les deux parties au conflit se sont
entendues pour traiter une transaction comme un investissement, leur conflit
est relatif à un investissement et satisfait d'office à la
compétence du CIRDI.
Par ce fait, certains auteurs pensent que l'approche
subjective débouche à la « fusion de la condition
d'investissement avec celle relative au consentement
».55
Tel est le cas aussi de BROCHES qui argumente :« the
requirement that the dispute must have arisen out of an investment may be
marged into the requirement of consent to jurisdiction
».56
Cette théorie n'a pas laissé insensible les
tribunaux CIRDI, étant donné que certains d'entre-eux ont agi
dans ce sens. Ainsi, dans l'affaire Fedax NV c/ Venezuela, les arbitres se sont
fondés sur le TBI conclu entre le Pays-Bas et le Venezuela, et ont
conclu :
« (...) as contemplated by convention, the definition
of « investment » is controlled by the consent of the contracting
parties, and the particular definition set forth in article 1 (a) of the
agreement is the one that governs the jurisdiction of ICSID
».57
Le même raisonnement a été suivi par la
sentence Middle East Cement Shipping and Handling co. S.A c/ Egypte, ou' les
arbitres se sont fondés sur le TBI Grèce - Egypte pour
définir un investissement. Ils ont déclaré:
« The BIT, in its article 1, « definitions »,
expressely mentions that investment means every kind of asset and in
particular, though not exclusively,
53 BEN HAMIDA W., op.cit, p.2.
54 NZOHABONAYO, A., Intérêt
général des pays en voie de développement à la
lumière de leur engagement dans les traités bilatéraux
d'investissement , Thèse de doctorat, Université d'Ottawa,
2014, p.187.
55 BEN HAMIDA W., loc.cit.
56 BROCHES, « The convention »,
cité par NZOHABONAYO, loc.cit. 57Fedax NV c/
Venezuela, op.cit.
19
includes: ... d) business concessions conferred by law
under contract, (...) in the light of the above, there can be no doubt that
« the license » qualifies as an « investment » under the
BIT ».58
C'est aussi le cas de la sentence Bernadus Henricus
Funnekotter and others c/ Zimbabwe qui, a tenu compte de la définition
de l'investissement contenue dans le TBI Zimbabwe - Pays-Bas :
« The subject matter of the dispute before this
tribunal clearly arises directly out of an investment by the claimants in the
territory of the respondent. As a clamants note, the BIT uses a very broad
definition of investment to include property of all kinds, rights derived from
shares in firms, and title to assets, among other thing. The physical
properties, shares in companies, and other assets at issue in the dispute
plairly are within that definition ».59
De ce même ordre d'idées, il y a la sentence rendue
sur l'affaire Goetz et consorts
c/ Burundi. Dans ce litige, le gouvernement Burundais avait,
par l'ordonnance n° 750/184 du 24 Mai 1995, retiré à Goetz
le statut d'entreprise de zone franche ainsi que les avantages fiscaux qui y
étaient attachés. L'entreprise contesta ce retrait devant le
CIRDI.
Dans l'examen de cette réclamation, le tribunal s'est
uniquement appuyé sur le TBI
Belgique - Burundi. Il a alors admis que les opérations de
l'investisseur étranger
constituaient un investissement, en déclarant ce qui suit
:
« Le différend satisfait également
à l'exigence d'un rapport direct avec un investissement : il suffit en
effet de se référer à l'article 8 §1er de
la convention Belgo - Burundaise pour constater que le différend soumis
au tribunal est de ceux que cette disposition définit comme des
différends relatifs à un investissement, à savoir les
différends concernant l'interprétation ou l'application de toute
autorisation d'investissement accordé par les autorités de
l'Etat-hôte régissant l'investissement étranger, ainsi que
l'allégation de la violation de tout droit conféré ou
établi par la présente convention en matière
d'investissement ».60
58 Middle East Cement Shipping and Handling co. S.A c/ Egypte,
affaire CIRDI n°ARB/99/6 du 12 Avril 2002. 59Bernadus
HenricusFunnekotter and others c/ Zimbabwe, affaire CIRDI n° ARB/05/6,
sentence du 22 Avril 2009.
60Goetz et consorts c/ Burundi, op.cit,
p.189.
20
Pour consolider cette théorie subjective de la notion
d'investissement, la sentence Saba Fakes c/ Turquie argua :
« To the extent that contracting States to investment
treaties have consented to the ICSID convention did not define the term «
investment », such consent necessarly embraces their consent to the
definition of protected investments as provided in those treaties. Under this
latter approach, the definition of an investment by contracting States in their
respective BITs is therefore the only relevant definition to be considered by
an ICSID tribunal ».61
Un argument similaire a été également
développé dans les affaires Projejkholding Gmbh c/
Ukraine62, MCI Power Group L.C et New turbine Inc. C/
Equateur63.
|