§.2. Pistes de solution
Les solutions pour faire face aux nombreuses contradictions des
tribunaux arbitraux, voire des AII sur la notion d'investissement, seraient de
mettre en oeuvre un traité multilatéral contraignant favorisant
une approche restrictive, source d'une sécurité juridique.
? Le traité multilatéral
d'investissement contraignant : source d'une approche restrictive de
l'investissement
1. La mise en oeuvre d'un traité
multilatéral contraignant
Les contradictions sont dues à l'absence d'un accord
multilatéral contraignant pour règlementer cette matière.
Celui-ci servirait à donner des précisions sur la
définition de la notion d'investissement.
Une telle position a été voulue par l'ancien projet
du Traité multilatéral d'investissement de l'OCDE de 1995.
Pourtant, ces projets de textes n'ont jamais été
adoptés.193
1.1.Historique
L'idée d'une AMI est partie de la réunion
annuelle des ministres de l'OCDE organisée en 1995 à Paris pour
décider de l'agenda de l'organisation.
Parmi les documents préparés figure un rapport
commun de deux de ses nombreux comités de
l'OCDE, le comité de l'investissement international et des
entreprises multinationales
(CIME) et le comité de mouvements de capitaux et des
transactions invisibles (CMIT).194Ce rapport était
intitulé : « Accord multilatéral sur l'investissement
», s'ouvre sur un constat : les
deux comités « sont convaincus que les
conditions sont aujourd'hui réunies pour que puisse être
négocié avec succès un tel accord, sur la base des
instruments actuels de l'OCDE ».195
Comme prévu, la Ministérielle accepte le
constat. Elle mandate un groupe, formé des deux comités, pour
négocier un accord qui :
« Fournisse une large structure multilatérale
pour les investissements, avec
des standards élevés de libéralisation
et de protection de ces investissements, et
194HENDERSON D., L'accord
multilatéral sur l'investissement : leçons d'un
échec, texte traduit de l'anglais par MAUR, Paris, Groupe
d'économie mondiale, 1999, p.10.
195OCDE, Accord multilatéral sur
l'investissement, Rapport du CMIT, Paris, Mai, 1995, pp. 2-9.
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disposant d'un mécanisme efficace de
règlement des différends
»196et qui « constitue un
traité multilatéral autonome, ouvert à tous les membres de
l'OCDE et des communautés européennes et accessibles aux
pays non membres
de l'OCDE
»197.
Le communiqué final de la ministérielle a
précisé, suivant encore en cela les deux comités, que
l'objectif, que était d'aboutir à un accord pour la
ministérielle de 1997.198 Une période de deux ans
entre l'ouverture des négociations et la conclusion du nouveau
traité était donc envisagée.
Cependant, le cours des événements devraient
démentir les espérances officielles.199 Le projet de
l'AMI sous l'égide de l'OCDE restait un coup d'épée dans
l'eau. En effet, trois ans après les négociations,
précisément le 3 Décembre 1998, le processus des
négociations déjà bloqué peu de temps avant est
abandonné sans gloire pour diverses raisons. Une inquiétude
rendue officielle par un communiqué de presse de l'OCDE fait
sèchement état de la nouvelle selon laquelle « les
négociations sur l'AMI n'ont plus lieu ».
Ainsi, il nous est impérieux d'évoquer dans les
points suivants le contenu de ce projet d'accord multilatéral sur
l'investissement, et les raisons qui ont conduit à son échec.
1.2. Contenu du projet de l'AMI de l'OCDE
Le projet de l'AMI relatif aux investissements internationaux
comprenait un préambule ; des définitions (principalement de
l'investissement et de l'investisseur) ; son champ d'application ; du
traitement des investisseurs et investissements (traitement national et
régime de la nation la plus favorisée ; de la protection de
l'investissement, transparence ; l'admission, le séjour et l'emploi
temporaires des investisseurs et du personnel clé ; obligations de
nationalité pour les cadres supérieurs, les directeurs et les
membres du conseil d'administration ; obligations en matière d'emploi ;
obligation de résultat ; privatisation ; monopoles/entreprises
d'Etat/concessions ; entités investies de prérogatives publiques
déléguées ; incitations à l'investissement ;
dispositif de reconnaissance ; procédures d'autorisation ; appartenance
à des instances d'autoréglementation ; propriété
intellectuelle ; dette publique ; pratique des sociétés ;
technologie R D ; Non-abaissement des normes ;
196 Accord multilatéral de l'OCDE,
loc.cit.
197 Ibidem. 198Ibidem.
199Ibidem.
47
proposition de clause additionnelle concernant le
travail et l'environnement), de la protection de l'investissement ( Traitement
général ; expropriation et indemnisation ; protection
contre les troubles ; transferts ; transferts d'informations et
traitement des données ; subrogation ; protection des
investissements existants ) ; le règlement des différends
(procédures entre Etats ; procédure entre un investisseur et un
Etat) ; services financiers ( exceptions générales,
dispositifs de reconnaissance, procédure d'autorisation,
transparence, transfert d'information et des données, affiliation
à des instances et associations d'autoréglementation,
système de paiement et de compensation/prêteur en dernier
ressort, règlement des différends, définition des services
financiers) ; de la fiscalité ; des exceptions spécifiques des
pays (formulation des réserves spécifiques des pays) ; des liens
avec les autres accords internationaux d'investissement ( obligations
dans des statuts du fonds monétaire international, les principes
directeurs de l'OCDE à l' égard des entreprises multinationales),
de la mise en oeuvre et du fonctionnement du projet d'accord (Le groupe
préparatoire, le groupe des parties ) ; et des
dispositions finales (signature ; acceptation et entrée
en vigueur ; adhésion ; non- applicabilité ; réexamen ;
modification ; révisions des principes directeurs à
l'intention des entreprises multinationales ; le retrait, le
dépositaire ; statut des annexes ; textes faisant foi ; refus des
avantages ).
Comme nous pouvons bien le constater, ce projet de
traité multilatéral évoquait plusieurs sujets mais dans
notre analyse, nous nous contenterons des points suivants : les
définitions (1°) ; à son champ d'application
(2°), et enfin au règlement des différends
(3°).
1°) Définitions
Le projet de l'AMI définissait les termes
investissement et investisseur. a)
L'investisseur
Il a été défini comme :
- Toute personne physique qui, conformément au
droit applicable d'une partie contractante, à la
nationalité de cette partie contractante ou en est résident
permanent ;
- Toute personne morale, ou toute autre entité
considérée ou organisé selon le droit applicable
d'une partie contractante, avec ou sans but lucratif, privée ou
appartenant à une autorité publique ou
contrôlée par elle, y compris une
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société de capitaux, fiducie, société
de personnes, entreprise individuelle, co-entreprise, association ou
organisation.
b) L'investissement
L'investissement était défini comme :
« Tout type d'actif détenu ou
contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur,
notamment :
(i) Une entreprise (personne morale ou autre
entité constituée ou organisée selon le droit
applicable d'une partie contractante, avec ou sans but lucratif, privée
ou appartenant à une autorité publique ou contrôlée
par elle, y compris une société de capitaux, fiducie,
société de personnes, entreprise individuelle, succursale,
co-entreprise, association ou organisation) ;
(ii) Les actions, parts de capital ou autres formes de
créance et les droits en découlant ;
(iii) Les droits au titre de contrats, notamment les
contrats clés en main et les contrats de construction, de gestion, de
production, de partage de recettes ;
(iv) Les créances monétaires et les droits
à prestations ;
(v) Les droits de propriété intellectuelle
;
(vi) Les droits conférés par la loi tels
que les concessions, les licences, autorisations et permis ;
(vii) Tout autre bien corporel ou incorporel, meuble ou
immeuble, et tous droits connexes de propriété tels que la
location, l'hypothèque, le privilège et le gage
».200
Une telle définition n'avait pas sa raison d'être
car elle confondait la notion d'investissement avec la notion de bien, alors
que celle-ci est nécessairement plus large.201
De même, elle faisait une énumération non
exhaustive. Ce qui est une insécurité juridique car la notion
d'investissement pouvait même inclure certaines activités
illicites, ou certaines transactions commerciales qui y sont distincte.
200 Article 2 de l'accord multilatéral sur
l'investissement, projet de texte consolidé, 24 Mai 1998.
201 NZOHABONAYO, loc.cit.
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2°) Champ d'application
géographique202
L'AMI devrait s'appliquer :
- Au territoire terrestre, eaux intérieures et la mer
territoriale d'une partie contractante et, lorsque la partie contractante est
un Etat archipélagique, à ses eaux archipélagiques ;
- Aux zones maritimes situées au-delà de la mer
territoriale sur lesquelles une partie contractante exerce ses droits
souverains ou sa juridiction conformément au droit international tel
qu'il résulte en particulier de la Convention de Nations-Unies
signée à Montego Bay, sur le droit de la mer.
3°) Règlement des
différends
Parmi les mécanismes de différends
institués sous l'AMI, nous avons : les consultations
multilatérales, la conciliation, la médiation et l'arbitrage.
Pour ce dernier, les négociateurs prévoyaient la
possibilité pour un Etat de traduire devant la cour internationale de
justice un autre Etat, lorsque celui-ci ne s'est pas conformé à
la sentence le condamnant ou si cette procédure s'était
clôturée sans qu'il ait été statué au fond
sur la demande de l'investisseur.
Un projet si intéressant avec des idées claires
sur beaucoup de questions de l'investissement international, et de la
protection de leurs acteurs a plutôt fait l'objet d'un grand
échec. Quelles en sont les raisons ?
1.3. Les raisons de l'échec
Au départ, l'AMI fut conçu comme « un
grand bond en avant »203, d'où' la
nécessité de créer un instrument juridique contraignant,
constituant « un saut quantique vers quelque chose de beaucoup plus
ambitieux »204
202Un certain nombre de
délégations au groupe d'experts n°1 estimèrent qu'au
lieu d'un article concernant le champ d'application géographique, il
serait nécessaire de prévoir un article définissant «
le territoire » ou « la zone » d'une partie contractante auquel
s'appliquera l'AMI et qu'un article pourrait figurer dans la partie de l'accord
concernant les définitions générales. Certaines
délégations étaient extrêmement dubitatives quant
à la faisabilité de cette méthode.
203 HENDERSON D., op.cit, p.32.
204 WIITHEREL, cité par
ibidem.
50
Pourtant, deux sources de préoccupations ou
d'oppositions actives à ce projet apparurent successivement. En
s'amplifiant, elles se renforcent mutuellement pour aboutir à la
suspension, puis à la fin des négociations.
La première source d'inquiétudes était
interne au groupe de négociation. Plusieurs questions s'avèrent
plus difficiles et conflictuelles à cause de l'ampleur du projet. Il
apparut de plus en plus clairement que les négociations de l'AMI
étaient bien trop complexes et ambitieuses pour réussir et en
tout cas elles dépasseraient assurément l'échéance
initialement prévue.205
La seconde est venue de la réclamation d'un nombre
croissant d'ONG, à partir de 1995 qui, commencèrent à
manifester un intérêt certain envers l'AMI et exprimer leurs
inquiétudes quant à son contenu et à ses
buts.206 Il existait des différences à tous les «
nouveaux » aspects, comme la définition de l'investissement, la
conception du règlement des différends ou le traitement des
incitations à l'investissement. Il convient d'ajouter à cette
liste, le maintien de certains sujets sensibles comme le fait d'accorder des
pouvoirs trop importants aux investisseurs étrangers, notamment avec une
possibilité d'attaquer les Etats devant une instance international
-.207
Des retentissements contre ce projet commencèrent en
Décembre 1996, une réunion entre certaines ONG eut lieu à
l'OCDE. Elle fut suivie, en octobre 1997, d'une autre réunion plus
importante et mieux préparée, au cours de laquelle les membres du
groupe de négociation entamèrent des discussions avec des
représentants de plus d'une quarantaine d'ONG. Cette réunion ne
fut pas perçue comme féconde par les ONG car leurs objections
n'avaient pas été prises en compte. Entre temps l'opposition
prenait de l'ampleur. En Aout de 1997, le texte de l'AMI qui avait
été distribué aux membres du groupe de négociation
par son président et qui avait un caractère de document interne
restreint, fut divulgué sur internet. Cela alimenta toute une
série d'attaques.
La conception d'ensemble de l'AMI devint l'objet d'une
campagne internationale hostile de la part des ONG en communication permanente
les unes avec les autres.208 Le projet d'accord devint alors l'objet
d'un débat politique susceptible de faire perdre voix et soutiens. Les
gouvernements estimèrent pour ce fait d'être écartés
et désinformés de ses
205HENDERSON,
op.cit, p.31. 206Idem, p.35.
207Ibidem. 208
Ibidem.
51
négociations; l'organisation rédactrice, l'OCDE
n'a pas été créé pour agir en ce sens
c'est-à-dire pour servir d'enceinte à la négociation de
grands accords internationaux etc. Cela jetait une ombre supplémentaire
sur la faisabilité du projet initial. Bien avant que la
ministérielle ait lieu, il était évident que le projet
était en danger.209
En somme, malgré les échecs de l'AMI sous
l'OCDE, il est impérieux pour les Etats de reprendre des
négociations pour adopter un traité multilatéral
d'investissement contraignant contenant des idées claires et
précises corrigeant le désordre actuel du système normatif
composé des accords internationaux. Il revient à cet effet, de
rétablir l'équilibre dans les relations investisseur-Etat, revoir
les mécanismes de règlement des différends - en
particulier l'arbitrage qui doit être conditionné d'une phase
préalable de conciliation ou de médiation -, définir avec
précision les notions d'investisseur et d'investissement. Ce dernier
nécessite pour notre compte la prise en compte d'une approche
restrictive ou limitative.
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