La qualification d'investissement au regard de la jurisprudence arbitrale internationale: entre conceptions subjectives et objectives.( Télécharger le fichier original )par Elie-Joël ILONGA MONDELE Université de Kinshasa (UNIKIN) - Licence en droit économique et social 2015 |
Section.2. Conséquences juridiques et Pistes de solutionLes divergences d'interprétation créées par la jurisprudence arbitrale sur la notion d'investissement prouvent un manque d'identité de cette dernière. Un problème juridique qui, peut être un frein au bon déroulement des investissements internationaux. À ce titre, nous analyserons les conséquences de ces contradictions (§1.) puis, nous donnerons les meilleures pistes de solution possibles (§.2). §.1. Conséquences juridiquesLa pluralité d'approches pour qualifier un investissement entraine des contradictions substantielles dans chaque approche retenue (A), crée une insécurité juridique dans la promotion et dans la protection de l'investissement étranger (B) ; ce qui fait penser à l'inexistence d'une coutume générale causée par les acteurs de l'investissement international (C). A. Les contradictions substantielles de la notion d'investissementA l'intérieur de chaque conception de la notion d'investissement, il y a de nombreuses divergences dues d'une part, sur l'appréciation des critères objectifs (A), et d'autre part, à l'ambigüité de la volonté conventionnelle des parties exprimée dans les traités ou accords internationaux d'investissement (B). 1. L'appréciation des critères objectifs Les éléments objectifs de la définition d'investissement retenus par chaque tribunal arbitral n'ont pas la même teneur ; et certains d'entre-eux demeurent à ce jour difficiles à cerner. Il s'agit dans ce cas des critères de durée, de risque et de contribution au développement économique. 129 Phoenix action c/ République Tchèque, op.cit. 130Pantechniki S.A. Contractors and Engineers c/ République d'Albanie, affaire CIRDI n°ARB/07/21, sentence du 30 Juillet 2009. 131Vacuum Salt productions Ltd c/ Ghana, affaire CIRDI n°ARB/92/1, décision sur la compétence du 16 Février 1994. 34 1°) La durée Ce critère met en oeuvre l'engagement de l'investisseur dans le temps.132 Une telle délimitation temporelle trouve sa justification dans l'utilité fonctionnelle de ce critère dont premier est d'opérer une distinction entre l'investissement et les opérations purement commerciales.133 Telle est l'application de l'affaire FEDAX NV c/ Venezuela, ou' une opération - le billet à ordre - qui, le fait d'avoir durée quelques mois a été considéré comme un investissement par les arbitres.134 Néanmoins, les tribunaux arbitraux n'ont pas déterminé jusqu'à ce jour, une durée minimum pour qualifier un investissement135. Telle est la raison de l'incertitude sur ce critère. Il convient de préciser à ce titre que les rédacteurs de la convention de Washington avaient prévu dans l'ancien projet une durée minimale de cinq ans. Une telle difficulté amoindrit la capacité à aider à discerner des opérations de courte durée136, qui selon certains pays d'accueil : « are unpredictable and prone to withdrawal or non-renewal when conditions deteritoriate, worsening financial violatility in the country rather than mitigating it »137. 2°) Le risque Il a trait avec la probabilité de survenance, qui justifie la protection des investissements.138 Autrement dit, c'est un aléa susceptible de mettre en péril la réalisation d'une transaction, pendant une période plus ou moins longue.139 Cette opinion est partagée par l'argumentaire d'Oman qui, pense : « les décisions d'investir traduisent les anticipations des investisseurs relatives à des événements à venir, donc incertains, (donc on peut dire), l'investissement comporte un risque ».140 Pourtant, ce concept reste indéfini par la jurisprudence arbitrale. Ainsi, il nous est judicieux de savoir de quel type de risque s'agit-il dans ce cas ? 132 NZOHABONAYO, op.cit, p.208. 133 Ibidem. 134Fedax NV c/ Venezuela, affaire CIRDI n°ARB/96/3, décision sur la compétence du 11 Juillet 1997, op.cit. 135 Il faut mentionner que les rédacteurs de la convention de Washington, dans leur première tentative de définir le concept « investissement », avaient prévu une durée minimale de cinq ans. 136 NZOHABONAYO, loc.cit. 137 Ibidem. 138 Idem, p.209. 139 Ibidem. 140 OMAN C., « Les nouvelles formes d'investissement dans les pays en développement », cité par Ibidem. 35 Dans l'affaire Fedax NV c/ Venezuela, les arbitres ont qualifié de risque économico- politique : « la non-rentabilité d'un projet entrepris ».141Cela est dû par l'inexécution des obligations par l'un des contractants. 142 Une telle position a été vivement critiquée par la doctrine qui estime que la définition du terme « risque » employé dans ce cas par les arbitres est une confusion, et n'est ni économique, ni politique comme l'a allégué le tribunal de céans.143 Par ailleurs, la sentence CSOB c/ Slovaquie a soulevé moins de contestation. Elle s'est attelée sur le critère de risque économique encouru par l'investisseur. La sentence affirme que ce risque est normalement associé à toute activité économique.144Une portée pas suffisamment claire qui, a le risque d'ériger certaines opérations économiques d'investissement, et ipso facto, elle pourrait permettre à toute opération commerciale de bénéficier d'une protection entant qu'investissement.145 Tel est le cas des prêts. Plutard dans l'affaire Alpha Projekholding c/ Ukraine, il a été admis qu'un risque d'inexécution soit suffisant pour la qualification d'investissement, en ces termes : « Many contracts, including typical loan agreements, have fixed payment terns. Indeed, as explained above, loan agreements can be a form of investment. The fact that a party is owed a fixed amount by the terms of a contract does not mean that all risk for that party has been eliminated, as the risk of default may remain at elevated levels. Removing all fixed payment contracts from the scope of investment protection would lead to a substantial loophole in the ICSID convention, and Respondent has provided no convincing evidence that this was intent of the drafters ».146 En définitive, toutes ces contrariétés de sentences montrent l'instabilité de ce concept. On ne sait pas à ce jour si le risque d'investissement doit- il être commercial, économique, politique ou tout autre. 141 FEDAX NV c/ Venezuela, op.cit. 142 FEDAX c/ Venezuela. 143 MANCIAUX, investissements, cité par NZOHABONAYO, op.cit, p.210. 144 CSOB c/ République de Slovaquie, op.cit. 145 NZOHABONAYO, loc.cit. 146 Alpha Projekholding c/ Ukraine, affaire CIRDI n° ARB/07/16, sentence du 8 Novembre 2010. 36 3°) La contribution au développement économique de l'Etat d'accueil Le critère de développement économique retenu pour qualifier un investissement est très controversé. D'un côté, même si elle a fait l'objet de référence dans les préambules de nombreux AII, la notion de contribution au développement économique demeure indéfinie par beaucoup d'entre-eux. La plupart de ces AII se limitent à faire de simples allusions. De l'autre, certains textes, à l'instar de la convention de Séoul instituant l'agence multilatérale de la garantie des investissements (MIGA ou AMGI)147 ont quand même pu délimiter sa portée. Celle-ci l'a érigé en condition essentielle pour définir l'investissement.148 Pour évaluer ce critère, la MIGA prend en considération les facteurs suivants : la possibilité du projet d'investissement de procurer des recettes au pays d'accueil, la contribution du projet à l'accroissement du potentiel productif et en particulier à la production des biens exportables ou substituables aux importations, la réduction de la vulnérabilité issue des changements économiques externes, la contribution du projet à la diversification des activités économiques, l'expansion des possibilités d'emploi, l'amélioration de la répartition des revenus, les bénéfices tirés par les employés qui s'occupent du projet, la contribution du projet à transférer des connaissances et des compétences ainsi que ses effets sur l'infrastructure sociale et l'environnement du pays d'accueil.149 L'agence doit assurer, en outre, que le projet satisfait aux exigences de la législation du pays d'accueil - y compris le droit interne du travail- et à ses objectifs et ses priorités en matière de développement.150 Dans le cadre du CIRDI, les tribunaux arbitraux statuant sous ses auspices, et évoquant la notion de contribution au développement n'ont pas été suffisamment clairs sur sa portée. Ils ont toujours été divisés sur la question. Deux camps s'opposent de ce fait : l'un 147 La MIGA est une institution rattachée à la Banque mondiale dont la mission est de garantir les investissements étrangers contre les risques politiques. 148 BEN HAMIDA W., op.cit, p.2. 149Règlement opérationnel de la MIGA, le 27 Aout 2002, § 3.06 « in determining whether an investment project will contribute to the development of the host country, the Underwriting Authority shall have regard to such factors as the investment project's potential to generate revenues to the host country ; the contribution of the investment project to maximizing the host country's productive potential, and in particular to producing exports or import substitues and reducing vulnerability to external economic changes, the extent to which the investment project will diversify economic activities, expand employement opportunities and improve income distribution, the degree to which the investment project will transfer knowledge and skills to the host country and the effects of the investment project on the social infrastructure and environment of the host country ». 150 §. 3.09. 37 affirmant ce critère comme le plus déterminant pour qualifier un investissement151, et l'autre le rejetant parce qu'il est difficile à établir152 ou pour le fait qu'il soit compris dans les autres critères153 ; ou encore elle est variable.154 En toute certitude, la contribution au développement de l'Etat d'accueil, un critère tout le temps évoqué par les sentences du CIRDI reste mystérieuse. Il n'est pas déterminé à ce jour : comment est-il défini ? Quels sont ses composantes ? Quels sont les activités exclues dans ce cadre ? Ou quelle est la qualité ou la quantité de l'apport suggéré pour y constituer ? Telles sont aujourd'hui les questions majeures que les arbitres CIRDI devraient répondre. 2. Ambigüité des Accords internationaux d'investissement Elle a trait avec la conception subjective de la notion d'investissement. En effet, même si les tribunaux arbitraux appliquent de fois la volonté des parties exprimée dans les TBIs, les traités multilatéraux, les accords de commerce préférentiels, les ALE etc. il n'en résulte pas moins qu'ils aient tous un contenu uniforme. Par conséquent, certains AIIs ont une approche large fondée sur les actifs (1°), d'autres fondée sur les entreprises (2°) ou font allusion à la présence commerciale (3°), d'autres encore ont une approche réductive ou limitative (4°). 1°) La définition large fondée sur les actifs C'est celle que retient l'immense majorité des TBI, voire des AII.155Elle indique tout d'abord que l'investissement inclut « tout type d'actif » ; ce qui laisse entendre que l'expression englobe tout ce qui a une valeur économique, pratiquement sans limitation.156D'autres TBI utilisent le libellé « tout type d'intérêt économique », ce qui évite d'avoir à distinguer entre « actif » et « intérêt » et sans doute encore plus général.157 La définition générale s'accompagne d'une liste indicative de principales catégories 151SCHREUER a souligné l'importance d'un investissement pour le développement de l'Etat-hôte comme caractéristique type selon la convention de Washington. Il a ainsi déclaré : « the operations significance for the host-States development is a typical characteristic (s) of investment under the convention ». SCHREUER C., The ICSID convention: a commentary, Cambridge, University press, 2011, p.140. 152L.E.S.I S.p.A et Astaldi S.p.A c/ République d' Algérie, op.cit. 153Victor Pey Casado et aliic/ Chili, op.cit. 154Malaysian Historical Salvors SDN BHD c/ République de Malaisie, décision d'annulation du comité ad hoc, le 16 Avril 2009, op.cit. 155CNUCED, Portée et définitions: collection consacrée aux problèmes relatives aux accords internationaux d'investissement, New-York, Nations-Unies, 2011, p.24. 156Ibidem. 157Ibidem. 38 d'investissement à protéger. Une énumération qui est non exhaustive.158 Tel est le cas du TBI Azerbaïdjan - Finlande159 qui, dispose dans son article 1er : « Le terme « investissements » désigne tout type d'actifs établis ou acquis par un investisseur d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante conformément aux lois et règlements de cette dernière et, en particulier mais pas exclusivement :
2°) Définition fondée sur l'entreprise Elle a été mise en oeuvre pour la première fois par l'accord de libre-échange entre les USA et la Canada, conclue en 1988.161 Aux termes de cet accord, l'investissement incluait « la création ou l'acquisition d'une entreprise commerciale, ainsi qu'une part du capital de celle-ci permettant à l'investisseur d'en prendre le contrôle ». Toutefois, cet accord limitait l'investissement aux « entreprises qui constituaient un investissement direct, excluant de ce fait l'investissement de portefeuille ».162 158Rapport CNUCED, loc.cit. 159Article 1er du TBI Azerbaïdjan - Finlande,
en ligne, disponible sur 160Article 1er du TBI Azerbaïdjan-Finlande, disponible sur : http// www.Unctad.org. 161 Rapport CNUCED, op.cit, p.22. 39 3°) Définition faisant allusion à la présence commerciale C'est le cas des AII qui se limitent aux personnes morales créées par un investisseur dans l'Etat d'accueil ainsi qu'aux succursales et aux bureaux de représentation.163 Cette définition est seulement utilisée dans les accords dont l'objectif spécifique est la libéralisation du commerce ou des services.164 La « présence commerciale » est dans ce cas considérée comme un mode de fourniture transfrontalière d'un service.165 4°) Définition réductive Dans ce cas, il est souvent fait application d'exclusion de certains types d'actifs, tels que les investissements de portefeuille, certains contrats commerciaux, certains prêts et titres d'emprunts etc. ; de l'utilisation d'une définition fermée, assortie d'une longue liste d'exemples fondée sur les actifs qui soit non indicative mais exhaustive ; de la limitation des investissements à ceux réalisés conformément à la législation du pays d'accueil etc.166
L'investissement de portefeuille est un investissement ayant un caractère purement financier, dans le cas duquel l'investisseur reste passif et ne contrôle pas la gestion de l'investissement.168 Son acteur principal, se soucie essentiellement de l'appréciation de la valeur de son capital et du rendement qu'il peut générer, indépendamment de toute considération de relation à long-terme avec l'entreprise en question ou de contrôle de celle-ci.169 162Rapport CNUCED, loc.cit. 163Idem, p.23. 164 Ibidem. 165Ibidem. 166Idem, p.31. 167 Ibidem. 168Ibidem. 169Ibidem. 40 L'exemple typique dans ce cas est l'ALE entre l'association européenne de libre-échange et le Mexique signé en 2000, qui prévoit en son article 45 : « Aux fins de la présente section, l'investissement réalisé conformément aux lois et règlements des parties s'entend d'un investissement direct défini comme un investissement réalisé en vue d'établir des relations économiques durables avec une entreprise, comme dans le cas, en particulier des investissements qui donnent la possibilité d'exercer une influence effective sur leurs gestions ».170 c) Certains contrats commerciaux En principe, l'exécution d'un contrat par une entité étrangère dans un pays hôte peut impliquer la création d'un investissement.171 A ce titre, elle pourrait entrer naturellement dans la définition d'un investissement.172 Une telle définition englobe des contrats tels que les contrats clefs en main, de construction, de gestion, de production, de concession, de partage de recettes etc. Toutefois, les TBIs peuvent exclure de fois certains contrats commerciaux ordinaires tels que les contrats de vente et de services isolés ordinaires.173 Tel est le cas des TBIs Canadiens qui disposent généralement en leur article 1er174: « (...) mais l'investissement ne désigne pas : x) des créances liquides découlant uniquement i) des contrats commerciaux concernant la vente de biens ou de services par un ressortissant ou une entreprise se trouvant sur le territoire de l'autre partie ».175 d) Certains prêts et titres d'emprunt Il convient de ce fait de se référer à l'ALE Pérou-USA conclu en 2006qui, énonce à son article 10.28 : 170L'ALE entre l'association européenne de de Libre - échange et le Mexique, en ligne, disponible sur http // www.Unctad.org. 171 CNUCED, op.cit, pp. 32-34. 172Ibidem. 173Ibidem. 174 Ibidem. 175 Ibidem. 41 « Certaines formes de dette, telles que les obligations et les bons à long-terme, sont plus susceptibles de présenter les caractéristiques d'un investissement, tandis que d'autres formes de dettes, telles que les créances qui sont immédiatement exigibles et découlent de la vente de biens ou de services, sont moins susceptibles de posséder ces caractéristiques ».176 d) Les actifs utilisés à des fins non commerciales Il s'agit précisément des TBIs visant à promouvoir les flux de capitaux destinés à un usage commercial.177 Tel est le cas du TBI entre la Biélorussie-Russie et la République »178. Tchèque qui prévoit que « le terme « investissement » désigne tout actif investi en vue d'activités économiques par un investisseur d'une partie contractante (...) Aussi, l'accord de partenariat économique (APE) conclu entre le Japon et le Singapour en 2002 dispose dans une note séparée : « Aux fins du présent chapitre, « les prêts et autres formes de dette » (...) et « les créances liquides et les droits à prestation au titre d'un contrat » (...) renvoient à des actifs qui se rapportent à une activité commerciale et ne renvoient pas à des actifs qui ont un caractère personnel, sans rapport avec une activité commerciale ».179 2°) L'utilisation d'une définition fermée Une telle méthode est appliquée pour restreindre le champ de la définition fondée sur les actifs ainsi que la définition sur l'entreprise.180 Cette illustration est d'origine Canadienne181, qui dans le TBI type de 2004, on avait une teneur suivante : « L'investissement désigne : (...) Mais l'investissement ne désigne pas : X) Des créances liquides qui découlent uniquement de : 176 ALE Pérou-USA, en ligne, disponible sur http// www.Unctad.org. 177 CNUCED, op.cit, p.35. 178 TBI Belarus - République Tchèque, en ligne, disponible sur http// www.Unctad.org. 179 APE Japon-Singapour, en ligne, disponible sur http// www.Unctad.org. 180CNUCED, op.cit, p.36. 181Ibidem. 42
XI) Toutes autres créances liquides ».182 3°) Limitation des investissements à ceux qu'autorise l'Etat d'accueil Certains AII contiennent une prescription selon laquelle, un investissement n'est couvert que s'il est effectué d'une manière conforme à la législation du pays d'accueil.183 Un tel raisonnement peut se résumer de la manière suivante : « Le terme « investissement » désigne tout type d'actif investi par des investisseurs d'une partie contractante conformément aux lois et règlements de l'autre partie contractante sur le territoire de cette dernière... ».184 Il en est de même du §.9 de l'article 1er de l'accord relatif à la zone d'investissement commune du COMESA conclu en 2007, qui indique : « Le terme « investissement » s'entend des actifs admis ou admissibles en conformité avec les lois et règlements pertinents de l'Etat membre du COMESA sur le territoire duquel l'investissement est effectué ».185 |
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