II : Les controverses vis-à-vis le Capital
naturel
Le développement peut être rapide mais non
durable à long terme. Et la soutenabilité peut aller inversement
de pair avec de très faibles niveaux de développement.
L'originalité des stratégies de développement durable est
d'orienter les décisions des pouvoirs publics dans des directions
combinant les deux aspects, à savoir atteindre le plus haut niveau de
développement actuel, compatible avec la soutenabilité à
long terme. Dans ce contexte, la coexistence d'indicateurs s'appliquant aux
deux domaines n'est pas étonnante, même si elle nuit à la
lisibilité. L'approche forte et l'approche faible de la
soutenabilité sont deux concepts concurrents fréquemment
utilisés pour classer les approches empiriques du développement
durable.
L'hypothèse centrale qui sous-tend leur point de vue
consiste à supposer que les différentes formes de capitaux qui
participent à l'économie humaine sont substituables les unes aux
autres. Autrement dit, le capital (ou l'actif) naturel pourrait être
remplacé par d'autres formes de capitaux artificiels.
1 : La soutenabilité faible
L'expression soutenabilité faible a été
employée pour caractériser les approches économiques de la
soutenabilité apparues dans les années 1970. Ces approches sont
des extensions des modèles usuels de croissance néo-classiques.
Les modèles de croissance habituels considèrent en règle
générale que la production est déterminée
uniquement par la technologie et les quantités disponibles de deux
facteurs de production dont le travail et le capital. La principale innovation
des années 1970, après le premier choc pétrolier, a
été d'introduire dans ces modèles les ressources
naturelles comme un facteur de production supplémentaire et de
préciser les règles régissant leur évolution,
notamment en modélisant le comportement d'extraction dans le cas d'une
ressource minérale épuisable.
Ces modèles supposaient souvent des possibilités
importantes de substitution entre les ressources naturelles, le capital et le
travail. Associées à un progrès technique exogène,
elles offraient une solution à la finitude des ressources, au moins d'un
point de vue théorique : au fur et à mesure que les stocks de
ressources pétrolières déclinent, la production est
censée les utiliser de moins en moins intensivement, sans que cela
implique une baisse du niveau
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de vie, que ce soit grâce au pur progrès
technologique ou en remplaçant le pétrole par une énergie
fossile alternative ou un autre facteur de production conçu par
l'homme.
Pour les tenants de la soutenabilité faible, le fait de
dégrader ou de détruire le capital naturel n'est pas
particulièrement problématique à partir du moment
où ce capital est utilisé pour produire une autre forme de
capital (notamment financier ou technologique) qui sera alors léguer aux
générations futures, en lieu et place du capital
dégradé. Grâce à cette hypothèse de
substituabilité, le principe de solidarité
intergénérationnelle est respecté, sans pour autant que
les considérations écologiques aient besoin d'être
prioritairement considérées.
2 : La soutenabilité forte
Les tenants de la soutenabilité forte pensent en
revanche que les possibilités de substitution se heurtent à des
limites physiques. Pour la plupart des ressources naturelles, il est
nécessaire de maintenir des niveaux critiques au moins égaux
à ceux nécessaires aux besoins de base, et en fait plus
élevés si l'on veut que l'environnement conserve un niveau
acceptable de ce qu'on appelle la résilience, à savoir la
capacité de l'écosystème à se
régénérer et à retrouver son équilibre
après des chocs. Le concept de soutenabilité forte est souvent
considéré comme ne pouvant se réduire à des
approches monétaires. Toutes les variables environnementales pertinentes
doivent être étudiées en termes physiques.
Ouvertement opposés aux tenants de la
soutenabilité faible, certains tenants de l'approche systémique
ont développé de leur côté cette théorie de
la soutenabilité forte. Le plus souvent proches des valeurs du Club de
Rome (1972), partageant les mêmes inquiétudes et dressant les
mêmes constats, les défenseurs de cette théorie rejettent
en grande partie l'hypothèse de la soutenabilité. Pour eux, le
capital naturel intègre un certain nombre de caractéristiques
écologiques irremplaçables qui déterminent les grands
équilibres planétaires et qu'il convient de préserver
prioritairement afin de les léguer dans leur intégralité
aux générations à venir. Une soutenabilité forte
suggère de ne pas utiliser davantage de services écologiques que
la nature est capable d'en générer.
À la différence des modèles classiques et
néoclassiques, les modèles de soutenabilité faible et
forte introduisent les limites des ressources naturelles. Or, les premiers
continuent à se baser principalement sur des hypothèses
néoclassiques. Il y a trois différences
principales entre ces deux types de courants.
Premièrement, les premiers privilégient une soutenabilité
économique alors que les deuxièmes veulent, avant tout, une
soutenabilité environnementale. En deuxième lieu, les premiers
veulent que le bien-être soit maximisé dans le temps tout en
maintenant le stock de capital, alors que les deuxièmes exigent le
maintien du stock de capital naturel. Finalement, les derniers exigent que les
générations présentes et futures soient traitées de
la même façon. De plus, les premiers sont plus optimistes en ce
qui concerne la capacité des humains pour résoudre n'importe quel
problème nouveau auquel nous devons faire face. Les autres, au
contraire, se posent des questions sur le succès des solutions
technologiques précédentes et craignent que les problèmes
futurs soient chaque fois pires.
Il est évident que les tenants de la
décroissance s'inscrivent dans la même ligne que ceux de la
soutenabilité forte. En effet, ces deux mouvements remettent en cause la
croissance économique et considèrent qu'il est urgent de
réduire notre « empreinte écologique
»1. De même, ils ne croient pas qu'un miracle
technologique aura lieu et résoudra tous nos problèmes actuels.
Cependant, ces deux courants ne se confondent pas, puisque le mouvement de la
décroissance ne critique pas seulement le problème
écologique, mais aussi l'idéologie productiviste actuelle. Ils ne
s'intéressent donc pas seulement aux effets de la croissance
économique sur l'écologie, mais aussi sur le social, le
politique, etc.
1Indicateur qui mesure, en hectares, la surface
nécessaire à une population pour répondre à sa
consommation de ressources naturelles et d'espace et à ses besoins
d'absorption de déchets et d'émissions. Il porte sur la
consommation et non sur la production.
La croissance inclusive est une croissance qui favorise la
cohésion sociale, l'accès à un emploi décent, etc.
Cette croissance est au bénéfice de tous, sans exception. Le
développement, quant à lui, est une notion qui doit tenir compte
de l'équité sociale, économique et environnementale dans
son programme. Ces deux notions, bien que différentes, sont
désormais liées l'une à l'autre.
LA CROISSANCE INCLUSIVE COMME
DÉVELOPPEMENT DURABLE
INSTRUMENT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE
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